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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III
Ces vers piquèrent un peu celle pour qui ils avoient été faits; mais comme elle étoit au-dessus de ces petits reproches et qu'elle s'étoit familiarisée avec son marquis, elle ne s'en mit pas fort en peine, et, résolue désormais de laisser parler le monde, elle ne songea qu'à goûter les douceurs de la vie et à y chercher de nouveaux raffinements, à quoi elle réussit mieux que femme du monde, comme nous l'allons apprendre dans la suite de cette histoire.»
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Ici les deux textes recommencent à se confondre.
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D'après le P. Laguille, mademoiselle d'Aubigné auroit demeuré, quand elle accompagna à Paris, soit madame de Neuillan, comme l'assure Tallemant (in-8, t. 9, p. 126), soit madame de Villette, soit madame de Navailles, fille de madame de Neuillan, «dans le même quartier où logeoit le fameux Scarron.» Segrais, cité par M. Ed. Fournier dans une note sur ce passage (Var. hist. et littér., VIII, 65), dit aussi que l'intimité s'établit par le voisinage. Scarron demeuroit rue des Saints-Pères, à l'Hôtel de Troie. D'après le P. Laguille, ce seroit madame de Navailles qui auroit proposé à Scarron son mariage.
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Scarron nous a laissé de lui un portrait qui est la meilleure preuve de la fidélité de celui-ci.
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Le poëte avoit deux sœurs, dont l'une épousa, dit-on, secrètement, le duc de Tresmes, père du marquis de Gesvres, ou plutôt fut sa maîtresse. «Scarron disoit de ses deux sœurs que l'une aimoit le vin et l'autre aimoit les hommes. On savoit qu'il n'avoit que ces deux sœurs et qu'elles n'étoient point mariées.» (Segraisiana, p. 58.)
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On a deux lettres de Scarron à mademoiselle d'Aubigné: dans l'une elle est nommée; dans l'autre, adressée à ***, on la reconnoît facilement; enfin, dans une troisième, adressée à M. de Villette, Scarron parle de mademoiselle d'Aubigné devenue sa femme, et donne quelques détails précieux qui ne semblent pas avoir été relevés. La première est connue: «Mademoiselle, lui dit le pauvre estropié, je m'étois toujours bien douté que cette petite fille que je vis entrer il y a six mois dans ma chambre avec une robe trop courte, et qui se mit à pleurer, je ne sçay pas bien pourquoy, estoit aussi spirituelle qu'elle en avoit la mine. La lettre que vous avez écrite à madame de Saint-Hermine est si pleine d'esprit que je suis mal content du mien de ne m'avoir pas fait connoître assez tout le mérite du vôtre. Pour vous dire vray, je n'eusse jamais cru que dans les îles de l'Amérique ou chez les religieuses de Niort on apprît à faire de belles lettres.» (Dernières œuvres de M. Scarron, t. I, p 11.) Dans la seconde, nous remarquons les passages suivants: «Vous êtes devenue malade de la fièvre tierce; si elle se tourne en quarte, nous en aurons pour tout notre hiver, car vous ne devez point douter qu'elle ne me fasse autant de mal qu'à vous… Je me fie bien à mes forces, accablé de maux comme je suis, de prendre tant de part dans les vôtres. Je ne sçay si je n'aurois point mieux fait de me défier de vous la première fois que je vous vis. Je le devois, à en juger par l'événement. Mais aussi, quelle apparence y avoit-il qu'une jeune fille dût troubler l'esprit d'un vieil garçon?..
