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Eugénie Grandet
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Eugénie Grandet

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– Maman, dit-elle, jamais mon cousin ne supportera l'odeur d'une chandelle. Si nous achetions de la bougie?.. Elle alla, légčre comme un oiseau, tirer de sa bourse l'écu de cent sous qu'elle avait reçu pour ses dépenses du mois.

– Tiens, Nanon, dit-elle, va vite.

– Mais, que dira ton pčre? Cette objection terrible fut proposée par madame Grandet en voyant sa fille armée d'un sucrier de vieux Sčvres rapporté du château de Froidfond par Grandet.

– Et oů prendras-tu donc du sucre? es-tu folle?

– Maman, Nanon achčtera aussi bien du sucre que de la bougie.

– Mais ton pčre?

– Serait-il convenable que son neveu ne put boire un verre d'eau sucrée? D'ailleurs, il n'y fera pas attention.

– Ton pčre voit tout, dit madame Grandet en hochant la tęte.

Nanon hésitait, elle connaissait son maître.

– Mais va donc, Nanon, puisque c'est ma fęte!

Nanon laissa échapper un gros rire en entendant la premičre plaisanterie que sa jeune maîtresse eűt jamais faite, et lui obéit. Pendant qu'Eugénie et sa mčre s'efforçaient d'embellir la chambre destinée par monsieur Grandet ŕ son neveu, Charles se trouvait l'objet des attentions de madame des Grassins, qui lui faisait des agaceries.

– Vous ętes bien courageux, monsieur, lui dit-elle, de quitter les plaisirs de la capitale pendant l'hiver pour venir habiter Saumur. Mais si nous ne vous faisons pas trop peur, vous verrez que l'on peut encore s'y amuser.

Elle lui lança une véritable oeillade de province, oů, par habitude, les femmes mettent tant de réserve et de prudence dans leurs yeux qu'elles leur communiquent la friande concupiscence particuličre ŕ ceux des ecclésiastiques, pour qui tout plaisir semble ou un vol ou une faute. Charles se trouvait si dépaysé dans cette salle, si loin du vaste château et de la fastueuse existence qu'il supposait ŕ son oncle, qu'en regardant attentivement madame des Grassins, il aperçut enfin une image ŕ demi effacée des figures parisiennes. Il répondit avec grâce ŕ l'espčce d'invitation qui lui était adressée, et il s'engagea naturellement une conversation dans laquelle madame des Grassins baissa graduellement sa voix pour la mettre en harmonie avec la nature de ses confidences. Il existait chez elle et chez Charles un męme besoin de confiance. Aussi, aprčs quelques moments de causerie coquette et de plaisanteries sérieuses, l'adroite provinciale put-elle lui dire sans se croire entendue des autres personnes, qui parlaient de la vente des vins, dont s'occupait en ce moment tout le Saumurois:

– Monsieur, si vous voulez nous faire l'honneur de venir nous voir, vous ferez trčs certainement autant de plaisir ŕ mon mari qu'ŕ moi. Notre salon est le seul dans Saumur oů vous trouverez réunis le haut commerce et la noblesse: nous appartenons aux deux sociétés, qui ne veulent se rencontrer que lŕ parce qu'on s'y amuse. Mon mari, je le dis avec orgueil, est également considéré par les uns et par les autres. Ainsi, nous tâcherons de faire diversion ŕ l'ennui de votre séjour ici. Si vous restiez chez monsieur Grandet, que deviendriez-vous, bon Dieu! Votre oncle est un grigou qui ne pense qu'ŕ ses provins, votre tante est une dévote qui ne sait pas coudre deux idées, et votre cousine est une petite sotte, sans éducation, commune, sans dot, et qui passe sa vie ŕ raccommoder des torchons.

– Elle est trčs bien, cette femme, se dit en lui-męme Charles Grandet en répondant aux minauderies de madame des Grassins.

– Il me semble, ma femme, que tu veux accaparer monsieur, dit en riant le gros et grand banquier.

A cette observation, le notaire et le président dirent des mots plus ou moins malicieux; mais l'abbé les regarda d'un air fin et résuma leurs pensées en prenant une pincée de tabac, et offrant sa tabatičre ŕ la ronde:

– Qui mieux que madame, dit-il, pourrait faire ŕ monsieur les honneurs de Saumur?

