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Voyages loin de ma chambre t.2
Le duc d’Orléans ne recherche pas la gloire ardente des conquérants: ses plaisirs sont plus doux, et il cultive toutes les plantes utiles à la santé et les fait distribuer aux pauvres de Blois.
«Que l’on cesse désormais d’admirer les parterres de Pestum, où la rose fleurit deux fois l’année, et les pommes des Hespérides, confiées à la garde du Dragon toujours éveillé! S’il était permis de comparer quelque chose aux champs de l’Eden, ce serait Blois, le merveilleux ouvrage de Gaston. Dans l’étroit espace d’un jardin, il a rassemblé et fait croître toutes les plantes que la terre féconde nourrit dans son sein, les plus humbles comme les plus superbes. Le fils de Bersabée avait appris à connaître tous les végétaux, depuis l’herbe des gazons jusqu’au cèdre du Liban; Gaston les cultiva tous et sut leur assigner le terrain propre à chacun d’eux, plaçant sur un sol aride les plantes des montagnes, et confiant à une terre humide, celles des vallées, afin que toutes se montrassent parées de leurs ornements naturels, et que l’étude en fût rendue plus facile.»
Voilà pour l’extérieur. L’intérieur s’enrichit d’un riche médailler, d’estampes et de pierres gravées, de collections d’oiseaux et d’insectes. «Gaston d’Orléans n’était étranger, selon l’expression du temps, à aucun genre de curiosité.»
Une remarque très particulière, c’est que les trois collections artistiques les plus précieuses, possédées par la France: la Bibliothèque des manuscrits, le Cabinet des médailles et le Muséum d’Histoire naturelle doivent leur origine ou leur accroissement aux richesses accumulées dans le château de Blois.
Pendant les règnes de Louis XV et de Louis XVI, le château de Blois fut confié à des gouverneurs qui ne daignèrent même pas l’habiter.
La Révolution le mutila horriblement pour en faire une caserne.
Plus tard, avec cet esprit qui détruit les choses sous prétexte de les utiliser, on songea à y installer la Préfecture. Il fut question de jeter bas les masures de Louis XII pour y substituer une belle grille de fer.
Une Commission réclama en vain les jardins du Roi pour y établir un jardin botanique, ils furent vendus en détail. L’Administration civile et militaire semblait ne pas comprendre la valeur de ces chefs-d’œuvre, et se complaire à leur destruction.
Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Il en est ainsi fort heureusement des générations et des goûts.
En 1841, la Comission des monuments historiques vint enfin classer et sauver le château de Blois des mains, quelque peu vandales, qui le mutilaient depuis trop d’années.
C’est avec soin maintenant que l’on entretient cet admirable château, ce superbe diamant, parmi les joyaux du beau royaume de France.
A chaque instant, je consultais l’excellent ouvrage de M. de la Saussaye, sur le château de Blois.
Rien n’est plus saisissant que de lire les grandes pages de l’histoire, sur le lieu même où elles se déroulèrent. C’est ce que je faisais de temps en temps, à la grande contrariété du guide, qui voulait tout expliquer à sa manière.
Nous avons visité le Musée, au premier étage de l’aile de Louis XII. Les tableaux offrent sans doute de l’intérêt, mais tout l’ensemble m’a paru trop moderne.
Une dernière salle attend les touristes; elle est remplie de photographies plus ou moins réussies, de bibelots plus ou moins artistiques, représentant sur papier, sur bois, sur porcelaine, le château sous tous ses aspects.
Notre guide en jupon, c’est une justice à lui rendre, ne s’est pas montrée plus aimable comme marchande que comme cicérone; et je l’avoue tout bas, cette dernière salle m’a fait complètement descendre des hauteurs de l’histoire, pour rentrer dans les mesquines réalités de la vie.
La vieille ville de Blois a beaucoup de cachet; elle fut entièrement dévalisée par les Prussiens en 1870.
C’est égal, l’ennemi qui sut lui voler tant de choses, n’a pu lui enlever son grand air d’autrefois.
Les vieux hôtels habités jadis par les seigneurs de la Cour intéressent par leur architecture et les souvenirs qu’ils rappellent. Je citerai les hôtels d’Amboise, d’Epernon, de Cheverny ou petit Louvre, de Guise, d’Alluye, de la Chancellerie et… il y en a d’autres.
