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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III
Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III

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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III

Язык: Французский
Год издания: 2017
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Notre marquis fut rendre compte à Agnès de l'issue de son voyage, et visitoit sa Guillemette le plus qu'il lui étoit possible. Il gagna tant qu'à la fin elle lui avoua qu'elle l'aimoit; il ne s'en voulut pas tenir là, il la conjura de répondre à son amour. Agnès, d'autre côté, la poussoit à ne se point ménager envers le marquis et à avoir soin de sa fortune. Ils surent en un mot si bien la persuader l'un et l'autre, qu'elle lui donna rendez-vous à la nuit prochaine dans sa chambre, où ils parleroient de leurs affaires. Mais le malheur voulut qu'une dame de qualité du voisinage ayant perdu par la mort deux de ses filles de service, et sachant que dans la maison où étoit Guillemette il y en avoit plusieurs, elle envoya supplier la dame de lui en envoyer une. Cette dame, qui avoit soupçon de l'intelligence du marquis avec Guillemette, eut de la joie d'avoir trouvé cette occasion pour s'en défaire, et d'autant plus qu'elle savoit que, par une haine invétérée entre le marquis et cette maison, il n'oseroit y fréquenter. Elle ordonna donc à notre amante et à une autre de ses filles de se préparer pour partir le lendemain, et commanda à Guillemette de venir ce soir-là pour la dernière fois coucher dans sa chambre, et qu'elle avoit des avis d'importance à lui donner sur sa conduite à venir. Jamais un coup mortel ne causa plus d'étonnement; ces paroles furent une foudre, ou comme la tête de Meduse, car elle en pensa être changée en pierre. Sa dame, qui s'aperçut du désordre où elle étoit, en voulut savoir la cause. Elle n'eut pas de peine à lui inventer une fourbe, la conjoncture présente lui en fournissoit le moyen; et, pour mieux donner la couleur à son jeu, elle répandit quelques larmes, après quoi elle lui parla en ces termes: «Sans doute, Madame, que mon déplaisir vous est bien connu; mais, puisque vous le voulez encore savoir de ma bouche, je n'ai rien à y contredire. Ainsi, Madame, je crois qu'il ne vous semblera pas étrange qu'après avoir tant reçu de grâces et de bienfaits de vos mains libérales, je n'aie un sensible regret de vous quitter, après la résolution que j'avois faite de vous servir toute ma vie et de correspondre par mes soins à toutes vos bontés. Le seul déplaisir de m'en voir frustrée occupe tellement mon esprit, qu'il m'est impossible de songer à autre chose, et, bien que vos commandements m'aient toujours servi de loi, cependant je n'obéirai à celui-ci que par une grande répugnance. Si mes prières et mes supplications vous pouvoient fléchir à le révoquer! – Je vous éloigne de moi pour votre bien, lui répondit brusquement sa dame; cela n'est pas pour toujours; suivant la manière dont vous agirez, je saurai aussi agir. Allez seulement vous préparer à m'obéir.» Elle sortit et courut d'abord avertir Agnès de l'ordre fatal qu'elle avoit reçu, et lui enjoignit de dire au marquis qu'elle conserveroit toujours pour lui la même amitié, moyennant qu'il n'entreprît rien sur leur chemin: «car, disoit-elle, cela feroit grand bruit et découvriroit toute l'affaire, laquelle je veux tenir autant secrète qu'il m'est possible.» Agnès eut du regret de ce contre-coup, car elle ne fondoit pas une petite espérance sur le succès de ses intrigues. Néanmoins elle lui promit tout ce qu'elle voulut, et courut promptement pour en avertir le marquis, qui déjà goûtoit mille plaisirs en idée. Il tomba dans la plus grande consternation du monde. Cependant il n'y avoit point de remède, et il s'en falloit consoler. Comme la nuit approchoit, il ne jugea pas à propos de partir que le lendemain, afin de ne point donner de soupçon, et aussi pour trouver le moyen de lui parler avant son départ.

