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La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1
La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1

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La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1

Язык: Французский
Год издания: 2017
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Le château de Versailles est désert. Courtisans, serviteurs, laquais se hâtent de fuir l'atmosphère pestilentielle que désormais aucun intérêt ne donne le courage d'affronter. En quittant la chambre mortuaire, le duc de Villequier enjoint à M. Andouillé, premier chirurgien du Roi, d'ouvrir le corps et de l'embaumer. «Je dois nécessairement en mourir, répondit Andouillé, mais je suis prêt; seulement, pendant que j'opérerai, vous tiendrez la tête: votre charge vous en fait un devoir.» M. de Villequier se retira, n'insistant plus pour que l'opération fût faite; aussi ne le fut-elle pas. Il devint urgent de procéder le plus tôt possible à l'ensevelissement. Le cercueil fut apporté, les chirurgiens y firent verser une quantité d'esprit-de-vin. Quelques pauvres ouvriers, grassement rémunérés, mirent dans le linceul et couchèrent dans la bière celui qui peu d'heures auparavant était le roi de France.

Cependant le carrosse du nouveau Roi et de sa famille cheminait vers Choisy. La scène solennelle dont ils venaient d'être témoins, celle qui s'ouvrait devant eux, les disposaient naturellement à des pensées tristes et graves; mais à moitié route, un mot plaisamment estropié par madame la comtesse d'Artois fit éclater un rire électrique; les larmes furent essuyées, et les trois couples royaux reprirent le caractère de leur âge.

La Gazette de France du 13 mai contenait le panégyrique du feu Roi, rappelant les hauts faits accomplis sous son règne: la Lorraine acquise à la France, l'érection d'un grand nombre de monuments publics, l'établissement de l'École militaire, la protection accordée aux arts, les grandes voies ouvertes pour la facilité du commerce; puis la Gazette énumérait les qualités d'esprit et de cœur qui avaient conquis à ce prince l'affection populaire39. Les éloges décernés au royal défunt par un journal ne trouvèrent point d'écho dans les sentiments publics. On était loin du temps où la France en larmes avait prodigué à Louis XV des témoignages d'affection. Sans doute quelques pages militaires avaient honoré ce long règne; il léguait au pays des créations utiles et des acquisitions glorieuses. Mais lorsqu'on en pesait d'une main impartiale les torts et les mérites, c'était le plateau des torts qui emportait la balance. Le niveau de la France était descendu en Europe, et le niveau de la royauté était descendu en France. Louis XV, qui avait gaspillé le présent, laissait à son héritier un menaçant avenir. Le peuple apprenait que son Roi avait vaillamment supporté cette maladie purulente dont le dégoût augmente les douleurs; mais il avait vu dans les souffrances du prince le châtiment même de ses désordres.

Les Feuillants du monastère royal de Saint-Bernard, près des Tuileries, dont la mission est de prier au lit de mort des princes de la maison royale, avaient été, dès le soir du 10 mai, mandés par le grand aumônier pour remplir leur office. Leur charité et leur dévouement furent vaincus par l'insupportable odeur d'un cadavre en dissolution. Dès le 12, il devint indispensable de procéder à la levée du corps. À sept heures du soir, le convoi funèbre sortit du château, sans cérémonie, selon l'usage pratiqué pour les princes qui meurent de la petite vérole40. Le clergé des deux paroisses et les Récollets de Versailles suivirent le cercueil jusqu'à la place d'Armes; l'évêque de Senlis, premier aumônier de Sa Majesté, l'accompagna jusqu'à Saint-Denis. Le peuple, parsemé sur la route, se montra insensible à ces tristes funérailles, et plus d'une fois même il chargea d'imprécations la mémoire de ce prince qu'il avait surnommé le Bien-Aimé.

Toutefois les prières publiques se multiplièrent de toutes parts: il y avait au fond des cœurs pieux comme un besoin de demander à Dieu le repos de cette âme royale, et les églises41 n'attendaient pas à cet égard l'exemple ou le signal des évêques. Tous les corps civils et militaires de l'État, les villes, les tribunaux, les chapitres, les ordres religieux, toutes les communautés, toutes les confréries, toutes les classes de citoyens manifestèrent par des prières publiques des sentiments au fond desquels peut-être il eût été facile de trouver moins de regret pour le prince qui n'était plus, que de vœux pour le couple royal qui, sans force et sans expérience, venait d'être chargé de veiller sur la fortune publique.

