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Арсен Люпен – джентельмен-грабитель / Arsеne Lupin Gentleman-Cambrioleur. Книга для чтения на французском языке
Арсен Люпен – джентельмен-грабитель / Arsеne Lupin Gentleman-Cambrioleur. Книга для чтения на французском языке

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Арсен Люпен – джентельмен-грабитель / Arsеne Lupin Gentleman-Cambrioleur. Книга для чтения на французском языке

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En réalité, le portefeuille dérobé contenait vingt billets de mille.

Naturellement, on accusa le malheureux d’avoir simulé cette attaque contre lui-même. Mais, outre qu’il lui eût été impossible de se lier de cette façon, il fut établi que l’écriture de la carte différait absolument de l’écriture de Rozaine, et ressemblait au contraire, à s’y méprendre, à celle d’Arsène Lupin, telle que la reproduisait un ancien journal trouvé à bord.

Ainsi donc, Rozaine n’était plus Arsène Lupin. Rozaine était Rozaine, fils d’un négociant de Bordeaux ! Et la présence d’Arsène Lupin s’affirmait une fois de plus, et par quel acte redoutable !

Ce fut la terreur. On n’osa plus rester seul dans sa cabine, et pas davantage s’aventurer seul aux endroits trop écartés. Prudemment on se groupait entre gens sûrs les uns des autres. Et encore, une défiance instinctive divisait les plus intimes. C’est que la menace ne provenait pas d’un individu isolé, surveillé, et par là même moins dangereux. Arsène Lupin, maintenant, c’était… c’était tout le monde. Notre imagination surexcitée lui attribuait un pouvoir miraculeux et illimité. On le supposait capable de prendre les déguisements les plus inattendus, d’être tour à tour le respectable major Rawson, ou le noble marquis de Raverdan, ou même, car on ne s’arrêtait plus à l’initiale accusatrice, ou même telle ou telle personne connue de tous, ayant femme, enfants, domestiques.

Les premières dépêches sans fil n’apportèrent aucune nouvelle. Du moins le commandant ne nous en fit point part, et un tel silence n’était pas pour nous rassurer.

Aussi, le dernier jour parut-il interminable. On vivait dans l’attente anxieuse d’un malheur. Cette fois, ce ne serait plus un vol, ce ne serait plus une simple agression, ce serait le crime, le meurtre. On n’admettait pas qu’Arsène Lupin s’en tînt à ces deux larcins insignifiants. Maître absolu du navire, les autorités réduites à l’impuissance, il n’avait qu’à vouloir, tout lui était permis, il disposait des biens et des existences.

Heures délicieuses pour moi, je l’avoue, car elles me valurent la confiance de miss Nelly. Impressionnée par tant d’événements, de nature déjà inquiète, elle chercha spontanément à mes côtés une protection, une sécurité que j’étais heureux de lui offrir.

Au fond, je bénissais Arsène Lupin. N’était-ce pas lui qui nous rapprochait ? N’était-ce pas grâce à lui que j’avais le droit de m’abandonner aux plus beaux rêves ? Rêves d’amour et rêves moins chimériques, pourquoi ne pas le confesser ? Les Andrézy sont de bonne souche poitevine, mais leur blason est quelque peu dédoré, et il ne me paraît pas indigne d’un gentilhomme de songer à rendre à son nom le lustre perdu.

Et ces rêves, je le sentais, n’offusquaient point Nelly. Ses yeux souriants m’autorisaient à les faire. La douceur de sa voix me disait d’espérer.

Et jusqu’au dernier moment, accoudés aux bastingages, nous restâmes l’un près de l’autre, tandis que la ligne des côtes américaines voguait au-devant de nous.

On avait interrompu les perquisitions. On attendait. Depuis les premières jusqu’à l’entrepont où grouillaient les émigrants, on attendait la minute suprême où s’expliquerait enfin l’insoluble énigme. Qui était Arsène Lupin ? Sous quel nom, sous quel masque se cachait le fameux Arsène Lupin ?