Guillemette, ayant fait son coffre, fut, suivant qu'elle en avoit reçu ordre, dans la chambre de sa dame. Cette bonne personne, qui, ayant passé près de soixante années dans le monde, avoit beaucoup d'expérience, prévoyant qu'un bon arbre se gâte facilement s'il n'est cultivé jeune, voulut, avant que de la faire partir, lui donner de bonnes et solides instructions. Elle commença donc ainsi son discours:

«Depuis qu'il a plu à Dieu de me retirer mon cher époux et mes enfants, j'ai laissé là toutes ces folles vanités et ne me suis attachée qu'aux choses qui peuvent rendre éternellement heureux ceux qui les suivent; et, comme vous allez être séparée de moi pour un temps, j'ai lieu de craindre pour vous: dans l'âge où vous êtes on court bien des dangers, mais on acquiert beaucoup de gloire à les surmonter. Je veux bien vous faire part de l'expérience que j'en ai, et vous donner ici de petits avis pour votre conduite; et je vous puis assurer que vous ne pouvez être qu'heureuse si vous les suivez.

«Premièrement, soyez dévote, sans affectation, et vous donnez bien garde de tomber dans l'hypocrisie, car par-là on s'attache directement à la Divinité.

«2. N'ayez point tant à cœur les plaisirs de la chair, car celui qui préfère les plaisirs du corps au salut de son âme fait ainsi que ceux qui laissent noyer un homme pour courir après son vêtement.

«3. Ne prenez point trop de plaisirs dans la mondanité; abhorrez-la, et que vos accoutrements soient modestes; ayez toujours plus de soin de parer votre âme que votre corps, sans quoi vous encensez à une idole et abandonnez Dieu.

«4. Ne commencez jamais rien sans y bien penser, et que d'un jugement mûr; car celui qui commence une affaire sans cela ne doit pas être surpris s'il ne réussit pas.

«5. N'entreprenez rien au-dessus de vos forces, car tout ce qui s'entreprend ainsi ne sauroit produire des effets qu'au-dessous de l'espérance qu'on en a conçue.

«6. Ne regardez jamais avec envie le bien d'autrui, car par-là vous vous rendrez indigne de posséder le vôtre.

«7. Fuyez avec soin ce qu'on appelle amour dans le monde; n'écoutez point les discours flatteurs de tout le monde: tel vous déifie dans ses discours, qui ne tend qu'à vous rendre la plus misérable des créatures. Bouchez donc, à l'imitation de l'aspic, vos oreilles à la voix de ces enchanteurs, et soyez fortement persuadée qu'il n'y a rien qui soit si dommageable à la réputation, et que, de tout ce qui est capable de gâter notre jugement, l'amour est le plus fort et celui dont on s'aperçoit le moins: car il n'allume son feu que pour nous aveugler, et nous troubler le cerveau et l'esprit. Et, pour nous en faire avoir de l'horreur, il nous est dépeint nu, non-seulement pour nous représenter son effronterie, mais encore pour nous apprendre qu'ordinairement il met en chemise ceux qui le suivent.

«8. Si vous soumettez votre jugement à vos plaisirs, vous vous brûlerez d'un flambeau qui avoit été donné pour vous conduire.

«9. Fuyez autant qu'il vous sera possible le jeu, car qui l'aime avec excès cherche à mourir dans la pauvreté.

«10. Pensez plus d'un moment à ce que vous voulez dire, et plus de deux à ce que vous voulez promettre, crainte qu'il ne vous arrive d'avoir du déplaisir de ce que vous aurez promis avec précipitation.

«11. Obéissez en toute révérence et avec joie à la personne à qui vous servirez, tâchant autant que vous pourrez à vous rendre utile; ne point se laisser commander ce qu'on voit qui est nécessaire d'être fait, et considérer que le plus grand ressort qui fait agir la bonté des maîtres envers les serviteurs, c'est lorsqu'ils s'acquittent bien de leur devoir; et, pour me servir du proverbe, bon valet fait bon maître.

«12. Soyez contente de votre condition, car qui ne se contente pas d'une honnête fortune se donne souvent bien de la peine pour la rendre moindre en tâchant de l'agrandir.

«13. Ne vous empressez pas à savoir le secret d'autrui; soyez fort réservée à communiquer les vôtres: vous n'en êtes plus maîtresse dès lors que vous en avez fait confidence à quelqu'un, et votre exemple justifie l'infidélité qu'on pourroit vous faire en le communiquant à un autre.