Tandis que, la cuisse étendue,Dans un lit toute nueVous reposez votre corps blanc et grasEntre deux sales draps,Moy, malheureux pauvre homme,Sans pouvoir faire un sommeEntre mes draps, qui sont sales aussy,Je veille en grand soucy.Tout cela pour vous aimer plus que je ne pensois. La male peste! que je vous aime! et que c'est une sottise que d'aimer tant! Comment, vertu de ma vie! à tout moment il me prend envie d'aller en Poitou, et par le froid qu'il fait! N'est-ce pas une forcenerie!» (Dernières œuvres, t. 1, p. 23.) La troisième est datée du 12 novembre 1659. Scarron écrit à M. de Villette: «Madame Scarron est bien malheureuse de n'avoir pas assez de bien et d'équipage pour aller où elle voudroit, quand un si grand bonheur lui est offert que celuy d'estre souhaitée à Brouage par une mademoiselle de Mancini… J'espère qu'elle se r'acquittera d'une si grande perte quand la cour sera retournée à Paris… Paris est désert autant que votre Brouage est remply. Je ne m'en apperçois point dans nostre petite maison. On fait dire tous les jours aux princes, ducs et officiers de la couronne qu'on ne voit personne, et l'ambition d'être admis dans notre petite société commence à être grande et à s'échauffer furieusement dans la cour et dans la ville…»
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La date du mariage de Scarron s'est trouvée, pour des écrivains superficiels, dans ce passage de Segrais: «Scarron se maria en 1650, et cette année plusieurs personnes d'esprit se marièrent aussi comme lui… Cela fit dire à madame de Rambouillet qu'elle craignoit que l'envie ne lui prît aussi de se marier.» (Segraisiana, p. 100.) Or, premièrement madame de Rambouillet n'étoit pas encore veuve à ce moment, et la plaisanterie ne s'expliqueroit pas de sa part étant mariée; ensuite Segrais dit, en parlant du projet qu'avoit formé Scarron d'aller en Amérique, que, cette année, il demanda la main de mademoiselle d'Aubigné et que le mariage se fit deux ans après. Ce sont là de purs commérages. Loret est bien mieux renseigné. Dans sa Gazette du 31 décembre 1651, il dit:
Monsieur Scarron, dit-on, se piqueDe transporter en AmériqueSon corps meigret, foible et menu.Il ajoute que sa sœur, Céleste Scarron, doit l'accompagner, et ne dit mot de sa femme, dont il n'eût pu manquer de parler si Scarron eût été marié. – Dans sa lettre du 14 juin il écrit que Scarron vient de perdre un procès important contre la seconde femme de son père,
Dont il se plaint mal à propos,Car enfin, ledit personnageAyant contracté mariageAvec une epouze ou moitiéQu'il a prise par amitié,il doit plutôt se féliciter de voir finir, avec son procès, ses embarras. Scarron, qui n'étoit pas marié le 31 décembre 1651, est donc marié le 14 juin 1652. Mais depuis quand? La Lettre du 9 novembre suivant nous l'apprend à peu près. Loret rappelle ce qu'il a dit dans ses lettres du 14 juin et du 5 octobre, et il ajoute:
Or j'ay maintenant à vous direQue cet autheur à faire rire,Nonobstant son corps maladif,Est devenu generatif;Car un sien amy tient sans feinteQue sadite espouse est enceinteDe trois ou quatre mois et plus;Et puis, dites qu'il est perclus!Le fait rapporté par Loret étoit une grossière plaisanterie. Mais une grossesse de trois ou quatre mois supposoit bien alors que le mariage s'étoit fait vers le mois de juin, au temps même où Loret en a parlé pour la première fois. – Le P. Laguille s'est également trompé en donnant pour date 1649 ou 1650.
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Malgré le bruit qui courut et que nous avons rappelé dans la note précédente, madame Scarron ne fut jamais mariée que de nom. C'est ce qu'elle dit elle-même dans une lettre à son frère: «Vous savez bien que je n'ai jamais été mariée.» – «Elle est vefve sans avoir été femme», dit Somaize. (Dict. des Précieuses, t. 1, p. 221.)