Et cette minute suprême arriva. Dussé-je vivre cent ans, je n’en oublierai pas le plus infime détail.

– Comme vous êtes pâle, miss Nelly, dis-je à ma compagne qui s’appuyait à mon bras, toute défaillante.

– Et vous ! me répondit-elle, ah ! vous êtes si changé !

– Songez donc ! cette minute est passionnante, et je suis si heureux de la vivre auprès de vous, miss Nelly. Il me semble que votre souvenir s’attardera quelquefois…

Elle n’écoutait pas, haletante et fiévreuse. La passerelle s’abattit. Mais avant que nous eûmes la liberté de la franchir, des gens montèrent à bord, des douaniers, des hommes en uniforme, des facteurs.

Miss Nelly balbutia :

– On s’apercevrait qu’Arsène Lupin s’est échappé pendant la traversée que je n’en serais pas surprise.

– Il a peut-être préféré la mort au déshonneur, et plonger dans l’Atlantique plutôt que d’être arrêté.

– Ne riez pas, fit-elle, agacée.

Soudain je tressaillis, et comme elle me questionnait, je lui dis :

– Vous voyez ce vieux petit homme debout à l’extrémité de la passerelle ?

– Avec un parapluie et une redingote vert-olive ?

– C’est Ganimard.

– Ganimard ?

– Oui, le célèbre policier, celui qui a juré qu’Arsène Lupin serait arrêté de sa propre main. Ah ! je comprends que l’on n’ait pas eu de renseignements de ce côté de l’Océan. Ganimard était là ! et il aime bien que personne ne s’occupe de ses petites affaires.

– Alors Arsène Lupin est sûr d’être pris ?

– Qui sait ? Ganimard ne l’a jamais vu, paraît-il, que grimé et déguisé. À moins qu’il ne connaisse son nom d’emprunt…

– Ah ! dit-elle, avec cette curiosité un peu cruelle de la femme, si je pouvais assister à l’arrestation !

– Patientons. Certainement Arsène Lupin a déjà remarqué la présence de son ennemi. Il préférera sortir parmi les derniers, quand l’œil du vieux sera fatigué.

Le débarquement commença. Appuyé sur son parapluie, l’air indifférent, Ganimard ne semblait pas prêter attention à la foule qui se pressait entre les deux balustrades. Je notai qu’un officier du bord, posté derrière lui, le renseignait de temps à autre.

Le marquis de Raverdan, le major Rawson, l’Italien Rivolta, défilèrent, et d’autres, et beaucoup d’autres… Et j’aperçus Rozaine qui s’approchait.

Pauvre Rozaine ! il ne paraissait pas remis de ses mésaventures !

– C’est peut-être lui tout de même, me dit miss Nelly… Qu’en pensez-vous ?

– Je pense qu’il serait fort intéressant d’avoir sur une même photographie Ganimard et Rozaine. Prenez donc mon appareil, je suis si chargé.

Je le lui donnai, mais trop tard pour qu’elle s’en servît. Rozaine passait. L’officier se pencha à l’oreille de Ganimard, celui-ci haussa légèrement les épaules, et Rozaine passa.

Mais alors, mon Dieu, qui était Arsène Lupin ?

– Oui, fit-elle à haute voix, qui est-ce ?

Il n’y avait plus qu’une vingtaine de personnes. Elle les observait tour à tour, avec la crainte confuse qu’il ne fût pas, lui, au nombre de ces vingt personnes.

Je lui dis :

– Nous ne pouvons attendre plus longtemps.

Elle s’avança. Je la suivis. Mais nous n’avions pas fait dix pas que Ganimard nous barra le passage.

– Eh bien, quoi ? m’écriai-je.

– Un instant, monsieur, qui vous presse ?

– J’accompagne mademoiselle.

– Un instant, répéta-t-il d’une voix plus impérieuse.