«14. Encore une fois, défiez-vous des cajoleurs et des flatteurs: les uns et les autres visent par le vent de leurs paroles à tirer l'argent de votre bourse et à vous ravir l'honneur. Enfin, l'infection de la peste n'est pas tant à craindre pour le corps que le poison des mauvaises compagnies, et qui se sert de discours trop étudiés pour nous persuader un crime emploie un poignard parfumé pour nous percer le cœur.

«Voilà, Guillemette, ce que j'avois à vous dire, et que je vous prie de bien retenir dans votre cœur; et, crainte que vous ne l'oubliiez, je l'ai succinctement rédigé par écrit: le voilà, ayez-en soin, et le lisez souvent.»

Guillemette le lui promit, après quoi elles se reposèrent jusques au matin, que sa dame ne la voulut point quitter que pour se mettre dans le carrosse. Ainsi, nos amants ne purent se dire d'autres adieux que dans les termes généraux. Et notre marquis, ayant demeuré là quelque temps, prit congé, et se retira à une de ses maisons, située à deux lieues de distance du nouvel appartement que prenoit sa maîtresse, laquelle fut assez bien reçue à son arrivée; mais la suite n'y répondit pas. Elle avoit affaire à une dame que nous nommerons Olympe, pour ne pas découvrir sa famille79. Elle étoit impérieuse, et traitoit mal ses gens, quelque diligence qu'ils apportassent à faire leur devoir. Cette manière parut fort rude à notre Guillemette: elle sortoit de chez une personne qui l'avoit toujours traitée comme son enfant; au lieu que là elle se voyoit comme dans un esclavage; ce qui la dégoûta beaucoup, et servit à établir d'autant plus le marquis dans son cœur. Il étoit au désespoir, et il ne se passoit point de jours qu'il ne passât par-là à cheval; mais jamais il ne put être aperçu d'elle; à la fin il se servit d'une ruse qui lui réussit. Il gagna un paysan du village qui pourvoyoit le château de poisson, et lui fit promettre de remettre une lettre à Guillemette: il lui désigna sa taille et sa figure, afin qu'il ne fît point de bévue. L'autre le lui promit: en effet, il réussit, et lui donna la lettre. Elle fut d'abord un peu surprise de la manière avec laquelle elle la recevoit; mais le paysan sut lui mettre l'esprit en repos, en l'assurant qu'il étoit tout dévoué à son service. Elle lui promit que le lendemain elle lui donneroit réponse. D'abord il en fut porter la nouvelle au marquis, qui l'attendoit avec impatience. Dans ce temps Guillemette ouvrit sa lettre, et y lut:

Mademoiselle,

Je suis persuadé que, si je ne vivois entièrement pour vous, je n'aurois pu vous voir enlever à mes yeux sans mourir. Encore si j'eusse pu avoir l'honneur de prendre congé de vous, et de savoir vos sentiments, je m'en serois consolé. Faites-moi donc la grâce que je vous puisse parler en quelque lieu. Ha! qui l'auroit cru, si près de nous voir, être si cruellement separés! Il n'importe, et j'espère que votre bonté réparera la perte que nous avons faite. Adieu, ma chère; faites-moi savoir de vos nouvelles, et vous fiez entièrement au porteur, car il est de nos amis.

Elle ne balança point sur sa réponse. Il y avoit du temps qu'elle souffroit de cette nouvelle maîtresse, et elle en vouloit sortir absolument, à quelque prix que ce fût; ainsi elle fit la réponse suivante, qu'elle glissa subtilement dans la poche du paysan:

Monsieur,

Quoique je ne vous aye pas vu depuis mon départ de… je n'ai pourtant pas laissé éteindre dans mon cœur la passion que vous y aviez allumée; et pour preuve de cela, trouvez-vous demain à quatre heures, déguisé en fille, au bord du bois qui joint au grand chemin: là j'aurai l'honneur de vous voir.