LIVRE PREMIER

ÉDUCATION DE MADAME ÉLISABETH. – MARIAGE DE MADAME CLOTILDE

13 MARS 1764 – 28 AOÛT 1777

Mulierem fortem quis inveniet?

procul, et de ultimis finibus pretium ejus.

Proverbes, XXXI.Naissance de Madame Élisabeth. – Sa complexion délicate. – Madame Clotilde et Madame Élisabeth élevées par madame de Marsan. – Différence d'humeur et de caractère des deux sœurs. – Élisabeth malade soignée par Clotilde. – Première communion de Clotilde. – Madame de Mackau nommée sous-gouvernante des Enfants de France. – Amélioration qui se produit progressivement dans l'éducation d'Élisabeth. – Mademoiselle de Mackau devient l'amie de Madame Élisabeth. – Cercle des jeunes princesses. – Compiègne et Fontainebleau. – M. Leblond. – Plutarque expurgé par madame de la Ferté-Imbault et apprécié par Dumouriez. – Opinion de madame de Genlis sur les livres qu'il convient de mettre dans les mains des jeunes personnes. – L'abbé de Montégut enseigne l'Évangile à Madame Élisabeth et développe en elle le sentiment religieux. – Madame de Marsan la conduit à Saint-Cyr; intérêt et charme qu'elle y rencontre. Sentiment de la Reine pour les jeunes filles élevées dans cette maison. – Deux cent mille livres remises par ordre de Louis XVI aux curés de Paris pour être distribuées aux pauvres. – M. Machault d'Arnouville, M. de Choiseul, M. de Maurepas. – Lettre du jeune Roi à celui-ci. – Maurepas jugé par Marmontel. – Mesdames Adélaïde, Victoire et Sophie atteintes de la maladie du feu Roi, leur père. – La jeune famille royale quitte aussitôt Choisy et se rend à la Muette. – La foule, dès le lever du jour, encombre les grilles du château. – Enthousiasme populaire. – Tabatières de deuil: la consolation dans le chagrin; les quesaco; les poufs au sentiment. – Les bonnets à grands papillons. – Une plaisanterie d'une des dames de la Reine est cause que cette princesse est mal jugée par les vieilles douairières qui viennent faire les révérences de deuil. – Inondations et désastres à l'avénement du Roi comme à son mariage. – Troubles à Weimar; émeute; incendie. – Premier conseil des dépêches tenu par le roi Louis XVI au château de la Muette. – Madame Élisabeth, avec la famille royale, dans l'église des Carmélites de Saint-Denis. – Le jeudi 2 juin, jour de la Fête-Dieu, la jeune princesse avec toute la Cour accompagne à pied le saint sacrement à l'église paroissiale de Passy. – Le premier acte de l'autorité royale est de faire remise du droit de joyeux avénement. – Les du Barry s'éloignent. – La comtesse se retire dans l'abbaye du Pont-aux-Dames. – Le duc d'Aiguillon; le comte du Muy; le comte de Vergennes. – Le parlement; la chambre des comptes; la cour des monnaies. – Gresset, directeur de l'Académie française, harangue le Roi et la Reine. – Durosoy. – Retour à Versailles. – L'abbé de Vermond. – Soufflot. – Archevêques et évêques. – Inoculation, à Marly, du Roi, du comte et de la comtesse de Provence, du comte et de la comtesse d'Artois. – Le parti du progrès: Turgot. – Le prince Louis de Rohan. – Buffon. – Delille. – Madame Clotilde et Madame Élisabeth à la Muette. – La Cour quitte Marly et se rend à Compiègne, où elle emmène les deux jeunes princesses. – Réception faite au Roi. – Arrivée de Mesdames. – Fête de l'Assomption; vœu de Louis XIII; procession religieuse où figurent Clotilde et Élisabeth. – Arrivée en France de l'archiduc Maximilien-François. – Audience donnée par Louis XVI au comte de Viry, ambassadeur de Sardaigne, et au comte de Vergennes, ministre des affaires étrangères: déclaration du mariage de Madame Clotilde avec le prince de Piémont

Pour initier le lecteur à la connaissance de l'époque qui précéda immédiatement celle qui sert de cadre à la vie que nous avons entrepris de raconter, nous avons dû esquisser à grands traits le mouvement des idées et des faits des dix dernières années du règne de Louis XV. Le berceau et la première enfance de Madame Élisabeth tinrent si peu de place dans ces dix années, que nous avons eu à peine l'occasion de la nommer dans cette introduction. Au moment d'ouvrir le récit de sa vie, nous devons grouper dans leur ordre chronologique le petit nombre de faits relatifs à cette princesse qui précédèrent l'avénement de son frère le roi Louis XVI.