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Var.: Après ces mots: «ils achevèrent leur mariage», et avant ceux-ci: «le traita d'abord du haut en bas», on trouve cette variante dans l'autre édition:
«Mais il se trouva déçu, car ce qu'il avoit cru être son bonheur ne fut que le contraire: il trouva la brèche toute faite, et qu'un autre ou plusieurs avoient monté à l'assaut. Il s'en plaignit à elle, qui le traita d'abord du haut en bas…»
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On a, dans certaines éditions, remplacé par le mot figure le mot posture qui se trouve ici. Appliqué à Scarron, posture étoit bien le mot propre, dans le sens qu'il avoit alors. On connoît le ballet des Postures. On disoit: les postures de l'Arétin, etc.
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Madame Scarron eut toujours pour son mari les soins les plus dévoués, et, si Scarron ne parloit d'elle qu'avec reconnoissance et respect, elle-même, dit Segrais, plus croyable quand il rapporte des faits que quand il donne des dates, témoigna toujours à lui et à tous ses amis les plus grands égards; elle conserva toujours pour lui ce sentiment de pitié qui lui avoit fait verser des larmes quand elle le vit la première fois. Scarron en parle sans cesse dans ses lettres à Pellisson.
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A la mort de Scarron, sa veuve hérita, sans nul doute, de son mobilier, qui étoit assez élégant, dit Segrais, et valoit bien cinq à six mille livres. Elle le vendit, et Segrais rapporte même qu'il vit emporter cette chaise particulière sur laquelle les portraits de Scarron le représentent huché, avec son cou tordu et sa tête forcément baissée. Madame Fouquet lui obtint ensuite, dit M. Walckenaër (Mém. sur madame de Sévigné), une pension de 1,600 livres. Enfin, la reine Anne d'Autriche lui continua une pension de 2,000 livres que touchoit son mari, à la demande, selon le P. Laguille, du marquis de Puiguilhem (Lauzun), qui dit à la reine «qu'il avoit vu exécuter les meubles d'une jeune dame qui lui avoit fait pitié»; et, selon madame de Caylus, à la prière de M. de La Garde.
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Réduite à la misère par la mort de son mari, parce que la pension que lui faisoit la Reine cessa bientôt de lui être payée, madame Scarron se retira dans un couvent, «à la Charité des femmes, dit Tallemant, vers la place Royale, par le crédit de la maréchale d'Aumont, qui y a une chambre meublée, qu'elle lui prêta.» M. de Monmerqué rectifie Tallemant, et nomme la maréchale d'Albret au lieu de la maréchale d'Aumont. (Voy., pour plus de détails, Ed. Fournier, notes sur le Mémoire du P. Laguille, dans les Variétés histor. et littér., t. 8, p. 30.)
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C'est par madame de Thianges, sa sœur, que madame de Montespan connut madame Scarron. Elle lui obtint d'abord du Roi le rétablissement de sa pension, que Louis XIV lui rendit, avec ces paroles: «Madame, je vous ai fait attendre bien longtemps. J'ai été jaloux de vos amis, et j'ai voulu avoir ce mérite auprès de vous.» (Voy. Walckenaër, Mémoires sur madame de Sévigné, t. 3. p. 95-97, et t. 5, ch. 11 et les notes. Cf. Somaize, Dict. des Précieuses, t. 1, p. 221.)
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Madame Scarron devoit accompagner la princesse de Nemours, qui alloit faire en Portugal ce mariage qui fut cassé pour fait d'impuissance de la part de son mari, et madame Scarron auroit été sous les ordres de la dame d'honneur de la princesse. (Voy. les Mém. de madem. de Montpensier.)
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On sait que madame de Montespan s'attacha madame Scarron pour faire la première éducation des enfants qu'elle avoit eus du Roi. (Cf. Mém. du P. Laguille et les notes de M. Ed. Fournier.)
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Le fait rapporté ici semble inexact. En effet, déjà en 1669 nous trouvons sur l'Etat de la France M. Vallot, premier médecin, aux gages de 3,000 livres. Des huit médecins servant par quartier qui l'assistoient, aux gages de 1,200 livres, le premier nommé est «le sieur Daquin, et son fils en survivance». M. Daquin sembloit donc être naturellement désigné pour remplacer M. Vallot, et celui-ci, qui, au dire du pamphlétaire, seroit mort avant d'avoir obtenu la place, l'exerça réellement.