Jamais le marquis n'eut plus de joie que lorsqu'il apprit cette nouvelle; il baisa cent fois cette lettre. Il se trouva au rendez-vous à l'heure assignée, où il lui dit mille douceurs. Elle, qui s'étoit apprivoisée avec lui, se plaignit de l'humeur hautaine de madame Olympe et de la manière indigne dont elle la traitoit. Le marquis s'offrit d'abord de la tirer de cet esclavage; mais elle n'y vouloit point consentir dans le commencement, ne désirant, disoit-elle, faire autre chose que retourner chez son ancienne maîtresse; mais il la sut si bien prendre, lui remontrant qu'elle seroit toujours dans un pareil état, au lieu qu'auprès de lui elle seroit maîtresse absolue de son bien, qu'elle donna son consentement pour le dimanche suivant, sur le soir, et s'abandonna entièrement à sa volonté. Il la remercia le plus éloquemment qu'il put, il l'embrassa et la baisa tendrement, à quoi elle ne fit pas tant la rigoureuse comme auparavant; et il est à croire que, s'ils eussent été dans un autre endroit, elle n'en seroit pas sortie vierge. Quoi qu'il en soit, il la baisa aux yeux, à la bouche, au sein, et où il voulut. Il en étoit tant extasié, qu'il ne disoit rien. Quand elle se réveilla: «Il me semble, lui dit-elle, que vous voilà dans le même état que l'autre jour que vous fîtes cet impromptu de vers parce que je ne voulois pas vous donner un baiser. Si le chagrin vous en fit lors composer si promptement, il me semble que la joie que vous témoignez vous en devroit aussi dicter. – Vous avez raison, dit-il, Mademoiselle»; et, après avoir un peu rêvé, il récita ceux qui suivent, en badinant avec elle:

Vers sur un BaiserFais que je vive, ô ma seule Déesse!Fais que je vive, et change ma tristesseEn plaisirs gracieux.Change ma mort en immortelle vie,Et fais, cher cœur, que mon âme ravieS'envole avec les Dieux.Fais que je vive, et fais qu'en la même heureQue je te baise, entre tes bras je meure,Languissant doucement;Puis, qu'aussi-tôt doucement je revive,Pour amortir la flamme ardente et viveQui me va consumant.Fais que mon âme à la tienne s'assemble;Range nos cœurs et nos esprits ensembleSous une même loi.Qu'à mon désir ton désir se rapporte;Vis dedans moi, comme en la même sorteJe vivrai dedans toi.Ne me défens ni le sein, ni la bouche:Permets, mon cœur, qu'à mon gré je les toucheEt baise incessamment,Et ces yeux, où l'amour se retire;Car tu n'as rien qui tien se puisse dire,Ni moi pareillement.Mes yeux sont tiens; des tiens je suis le maître.Mon cœur est tien, à moi le tien doit être,Amour l'entend ainsi.Tu es mon feu, je dois être ta flamme;Tu dois encor, puisque je suis ton âme,Etre la mienne aussi.Embrasse-moi d'une longue embrassée;Ma bouche soit de la tienne pressée,Suçant égalementDe nos amours les faveurs plus mignardes;Et qu'en ces jeux nos langues frétillardesS'étreignent mollement.Au paradis de tes lèvres éclosesJe vais cueillir de mille et mille rosesLe miel délicieux.Mon cœur s'y paît, sans qu'il s'y rassasie,De la liqueur d'une douce ambroisie,Passant celle des Dieux.Je n'en puis plus, mon âme à demi foleEn te baisant par ma bouche s'envole,Dedans toi s'assemblant.Mon cœur hallette à petites secousses;Bref, je me fonds en ces liesses douces,Soupirant et tremblant.Quand je te baise, un gracieux zéphire,Un petit vent moite et doux, qui soupire,Va mon cœur éventant.Mais tant s'en faut qu'il éteigne ma flamme,Que la chaleur qui dévore mon âmeS'en augmente d'autant.Ce ne sont point des baisers, ma mignonne,Ce ne sont point des baisers que tu donne,Ce sont de doux appas,Faits de Nectar, de Sucre et de Canelle,Afin de rendre une amour éternelleVive après le trépas;Ce sont des fruits de l'Arabie heureuse,Ce sont parfums qui font l'âme amoureuseS'éjouir dans ces feux;C'est un doux air, un baume, des fleurettes,Où comme oiseaux volent les amourettes,Les plaisirs et les jeux.Parmi les fleurs de ta bouche vermeille,On voit dessus voler comme une abeilleAmour plein de rigueur;Il est jaloux des douceurs de ta bouche:Car aussi-tôt qu'à tes lèvres je touche,Il me pique le cœur.