Il me dévisagea profondément, puis il me dit, les yeux dans les yeux :

– Arsène Lupin, n’est-ce pas ?

Je me mis à rire.

– Non, Bernard d’Andrézy, tout simplement.

– Bernard d’Andrézy est mort il y a trois ans en Macédoine.

– Si Bernard d’Andrézy était mort, je ne serais plus de ce monde. Et ce n’est pas le cas. Voici mes papiers.

– Ce sont les siens. Comment les avez-vous, c’est ce que j’aurai le plaisir de vous expliquer.

– Mais vous êtes fou ! Arsène Lupin s’est embarqué sous le nom de R.

– Oui, encore un truc de vous, une fausse piste sur laquelle vous les avez lancés, là-bas. Ah ! vous êtes d’une jolie force, mon gaillard. Mais cette fois, la chance a tourné. Voyons, Lupin, montrez-vous beau joueur.

J’hésitai une seconde. D’un coup sec, il me frappa sur l’avant-bras droit. Je poussai un cri de douleur. Il avait frappé sur la blessure encore mal fermée que signalait le télégramme.

Allons, il fallait se résigner. Je me tournai vers miss Nelly. Elle écoutait, livide, chancelante.

Son regard rencontra le mien, puis s’abaissa sur le kodak que je lui avais remis. Elle fit un geste brusque, et j’eus l’impression, j’eus la certitude qu’elle comprenait tout à coup. Oui, c’était là, entre les parois étroites de chagrin noir, au creux du petit objet que j’avais eu la précaution de déposer entre ses mains avant que Ganimard ne m’arrêtât, c’était bien là que se trouvaient les vingt mille francs de Rozaine, les perles et les diamants de lady Jerland.

Ah ! je le jure, à ce moment solennel, alors que Ganimard et deux de ses acolytes m’entouraient, tout me fut indifférent, mon arrestation, l’hostilité des gens, tout, hors ceci : la résolution qu’allait prendre miss Nelly au sujet de ce que je lui avais confié.

Que l’on eût contre moi cette preuve matérielle et décisive, je ne songeais même pas à le redouter, mais cette preuve, miss Nelly se déciderait-elle à la fournir ?

Serais-je trahi par elle ? perdu par elle ? Agirait-elle en ennemie qui ne pardonne pas, ou bien en femme qui se souvient et dont le mépris s’adoucit d’un peu d’indulgence, d’un peu de sympathie involontaire ?

Elle passa devant moi, je la saluai très bas, sans un mot. Mêlée aux autres voyageurs, elle se dirigea vers la passerelle, mon kodak à la main.

Sans doute, pensai-je, elle n’ose pas, en public. C’est dans une heure, dans un instant, qu’elle le donnera.

Mais, arrivée au milieu de la passerelle, par un mouvement de maladresse simulée, elle le laissa tomber dans l’eau, entre le mur du quai et le flanc du navire.

Puis, je la vis s’éloigner.

Sa jolie silhouette se perdit dans la foule, m’apparut de nouveau et disparut. C’était fini, fini pour jamais.

Un instant, je restai immobile, triste à la fois et pénétré d’un doux attendrissement, puis je soupirai, au grand étonnement de Ganimard :

– Dommage, tout de même, de ne pas être un honnête homme…

C’est ainsi qu’un soir d’hiver, Arsène Lupin me raconta l’histoire de son arrestation. Le hasard d’incidents dont j’écrirai quelque jour le récit avait noué entre nous des liens… dirai-je d’amitié ? Oui, j’ose croire qu’Arsène Lupin m’honore de quelque amitié, et que c’est par amitié qu’il arrive parfois chez moi à l’improviste, apportant, dans le silence de mon cabinet de travail, sa gaieté juvénile, le rayonnement de sa vie ardente, sa belle humeur d’homme pour qui la destinée n’a que faveurs et sourires.