Élisabeth-Philippine-Marie-Hélène de France, fille de Louis, Dauphin, et de Marie-Joséphine de Saxe, était née à Versailles le jeudi 3 mai 1764, à deux heures du matin. Dans la journée, le duc de Berry, le comte de Provence, le comte d'Artois, se rendirent à la chapelle du château, immédiatement après la messe du Roi, pour la cérémonie du baptême de la princesse nouvellement née. Le Roi et la Reine, Monsieur le Dauphin, Madame Adélaïde, Mesdames Victoire, Sophie et Louise, le duc d'Orléans, le duc de Chartres, le prince de Condé, le prince de Conty, la princesse de Conty, la comtesse de la Marche, le comte de Clermont, le comte d'Eu, le duc de Penthièvre et le prince de Lamballe, assistèrent à cette cérémonie. La petite princesse fut tenue sur les fonts par le jeune duc de Berry, au nom de l'infant don Philippe, et par Madame Adélaïde, au nom de la reine d'Espagne douairière. Le baptême fut administré par l'archevêque de Reims, grand aumônier du Roi, en présence de M. Allant, curé de la paroisse du château. Plusieurs dignitaires de la cour assistaient à la cérémonie, ainsi que les ambassadeurs d'Espagne et de Naples.

Madame Élisabeth, en venant au jour, était d'une complexion si délicate que son existence, pendant les premiers mois, donna lieu à des inquiétudes continuelles. Ceux qui se plaisent à tirer l'horoscope des princes, disaient que cette princesse était trop faible pour saisir les belles destinées qui s'offraient à elle: ils ne se doutaient pas qu'au contraire ses destinées seraient terribles, qu'elle aurait la force de les supporter, et qu'il viendrait des temps mauvais où les maîtres de la France trouveraient trop longue et abrégeraient cette vie qu'on appréhendait alors de voir s'éteindre trop tôt.

La petite orpheline, après la mort de Madame la Dauphine, fut entièrement livrée aux soins de madame la comtesse de Marsan42, gouvernante des Enfants de France, qui déjà voyait croître sous sa direction une autre princesse, la jeune Clotilde, destinée au trône de Sardaigne, dont elle devait être l'amour et l'édification. Il y avait entre l'âge des deux sœurs un intervalle de quatre ans et huit mois. La différence d'humeur et de caractère était encore plus grande: Clotilde était née avec les plus heureuses dispositions, il suffisait de les suivre et de les aider; chez Élisabeth, au contraire, il fallait souvent contrarier la nature, toujours la diriger. Fière, inflexible, emportée, il y avait chez elle à dompter des défauts très-regrettables dans un rang inférieur, intolérables dans une princesse de sang royal. Madame de Marsan avait rempli la première moitié de sa tâche avec zèle et bonheur, mais aussi sans difficulté: la jeune Clotilde était douée des qualités les plus aimables: la crainte d'affliger celle qui prenait soin de son enfance la rendait attentive aux paroles de madame de Marsan et docile à ses leçons; elle cherchait à deviner dans ses regards le moindre de ses désirs, et ce désir lui devenait un devoir. L'application qu'elle apportait à ses travaux attestait le goût qu'elle y prenait, et promettait d'avance le succès qui couronna cette éducation donnée avec tant d'intelligence et reçue avec une docilité si empressée. La bonté de son cœur répondait à l'élévation de son esprit, et elle se faisait aimer sans efforts de tous ceux qui l'approchaient.

