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Madame Putiphar, vol 1 e 2
Madame Putiphar, vol 1 e 2

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Madame Putiphar, vol 1 e 2

Язык: Французский
Год издания: 2017
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S’étant égarée plusieurs fois dans son chemin, en rentrant elle trouva Patrick, qui depuis long-temps l’attendoit; follement, ils s’élancèrent dans les bras l’un de l’autre, et confondirent, dans un savoureux baiser, leurs pleurs et leur ivresse. Ils se couvroient des plus tendres caresses, ils échangeoient les mots du plus pur amour. Patrick, après ces premiers transports, s’apperçut du deuil de Déborah; sa joie en fut troublée, des sentiments tristes, des regrets s’y mêlèrent. Déborah demeuroit en admiration devant l’élégance de son ami; la soubreveste de mousquetaire rehaussoit sa riche taille, et faisoit paroître dans touts ses avantages sa belle tête blonde.

Pendant le déjeûner, tour à tour, ils se racontèrent tout ce qui avoit marqué leur existence, tout ce qui leur étoit survenu depuis leur séparation. Déborah, pour détourner l’affliction et le désespoir du cœur de Phadruig, passa sous silence un seul fait, – priant Dieu qu’il fît qu’il l’ignorât toujours, – le jugement des juges de Tralée, et sa condamnation au gibet.

Ce jour même Patrick instala Déborah dans un petit logement de l’hôtel Saint-Papoul, situé rue de Verneuil.

Leur soin le plus empressé fut d’aller remercier le Seigneur, qui avoit protégé leur fuite et leur réunion, et de le prier de bénir leur alliance, de veiller sur eux, jeunes, sans appui, jetés sur une terre étrangère et dissolue, et de les confier à la vigilance de ses Anges, afin qu’ils les détournassent de tout scandale, et qu’ils les gardassent dans touts leurs chemins. Ils passèrent ainsi toute la soirée en dévotion, dans une chapelle obscure de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés; l’église étoit placide et solitaire, une seule lampe veilloit comme eux.

Patrick consacroit à Déborah touts les instants, touts les loisirs que lui laissoit son service militaire: il les employoit auprès d’elle à savourer les voluptés inépuisables de l’amour, de l’amitié, de la vie domestique, de la retraite. Fitz-Harris venoit très-rarement dîner avec eux, ou passer quelques heures en leur compagnie. Depuis long-temps il s’étoit fait un grand refroidissement dans leurs rapports. Les faveurs du colonel pour Patrick, et les marques publiques d’estime qu’il lui donnoit, avoient envenimé le cœur de Fitz-Harris, naturellement envieux. Il le jalousoit pour sa beauté, son esprit, son savoir, et même aussi pour Déborah. D’un autre côté, Patrick n’avoit pas été long à sentir qu’on ne pouvoit faire son ami qu’avec beaucoup de restriction et de réserve d’un homme aussi parleur, aussi conteur que Fitz-Harris: bavard mystérieux, ayant toujours quelque secret à promener d’oreille en oreille, s’épenchant à tout venant, honorant l’univers de ses confidences, et divulgant souvent même à son grand dommage, entraîné par sa monomanie de récit, ses plus délicates intimités, qu’il eût dû enfouir dans le plus profond de son cœur.

XV

Quand le ciel étoit serein, ils sortoient, ils s’en alloient prier dans quelque église qu’ils ne connoissoient point encore, ou visiter quelque monument, quelque musée, quelque promenoir: ils se plaisoient surtout à parcourir les environs de Paris, leurs bois, leurs palais, leurs châteaux.

Un jour, comme ils entroient dans le jardin des Tuileries, ils furent apperçus par M. de Gave de Villepastour, le colonel de Patrick, qui se promenoit sur la terrasse des Gardes.

– Quel heureux mortel que ce Fitz-Whyte! manger du pain des dieux!.. Le voyez-vous passer là-bas, – dit-il à Fitz-Harris, qui se trouvoit auprès de lui, – avec cette corbeille de fleurs au bras?