Son portrait ? Comment pourrais-je le faire ? Vingt fois j’ai vu Arsène Lupin, et vingt fois c’est un être différent qui m’est apparu… ou plutôt le même être dont vingt miroirs m’auraient renvoyé autant d’images déformées, chacune ayant ses yeux particuliers, sa forme spéciale de figure, son geste propre, sa silhouette et son caractère.

– Moi-même, me dit-il, je ne sais plus bien qui je suis. Dans une glace je ne me reconnais plus.

Boutade, certes, et paradoxe, mais vérité à l’égard de ceux qui le rencontrent et qui ignorent ses ressources infinies, sa patience, son art du maquillage, sa prodigieuse faculté de transformer jusqu’aux proportions de son visage, et d’altérer le rapport même de ses traits entre eux.

– Pourquoi, dit-il encore, aurais-je une apparence définie ? Pourquoi ne pas éviter ce danger d’une personnalité toujours identique ? Mes actes me désignent suffisamment.

Et il précise avec une pointe d’orgueil :

– Tant mieux si l’on ne peut jamais dire en toute certitude : Voici Arsène Lupin. L’essentiel est qu’on dise sans crainte d’erreur : Arsène Lupin a fait cela.

Ce sont quelques-uns de ces actes, quelques-unes de ces aventures que j’essaie de reconstituer, d’après les confidences dont il eut la bonne grâce de me favoriser, certains soirs d’hiver, dans le silence de mon cabinet de travail…

Arsène Lupin en prison

Il n’est point de touriste digne de ce nom qui ne connaisse les bords de la Seine, et qui n’ait remarqué, en allant des ruines de Jumièges aux ruines de Saint-Wandrille, l’étrange petit château féodal du Malaquis, si fièrement campé sur sa roche, en pleine rivière. L’arche d’un pont le relie à la route. La base de ses tourelles sombres se confond avec le granit qui le supporte, bloc énorme détaché d’on ne sait quelle montagne et jeté là par quelque formidable convulsion. Tout autour, l’eau calme du grand fleuve joue parmi les roseaux, et des bergeronnettes tremblent sur la crête humide des cailloux.

L’histoire du Malaquis est rude comme son nom, revêche comme sa silhouette. Ce ne fut que combats, sièges, assauts, rapines et massacres. Aux veillées du pays de Caux, on évoque en frissonnant les crimes qui s’y commirent. On raconte de mystérieuses légendes. On parle du fameux souterrain qui conduisait jadis à l’abbaye de Jumièges et au manoir d’Agnès Sorel, la belle amie de Charles VII.

Dans cet ancien repaire de héros et de brigands, habite le baron Nathan Cahorn, le baron Satan, comme on l’appelait jadis à la Bourse où il s’est enrichi un peu trop brusquement. Les seigneurs du Malaquis, ruinés, ont dû lui vendre, pour un morceau de pain, la demeure de leurs ancêtres. Il y a installé ses admirables collections de meubles et de tableaux, de faïences et de bois sculptés. Il y vit seul, avec trois vieux domestiques. Nul n’y pénètre jamais. Nul n’a jamais contemplé dans le décor de ces salles antiques les trois Rubens qu’il possède, ses deux Watteau, sa chaire de Jean Goujon, et tant d’autres merveilles arrachées à coups de billets de banque aux plus riches habitués des ventes publiques.

Le baron Satan a peur. Il a peur non point pour lui, mais pour les trésors accumulés avec une passion si tenace et la perspicacité d’un amateur que les plus madrés des marchands ne peuvent se vanter d’avoir induit en erreur. Il les aime, ses bibelots. Il les aime âprement, comme un avare; jalousement, comme un amoureux.

Chaque jour, au coucher du soleil, les quatre portes bardées de fer qui commandent les deux extrémités du pont et l’entrée de la cour d’honneur, sont fermées et verrouillées. Au moindre choc, des sonneries électriques vibreraient dans le silence. Du côté de la Seine, rien à craindre : le roc s’y dresse à pic.