La seconde partie de la tâche de madame de Marsan était autrement difficile. L'opiniâtreté de Madame Élisabeth rappelait celle du duc de Bourgogne, l'aîné de ses frères, avant que l'éducation l'eût assouplie; fière de sa naissance, elle exigeait auprès d'elle des instruments souples de sa volonté; elle disait qu'elle n'avait pas besoin d'apprendre et de se fatiguer inutilement, puisqu'il y avait toujours près des princes des hommes qui étaient chargés de penser pour eux. Elle trépignait de colère quand une de ses femmes ne lui apportait pas immédiatement l'objet qu'elle avait réclamé. La différence qui existait entre les caractères des deux sœurs en avait fait naître une dans les sentiments que leur gouvernante éprouvait pour chacune d'elles, et la préférence que, involontairement peut-être, elle montrait à l'aînée, ne put échapper à la cadette. La jalousie vint encore accroître en celle-ci l'âpreté du caractère; et un jour que madame de Marsan lui refusait une chose qu'elle désirait: «Si ma sœur Clotilde, lui répondit-elle froidement, vous l'eût demandée, elle l'aurait obtenue.»

Élisabeth tomba malade. Clotilde demanda avec instance qu'on la laissât auprès d'elle, et elle obtint que son lit fût momentanément apporté auprès du sien. Alors âgée de dix ans, elle prodigua à sa jeune sœur tous les soins d'une infirmière. Elle voulait la veiller la nuit, et elle éprouva un vif chagrin de se voir enlever cette consolation. Mais madame de Marsan craignant, d'après l'avis du médecin, que le mal ne se communiquât, jugea prudent de les séparer.

La maladie d'Élisabeth avait développé dans sa sœur les sentiments de la plus tendre amitié. Clotilde ne se borna plus à lui montrer de l'intérêt pour sa santé, elle se fit un plaisir de lui montrer l'alphabet et la manière d'épeler et de former les mots; elle lui donna de petits conseils qui aidèrent à améliorer son caractère, et à lui inculquer les premières notions de cette religion dont elle avait déjà elle-même nourri son âme.

Le moment approchait où cette jeune princesse, douée des sentiments les plus purs et de la plus douce piété, allait faire sa première communion. Les dispositions angéliques qu'elle apportait à cet acte lui faisaient désirer ardemment de voir arriver ce grand jour. Ce fut le troisième mardi d'après Pâques de l'année 1770, le dix-septième jour d'avril, qu'elle eut ce bonheur, dont le souvenir ne s'effaça jamais de sa mémoire. Ce jour-là, selon l'étiquette de la cour, elle quitta les simples habits de l'enfance pour revêtir la parure d'une jeune princesse. Sa modestie inquiète se rappela toujours avec tristesse, j'ai presque dit avec remords, qu'elle avait revêtu une parure mondaine pour aller recevoir le Dieu des pauvres et des affligés, et elle n'en parla jamais qu'avec le sentiment de la plus sincère humilité.

Madame de Marsan avait senti qu'elle avait besoin d'aide pour la seconder dans la réforme qu'elle avait à cœur d'opérer: elle jeta les yeux sur madame la baronne de Mackau, dont le mari avait été ministre du Roi à Ratisbonne. Mademoiselle Marie-Angélique de Fitte de Soucy (madame de Mackau) avait été élevée à Saint-Cyr. Cette maison conservait avec soin non-seulement des notes sur le caractère et le mérite de ses élèves, mais elle aimait à les suivre dans le monde, pour lequel elle les avait formées. Ce fut d'après les renseignements puisés à cette source que madame de Marsan demanda au Roi de nommer sous-gouvernante madame de Mackau, qui vivait retirée en Alsace. Ce choix semblait offrir toutes les conditions requises pour obtenir d'heureux changements dans le caractère d'un enfant volontaire et hautain: madame de Mackau, en effet, possédait la fermeté qui fait ployer la résistance et la bienveillance affectueuse qui sait attirer l'attachement. Armée d'une puissance presque maternelle, elle éleva les enfants du trône comme elle eût élevé ses enfants, ne leur passant aucun défaut, sachant au besoin se faire craindre d'eux, tout en leur faisant aimer la vertu, dont les leçons, dans sa bouche, avaient cette autorité que l'exemple rend forte et sacrée. Elle joignait à un esprit supérieur une dignité de ton et de manières qui inspirait le respect. Quand son élève s'abandonnait à un de ces mouvements d'humeur hautaine auxquels elle était sujette, madame de Mackau, après quelques observations sévères, laissait paraître sur sa physionomie une gravité morne, comme pour lui rappeler que les princes, aussi bien que toutes les autres personnes, ne peuvent être aimés que pour leurs vertus et leurs qualités. Affligée, déconcertée de ce changement subit et inattendu, Élisabeth, ne sachant ni feindre ni cacher ce qui se passait en son âme, donnait un grand avantage à sa gouvernante, habile à profiter de la connaissance qu'elle avait de ce qui se passait dans l'âme de son élève pour diriger son éducation.