– Quelle corbeille, mon colonel?

– Quelle corbeille?.. lourdaud!.. Cette Égérie! cette Dryade qui l’accompagne toujours. Vous devez savoir, sans doute, Fitz-Harris, vous qui êtes son Pylade, quelle est cette nymphe aux cheveux d’ébène.

– Aux cheveux d’ébène?.. Mon colonel, le signalement n’est pas très-positif: la famille des ébénacées est très-nombreuse; les naturalistes, mon colonel, distinguent l’ébénier, l’ébénoxyle, le plaqueminier, le paralée, le royen… et de plus, mon colonel, l’ébène rouge, l’ébène verte, l’ébène grise, l’ébène noire, l’ébène blanche. Entendons-nous, la nymphe a-t-elle des cheveux d’ébénier, d’ébénoxile, de plaqueminier, de paralée ou de royen? la nymphe a-t-elle les cheveux rouges, verts, gris, noirs, ou blancs?

– Fitz-Harris, vous faites à pure perte le mauvais plaisant: vous postulez sans doute la place de fou de la Cour? mais, depuis la mort de l’Angely, et du stupide Maranzac, bouffon de feu monseigneur, fils de Louis XIV, l’économat des folies est supprimé.

– Les princes, mon colonel, font aujourd’hui leurs affaires eux-mêmes.

– Déjà plusieurs fois, je les ai rencontrés ensemble. La beauté de cette créature est enchanteresse! Un col blanc comme un cygne!..

– Pardon, mon colonel, si je vous interromps, mais vous n’avez donc pas vu, au château de Choisy-le-Roi, les cygnes noirs de madame Putiphar?

– Si fait: mais ce sont des cygnes mauvais teint, ce sont des cygnes de Cour.

Plaisanterie à part, cette fille est une Vénus!..

– Une Vénus!.. Alors, mon colonel, elle est bonne à faire des pipes turkes.

– Que veux-tu dire?

– Je veux dire des pipes d’écume-de-mer.

– Oui! tout en elle est séduisant: taille fine, petits pieds, peau d’albâtre!..

– Entendons-nous encore, mon colonel, les naturalistes distinguent l’albâtre qui est brun, de l’alabastrite, qui est blanche: si vraiment elle avoit une peau d’albâtre, je vous en demande pardon, elle auroit là un détestable parchemin!

– Mauvais Scaramouche! vous m’assommez avec vos pasquinades! Vous oubliez, je crois, que vous parlez à M. de Gave de Villepastour, votre colonel? Vous me manquez de respect!

– C’est vous qui me manquez… mon colonel; suis-je votre proxénète! Vous vouliez me faire trahir l’amitié: j’ai fait la sourde-oreille. Mais puisque vous le prenez ainsi, après tout, elle est assez grande pour se défendre, je m’en lave les mains: voici donc ce qu’à tout prix vous voulez savoir; – c’est une jeune Irlandoise, d’une haute et noble famille, qui s’est amourachée de Patrick, et l’a suivi en France; elle a vingt ans, elle est belle, elle est chaste: – vous y perdrez votre mythologie, mon colonel; passez outre; – elle habite l’hôtel Saint-Papoul, rue de Verneuil; et si vous désirez la voir, la chose est simple: elle est touts les dimanches à l’abbaye Saint-Germain-des-Prés, à la messe de midi.

– Tout en faisant le Romain, Fitz-Harris, vous êtes un perfide! A votre œil je vois la secrète joie que vous éprouvez à trahir un homme qui vous aime; plus que moi de savoir, vous brûliez de me dire ce que vous feigniez vouloir me taire. C’est une mauvaise action que vous avez faite là. Ce n’est pas la première fois que, sous le masque de l’amitié, vous avez cherché à nuire à Patrick ou à le perdre en mon esprit. Vous êtes un lâche envieux! Ce n’est pas ainsi que Patrick a acquis mon estime, que vous n’aurez jamais.

En disant cela, le colonel lui tourna le dos et s’éloigna. – La leçon étoit dure: Fitz-Harris se mit à siffler en la dévorant.

