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Madame Putiphar, vol 1 e 2
– Vous n’appellerez pas.
En disant ceci, M. le marquis la repoussa de la fenêtre, puis ferma les serrures au double tour et mit les clefs dans ses poches.
– D’ailleurs, vous voici enfermée avec moi; on n’entrera ici qu’en effondrant les portes: résignez-vous.
Déborah, désespérée, se jeta presque évanouie sur un sopha.
– Mais vous êtes un enfant de vous faire tant de mal pour si peu; mais vous êtes une folle de vouloir faire une scène nocturne, voici neuf heures bientôt, une scène qui vous perdroit de réputation. Nous sommes seuls ici, tout à nous, rien qu’à nous! Personne au monde ne sait ni ne saura que je suis auprès de vous: jamais amours furent-elles plus secrètes, jamais amours furent-elles plus environnées de nuées, et promirent-elles plus de plaisirs! car il n’y a de plaisirs vrais que dans le mystérieux et le soudain. Allons, ma Diane, laissez-vous aller, laissez aller ce beau corps au spasme du plaisir! le plaisir est rare et infidèle, souvent on se donne beaucoup de peines et de fatigues pour le goûter enfin: vous l’avez à vos pieds, qui se consume, cueillez-le!.. Follement, vous combattez contre vous-même: je vois bien que vous êtes enflammée aussi; votre front est pâle, vos yeux étincellent de désirs, votre sein bat doucement dans sa prison, vos mains comme des charbons brûlent mes lèvres, vous frémissez à mes attouchements! Ah! je meurs! rendez-moi caresse pour caresse!.. mêlons notre âme, notre vie, notre jeunesse!.. Un baiser, un seul… et je serai un demi-dieu!
Que vous êtes cruelle, madame!..
– Que vous êtes dangereux!
– Que vous me faites souffrir! Caresses, pleurs, menaces, désespoir, rien ne peut donc sur vous?
– Rien; Dieu m’assiste, je ne succomberai pas.
– Vous êtes une muraille!
– Contre laquelle vous vous brisez, monsieur.
– Je vois avec peine que vous avez votre éducation à refaire, madame; vous avez toujours vécu éloignée de la Cour, vous êtes garnie de préjugés bourgeois et de mœurs provinciales; vous auriez un beau succès de ridicule à Versailles.
– C’est le seul qu’une honnête femme puisse envier en ce lieu.
– Pourtant si ce n’étoit votre sauvagerie, votre beauté vous y donneroit de tout autres droits, ce n’est que là que vous pourriez paroître dans toute votre splendeur.
– Recevez mes compliments, votre luth de séduction n’est pas monotone: sans résultat vous avez touché la corde de la passion, maintenant vous essayez celle de l’orgueil.
– Votre amant, ou votre époux comme vous le nommez, n’est qu’un simple mousquetaire; je suis mieux que cela: ma parole est de poids, mon bras est puissant; si vous lui portez quelque intérêt, à ce pauvre garçon, si votre destinée est liée à la sienne, pourroit-il vous être indifférent de le voir prospérer, de le voir monter au faîte des faveurs et de la fortune?
– A merveille! Maintenant, voici que résonne la corde de l’ambition.
– Auriez-vous fait, par hasard, des projets de fidélité conjugale, en quittant votre île? Mon Dieu! qu’on est arriéré dans votre Irlande! Mais ce seroit un meurtre que tant de perfections, tant de beautés, si bien faites pour être célèbres, passassent incognito sur cette terre. La femme est le plus bel instrument créé; mais abandonnée à elle-même, c’est le meuble le plus morne et le plus insignifiant. Pour mettre en jeu la poésie et l’harmonie qu’elle recèle, il faut, comme au clavecin, qu’une main habile se promène sur son clavier d’ivoire; il faut qu’une bouche amoureuse l’anime de son souffle, comme un haut-bois.
– Vous êtes infatigable.
– Ce n’est qu’un titre de plus, mylady.
– Vous êtes impudent!
– Qui n’est pas impudent ne sera jamais seigneur en amour.
– A ce compte, vous devez y être roi.
– Roi et roué, madame.
Petit à petit le marquis s’étoit glissé doucement sur le canapé, aux côtés de Déborah, et cherchoit à lui saisir la taille et les mains.