J’ai encore vu avec intérêt la belle vieille fontaine Louis XII, la Halle au blé, style moyen-âge.
Le plus bel édifice moderne de Blois, est l’évêché. Les jardins s’étendent en terrasses régulières, et de la plus élevée, le panorama est délicieux.
C’est aussi à Blois que se trouve l’église Saint-Nicolas, la plus belle de tout le département, après celle de Vendôme.
Blois a de jolies promenades. Quelle ville, d’ailleurs, n’a pas son Mail! La promenade des Allées est une belle arrivée sous bois, elle a plus d’une demi-lieue et aboutit à une forêt. De la butte des Capucins, chantée par Victor Hugo, la vue n’a d’autres bornes que la limite d’un horizon sans fin. Les trois forêts qui entourent Blois étaient extrêmement considérables au moyen-âge. Depuis trois siècles, elles ont la même étendue, et comprennent environ dix mille hectares, rapportant annuellement un million.
En 1814, l’Impératrice Marie-Louise se retira à Blois; c’est de là que sont datés ses derniers actes.
Autour de Blois sont encore de bien beaux châteaux. J’ai visité Chaumont et Chambord, le roi des châteaux.
Les autres, hélas, je ne les ai vus… que dans mon guide qui signale particulièrement Cheverny, dont l’architecture extérieure et le mobilier intérieur, sont dignes l’un de l’autre; le château de Beauregard, monument historique fort remarquable et les imposantes ruines du château de Bury.
CHAUMONT
Chaumont, rebâti par l’amiral Charles de Chaumont, neveu du cardinal Georges d’Amboise, présente le type imposant du château féodal dans toute sa sévère grandeur.
Ponts-levis et fossés, chemin de ronde couvert sur les machicoulis, tours et tourelles, hautes cheminées et toits pointus, rien ne manque à cette antique demeure qui garde son aspect formidable. Un pont-levis donne accès au porche, au-dessus duquel se détache un médaillon sculpté aux armes de Louis XII et d’Anne de Bretagne. La lettre L est posée sur un semis de fleurs de lys, et l’A au milieu des hermines de Bretagne; d’autres armoiries sont incrustées à la hauteur de ce médaillon sur les deux grosses tours qui gardent le porche: à droite les armes de Georges d’Amboise, d’illustre mémoire, surmontées du chapeau de cardinal; à gauche, celles de son neveu Charles de Chaumont, amiral et grand maître de France; à l’entrée, sur les créneaux de la tour de droite, se voient aussi les signes cabalistiques de Catherine de Médicis.
De la cour intérieure, formant terrasse, s’ouvre une perspective admirable sur la vallée de la Loire et les forêts qui teintent l’horizon de leurs masses foncées. On pourrait presque dire, comme devant l’Océan, qu’on a la vue de l’infini. C’est une mer de feuillage que la brise fait onduler en leur donnant l’agitation et le bruissement des vagues.
Le fleuve complète le tableau. Quelle belle nappe argentée et miroitante que la Loire à cet endroit! Le pont qui la traverse semble posé là pour l’agrément du décor. Du reste, j’admire tous les ponts jetés sur la Loire, soit par l’Etat, soit par l’administration des chemins de fer; ce sont des œuvres de conception hardie et de grandiose exécution. L’un d’eux, assis sur cinquante-neuf arches de vingt-et-un mètres de hauteur a sept cent cinquante-et-un mètres de longueur.
«Le voyageur qui parcourt la belle levée de Tours aperçoit constamment Chaumont pendant plus de six lieues sous des aspects aussi variés qu’enchanteurs.»
Il faut croire qu’il n’en était pas ainsi autrefois, car on assure que ce vieux donjon, accroché au flanc d’un coteau boisé, était si bien caché dans la verdure, qu’il put échapper ainsi au sac révolutionnaire de 1793. Cela explique sa conservation et celle de tous les objets précieux qu’il renferme.
