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Champavert
Bientôt Apolline fut introduite dans la salle: sa jeunesse, sa vénusté, son air triste et candide, sa voix suave et son maintien impressionnèrent vivement la cour blasée.
Pour ne pas compromettre Bertholin, elle avait déclaré qu’un homme, à elle tout-à-fait inconnu, et qu’elle n’avait jamais revu, un soir, s’étant glissé chez elle, l’avait forcée avec violence. Quant au crime qu’on lui imputait, elle avouait qu’il pouvait être, mais qu’il ne lui en restait nul souvenir positif; et que n’ayant pris aucun aliment depuis plusieurs jours, quand les douleurs de l’enfantement lui étaient survenues, elle devait avoir été assurément dans un état complet de démence.
Sur cinq médecins appelés à constater quel avait pu être son état moral lors de son accouchement, un seul avait affirmé l’aliénation, et quatre l’avaient niée.
Au moment où l’accusateur public, M. de l’Argentière, se leva et entonna sa déclamation, Apolline, frappée comme à un accent connu, tourna ses regards sur lui, jeta un cri perçant, et se renversa sans connaissance.
Jamais réquisitoire ne fut plus violent et plus inhumain: il n’est rien que M. de l’Argentière ne mit en jeu pour accabler l’accusée. Il poussa sa rage extravagante jusqu’à la comparer à Saturne, qui dévorait ses enfans, et se résuma en demandant sa tête. – Ne vous laissez point séduire, criait-il, par les beaux dehors de cette mère dénaturée, le laurier-rose contient un venin subtil, la beauté n’est souvent que le voile de la perfidie; ne vous laissez point faiblir, messieurs, il faut un exemple absolument, pour arrêter l’infanticide en son cours. Messieurs, soyez inexorables, vous serez justes!
L’avocat d’Apolline, avec un rare talent, s’acquitta de sa défense; son plaidoyer aurait arraché des larmes à des tigres, le tribunal resta froid; et l’accusateur commença sa sauvage réplique.
Quand la pauvre Apolline eut recueilli ses esprits, elle se leva brusquement, et montrant du poing l’accusateur, M. de l’Argentière: – C’est lui! criait-elle, c’est lui! je reconnais sa voix, c’est lui! cet homme-là qui parle! c’est lui que j’ai vu aux rayons de la lune, blême et rouge, l’œil caverneux… Puis, fondant en larmes, elle jetait des hurlemens.
– Cette enfant est égarée, dit froidement M. de l’Argentière, dont la morne physionomie n’avait pas laissé paraître la plus légère émotion.
– Emmenez l’accusée; et nous, messieurs, passons dans la salle de délibération, ordonna le président.
Au bout d’un quart d’heure, la cour rentra en séance: le jury ayant répondu affirmativement à toutes les questions posées, le président fit lecture de la sentence, qui condamnait Apolline à la peine capitale.
Elle écouta son arrêt avec dignité, et dit seulement, se tournant du côté de l’accusateur public: – Ceux qui envoient au bourreau sont ceux-là mêmes qui devraient y être envoyés!
Son défenseur, égaré, pleurant et se heurtant le front, se jeta dans ses bras, et l’embrassa, au grand scandale de la cour, qui demanda si elle voulait se pourvoir en cassation. – Oui, répondit Apolline, mais au tribunal de Dieu.
Le matin du jour, on lui envoya un prêtre pour se préparer; il ne sortit plus d’auprès d’elle. Apolline lui ayant naïvement raconté son histoire, le pauvre homme, convaincu de son innocence, pleurait désespéré; celui qui était venu la consoler était plus faible qu’elle et plus inconsolable. – Pauvre martyr! l’appelait-il, en lui baisant les pieds comme on baise une châsse sainte. Il n’osait lui parler de son Dieu juste et bon; sa providence était trop compromise par cette vie fatale.