– Ha! çŕ, comment l'entendez-vous, monsieur l'abbé? demanda monsieur des Grassins.

– Je l'entends, monsieur, dans le sens la plus favorable pour vous, pour madame, pour la ville de Saumur et pour monsieur, ajouta le rusé vieillard en se tournant vers Charles.

Sans paraître y pręter la moindre attention, l'abbé Cruchot avait su deviner la conversation de Charles et de madame des Grassins.

– Monsieur, dit enfin Adolphe ŕ Charles d'un air qu'il aurait voulu rendre dégagé, je ne sais si vous avez conservé quelque souvenir de moi; j'ai eu le plaisir d'ętre votre vis-ŕ-vis ŕ un bal donné par monsieur le baron de Nucingen, et …

– Parfaitement, monsieur, parfaitement, répondit Charles surpris de se voir l'objet des attentions de tout le monde.

– Monsieur est votre fils? demanda-t-il ŕ madame des Grassins.

L'abbé regarda malicieusement la mčre.

– Oui, monsieur, dit-elle.

– Vous étiez donc bien jeune ŕ Paris? reprit Charles en s'adressant ŕAdolphe.

– Que voulez-vous, monsieur, dit l'abbé, nous les envoyons ŕ Babylone aussitôt qu'ils sont sevrés.

Madame des Grassins interrogea l'abbé par un regard d'une étonnante profondeur.

– Il faut venir en province, dit-il en continuant, pour trouver des femmes de trente et quelques années aussi fraîches que l'est madame, aprčs avoir eu des fils bientôt Licenciés en Droit. Il me semble ętre encore au jour oů les jeunes gens et les dames montaient sur des chaises pour vous voir danser au bal, madame, ajouta l'abbé en se tournant vers son adversaire femelle. Pour moi, vos succčs sont d'hier …

– Oh! le vieux scélérat! se dit en elle-męme madame des Grassins, me devinerait-il donc?

– Il paraît que j'aurai beaucoup de succčs ŕ Saumur, se disait Charles en déboutonnant sa redingote, se mettant la main dans son gilet, et jetant son regard ŕ travers les espaces pour imiter la pose donnée ŕ lord Byron par Chantrey.

L'inattention du pčre Grandet, ou, pour mieux dire, la préoccupation dans laquelle le plongeait la lecture de sa lettre, n'échappčrent ni au notaire ni au président qui tâchaient d'en conjecturer le contenu par les imperceptibles mouvements de la figure du bonhomme, alors fortement éclairée par la chandelle. Le vigneron maintenait difficilement le calme habituel de sa physionomie. D'ailleurs chacun pourra se peindre la contenance affectée par cet homme en lisant la fatale lettre que voici:

ŤMon frčre, voici bientôt vingt-trois ans que nous ne nous sommes vus. Mon mariage a été l'objet de notre derničre entrevue, aprčs laquelle nous nous sommes quittés joyeux l'un et l'autre. Certes je ne pouvais gučre prévoir que tu serais un jour le seul soutien de la famille, ŕ la prospérité de laquelle tu applaudissais alors. Quand tu tiendras cette lettre en tes mains, je n'existerai plus. Dans la position oů j'étais, je n'ai pas voulu survivre ŕ la honte d'une faillite. Je me suis tenu sur le bord du gouffre jusqu'au dernier moment, espérant surnager toujours. Il faut y tomber. Les banqueroutes réunies de mon agent de change et de Roguin, mon notaire, m'emportent mes derničres ressources et ne me laissent rien. J'ai la douleur de devoir prčs de quatre millions sans pouvoir offrir plus de vingt-cinq pour cent d'actif. Mes vins emmagasinés éprouvent en ce moment la baisse ruineuse que causent l'abondance et la qualité de vos récoltes. Dans trois jours Paris dira: ŤMonsieur Grandet était un fripon!ť Je me coucherai, moi probe, dans un linceul d'infamie. Je ravis ŕ mon fils et son nom que j'entache et la fortune de sa mčre. Il ne sait rien de cela, ce malheureux enfant que j'idolâtre. Nous nous sommes dit adieu tendrement. Il ignorait, par bonheur, que les derniers flots de ma vie s'épanchaient dans cet adieu. Ne me maudira-t-il pas un jour? Mon frčre, mon frčre, la malédiction de nos enfants est épouvantable; ils peuvent appeler de la nôtre, mais la leur est irrévocable.