Les salons, sobrement meublés dans le style Renaissance, sont tendus de magnifiques tapisseries de Beauvais et des Gobelins, fraîches comme si elles dataient d’hier. C’est avec le plus grand intérêt que j’ai visité les appartements historiques: la chambre de Diane de Poitiers, la chambre de Catherine de Médicis, la salle du Conseil, la salle des Gardes, la grande galerie qui rappelle celle de Louis XII au château de Blois; la chapelle avec son rétable et ses sièges en chêne sculpté, et ses beaux vitraux, le chapeau du cardinal d’Amboise y tient une place d’honneur. La chambre authentique de Catherine de Médicis m’a particulièrement frappée. Voilà le lit à colonnes tendu de soie à ramages pâlie par le temps, où cette reine impérieuse cherchait le sommeil et où l’insomnie dut tenir plus d’une fois sa paupière ouverte. Ces sièges à hauts dossiers, tourmentés par l’habile ciseau d’un artiste inconnu, durent aussi bien souvent reposer ses membres fatigués.
Voilà le prie-Dieu brodé aux armes de France, sur lequel elle s’agenouilla. Le missel est encore ouvert sur l’accoudoir, ses feuilles sont jaunes et semblent garder la trace, l’usure des doigts, de celle qui les tournait souvent, et distraitement, sans doute, quand son esprit s’occupait plus de la terre que du ciel. Voilà la table de toilette, l’aiguière, les flacons, les coupes, les boîtes à poudre et à mouches dont l’élégante florentine se servait «pour réparer du temps l’irréparable outrage.» Voici également les chandeliers à deux branches, en cuivre massif, garnis de grosses chandelles du temps en cire jaune. Tout en allant d’un meuble à l’autre, du bureau de travail qui contint plus d’un secret d’Etat, aux coffres sculptés qui servaient à ramasser le linge et les effets personnels, je me demandais si vraiment toutes ces choses avaient appartenu et servi à Catherine de Médicis et je me disais qu’en tout cas: si non è vero…
Cette chambre ouvre directement sur la tribune de la chapelle, dont elle n’est séparée que par un lourd rideau d’étoffe foncée. A droite de cette tenture, une petite porte conduit à la chambre qu’occupait Ruggieri, «l’astrologue aux almanachs, et aux horoscopes,» comme l’appelait le peuple; le confident, le conseil de la reine, qui l’accompagnait dans tous ses voyages. Il était chargé, comme chacun sait, de prédire suivant la marche et les différents reflets des étoiles, les destinées du royaume.
Les personnes qui aiment à lire dans l’avenir consultent encore Cosme Ruggieri, cherchant à appliquer ses prédictions au temps présent, et à tirer des oracles de ses phrases embrouillées sujettes à différentes interprétations ou de ses paraboles savantes, auxquelles chacun peut donner le sens qui lui plaît; langage obscur et mystérieux qui constitue la véritable science des sorciers du passé et des voyants de l’avenir.
Sa chambre aux sombres boiseries, est fort modeste. Elle ne contient plus que son coffre-fort en fer. Son énorme clef, presque effrayante à voir, doit rappeler celles que portaient à cette époque, les guichetiers de la Bastille et autres lieux du même genre. Voilà pour le passé. Quant aux communs récemment construits, ils ont mis à contribution tout ce que l’élégance et le confort modernes ont de plus perfectionné. C’est dans l’emplacement de ces servitudes qu’au XVIIIme siècle, l’italien Nini établit une fabrique de poterie, dont quelques spécimens sont conservés sous vitrine, dans l’une des salles du château.
Le parc est beau, certaines parties sont fort pittoresques, entr’autres, la vallée ombreuse d’un petit ruisseau qui coule au bas de pentes rapides et boisées, sur lequel on a jeté deux ponts rustiques du plus charmant effet. Ces deux ponts solidement charpentés, et pour lesquels on semble ne pas avoir ménagé le bois, sont cependant d’un genre nouveau.
Au bout du premier pont, on aperçoit le faîte d’un gigantesque tronc creux; on pense que cet arbre antique est contemporain du château. C’est un vieux chêne miné par le temps, écorce rugueuse et crevassée, branches sans feuillage, tordues et brisées. Vous pénétrez dans ce tronc, dont l’intérieur est encore plus large que celui du chêne légendaire de la Prévalaye, près Rennes, et vous avez la surprise d’y rencontrer un escalier en spirale, qui dégringole dans toute la hauteur du tronc.