Or, un vendredi de septembre, le facteur se présenta comme d’ordinaire à la tête-de-pont. Et, selon la règle quotidienne, ce fut le baron qui entrebâilla le lourd battant.

Il examina l’homme aussi minutieusement que s’il ne connaissait pas déjà, depuis des années, cette bonne face réjouie et ces yeux narquois de paysan, et l’homme lui dit en riant :

– C’est toujours moi, monsieur le baron. Je ne suis pas un autre qui aurait pris ma blouse et ma casquette.

– Sait-on jamais ? murmura Cahorn.

Le facteur lui remit une pile de journaux. Puis il ajouta :

– Et maintenant, monsieur le baron, il y a du nouveau.

– Du nouveau ?

– Une lettre… et recommandée, encore.

Isolé, sans ami ni personne qui s’intéressât à lui, jamais le baron ne recevait de lettre, et tout de suite cela lui parut un événement de mauvais augure dont il y avait lieu de s’inquiéter. Quel était ce mystérieux correspondant qui venait le relancer dans sa retraite ?

– Il faut signer, monsieur le baron.

Il signa en maugréant. Puis il prit la lettre, attendit que le facteur eût disparu au tournant de la route, et après avoir fait quelques pas de long en large, il s’appuya contre le parapet du pont et déchira l’enveloppe. Elle portait une feuille de papier quadrillé avec cet en-tête manuscrit : Prison de la Santé, Paris. Il regarda la signature : Arsène Lupin. Stupéfait, il lut :

« Monsieur le baron,

« Il y a, dans la galerie qui réunit vos deux salons, un tableau de Philippe de Champaigne d’excellente facture et qui me plaît infiniment. Vos Rubens sont aussi de mon goût, ainsi que votre plus petit Watteau. Dans le salon de droite, je note la crédence Louis XIII, les tapisseries de Beauvais, le guéridon Empire signé Jacob et le bahut Renaissance. Dans celui de gauche, toute la vitrine des bijoux et des miniatures.

« Pour cette fois, je me contenterai de ces objets qui seront, je crois, d’un écoulement facile. Je vous prie donc de les faire emballer convenablement et de les expédier à mon nom (port payé), en gare des Batignolles, avant huit jours… faute de quoi, je ferai procéder moi-même à leur déménagement dans la nuit du mercredi 27 au jeudi 28 septembre. Et, comme de juste, je ne me contenterai pas des objets sus-indiqués.

« Veuillez excuser le petit dérangement que je vous cause, et accepter l’expression de mes sentiments de respectueuse considération.

« ARSÈNE LUPIN. »

« P. S. – Surtout ne pas m’envoyer le plus grand des Watteau. Quoique vous l’ayez payé trente mille francs à l’Hôtel des Ventes, ce n’est qu’une copie, l’original ayant été brûlé, sous le Directoire, par Barras, un soir d’orgie. Consulter les Mémoires inédits de Garat.

« Je ne tiens pas non plus à la châtelaine Louis XV dont l’authenticité me semble douteuse. »

Cette lettre bouleversa le baron Cahorn. Signée de tout autre, elle l’eût déjà considérablement alarmé, mais signée d’Arsène Lupin !

Lecteur assidu des journaux, au courant de tout ce qui se passait dans le monde en fait de vol et de crime, il n’ignorait rien des exploits de l’infernal cambrioleur. Certes, il savait que Lupin, arrêté en Amérique par son ennemi Ganimard, était bel et bien incarcéré, que l’on instruisait son procès—avec quelle peine !

Mais il savait aussi que l’on pouvait s’attendre à tout de sa part. D’ailleurs, cette connaissance exacte du château, de la disposition des tableaux et des meubles, était un indice des plus redoutables. Qui l’avait renseigné sur des choses que nul n’avait vues ?