La vive expression du regret de ses fautes, la promesse de s'amender, amenaient un changement dans les manières de madame de Mackau. Aussi arrivait-il souvent que, malgré ses cris et ses lamentations, Élisabeth cédait aux douces instances de l'amitié. Peu à peu on vit s'effacer en elle les défauts qui retardaient ses progrès et l'empêchaient de profiter d'une instruction si propre à son développement moral. Ses sages directrices ne négligeaient rien pour former sa raison, l'habituer à discuter sur toutes les questions avec facilité et sans pédantisme, à bien poser un argument, à l'examiner avec discernement, et à résoudre une question avec logique. Comme tout progrès ne s'accomplit que par degrés, la jeune princesse, pendant quelque temps encore, commettait des fautes. En ces occasions, devenues rares toutefois, elle rencontrait un regard sévère, un accueil sec, et ce seul témoignage de mécontentement lui devenait une punition efficace.

Outre les progrès rapides qu'elle fit dans ses études élémentaires, l'amélioration qui s'était produite dans son naturel prouvait l'excellence de la méthode qu'on avait employée. Ce caractère si hautain et si violent se changea peu à peu en une fermeté de principes, une noblesse et une énergie de sentiments qui plus tard la rendirent supérieure à toutes les épreuves qui traversèrent sa vie. C'est ainsi que Madame Élisabeth s'était sentie dominée par un ascendant irrésistible; c'est ainsi que sous cette sage et forte discipline, ses défauts naturels se changèrent peu à peu en vertus. C'est ainsi qu'elle reconnut que sous cet extérieur froid et imposant il y avait un cœur qui l'aimait pour elle-même, et que dès lors disposée à aimer son institutrice, à son tour, elle chercha à lui plaire.

Désormais humble et soumise, elle écoute avec plaisir les avertissements qu'on lui donne, elle les met en pratique avec empressement: à la simplicité de l'enfance déjà elle joint la prudence et le discernement de l'âge mûr. À mesure que ses connaissances augmentent, elle cherche à régler ses actions et à les diriger vers Dieu; à mesure aussi qu'elle témoigne à sa gouvernante plus de déférence et d'affection, elle reçoit d'elle, en retour, des témoignages plus marqués de dévouement maternel. Elle sent alors douloureusement la perte qu'elle a faite de ses parents: privée de leurs caresses et du plus doux sentiment de la nature, son cœur s'ouvre à l'amour fraternel, qui devient sa passion dominante. Elle chérit tendrement ses trois frères, mais une sorte de prédilection l'entraîne vers le duc de Berry, devenu Dauphin. Serait-ce qu'elle prévoit qu'il sera malheureux, puisqu'il est déjà menacé d'être roi? Cette tendresse de cœur, qui a servi à corriger tous les défauts d'Élisabeth, doit être dans le cours de sa vie la source de ses consolations, de son courage, de ses chagrins et de son dévouement.

Madame de Mackau lui présenta sa fille, qui fut associée à ses études aussi bien qu'à ses récréations. Tenant par l'âge le milieu entre Clotilde et Élisabeth, ayant deux ans de plus que celle-ci et deux ans de moins que la première, elle était comme un trait d'union entre les deux sœurs.

«Lorsque je fus présentée à Madame Élisabeth, a rapporté madame de Bombelles (mademoiselle de Mackau), j'étois, malgré mes deux ans de plus, aussi portée qu'elle à m'amuser. Les jeux furent bientôt établis entre nous, et la connoissance bientôt faite. Madame Élisabeth demandoit sans cesse à me voir: j'étois la récompense ou de son application ou de sa docilité.»