En bas, nouveau pont rustique franchissant la petite vallée. Le curieux de tout ceci, et pourquoi je me suis étendue sur cette description, c’est que les deux ponts, aux massives rondelles de bois, à peine équarri, taillé à coups de hache, ainsi que le gigantesque chêne, tout cela d’une imitation parfaite, est en ciment.
On a conservé et entretenu d’après les premiers plans, le Mail de la Reine, orné l’été, de grands orangers, peut-être contemporains de ceux de Versailles, et la Motte, sa promenade favorite, pleine d’ombre et de fraîcheur. Ah! si ces vieux arbres pouvaient parler, si ces témoins muets d’un autre âge pouvaient raconter l’histoire intéressante de leur époque, que de choses nouvelles, que de révélations piquantes n’entendrait-on pas!
En 1559, Diane de Poitiers, à son grand déplaisir, se vit contrainte par Catherine de Médicis, d’échanger son cher Chenonceaux contre Chaumont. Il passa ensuite entre les mains de la duchesse de Bouillon, qui épousa Henri de la Tour, père de Turenne. Madame de Staël y séjourna pendant son exil. Benjamin Constant l’a également habité. Il est aujourd’hui la propriété de la Princesse de Broglie.
CHAMBORD
C’est en silence et muette d’admiration que j’ai contemplé Chambord, cette création splendide, le plus beau des châteaux de la vallée de la Loire. La merveille des merveilles du style renaissance enfoui comme un trésor dans le pays le plus triste et le plus malsain de la France, la Sologne.
Voilà donc Chambord, le don national de la France au duc de Bordeaux qui toute sa vie en porta le nom et ne l’habita jamais.
Depuis le jour où il lui fut offert, que de changements, que d’illusions tombées, que de rêves évanouis! Là, dans ces vastes appartements si longtemps éclairés du pur rayon de l’espérance, et qu’aujourd’hui le vide et la solitude envahissent de plus en plus; là, dans cette belle demeure si déserte et que personne ne semble plus devoir faire revivre, l’esprit s’emplit de souvenirs et l’âme de tristesse. Ah! dans ce grand château français, que de châteaux en Espagne furent bâtis jadis par tous les royalistes qui vinrent le visiter; alors on comptait voir le roi reprendre non seulement possession de son château, mais aussi de sa couronne. L’enfant de la Providence en est devenu le vieillard, sans qu’il lui ait été donné de reprendre le chemin de sa patrie et le trône de ses ancêtres. La mort est venue briser les derniers espoirs fondés sur ce prince religieux et chevaleresque, grandi encore par l’exil et qui, de l’aveu même des ennemis les plus acharnés de la royauté, restera dans l’histoire l’une des plus nobles figures du XIXe siècle.
Le château de Chambord forme un carré long de cent cinquante-six mètres sur cent dix-sept, flanqué aux angles de grosses tours rondes. Ce système de construction en enveloppe un second, soutenu également par de massives tours circulaires à pignons pointus. Les deux façades se confondent au nord en une immense ligne partagée en trois sections par les tours qui s’y rencontrent. Ce qui caractérise surtout le château de Chambord à l’extérieur, c’est le nombre et la variété de ses ornements.
«Chambord, monument féerique, forêt de campaniles, de tours, de cheminées, de lucarnes, de dômes et de tourelles», est un éblouissement pour l’archéologue et même pour le simple touriste; principalement dans la partie supérieure que décorent d’innombrables sculptures, salamandres gigantesques, flèches aiguës, clochetons élégants, terrasses à balustres.
Le joyau de l’intérieur de Chambord est l’escalier central en spirale, à double rampe superposée, tout en appartenant au même noyau; la disposition est telle que deux personnes peuvent en même temps monter et descendre sans se rencontrer. Au-dessus des voûtes des quatre salles, divisées en trois étages, et au niveau des terrasses qui les recouvrent, s’arrête la double rampe et commence le couronnement de forme pyramidale ayant trente-deux mètres de hauteur, surmonté d’une fleur de lys en pierre, d’au moins deux mètres; il produit le plus grand effet.