Le baron leva les yeux et contempla la silhouette farouche du Malaquis, son piédestal abrupt, l’eau profonde qui l’entoure, et haussa les épaules. Non, décidément, il n’y avait point de danger. Personne au monde ne pouvait pénétrer jusqu’au sanctuaire inviolable de ses collections.

Personne, soit, mais Arsène Lupin ? Pour Arsène Lupin, est-ce qu’il existe des portes, des ponts-levis, des murailles ? À quoi servent les obstacles les mieux imaginés, les précautions les plus habiles, si Arsène Lupin a décidé d’atteindre tel but ?

Le soir même, il écrivit au procureur de la République à Rouen. Il envoyait la lettre de menaces et réclamait aide et protection.

La réponse ne tarda point : le nommé Arsène Lupin étant actuellement détenu à la Santé, surveillé de près, et dans l’impossibilité d’écrire, la lettre ne pouvait être que l’œuvre d’un mystificateur. Tout le démontrait, la logique et le bon sens, comme la réalité des faits. Toutefois, et par excès de prudence, on avait commis un expert à l’examen de l’écriture, et, l’expert déclarait que, malgré certaines analogies, cette écriture n’était pas celle du détenu.

« Malgré certaines analogies » le baron ne retint que ces trois mots effarants, où il voyait l’aveu d’un doute qui, à lui seul, aurait dû suffire pour que la justice intervînt. Ses craintes s’exaspérèrent. Il ne cessait de relire la lettre. « Je ferai procéder moi-même au déménagement ». Et cette date précise : la nuit du mercredi 27 au jeudi 28 septembre !…

Soupçonneux et taciturne, il n’avait pas osé se confier à ses domestiques, dont le dévouement ne lui paraissait pas à l’abri de toute épreuve. Cependant, pour la première fois depuis des années, il éprouvait le besoin de parler, de prendre conseil. Abandonné par la justice de son pays, il n’espérait plus se défendre avec ses propres ressources, et il fut sur le point d’aller jusqu’à Paris et d’implorer l’assistance de quelque ancien policier.

Deux jours s’écoulèrent. Le troisième, en lisant ses journaux, il tressaillit de joie. Le Réveil de Caudebec publiait cet entrefilet :

« Nous avons le plaisir de posséder dans nos murs, voilà bientôt trois semaines, l’inspecteur principal Ganimard, un des vétérans du service de la Sûreté. M. Ganimard, à qui l’arrestation d’Arsène Lupin, sa dernière prouesse, a valu une réputation européenne, se repose de ses longues fatigues en taquinant le goujon et l’ablette. »

Ganimard ! voilà bien l’auxiliaire que cherchait le baron Cahorn ! Qui mieux que le retors et patient Ganimard saurait déjouer les projets de Lupin ?

Le baron n’hésita pas. Six kilomètres séparent le château de la petite ville de Caudebec. Il les franchit d’un pas allègre, en homme que surexcite l’espoir du salut.

Après plusieurs tentatives infructueuses pour connaître l’adresse de l’inspecteur principal, il se dirigea vers les bureaux du Réveil, situés au milieu du quai. Il y trouva le rédacteur de l’entrefilet qui, s’approchant de la fenêtre, s’écria :

– Ganimard ? mais vous êtes sûr de le rencontrer le long du quai, la ligne à la main. C’est là que nous avons lié connaissance, et que j’ai lu par hasard son nom gravé sur sa canne à pêche. Tenez, le petit vieux que l’on aperçoit là-bas, sous les arbres de la promenade.

– En redingote et en chapeau de paille ?

– Justement ! Ah ! un drôle de type, pas causeur et plutôt bourru.

Cinq minutes après, le baron abordait le célèbre Ganimard, se présentait et tâchait d’entrer en conversation. N’y parvenant point, il aborda franchement la question et exposa son cas.