En finissant, il laissa aller un soupir, et dit: «Hé bien! ma chère, que vous en semble? y en a-t-il assez? – Oui, certes, dit-elle, et je vous proteste que j'aime infiniment les vers; et si je pouvois avoir pour vous plus d'amitié que je n'en ai, ce seroit le don que vous avez de faire les vers si galamment qui pourroit y contribuer plus qu'autre chose: car je vous avoue que j'ai une grande passion pour les poëtes, et tous les gens d'esprit, ce me semble, en doivent avoir aussi. – J'ai bien de la joie, ma chère, répondit-il, d'avoir quelque chose dans mes qualités intérieures qui vous plaise, et je vous assure que je m'y attacherai avec plus de plaisir, puisque vous y en prenez, et qu'il ne se passera rien de galant dont je ne vous fasse part en vers. – En vérité, je vous serai fort obligée», lui répliqua-t-elle.

Ils se dirent encore de tendres paroles, et se donnèrent quelques raisons, puis ils se séparèrent avec promesse de ne point manquer à l'assignation80. D'abord qu'elle fut de retour dans sa chambre, elle se mit à faire réflexion sur cette affaire. Et comme par hasard, en cherchant quelque chose dans son coffre, elle mit au même temps la main sur les instructions que lui avoit données son ancienne dame, elle les lut avec quelque espèce de chagrin, parce qu'elle y trouvoit son action blâmée; mais qu'y faire? La parole est donnée, et la chose est trop avancée pour s'en dédire. Mais d'autre côté les instructions ont raison, elle va entreprendre une affaire dont elle se pourra repentir; que faire à cela? Elle trouva une fin: c'est qu'elle sacrifia ces instructions au feu, pour n'avoir rien qui lui pût reprocher son procédé. Les voilà donc brûlées, et elle en repos.

Le dimanche cependant approchoit. Elle se hâta de plier ses meilleures nippes dans un petit paquet, et à l'heure assignée elle le prit sous son bras et sortit du château sans être aperçue de personne; à deux cents pas de là elle trouva son amant, qui l'attendoit avec un carrosse à six chevaux, qui firent grande diligence lorsqu'ils furent dedans81. Ainsi, dans moins de deux heures ils furent rendus à sa maison, où il lui avoit fait préparer un appartement magnifique, et où il coucha cette nuit avec elle, et lui ravit ce qu'elle avoit de plus précieux au monde. On la trouva d'abord à dire au château, et on crut qu'elle s'en étoit retournée chez son ancienne dame; on y envoya voir, mais elle n'y étoit pas. La vieille dame s'en mit beaucoup en peine, et Olympe aussi de son côté faisoit tous ses efforts pour savoir si elle n'auroit point été assassinée. Tout cela n'éclaircissoit rien, et je crois qu'on auroit été longtemps sans en savoir de nouvelles, si un des serviteurs de la vieille dame, qui alloit chez le marquis pour s'acquitter d'une commission, ne l'eût vue à la fenêtre. Il n'en fit pas paroître son étonnement, et elle, qui l'avoit aperçu, s'étoit incontinent retirée; mais lorsqu'il fut de retour à son logis, il déclara le tout à la bonne femme, qui du commencement en eut du chagrin, mais qui pourtant s'en consola; néanmoins elle bannit le marquis de sa maison, et ne l'a pas voulu voir depuis. Il ne laissoit pas pour cela de bien passer son temps auprès de sa maîtresse. Et comme il se souvint qu'elle aimoit fort les vers, et qu'il ne cherchoit qu'à la divertir, il lui fit les suivants sur la première nuit qu'il l'avoit possédée.