La chapelle, achevée par Henri II, est en parfait état de conservation. On compte à Chambord treize grands escaliers, sans parler des petits, cachés dans l’épaisseur des murs; quatre cent quarante pièces: chambres, salles, salons, galeries. Je n’ai point essayé de parcourir ce dédale d’appartements où il n’y a rien à voir: ce beau château n’est pas meublé; quelques tableaux de maîtres, des portraits, ornent particulièrement le grand salon et la chambre du maréchal de Saxe. On y voit Louis XIV, Mme de Maintenon, Anne d’Autriche, Mme de la Fayette, etc. La statue d’Henri V, d’une grande pureté de lignes et d’une vérité d’expression remarquable, décore le grand salon de réception.
L’enceinte du parc forme la limite d’une commune qui y est contenue tout entière; il compte trente-cinq kilomètres de tour, et comprend de magnifiques futaies et d’immenses taillis peuplés de toute espèce de gibier.
La forêt de Chambord n’approche certainement pas de celle de Fontainebleau qui compte près de dix-neuf mille hectares, mais elle est plus grande que la forêt de Chantilly qui n’a que deux mille quatre cent cinquante hectares; le parc de Chambord compte cinq mille cinq cents hectares, dont quatre mille cinq cents de bois, cinq fermes et quatorze étangs.
Il est traversé par une rivière, le Cosson. On y arrive par six portes et avenues, avec pavillons de garde. Dès l’an 1090, il est question de Chambord, maison de plaisance et de chasse des comtes de Blois.
Plus tard, il fut acquis avec le comté de Blois par Louis d’Orléans, frère de Charles VI, et réuni à la couronne par l’élévation au trône de Louis XII. «Pendant bien longtemps, on attribua cette admirable construction à des artistes italiens.
On nommait le Primatice et le Rosso, mais des recherches plus modernes permettent d’en attribuer la construction à Pierre Nepveu, dit Trinqueau, architecte natif d’Amboise.
Le domaine appartenait depuis longtemps à la couronne, quand François Ier fit commencer les travaux. Pendant douze ans, dix-huit cents ouvriers, dit-on, y travaillèrent sans relâche, et en 1519, Charles-Quint, visitant Chambord, l’appelait déjà un abrégé des merveilles que peut enfanter l’industrie humaine. Pendant la plus grande partie de sa vie, François Ier habita Chambord, devenu son œuvre et sa résidence favorite. Il avait deux bonnes raisons pour cela, son goût pour la chasse, et son amour pour la comtesse de Toury qui habitait un château voisin. D’après les archives du trésor royal, François Ier dépensa à construire Chambord quatre cent quarante-quatre mille cinq cent soixante-dix livres, ce qui représente aujourd’hui plus de cinq millions, et mourut sans que son œuvre fut complètement terminée.
Henri II continua les travaux inachevés par son père. Après lui, la Cour habita Chambord, mais sans l’embellir. Louis XIII s’y plaisait. Louis XIV, qui portait partout son amour du faste et des grandeurs, y donna des fêtes brillantes et pour y loger sa suite fit exécuter divers remaniements. C’est à Chambord qu’eurent lieu les premières représentations de Pourceaugnac 1669, et du Bourgeois gentilhomme 1670. Louis XV donna Chambord à son beau-père, le roi Stanislas de Pologne, qui l’habita huit années, et combla les fossés. Le maréchal de Saxe, auquel il avait été donné en 1748, loin de l’embellir n’y fit rien de bien, au contraire. La famille de Polignac en obtint la jouissance du roi Louis XVI en 1777. Pendant la révolution, le gouvernement y établit un dépôt de remonte.
Napoléon Ier y installa la quinzième cohorte de la Légion d’Honneur, mais c’est au Camp de Boulogne en 1804 que furent distribuées les premières décorations. L’Empereur présida à cette imposante cérémonie, assis dans l’antique fauteuil du roi Dagobert expressément transporté de Paris à Boulogne, avec les casques de Bayard et de Duguesclin.
C’est sur cet antique fauteuil que s’asseyaient les rois francs de la première race pour recevoir, lorsqu’ils prenaient le commandement, les hommages et serments des grands du royaume; il est de bronze, doré par places, fondu et ciselé avec des têtes de panthères pour ornements.
Ce siège, tout ce qu’il y a de plus authentique, fut conservé pendant plusieurs siècles dans le trésor de l’Abbaye de Saint-Denis. Après la suppression des monastères, il passa au Palais-Royal, où il fut conservé avec tout le soin que méritait un meuble aussi précieux, plus tard il fut déposé au cabinet des médailles.