A quatre heures, le geôlier monta l’avertir. Sa toilette achevée, elle descendit, soutenant son confesseur.
Aussitôt la charrette se mit en marche. Il semblait que toute la population de Paris s’était encaquée du palais à la Grève. De haut en bas, les maisons étaient chargées de spectateurs avides: jamais supplice n’avait attiré plus de monde. – La voilà! – la voilà! répétait-on de rang en rang.
Qu’elle était belle du haut de son tombereau, cette infortunée Apolline! quelle dignité! quelle résignation! Son teint était plus blanc que le peignoir qui l’enveloppait, et sa chevelure plus noire que le prêtre qui pleurait à ses côtés. Elle promenait sur la foule son regard langoureux; les commères lui montraient le poing, et les jeunes hommes attendris lui envoyaient des baisers. Enfin, la charrette déboucha sur la Grève. En montant à l’échelle, Apolline aperçut, à une croisée, M. de l’Argentière qui la fixait froidement; elle en jeta un long cri d’horreur, et tomba faible entre les bras d’un valet de guillotine. Il se fit alors un brouhaha général et une fluctuation dans la foule. Il pleuvait: – A bas les parapluies, on ne voit pas! criait-on de toutes parts; – à bas les parapluies! répétaient des voix de femmes; – soyez galans, messieurs, on ne voit pas!
Toute la tourbe, le cou tendu, était sur la pointe du pied.
Quand le coutelas tomba, il se fit une sourde rumeur; et un Anglais, penché sur une fenêtre qu’il avait louée 500 fr., fort satisfait, cria un long very well en applaudissant des mains.
JAQUEZ BARRAOU LE CHARPENTIER
–
LA HAVANE
Car amour est fort comme la mort,
Et jalousie est dure comme enfer.
La Bible.Je suis noire, mais je suis belle comme les tabernacles de
Cédar, comme les peaux de Salomon.
La Bible.Eh! pourquoi cette jalousie?..
P. L. Jacob, Bibliophile.I
PESADUMBRE Y CONJURACION
C’était le jour de Dieu: assez l’indiquaient le calme des campagnes, l’air jovial et le linge blanc des esclaves qui passaient au loin sans râler sous d’énormes fardeaux, hommes infortunés! auxquels il ne manque plus qu’un grelot de mulet. Le soleil dardait à l’heure de la sieste; cependant le charpentier Jaquez Barraou, noir membru et gigantesque, vint s’asseoir à la porte de sa case engoncée, pour ainsi dire, dans une crique, où se trouvaient amarrées deux pinasses et une balancelle en radoubs. Le sol était jonché çà et là de bois en grume, de billots et de madriers.
Jaquez Barraou avait encore sa chemise rayée et ses vêtements de travail; pourtant, lui, si religieux, n’avait point travaillé, car c’eût été péché mortel. Il était pieds nus. Dans toute sa personne régnait un nonchaloir qui contrastait avec son maintien énergique. Sous sa laine crépue et noire roulaient deux gros yeux blancs: souvent, il les promenait sur la mer et sur le terroir environnant; souvent, il les soulevait aux cieux, puis les reportait fixement sur la Havane, sourcillant et lançant avec mépris des bouffées d’une fumée bleue qu’il aspirait d’un long cigare.
Il eût été difficile de s’expliquer les mouvemens et les brusques soupirs de cet homme; son regard, chagrin et menaçant, qu’il arrêtait tantôt sur la vaste mer des Antilles, dont il semblait mesurer l’étendue, et que tantôt il jetait sur la ville, aurait pu faire penser qu’il était abîmé dans des rêves nostalgiques; que son cœur était meurtri par le mal du pays, cet amour violent de la patrie absente que rien ne saurait abattre, qui fait encore trouver des larmes aux vieillards canadiens courbés sous le joug infamant de l’Anglais, rien qu’au seul nom de leur ancienne patrie, et qui leur fait parfois repousser avec dégoût les jeunes enfans de leur race, qui fatiguent leurs oreilles de la rude langue des vainqueurs. Il paraissait toiser la distance de son Afrique à cette rive américaine, et maudire les Européens barbares qui l’y avaient transplanté après l’avoir échangé contre une scie ou un sabre à ses ravisseurs.