ŤGrandet, tu es mon aîné, tu me dois ta protection: fais que Charles ne jette aucune parole amčre sur ma tombe! Mon frčre, si je t'écrivais avec mon sang et mes larmes, il n'y aurait pas autant de douleurs que j'en mets dans cette lettre; car je pleurerais, je saignerais, je serais mort, je ne souffrirais plus; mais je souffre et vois la mort d'un oeil sec. Te voilŕ donc le pčre de Charles! il n'a point de parents du côté maternel, tu sais pourquoi. Pourquoi n'ai-je pas obéi aux préjugés sociaux? Pourquoi ai-je cédé ŕ l'amour? Pourquoi ai-je épousé la fille naturelle d'un grand seigneur? Charles n'a plus de famille. O mon malheureux fils! mon fils! Ecoute, Grandet, je ne suis pas venu t'implorer pour moi; d'ailleurs tes biens ne sont peut-ętre pas assez considérables pour supporter une hypothčque de trois millions; mais pour mon fils! Sache-le bien, mon frčre, mes mains suppliantes se sont jointes en pensant ŕ toi. Grandet, je te confie Charles en mourant. Enfin je regarde mes pistolets sans douleur en pensant que tu lui serviras de pčre. Il m'aimait bien, Charles; j'étais si bon pour lui, je ne le contrariais jamais: il ne me maudira pas. D'ailleurs, tu verras, il est doux, il tient de sa mčre, il ne te donnera jamais de chagrin. Pauvre enfant! accoutumé aux jouissances du luxe, il ne connaît aucune des privations auxquelles nous a condamnés l'un et l'autre notre premičre misčre … Et le voilŕ ruiné, seul. Oui, tous ses amis le fuiront, et c'est moi qui serai la cause de ses humiliations. Ah! je voudrais avoir le bras assez fort pour l'envoyer d'un seul coup dans les cieux prčs de sa mčre. Folie! Je reviens ŕ mon malheur, ŕ celui de Charles. Je te l'ai donc envoyé pour que tu lui apprennes convenablement et ma mort et son sort ŕ venir. Sois un pčre pour lui, mais un bon pčre.

ŤNe l'arrache pas tout ŕ coup ŕ sa vie oisive, tu le tuerais. Je lui demande ŕ genoux de renoncer aux créances qu'en qualité d'héritier de sa mčre il pourrait exercer contre moi. Mais c'est une pričre superflue; il a de l'honneur, et sentira bien qu'il ne doit pas se joindre ŕ mes créanciers. Fais-le renoncer ŕ ma succession en temps utile. Révčle-lui les dures conditions de la vie que je lui fais; et s'il me conserve sa tendresse, dis-lui bien en mon nom que tout n'est pas perdu pour lui. Oui, le travail, qui nous a sauvés tous deux, peut lui rendre la fortune que je lui emporte; et, s'il veut écouter la voix de son pčre, qui pour lui voudrait sortir un moment du tombeau, qu'il parte, qu'il aille aux Indes! Mon frčre, Charles est un jeune homme probe et courageux: tu lui feras une pacotille, il mourrait plutôt que de ne pas te rendre les premiers fonds que tu lui pręteras; car tu lui en pręteras, Grandet! sinon tu te créerais des remords. Ah! si mon enfant ne trouvait ni secours ni tendresse en toi, je demanderais éternellement vengeance ŕ Dieu de ta dureté. Si j'avais pu sauver quelques valeurs, j'avais bien le droit de lui remettre une somme sur le bien de sa mčre; mais les payements de ma fin du mois avaient absorbé toutes mes ressources. Je n'aurais pas voulu mourir dans le doute sur le sort de mon enfant; j'aurais voulu sentir de saintes promesses dans la chaleur de ta main, qui m'eűt réchauffé; mais le temps me manque. Pendant que Charles voyage, je suis obligé de dresser mon bilan. Je tâche de prouver par la bonne foi qui préside ŕ mes affaires qu'il n'y a dans mes désastres ni faute ni improbité. N'est-ce pas m'occuper de Charles? Adieu, mon frčre. Que toutes les bénédictions de Dieu te soient acquises pour la généreuse tutelle que je te confie, et que tu acceptes, je n'en doute pas. Il y aura sans cesse une voix qui priera pour toi dans le monde oů nous devons aller tous un jour, et oů je suis déjŕ.