– Laissez-moi, monsieur, ne m’approchez pas; je vous le dis, touts vos efforts sont vains. Allez-vous recommencer vos assauts? Vous êtes un fou!
– Ah! que n’êtes-vous une folle, nous serions plus sages touts les deux: moi, je ne m’acharnerois pas à vouloir attendrir un cœur de marbre, et à semer mon grain parmi les pierres; vous, mistress, vous ne laisseriez pas s’écouler en paroles et en simagrées, un temps qui, pour notre bonheur mutuel, pourroit être si délicieusement employé. Que de caresses déjà nous eussions dû échanger! que de baisers déjà nous eussions dû cueillir, que de pâmoisons!.. A propos, aimez-vous les estampes, belle miss? Tenez, j’ai là sur moi un livre plein d’excellentes gravures, dont les dessins sont attribués à Clodion. Approchez la bougie, tenez, voyez.
Le marquis de Villepastour avoit tiré de sa poche un petit livre richement relié, et il le présentoit ouvert à Déborah; c’étoit une de ces compositions dégoûtantes d’obscénité, ornées de dessins, pour l’intelligence et l’illustration du texte, comme il s’en fabriquoit et s’en consommoit tant à cette époque immonde. Elle laissa tomber dessus un regard confiant, qu’elle détourna aussitôt, en jetant un cri d’horreur, et en repoussant au loin cette ordure. Le marquis courut la ramasser soigneusement, en riant jusqu’aux larmes de sa fine plaisanterie.
– Voilà donc le cas, belle dame, que vous faites des Heures de Cythère?..
– Monsieur, vous avez tout mon dégoût et tout mon mépris!
– Ces gravures sont vraiment fort belles; à la Cour, elles ont été très-goûtées: les Dames du Palais de la Reine en ont fait leurs délices; et je tiens celui-ci d’une Dame d’honneur. – M. le maréchal prince de Soubise, maréchal surtout en cette matière, avoit souscrit, à lui seul, pour deux cents exemplaires.
Si madame veut en accepter l’hommage?..
– Vous me faites horreur! Ne m’approchez pas, ou je crie au feu. Partez, laissez-moi, vous vous êtes fourvoyé; vos pareils n’ont que faire ici. Je vous l’ai dit: je ne vous serai jamais rien!
– Pardon, vous me serez une victime.
Il est déjà dix heures passées, volontiers je coucherois en votre lit, si, auprès d’une inspirée Judith comme vous, je n’avois à redouter la parodie d’Holopherne. Bonsoir!
Le marquis, s’étant renveloppé de son manteau, fit plusieurs salutations dérisoires et se retira, gonflé de colère et de dépit, qu’il s’étoit efforcé à déguiser.
XVIII
Quand le lendemain Patrick vint visiter Déborah, il la trouva agitée et désolée encore des affronts et des terreurs de la veille.
– Qu’avez-vous, que vous est-il donc arrivé, mon amie? lui dit-il en la baisant au front; vous avez l’air chagrin.
– Hier, mon bon Pat, j’ai bien souffert de votre absence.
– J’aime votre tendresse, et pourtant je la blâmerai: vous n’eussiez pas dû vous alarmer à ce point, la chose n’avoit rien de grave: pour un mot, pour une peccadille, M. de Gave de Villepastour m’avoit consigné au quartier, et mis aux arrêts pour vingt-quatre heures, comme je vous l’ai écrit: c’est là tout, en vérité!
Déborah se garda bien de rendre franchise pour franchise, et de dévoiler l’attentat dont elle avoit été l’objet. La sensibilité de Patrick en auroit été trop affectée; son esprit ombrageux en auroit conçu trop de crainte et de colère, et se seroit consumé dans de mortelles angoisses. A quoi bon d’ailleurs troubler la paix de son âme? Une amante peut être excusable de semer de la jalousie dans un cœur, pour réveiller un amour qui s’y éteint, mais en semer à plaisir dans un cœur exalté et pénétré d’une passion profonde, c’eût été d’une barbarie dont les femmes légères ne se rendent que trop coupables, mais impossible à Déborah. Au surplus, non par calcul, mais par devoir, se fût-elle crue dans l’obligation d’en faire l’aveu, qu’elle ne l’eût pas fait en ce moment, de peur de l’accabler; car lui-même paroissoit soucieux.