On aurait bien pu se plonger dans le fiel de tous ces pensers, et pourtant rien de tout cela n’agitait Barraou, car c’était un fils de Cuba qui n’avait d’africain que les traits et l’âme. Tout à coup il jette loin de lui son cigare inachevé, se lève et s’assied lourdement, entrecoupant, dans ses dents, de rauques monosyllabes semblables à des jurons grossiers. Il faisait claquer sa mâchoire, et se heurtait du derrière de la tête sur la muraille; enfin, paraissant se calmer, il répéta d’une voix pleurante:
– Jalousie! jalousie! que tu me fais de mal! que tu dévores, jalousie!.. Maudit soit de moi, maudit soit de Jaquez Barraou! Ma poitrine est plus brûlante que si j’avais avalé du cubèbe et du piment. Jalousie! tu me mâches le cœur avec une dent plus incisive que la dent du serpent! Quand je veux te repousser, c’est alors que tu m’assièges? Te repousser? Au fait, et comment?.. Ils ne m’ont pas même laissé le doute; car, l’autre soir, quand je revenais de la ville, pour la troisième fois je l’ai surpris fuyant près de la case; il en sortait à coup sûr… Oui, je l’ai vu, infâme Juan Cazador; que venais-tu tenter auprès de mon Amada? Tenter … que je suis bon!.. Eh! qui m’a répondu d’Amada? Oh non! mon Amada, tu es pure, oui!.. cependant dois-je le croire?.. les femmes sont si fourbes. Cruel sort! horrible incertitude! bientôt j’en sortirai ou de la vie. Ami faux, toi que j’appelais mon Juanito; toi qui m’as connu plus petit que cette chèvre; toi qui, tant de fois, avec moi, t’endormis ivre-mort sur la même natte, bien avant dans la nuit; nuit d’épanchemens et de rêves plus doux que ceux apportés par le sommeil! Que de tafia! que de cigaritos!.. Ces temps sont déjà bien loin, pauvre Barraou! Tu fêtoyas ta jeunesse; et maintenant que tu t’inclines comme ton père, il te faudra pleurer.
Que les hommes sont injustes! Ai-je jamais convoité leurs épouses? Donc, pourquoi me fraude-t-on la mienne? Je suis pauvre; je n’ai rien, je n’avais qu’Amada. Je ne pourrai donc rien posséder, misérable, sur cette terre, sans qu’on en lève la dîme? rien! pas même celle que j’ai choisie entre mille. Ah! je suis trop crédule au mal!.. Un stratagème, une embûche pourraient tout m’éclaircir: si c’est erreur, si je me suis trompé, je rentrerai dans la paix; et si … alors vengeance!.. Santa Virgen! sois à mon aide, et demain tout sera fait.
Soudain il s’interrompit, se penchant et prêtant l’oreille, comme s’il eût entendu quelque bruit; il se rajustait et prenait un air de roideur pour singer le calme, quand sortit follement de la case une jeune femme qui, se laissant aller à lui, s’appuya sur son épaule.
Oh! qu’elle me parut belle et digne de toute la violence de Barraou! Je ne sais si j’étais aveuglé par cet amour préjugé, cette propension sympathique qui toujours m’entraîne aux femmes de couleur, qui, toujours dans mes songes, me livre une beauté africaine; qui, tout enfant, me faisait rechercher les embrassemens des noires, et rester froid aux caresses de nos blanches créoles. Oh! qu’elle me parut belle! elle était svelte, joyeuse et riante; son teint était celui d’un sang mêlé, que méprisamment vous appelez mulâtresse; ses traits étaient fins et profiles comme ceux d’une Arlésienne et son œil vif en amande. Autour de sa tête elle avait roulé avec grâce un turban de mousseline; des pendans de corail se balançaient à ses oreilles; un collier de ramina de Venise faisait une base d’or au galbe de son beau cou; ses doigts effilés étaient prisonniers dans des anneaux précieux; sa courte saya de cotonnade blanche découvrait ses jambes rondelettes et ses pieds de Cendrillon que ne chaussaient pourtant que de rustiques esparteñas espagnoles.