Victor-Ange-Guillaume Grandet. ť

– Vous causez donc? dit le pčre Grandet en pliant avec exactitude la lettre dans les męmes plis et la mettant dans la poche de son gilet. Il regarda son neveu d'un air humble et craintif sous lequel il cacha ses émotions et ses calculs.

– Vous ętes-vous réchauffé?

– Trčs bien, mon cher oncle.

– Hé! bien, oů sont donc nos femmes? dit l'oncle oubliant déjŕ que son neveu couchait chez lui. En ce moment Eugénie et ma dame Grandet rentrčrent.

– Tout est-il arrangé lŕ-haut? leur demanda le bonhomme en retrouvant son calme.

– Oui, mon pčre.

– Hé! bien, mon neveu, si vous ętes fatigué, Nanon va vous conduire ŕ votre chambre. Dame, ce ne sera pas un appartement de mirliflor! mais vous excuserez de pauvres vignerons qui n'ont jamais le sou. Les impôts nous avalent tout.

– Nous ne voulons pas ętre indiscrets, Grandet, dit le banquier. Vous pouvez avoir ŕ jaser avec votre neveu, nous vous souhaitons le bonsoir. A demain.

A ces mots, l'assemblée se leva, et chacun fit la révérence suivant son caractčre. Le vieux notaire alla chercher sous la porte sa lanterne, et vint l'allumer en offrant aux des Grassins de les reconduire. Madame des Grassins n'avait pas prévu l'incident qui devait faire finir prématurément la soirée, et son domestique n'était pas arrivé.

– Voulez-vous me faire l'honneur d'accepter mon bras, madame? dit l'abbé Cruchot ŕ madame des Grassins.

– Merci, monsieur l'abbé. J'ai mon fils, répondit-elle sčchement.

– Les dames ne sauraient se compromettre avec moi, dit l'abbé.

– Donne donc le bras ŕ monsieur Cruchot, lui dit son mari.

L'abbé emmena la jolie dame assez lestement pour se trouver ŕ quelques pas en avant de la caravane.

– Il est trčs bien, ce jeune homme, madame, lui dit-il en lui serrant le bras. Adieu, paniers, vendanges sont faites! Il vous faut dire adieu ŕ mademoiselle Grandet, Eugénie sera pour le Parisien. A moins que ce cousin ne soit amouraché d'une Parisienne, votre fils Adolphe va rencontrer en lui le rival le plus …

– Laissez donc, monsieur l'abbé. Ce jeune homme ne tardera pas ŕ s'apercevoir qu'Eugénie est une niaise, une fille sans fraîcheur. L'avez-vous examinée? elle était, ce soir, jaune comme un coing.

– Vous l'avez peut-ętre déjŕ fait remarquer au cousin.

– Et je ne m'en suis pas gęnée …

– Mettez-vous toujours auprčs d'Eugénie, madame, et vous n'aurez pas grand'chose ŕ dire ŕ ce jeune homme contre sa cousine, il fera de lui-męme une comparaison qui …

– D'abord, il m'a promis de venir dîner aprčs-demain chez moi.

– Ah! si vous vouliez, madame, dit l'abbé.

– Et que voulez-vous que je veuille, monsieur l'abbé? Entendez-vous ainsi me donner de mauvais conseils? Je ne suis pas arrivée ŕ l'âge de trente-neuf ans, avec une réputation sans tache, Dieu merci, pour la compromettre, męme quand il s'agirait de l'empire du Grand-Mogol. Nous sommes ŕ un âge, l'un et l'autre, auquel on sait ce que parler veut dire. Pour un ecclésiastique, vous avez en vérité des idées bien incongrues. Fi! cela est digne de Faublas.

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