Vers cette époque, à certains jours, après les études sérieuses, plusieurs dames de mérite, aussi recommandables par leurs principes religieux que par leur instruction, étaient aussi admises dans l'intimité des deux petites princesses. C'était un cercle qu'on leur créait afin d'utiliser leurs loisirs tout en les amusant, de les former à l'habitude du monde, de leur apprendre à énoncer leurs idées avec grâce et concision, à juger les choses avec justesse, à exprimer leurs jugements avec clarté. Ces réunions, qu'elles voyaient toujours revenir avec joie, avaient le précieux avantage de s'offrir à elles sous la forme de récréations; mais ces fécondes récréations, sous leur gaieté apparente et sous leur parfaite modestie, les initiaient, sans qu'elles s'en doutassent, à ce tact pour ainsi dire divinatoire, à cette science du monde si nécessaire et si difficile à acquérir, qui consiste à discerner à première vue le mérite des individus, à apprécier le caractère, l'esprit dominant de chaque société, sous quelque forme qu'il se présente: finesse et sagacité qui devinrent par la suite si exquises chez Élisabeth, que rarement elle se trompait dans l'opinion qu'elle se formait du caractère des personnes aussi bien que de l'esprit des réunions où elle se trouvait. «Jamais, dit M. Ferrand, Madame Élisabeth n'a pu s'intéresser à une conversation dans laquelle il n'y avait rien à gagner; jamais elle n'a su s'amuser d'un entretien frivole. Le temps était précieux pour elle: elle savait qu'on n'en jouit que par le sage emploi qu'on en fait; qu'il se hâte toujours sans jamais nous attendre; que c'est à nous à nous hâter avec lui: elle ne concevait pas l'existence de ces êtres qui gémissent perpétuellement accablés du poids d'une heure: elle regrettait ces moments qu'un monde léger consomme à des riens, pour se délivrer de l'embarras de les employer utilement, et le temps ne la surprenait jamais sans trouver la vertu dans ses actions ou dans ses projets43.»

C'était surtout durant la saison que la Cour passait aux châteaux de Compiègne et de Fontainebleau qu'avaient lieu les instructives récréations dont nous venons de parler. Madame de Marsan avait composé quelques petits proverbes pour être joués par ses royales élèves et les personnes de leur société. Le dénoûment de ces humbles pièces, faites d'ailleurs sans prétention, contenait toujours une moralité utile, et finissait d'ordinaire par une de ces maximes sentimentales à la mode de ce temps-là.

C'est aussi pendant leur séjour dans ces deux résidences royales que l'étude de la botanique occupait particulièrement les loisirs des deux princesses. Souvent M. Lemonnier, célèbre médecin dont l'instruction était si étendue et si variée, les accompagnait avec leur gouvernante dans les jardins ou dans la forêt, et expliquait devant elles les propriétés de chaque fleur, de chaque plante, de chaque arbuste, leur origine et l'époque de leur acclimatation en France. Tout est intéressant dans la nature quand on s'applique à en découvrir les arcanes. Ces promenades avaient laissé dans l'esprit de Madame Clotilde et de Madame Élisabeth un souvenir qu'elles aimèrent toujours à se rappeler.

Ce fut M. Leblond qui leur donna les premières leçons d'histoire et de géographie. Sur la demande de leur gouvernante, madame de la Ferté-Imbault avait arrangé pour elles quelques extraits de la Vie des hommes illustres de Plutarque. Le lecteur pourra s'étonner du choix que l'on faisait pour l'instruction des deux jeunes sœurs du roi de France, d'un livre où madame Roland raconte, en ses Mémoires, avoir puisé son enthousiasme pour la république, et que, vers la fin de l'année 1792, au plus fort de la tourmente révolutionnaire, Dumouriez appréciait ainsi dans une lettre adressée au général Biron: «Lisez Plutarque, pour apprendre à devenir républicain.» Certes, dans ce merveilleux ouvrage de Plutarque, tout est vivant: ce ne sont pas des pages d'histoire qu'on donne à lire à la jeunesse, ce sont des héros qu'on lui montre: ce sont des rois, des législateurs, des capitaines qui lui apparaissent comme des amis imposants, révélateurs de la vérité et confirmant la vérité par leur exemple. Mais nous remarquons que madame de Genlis n'a point fait figurer les hommes de Plutarque dans son Traité d'éducation des jeunes personnes, et qu'elle dit dans ce traité: «Il n'est aucun ouvrage que les enfants de sept à quinze ans puissent lire seuls avec fruit pour la première fois; donc tous leur sont également dangereux.» C'est pour cela sans doute que madame de la Ferté-Imbault était chargée d'arranger l'historien de l'antiquité.

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