Or ça, je te tiens, mon cœur,Guillemette mon bonheur,Guillemette ma rebelle,Ma charmante colombelle.Mon cher cœur, voici le temps,Qui nous doit rendre contens,Nous donnant la jouissanceDe notre longue espérance.Donc, à l'honneur de Cypris,Passons cette nuit en ris;Et dans ces douces malices,Nous trouverons nos délices.Quoi! cruelle, qu'attens-tu?Las! que ne me permets-tu,Que ne permets-tu, farouche,Que je te baise la bouche?Las! Guillemette, dis-moi,Dis à mon âme pourquoi,Cruelle, tu me dénieCe que tu as tant d'envie?Tu ne demandes pas mieux,Mais je vois bien que tu veuxD'un front masqué contrefaireLa pudique et la sévère.Ha! tu te veux déguiser,Et tu feins de mépriserMes folâtres gaillardises,Et mes douces mignardises!Mais par tes yeux éclairansComme deux astres naissansDans la céleste voûture,Par ton beau front je te jure,Et par cette bouche encor,Mon plus précieux trésor,Par cette bouche rosine,Par tes lèvres ambrosines;Par tes blonds cheveux épars,Dont l'or fin de toutes partsAu gré du vent par secousseBaise mille fois ta bouche;Par tes deux gentils tetons,Par ces deux gentils boutonsPlus rouges que l'écarlateDont une cerise éclate;Par ce beau sein potelé,Dont je suis ensorcelé:Ne permets pas, je te prie,Qu'ici je perde la vie.Hélas! déjà je suis mort!A moins que d'un prompt effort,Ma chère âme, tu n'appaiseLa chaude ardeur de ma braise.Vénus, prens-moi à merci,Et toi, Cupidon, aussi:Car d'une nouvelle rageFurieusement j'enrage,Rage qui me vient domter,Sans la pouvoir supporter.La priant en cette sorte,D'une façon demi morte,Mes soupirs eurent pouvoirA la fin de l'émouvoir:Ainsi elle fut vaincueEt sa colère abattue.Une charmante pâleurLui fit changer de couleur.Lors elle se prit à dire:Tu as ce que tu désire,Guillemette est toute à toi.Et puis, s'approchant de moi,Sans contrainte elle me baise,Et coup sur coup me rebaise.Enfin, se laissant aller,Elle me vint accoler,Et entre mes bras pâmée,Elle demeura charmée.Alors sur mon lit doré,Mignardement préparé,Dessus la folâtre coucheNous dressons notre escarmouche.Je me déchargeai soudainDe l'ardeur dont j'étois pleinEt de cette ardente flammeQue je sentois dans mon âme.Tout de mon long je me coucheEntre ses bras bouche à bouche.Alors tout doucement j'entreLà-bas, dans ce petit centreOù Cypris fait son séjour,Dedans les vergers d'amour,Vergers qui toujours verdissent,Vergers qui toujours fleurissent.Mais pour cela je ne cesseDe la rebaiser sans cesse,Et nos corps ensemble étraintsSont sans contrainte contraintsD'une mignardise étrangeFaire un amoureux échange,Et doucement haletans,Nos âmes vont se mêlans;Nos languettes fretillardesSe font des guerres mignardes,Et sur le rempart des dentsS'entre-choquent au dedans.Oh! combien de friandises!Oh! combien de paillardisesAperçurent, cette nuit,Et le flambeau et le lit,Seuls témoins de nos délices.Seuls témoins de nos malices,Lors qu'étroitement pressés,Nous nous tenions embrassés,Et qu'une chaleur fondue,Par nos veines épandue,Va d'une douce liqueurAttiédissant sa langueur!Alors je me pris à dire:O Dieux! gardez votre empire,Et jouissez sûrementDe ce haut gouvernement:Moyennant que je te tienne,Moyennant que tu sois mienne,Guillemette, n'aie peurQue j'envie leur grandeur;N'aie peur que je désire,Ni leur ciel, ni leur empire.Ainsi je vais m'égayant,Ainsi je vais m'égarant,Souvent hazardant ma vieEntre ses deux bras ravie.Puis en ses yeux affectésJe noie les miens enchantés.Tantôt de sa chevelureJe fais une entortillure;Puis je baise ses mamellesAussi charmantes et bellesQue celles de la Cypris;Puis, de grand amour épris,Visant à place plus haute,Dessus son beau col je saute;Puis après, d'un coup de dentJe vais sa gorge mordant,Et d'une main fretillardePar l'obscurité j'hasardeDe tâter les piliers nusDont ses flancs, sont soutenus;Flancs où, sous garde fidelle,Amour fait sa sentinelle,Portier de ce lieu sacréA sa mère consacré.Enfin de mille manières,Dans ces amoureux mystères,Folâtres, nous nous baisons,Et jouant contrefaisonsLes amours des colombelles,Et celles des tourterelles;Et à l'envi furieux,Et à l'envi amoureux,Par nos bouches haletantesNos deux âmes languissantesD'un doux entrelacementSe rassemblant doucement,Et de leurs corps homicidesTour à tour les laissent vuides.Ainsi nous nous combattions,Comme vaillans champions,Non pas sans sueur et peine,Ne même sans perdre haleine,Quand enfin, les nerfs lassés,Et les membres harassés,Lorsque, l'humeur découlante,Et ma vigueur défaillante,Sans cœur, sans force et vertu,Enfin je fus abattu.A l'instant mon chef j'inclineSur sa douillette poitrine,Où un sommeil gracieuxMe ferma bien-tôt les yeux.Lors, voyant que je reposeD'une un peu trop longue pause,Elle me sait reveillerSans me laisser sommeiller.Comment! me dit-elle alors,Comment donc, lâche, tu dors!Comment donc, tu te reposes!Lors, les paupières écloses,A ces mots me relevantPlus dispos qu'auparavant,Je me saisis de mes armes,Et d'abord donnai l'alarme,Et d'une grande furieJe perçai sa batterie.Blessée d'un coup si doux,Elle redouble ses coups.Chacun de sa part s'efforceDe faire valoir sa force,Et chacun, de son pouvoir,S'acquitta de son devoir:Par de petites secousses,Par réciproques repousses,Chacun mêle de sa partQuelque petit tour paillard,Et de cent façons jouéeVénus est contr'imitée.Cent mille fois je t'honore,Nuit que je révère encore,Nuit heureuse, dont les DieuxDoivent être bien envieux,Nuit que Cypris immortelleNe peut promettre plus belle!O claires obscurités!O ténébreuses clartés!Qu'entre tant de friandises,Qu'entre tant de faveurs prises,Tant de faveurs, tant d'ébats,Tant de glorieux combats,Tant de soupirs, tant de crainte,Tant de baisers sans contrainte,Tant d'étroites liaisons,Tant de douces pâmoisons,Tant de baisers, tant d'injures,Tant de friandes morsures,Tant de plaisans déplaisirs,Tant d'agréables plaisirs,Tant de belles gayetés,Tant de douces cruautés,Tant de folâtres malices,Tant de paillardes délices,Tant de copieux combats,Qu'entre tant de vifs trépas,Et tant de douceur sucrée,O nuit, nous t'avons passée!