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Voy. la note précédente.
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Mademoiselle Scarron. Il faudroit dire: madame Scarron, puisque son mari étoit noble et qu'elle-même étoit noble aussi. Le titre de mademoiselle se donnoit aux filles nobles ou aux femmes qui n'étoient pas nobles.
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Pendant deux ans il y eut entre madame Scarron et madame de Montespan une lutte cachée qu'elles tenoient l'une et l'autre à laisser ignorer sinon du Roi, qui intervint souvent, mais du monde. Le secret ne commença guère à percer parmi les courtisans que lors du voyage de madame de Maintenon et du duc du Maine à Baréges. Madame de Sévigné ne manqua pas, dès qu'elle le connut, d'en instruire sa fille. (Voy. Mémoires sur mad. de Sévigné, t. 5, ch. XI.)
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Var.: Ici l'édition 1754 intercale le passage suivant:
«Le Roi ne se contenta pas de recommander à madame de Montespan de la distinguer, il la distingua si bien lui-même qu'il donna ordre à un généalogiste de la faire descendre de Jeanne d'Albret, reine de Navarre, qui, après la mort du Roi son époux, se maria en secret avec un de ses gentilshommes, qui fut, à ce qu'on prétend, le père de M. d'Aubigné, grand-père de madame de Maintenon. Après cela, le Roi prenoit un tel plaisir…»
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Il est fort peu probable que Louis XIV ait offert ainsi son royaume à une femme qu'il pouvoit à peine souffrir dans les premiers temps des rapports de madame de Montespan avec elle. Tout le monde sait quelle antipathie madame Scarron inspiroit d'abord au Roi.
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Rien ne le prouve, au contraire, et ce passage d'une lettre souvent citée de madame de Maintenon est assez clair: «Je le renvoie souvent triste, mais jamais désespéré.»
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«Il est vrai que le Roi m'a appelée madame de Maintenon, et que je ferois bien autre chose pour lui que de changer de nom.» A en croire Saint-Simon, ce titre ne fut obtenu du Roi qu'à la suite de négociations où le Roi auroit parlé de madame Scarron en des termes fort opposés à l'estime qu'il avoit pour elle.
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On lit dans Madame de Maintenon peinte par elle-même: «C'étoit à une réponse bien naturelle du duc du Maine que madame de Maintenon avoit dû le premier bienfait de Louis XIV. Le Roi, dit madame de Maintenon, causant et jouant avec cet enfant, lui dit qu'il le trouvoit bien raisonnable. – Comment ne le serois-je pas? dit ce jeune prince, je suis élevé par la raison même. – Allez, lui dit le Roi, allez lui dire que je lui donne cent mille francs pour vos dragées. Sa pension de gouvernante n'étoit alors que de deux mille francs; le Roi la porta à deux mille écus.»
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Le marquis de Maintenon étoit de la famille d'Angennes, d'où sont sortis les Rambouillet, les Montlouet, les du Fargis, etc. Charles-François d'Angennes, marquis de Maintenon, qui vendit son marquisat à la veuve de Scarron, étoit fils de Louis d'Angennes de Rochefort de Salvert, marquis de Maintenon, baron de Meslay, etc., qui avoit épousé en 1640 Marie Leclerc du Tremblay, nièce du fameux P. Joseph et fille du gouverneur de la Bastille. Louis de Maintenon étoit mort en 1658. Charles son fils fut nommé gouverneur de Marie-Galande en 1679 et conserva son emploi jusqu'au 1er janvier 1685. Il épousa Catherine Giraud, fille d'un capitaine de la milice de l'île Saint-Christophe, et c'est par son fils que se continua, au 18e siècle, cette dernière branche, qui survécut à toutes les autres de la famille d'Angennes.