– Vous êtes préoccupé de quelque sombre pensée, Patrick: quelqu’un ou quelque chose vous a blessé? Quand vous avez l’âme froissée, vous le savez, cela se lit couramment dans vos yeux.
– Je suis, il est vrai, encore tout consterné d’un événement qui m’a rempli de tristesse: Fitz-Harris hier a été arrêté par lettre-de-cachet, et conduit à la Bastille.
– Pour quel crime?
– Fitz-Harris, vous êtes injuste envers lui, n’est point capable d’un crime. Son forfait est assez imaginaire, mais probable. Vous savez combien il est indiscret, bavard, médisant; vous connoissez son application à colporter des épigrammes et des anas scandaleux; il appelleroit, je crois, un bon mot, une parole même qui lui feroit tomber la tête. Dernièrement, à s’en rapporter à l’accusation, il auroit dans un salon récité un quatrain diffamatoire sur madame Putiphar; ce quatrain sans doute depuis long-temps traînoit à la Cour et à la ville. Malencontreusement un agent secret de M. de Sartines se trouvoit à cette soirée, et l’a vendu.
– Je ne vois pas là de quoi vous désoler. Il manquoit aux fables de Fitz-Harris une morale qu’il a trouvée enfin: la Bastille. Il y gagnera peut-être un peu de réserve: c’est une leçon salutaire.
– Dites une leçon terrible: une fois entré, nul ne sait s’il en sortira.
– Ah! ce seroit affreux!..
– Au déjeûner, ce matin, j’ai été déchiré de l’air facétieux avec lequel nos compagnons, et ses soi-disant amis même, ont parlé de sa mésaventure. Ils ont poussé la lâcheté jusqu’à le blâmer d’avoir poursuivi de ses sarcasmes la candide madame Putiphar, qu’ils ont plainte tendrement; ils sont allés jusque-là d’en faire l’apologie, eux qui avoient l’habitude de la couvrir chaque jour de la fange de leurs injures. Oh, mylady, que les hommes sont méprisables! – Je sais bien qu’il n’en est peut-être pas un seul que l’esprit envieux de Fitz-Harris n’ait blessé dans quelque coin du cœur: mais a-t-on jamais droit d’être féroce? Ces messieurs, qui se font une loi de se venger par l’épée, se vengent aussi fort bien par la langue. Ces messieurs, qui se font une loi d’honneur de chercher à arracher la vie à quiconque, même à un ami, qui par hasard les froisseroit, ne se sont pas fait, à ce qu’il paroît, une loi d’honneur de ne point accabler un absent, et de ne point frapper un homme abattu. Pas un n’a exprimé un regret, pas un n’a eu la moindre pensée louable en sa faveur. Malheur à celui qui ne s’est fait des amis que par la terreur que son bras ou sa bouche répand! S’il fait une chute on applaudira. A peine les bûcherons ont-ils abattu un chêne sous lequel venoit se ranger au moindre orage le bétail craintif, qu’il accourt aussitôt brouter et détruire les rameaux qui tant de fois lui avoient prêté un généreux ombrage.
Cette méchanceté, cette hilarité, ce délaissement général, ont fait sur mon cœur de douloureuses impressions, qui m’ont déterminé à prendre le ferme parti de sauver Fitz-Harris.
– Je vous reconnois là, Patrick, toujours noble et grand; mais je doute que cette bonne œuvre soit couronnée de succès.
– Vous savez parfaitement ce que peut la volonté et l’opiniâtreté; vous me l’exprimâtes fort bien autrefois dans un billet. Si je ne réussis pas à lui faire recouvrer sa liberté entière, peut-être réussirai-je à lui abréger sa captivité, et si j’échoue complètement, j’aurai au moins une satisfaction intime; je serai sans reproche.
– Que vous êtes généreux, Patrick!
– Demain, sans plus de retard, j’irai à Choisy, me jeter aux genoux de madame Putiphar: je ferai tant, je l’implorerai si bien, qu’il faudra que son cœur vindicatif se laisse toucher, et qu’elle pardonne, pour la première fois, peut-être.