– Que fais-tu là? lui dit-elle en relevant de sa main sa longue chevelure, et collant ses lèvres au front déprimé de Barraou. Toi, aujourd’hui, à cette heure, encore en pareil désordre? tu me tourmentes, mon Jaquez, tu sembles chagrin, qu’as-tu donc? partage-moi ta moindre peine, parle, sois confiant!
– Je n’ai rien, franchement, peut-être est-ce la chaleur qui m’accable!
– Non, tu te caches; même en parlant tu rêves encore, et tu sembles engolfado: d’ailleurs, ne t’ai-je pas entendu? tout à l’heure tu parlais, querellais et plaignais hautement.
– Corazon mio! tu t’es trompée, je fredonnais, pensant que tu reposais, je chantonnais doucement cet air, ton favori.
Paxarito que vienes heridoPor las balas del cruel Cazador,Cesa, Cesa tu triste gemido.Mientras duerme mi dulce amor!– Oh! que vous êtes bon, mon Jaquez, pour votre Amada! daigner songer à elle.
– Vous daignâtes bien m’aimer; mais trêve de cela. Ta grâce voudrait-elle bien préparer, pour ce soir, un souper copieux? bonne chère! J’ai l’intention de convier Cazador.
– Cet homme … Eh! pourquoi?
– Pourquoi? sotte question! Que trouves-tu d’extraordinaire; est-ce la première fois que cet ami partage ma table?..
– Rien! mais vous êtes si maussade, je veux dire si triste, qu’assurément vous lui ferez froide réception.
– Qu’importe, il aura les bonnes grâces de l’hôtesse! Dis à Pablo de venir; il doit être près du chantier, je l’ai vu tantôt jouant avec ton vieux chien Spalestro; va et fais.
Mes funestes pressentimens viennent encore de se corroborer. Comme elle a rougi à son seul nom; quel embarras, quelle surprise! Et cette ruse de femme, recevoir avec froideur une nouvelle qui lui met la joie au cœur!
– Patron, votre grâce me fait mander; me voici, que faut-il?
– Ecoute bien, Pablo; tu vas prendre dans le bahut un paquet de tabac, puis, tu iras trouver Juan Cazador chez son maître, Gédéon Robertson, et, lui offrant de ma part, tu le convieras à venir souper, ce soir même, chez son ami Jaquez Barraou; sois prompt, ne reviens pas sans lui. Pars, béni soit ton chemin.
II
EL CORAZON NO ES TRAYDOR
Quand le pequeno Pablo fut éloigné, Barraou rentra dans la case. Amada préparait la cène; lui se lava et s’endimancha. Décrochant ensuite l’escopette suspendue à la muraille, au-dessus de quelques figurines et images de saint Jacques de Gallice et de Madones caparaçonnées, il se prit à la nettoyer avec une espèce de joie sombre: Amada le remarquait.
– A quel propos, lui demanda-t-elle, t’occuper de cette escopette?
– Pour rien, mon amie, seulement pour enlever la rouille qui la ronge.
– Ah! seulement pour enlever la rouille; à quoi bon alors mettre cette pierre neuve? Hélas! Santa Virgen! que fais-tu là? de la poudre! des balles! voudrais-tu la charger? C’est imprudence, non, je t’en prie; il arrivera malheur, cette arme est à la portée de tout venant.
– Il arrivera malheur… peut-être!..
– Mais à quoi bon? réponds-moi.
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