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Var.: L'édition de 1754 intercale encore ici quelques lignes. Après avoir dit: Le roi… n'épargna rien pour le rendre agréable à sa vieille», le romancier ajoute:
«Il y fit des dépenses innombrables et prodigieuses; il y fit aller des eaux, que, pour y faire rendre, il a fallu faire monter les montagnes et les traverser; il joignit, pour cet effet, les montagnes ensemble, par des travaux si pénibles à son pauvre peuple, qu'il en coûta la vie à plus de soixante mille âmes, et tout cela pour assouvir l'insatiable passion qui l'a toujours possédé.»
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Voy. note 101 ci-dessus, p. 130.
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Le parti religieux eut, à n'en pas douter, une très grande part dans l'élévation, assez peu rapide d'ailleurs, de madame de Maintenon. Ce parti étoit très contraire à madame de Montespan, mais ménageoit encore la favorite en la combattant. C'est seulement lorsque le crédit de madame de Maintenon fut établi d'une manière inébranlable que le refus d'absolution opposé à Louis XIV par son confesseur (carême de 1675, du 27 février au 14 avril) amena une séparation entre les deux amants. Madame de Maintenon étoit alors à Baréges. Le dissentiment qui existoit entre elle et madame de Montespan éclata alors, et alors aussi furent écrites par madame de Sévigné à sa fille les lettres que nous avons rappelées (note 101 ci-dessus, p. 130).
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Le P. de La Chaise ne succéda au P. Ferrier dans l'emploi de confesseur du Roi qu'en 1675. C'est assez dire qu'il n'arriva à l'oreille du Roi que quand madame de Maintenon étoit déjà en grande faveur. Les lettres de madame de Maintenon montrent de sa part fort peu de goût pour le révérend Père.
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Le P. Bourdaloue paroît avoir eu peu d'influence sur l'élévation de madame de Maintenon, si ce n'est par les sermons qu'il prêcha à la cour pendant plusieurs carêmes de suite à partir de 1669.
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Il est faux que madame de Maintenon ait pris pour directeur un jésuite. Son directeur est bien connu: c'est l'abbé Gobelin, après la mort duquel elle prit les conseils de Godet-Desmarets, évêque de Chartres. «Elle avoit bien choisi, comme le remarque M. Walckenaer; ni l'un ni l'autre n'ambitionnoient ni la gloire de l'éloquence, ni les hautes dignités de l'Eglise; ni l'un ni l'autre n'appartenoient à l'ordre trop puissant des Jésuites.» (Mém. sur mad. de Sévigné, 5, p. 430, notes.)
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Nous ne savons trop ce que veut dire l'auteur quand il parle du tiers-ordre des jésuites, où se seroit fait admettre madame de Maintenon. Il y a en effet trois ordres de jésuites, et le troisième comprend ceux qu'on appelle les écoliers; ils conservent la jouissance et l'administration de leurs biens, et peuvent même, en France, réclamer le partage des héritages de leur famille. Mais nous ne sachons pas qu'on y ait admis des femmes.