Il fit encore un long séjour au Musée des Souverains, installé dans le beau château de Saint-Germain. Aujourd’hui il habite la bibliothèque nationale où on peut le voir au Cabinet des Antiques.
Après la bataille de Wagram l’empereur érigea Chambord en principauté et en fit don au maréchal Bertier à la condition de terminer le château. Après la mort du prince de Wagram, sa veuve ne pouvant l’achever ni même l’entretenir, obtint l’autorisation, après en avoir coupé tous les bois, de le vendre.
C’est alors qu’une souscription nationale, proposée par le Comte Adrien de Calonne, combattue par Paul-Louis Courier, racheta le domaine de Chambord au prix de un million cinq cent quarante deux mille francs, pour l’offrir au duc de Bordeaux qui venait de naître.
Avant de partir et pendant que mes yeux s’absorbaient une dernière fois, dans la contemplation de cette splendide demeure, mon esprit voyageait grand train et déroulant les événements d’un demi-siècle, je rêvais mélancoliquement au passé qu’était alors l’avenir, lequel n’a rien tenu de ce qu’on attendait de lui. Cette terre essentiellement française, cet ancien domaine de nos rois, ce château qui aurait dû rester l’apanage des princes légitimes du pays, appartient maintenant à un étranger, à un prince italien, peut-être hostile, en tout cas, indifférent, qui se contentera désormais de palper les revenus et d’entretenir tout juste la toiture des bâtiments pour qu’ils ne tombent pas tout à fait en ruine!
Je suis partie navrée.
Vraiment les choses de ce monde n’ont de stable que leur instabilité même!
AZAY-LE-RIDEAU
Encore une demeure attrayante, un vrai régal pour les yeux. C’est avec une satisfaction sans cesse renouvelée que l’archéologue et le touriste visitent tant de purs chefs-d’œuvre du style renaissance. Tous ces châteaux m’émerveillent, je finis par devenir un peu enfant. C’est toujours le dernier visité qui me paraît le plus beau. Donc je retrouve ici même grâce dans les lignes, même profusion dans les sculptures, pilastres et colonnes, balustres et clochetons, niches et bas-reliefs. Là, j’admire la salamandre au milieu des flammes avec la devise du roi chevalier: Nutriseo et exstinguo. Ailleurs, je remarque les armes de Claude sa femme, l’hermine bretonne, et je lis cette autre devise: Ung seul désir, et tout cela supérieurement fouillé, ciselé, si je puis m’exprimer ainsi.
Azay-le-Rideau est bâti sur pilotis, flanqué de tourelles qui forment, avec les deux principaux corps de bâtiment, un ensemble plein de grandeur et de suprême élégance. Le portail d’entrée présente une des plus belles façades de l’édifice, orné de colonnes recouvertes d’arabesques du meilleur goût, il se termine par un fronton armorié, et renferme à l’intérieur un escalier des plus curieux.
Les appartements sont un vrai musée, remplis de meubles rares de toutes les époques et de magnifiques tableaux, portraits historiques des meilleurs maîtres: Charles VIII, Louis XI, Charles IX, Louis XIII, Louis XV enfant, Anne de Bretagne, Anne d’Autriche, Anne de Montmorençy, Rabelais, Michel Cervantès, Catherine de Médicis, Ambroise Paré, Henriette d’Entragues, le maréchal d’Ancre, Mademoiselle de La Vallière, Madame de la Sablière, Marie-Thérèse d’Autriche, Marie Leczinska, la duchesse de Chateauroux, etc., etc.
La principale chambre garde son titre de chambre du Roi, parce que Louis XIV y coucha. Le parc est ravissant. L’Indre, déroulant sans entraves ses capricieux anneaux, dessine des îlots verdoyants, découpe et festonne les pelouses au gré de sa fantaisie. Rien de charmant comme les gracieux méandres de ce ruban d’argent, baignant au nord et au midi les assises du château, puis se faufilant dans les prairies, rayé de temps en temps par de légers ponts qui le traversent; tout au fond la rivière s’échappe de l’enclos par une belle chûte d’eau.