Elle les trouva fort agréables, et eut de la joie de les lire; elle l'en paya de la même monnoie qu'elle payoit tous les bienfaits qu'elle avoit reçus de lui; et ainsi, selon toutes les apparences, ils passoient leur temps assez agréablement. Cela dura un petit espace de temps assez considérable, sans que ce cher couple songeât à autre chose. Le marquis fit un voyage en cour, après quoi il s'en revint plus amoureux qu'auparavant. Sur ces entrefaites, le juge d'un des principaux villages du marquis devint veuf. D'abord il songea à remplir cette place avec sa Guillemette. C'étoit un honnête homme, fort riche, et encore jeune; mais la difficulté étoit de savoir si le juge voudroit bien prendre les restes de son seigneur. Il espéroit pourtant de le gagner. Il en communiqua pour cet effet avec Guillemette, et lui représenta que c'étoit un parti fort avantageux pour elle, que cela répareroit son honneur, et ne nuiroit en rien à leur commerce. «Car enfin, ma chère, lui disoit-il, ce n'est que pour votre bien. Et ne croyez pas que je vous abandonne: non, j'abandonnerois plutôt tout mon bien, et trop heureux encore de vous posséder pour l'unique qui me resteroit; ce n'est donc que pour votre fortune, et pour tenir nos intrigues plus à couvert. Si vous le jugez ainsi pour votre bien, nous ferons nos efforts pour l'attirer.» Elle convint de la force de ses raisons, et le remercia de ses bons soins, lui promettant de bien jouer son personnage pour attirer ce pigeon à son pigeonnier; mais à bon chat bon rat.

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