– Que vous êtes généreux, Patrick! je vous loue; mais ne le faites bien que pour votre satisfaction intime, comme vous disiez tantôt. N’attendez pas que jamais votre générosité soit payée de retour; la générosité n’est pas une monnoie de change: c’est un écu d’or sans effigie; celui qui le reçoit le met à la fonte; c’est une clef d’or qui ouvre aux hommes notre cœur, et qui nous ferme le leur impitoyablement. Quand j’entends une personne en dénigrer ou en calomnier une autre, je suis toujours tentée de lui dire: Vous êtes son obligée, sans doute?.. Ce n’est pas que je veuille détruire en vous un haut sentiment, celui de touts qui rapproche le plus la créature du Créateur: la générosité c’est une parcelle de la Providence. Allez! sauvez Fitz-Harris! mais soyez convaincu que nul au monde ne feroit pour vous ce que vous allez faire pour lui; et Fitz-Harris moins que tout autre assurément.
– Grands-Dieux! Sauriez-vous donc?..
– Je ne sais rien. Mais Fitz-Harris est un être de la pire espèce, un bavard, un homme qui met la lampe sous le boisseau, et qui dit racha à ses frères.
– Qui vous a donc appris?
– Je ne sais rien, vous dis-je; que ce que me dicte mon cœur.
– Alors vous avez une perspicacité qui tient de l’astrologie; vous êtes éclairée par de divins pressentiments; Dieu vous a douée d’une seconde vue.
– Non: Dieu a seulement emprisonné mon âme dans un instrument frêle et sensitif; tout ce qui le heurte l’ébranle et le fait résonner longuement, et ce sont ces vibrations que mon âme écoute.
XIX
En effet, le lendemain matin, Patrick, plus résolu que jamais dans sa courageuse entreprise de tirer Fitz-Harris de sa basse-fosse, se rendit de fort bonne heure au château de Choisy-le-Roi, qui avoit, comme beaucoup d’autres choses royales, passé des mains de feu mademoiselle de Mailly, marquise de Tournelle, duchesse de Château-Roux, aux mains de la Poisson, femme Lenormand, dame Putiphar.
La favorite n’étoit pas encore levée: on vint lui annoncer qu’un mousquetaire du Roi lui demandoit audience. Surprise et intriguée de cette visite si matinale, elle envoya aussitôt sa femme de chambre, madame du Hausset, voir ce qu’il pouvoit être et ce qu’il pouvoit désirer.
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Petrus Borel le Lycanthrope, sa Vie et ses Œuvres, chez René Pincebourde (Bibliothèque Originale, 1865).
2
On vient tout récemment de vendre (février 1877) à l’hôtel Drouot, une collection de Lettres autographes de femmes célèbres des XVIIe et XVIIIe siècles, parmi lesquelles figurait une suite de lettres de madame de Pompadour qui pourraient donner lieu à une publication fort intéressante. Ce sont des lettres d’Antoinette Poisson à son père (de 1741 à 1753), et à son frère M. de Vendières, marquis de Marigny (de 1749 à 1762). On y voit madame de Pompadour jouant Alzire à son théâtre de Choisy, se faisant peindre par Boucher et représenter au pastel par Liotard; parlant de son petit Cochin (Charles Cochin, le dessinateur), des tableaux de Joseph Vernet, de la folie du peintre La Tour. Elle appelle M. de Vendières frérot ou Monseigneur de Marcassin, en déclinant le nom en latin et se décerne à elle-même le petit nom de Reinette. Reinette, cela ne veut-il point dire petite reine, ô marquise? Toujours est-il que ces trente-neuf lettres mises en vente, formant ensemble une soixantaine de pages, composent une piquante, alerte et charmante chronique du temps passé, et que madame de Pompadour s’y montre fort aimable et très-attirante (voyez le Catalogue de cette vente rédigé par M. Gabriel Charavay). C’est tout ce qui reste de cette précieuse collection du cabinet d’un amateur où figuraient aussi Louise de la Fayette, la duchesse de la Châtre, Marie de Hautefort, la princesse de Conti, la duchesse de Porsmouth, etc., etc.: – une Académie de femmes, le Décaméron de l’histoire.
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Voir notre travail sur Camille Desmoulins, Lucile Desmoulins et les Dantonistes (1 vol. in-8, chez Plon, 1872).