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Var.: Nous reproduisons encore ici tous les développements donnés à cette ridicule calomnie par l'édition de 1754:
«Cela n'étoit encore pas assez au goût des Jésuites, qui, ayant su de son confesseur (car dans de telles occasions ces gens-là ne gardent jamais le secret, parce qu'il y va de l'utilité de l'Ordre) qu'elle étoit fort attachée aux plaisirs de la chair et qu'elle entretenoit un commerce amoureux avec un de ses domestiques, ils le prièrent unanimement, dans une assemblée qu'ils eurent au collége de Montaigu, de travailler à faire pour lui-même cette conquête, afin de l'avoir plus fermement dans leurs rets. Il leur promit de faire tout son possible pour l'avancement de la sainte société, et en effet il ne s'y épargna pas. Pour mieux y parvenir, il s'attacha à mieux découvrir les replis de sa conscience; et, bien loin de la blâmer de son péché favori, il l'assura qu'il n'étoit point punissable, d'autant qu'elle étoit obligée de s'entretenir dans les leçons amoureuses afin de pouvoir se rendre plus utile au fils aîné de l'Eglise. Les pécheurs aiment ordinairement à être flattés dans leurs crimes et à trouver moyen de se damner avec plaisir. C'est là le chemin que tous les nouveaux casuistes font suivre à leurs pénitents, et ils ne se servent de ce sacré tribunal, qui doit être un instrument à sauver les hommes, que pour les damner. Il ne faut donc pas s'étonner si la Maintenon s'abandonnoit à eux, puisqu'ils ont un si rare secret. Mais elle n'eut pas plus tôt goûté les douceurs et les bontés du père La Chaise dans la confession, qu'elle n'en voulut plus d'autre; en effet, elle s'en est toujours depuis servie. Cependant il avoit promis de se faire pour lui-même une conquête d'amour; et, pour en venir à bout, il s'étoit défait, pour des raisons de conscience, de tous les domestiques qu'il avoit vus dans sa maison n'être pas attachés à la Société; et, comme un sage directeur, il employa de ses créatures, et, entre autres, deux sœurs dolentes de la Société, qui avoient l'esprit insinuant, et qui, en peu de temps, eurent gagné les bonnes grâces et les confidences de la Maintenon, qui se servoit aussi, en revanche, d'elles, pour ses affaires amoureuses. Par leur moyen, le père La Chaise étoit éclairé de tout et prenoit ses mesures là-dessus. Un jour le domestique dont elle se servoit dans son exercice amoureux fut pour deux jours à la campagne, avec sa permission; mais soit qu'il y rencontrât quelqu'un de connoissance ou qu'il voulût gagner de nouvelles forces, il y demeura beaucoup plus; et il y avoit déjà six jours qu'il étoit absent quand madame de Maintenon, qui n'étoit pas accoutumée à un si long jeûne, lui écrivit un billet et le donna à sa fille confidente pour le lui faire tenir.
«D'abord cette fille le porta au révérend père La Chaise; ils se renfermèrent tous deux dans sa chambre, et, après l'avoir ouvert, ils y lurent:
«En vérité, mon cœur, tu n'as guère d'amour pour moi, et si tu mesurois ton impatience à la mienne, tu serois retourné dès le premier jour. Pour moi, je t'avoue que je suis au désespoir de t'avoir donné congé, et encore plus de ce que tu ne viens point. Il faut ou que tu ne m'aimes pas, ou que tu sois mort, de rester si longtemps. Reviens donc, mon cher, et ne me laisse pas seule auprès du Roi, que je n'aime pas la dixième partie tant que toi; et si tu ne veux pas me trouver bien mal, ou morte, viens à minuit, droit dans ma chambre; je donnerai ordre que la porte soit ouverte pour te laisser entrer. Adieu, ma vie.
«Eh bien! dit le Père, que vous en semble? – Moi, lui dit-elle, je ne sais, sinon que vous me la rendiez pour la lui faire tenir. – Non, dit-il, pas cela, mais il s'agit ici de me rendre un service.» Elle n'eut pas de peine à le lui promettre. «C'est, continua-t-il, que je m'en vais lui en écrire une sous un nom supposé, afin qu'il ne vienne pas de sitôt, et je me rendrai moi-même dans votre antichambre à l'heure qu'elle marque, d'où vous m'introduirez dans son lit. Je suis de sa taille et je mets sur moi les événements de l'affaire.»
«La chose ainsi résolue, il se hâta d'écrire la lettre, qu'il donna pour faire tenir en place de l'autre. Elle étoit conçue en ces termes:
«Monsieur, j'ai un regret sensible de vous apprendre une méchante nouvelle. Votre père est à l'article de la mort. Je l'ai aujourd'hui confessé et lui ai donné le saint viatique. Il m'a prié par trois ou quatre fois de vous écrire qu'il a quelque chose à vous communiquer avant sa mort; partez donc pour vous rendre ici incontinent la présente reçue, parce qu'il est encore en son bon sens, et si vous ne perdez point de temps, selon que nous pouvons juger par les apparences, vous en aurez encore pour lui parler. Je suis, etc.