L’autre écouta, immobile, sans perdre de vue le poisson qu’il guettait, puis il tourna la tête vers lui, le toisa des pieds à la tête d’un air de profonde pitié, et prononça :

– Monsieur, ce n’est guère l’habitude de prévenir les gens que l’on veut dépouiller. Arsène Lupin, en particulier, ne commet pas de pareilles bourdes.

– Cependant…

– Monsieur, si j’avais le moindre doute, croyez bien que le plaisir de fourrer encore dedans ce cher Lupin l’emporterait sur toute autre considération. Par malheur, ce jeune homme est sous les verrous.

– S’il s’échappe ?…

– On ne s’échappe pas de la Santé.

– Mais, lui…

– Lui, pas plus qu’un autre.

– Cependant…

– Eh bien, s’il s’échappe, tant mieux, je le repincerai. En attendant, dormez sur vos deux oreilles, et n’effarouchez pas davantage cette ablette.

La conversation était finie. Le baron retourna chez lui, un peu rassuré par l’insouciance de Ganimard. Il vérifia les serrures, espionna les domestiques, et quarante-huit heures encore se passèrent pendant lesquelles il arriva presque à se persuader que, somme toute, ses craintes étaient chimériques. Non, décidément, comme l’avait dit Ganimard, on ne prévient pas les gens que l’on veut dépouiller.

La date approchait. Le matin du mardi, veille du 27, rien de particulier. Mais à trois heures, un gamin sonna. Il apportait une dépêche.

« Aucun colis en gare Batignolles. Préparez tout pour demain soir.

« ARSÈNE. »

De nouveau, ce fut l’affolement, à tel point qu’il se demanda s’il ne céderait pas aux exigences d’Arsène Lupin.

Il courut à Caudebec. Ganimard pêchait à la même place, assis sur un pliant. Sans un mot, il lui tendit le télégramme.

– Et après ? fit l’inspecteur.

– Après ? mais c’est pour demain !

– Quoi ?

– Le cambriolage ! le pillage de mes collections !

Ganimard déposa sa ligne, se tourna vers lui, et, les deux bras croisés sur sa poitrine, s’écria d’un ton d’impatience :

– Ah ! ça, est-ce que vous vous imaginez que je vais m’occuper d’une histoire aussi stupide !

– Quelle indemnité demandez-vous pour passer au château la nuit du 27 au 28 septembre ?

– Pas un sou, fichez-moi la paix.

– Fixez votre prix, je suis riche, extrêmement riche.

La brutalité de l’offre déconcerta Ganimard qui reprit, plus calme :

– Je suis ici en congé et je n’ai pas le droit de me mêler…

– Personne ne le saura. Je m’engage, quoi qu’il arrive, à garder le silence.

– Oh ! il n’arrivera rien.

– Eh bien, voyons, trois mille francs, est-ce assez ?

L’inspecteur huma une prise de tabac, réfléchit, et laissa tomber :

– Soit. Seulement, je dois vous déclarer loyalement que c’est de l’argent jeté par la fenêtre.

– Ça m’est égal.

– En ce cas… Et puis, après tout, est-ce qu’on sait avec ce diable de Lupin ! Il doit avoir à ses ordres toute une bande… Êtes-vous sûr de vos domestiques ?

– Ma foi…

– Alors, ne comptons pas sur eux. Je vais prévenir par dépêche deux gaillards de mes amis qui nous donneront plus de sécurité… Et maintenant, filez, qu’on ne nous voie pas ensemble. À demain, vers les neuf heures.

* * *

Le lendemain, date fixée par Arsène Lupin, le baron Cahorn décrocha sa panoplie, fourbit ses armes, et se promena aux alentours de Malaquis. Rien d’équivoque ne le frappa.

Le soir, à huit heures et demie, il congédia ses domestiques. Ils habitaient une aile en façade sur la route, mais un peu en retrait, et tout au bout du château. Une fois seul, il ouvrit doucement les quatre portes. Après un moment, il entendit des pas qui s’approchaient.

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