M. le marquis de Gave de Villepastour étoit le produit incestueux d’un amour de la Régence; la chronique scandaleuse disoit que du sang superfin couloit dans ses veines. Pour certain, un bras puissant, un bras presque royal, dans l’ombre, l’avoit poussé et protégé, et, quoique à peine âgé de vingt-cinq ans, en avoit fait un colonel. Bon chien chasse de race; aussi chassoit-il bien, mais avec un voile et des mitaines, c’est-à-dire qu’il conservoit, jusques en ses déréglements, un décorum que les courtisans fouloient aux pieds. Il lui restoit encore dans ses débauches une façon de pudeur dont les francs roués auroient rougi, et quelques traditions, – je n’ose dire sentiments, – du bien et du mal, du juste et l’injuste, entièrement perdues à la Cour; et qu’il devoit à son précepteur, homme du grand règne, dont, après tout, les leçons rigides n’avoient abouti qu’à faire une espèce d’hypocrite. – En somme, M. le marquis n’étoit qu’un fat, un gentillâtre, plein d’afféterie dans ses manières et dans ses paroles, cérémonieux, complimenteur, faux, ridicule et musqué; un exemplaire bipède du Voyage en Italie de Dupaty, ou des Lettres à Émilie sur la Mythologie, de Dumoustier.

Fort satisfait des renseignements que lui avoit donnés Fitz-Harris, il ne l’avoit gourmandé si rudement que pour ne lui point avoir d’obligation de sa trahison, et pour faire de la dignité avec un homme qui ne savoit point mettre de frein à ses goguenarderies.

Le dimanche suivant, à midi précis, tout odoriférant comme un bouquet, tout emmitoufflé de dentelles, tout habillé de satin vert-naissant, emblême de son amoureux espoir, il accourut à Saint-Germain-des-Prés, et fut se placer contre un pilier de la nef, auprès de lady Déborah.

A force de minauderies, il parvint bientôt à attirer un de ces regards. Ce premier succès l’enivra et le rendit plus obséquieux encore. Ses Heures lui ayant échappé des mains, il s’agenouilla précipitamment pour les ramasser, et ne les lui rendit qu’après les avoir couvertes de baisers. Il se penchoit sans cesse à son oreille, en murmurant:

– Vous êtes adorable! je vous adore! vous êtes un Ange! vous êtes divine!.. D’autres fois, avec une ferveur indécente, il lui adressoit presque directement des strophes de psaumes ou des passages de prières pouvant faire allusion. Rosa mystica, rose mystique! lui disoit-il; Turris eburnea, tour d’ivoire! Domus aurea, habitacle doré! Vas insigne devotionis, vase éclatant de dévotion! Janua cœli, porte du ciel! Stella matutina, étoile matinière, étoile du berger, étoile de Vénus! Fœderis arca, arche d’alliance!.. Columba mea, ma colombe!.. Sic lilium inter spinas, sic amica mea inter filias, tel un lys parmi des ronces, telle mon amie parmi ses compagnes!..

Déborah, de peur de se faire remarquer, n’osoit ni se plaindre ni changer de place, et supportoit avec une résignation évangélique toutes les impudences et touts les manèges du marquis; elle affectoit de n’y faire aucune attention, et y demeuroit aussi insensible et aussi froide qu’une statue aux agaceries d’un enfant.

A la sortie de la messe, M. de Villepastour la poursuivit, et l’accosta sur le porche:

– Mille pardons, mademoiselle, mais ne seroit-ce pas à votre jolie main ce joli gant que je viens de trouver à votre place?

– Pardon, monsieur; vous me l’avez dérobé pendant le lever-Dieu.

– Trouvé ou dérobé, qu’importe!.. veuillez croire seulement que la restitution de ce talisman seroit pour moi un douloureux sacrifice, si ce sacrifice ne m’avoit pas fait ouïr le son mélodieux de votre voix.

– De grâce, monsieur, passez votre chemin; laissez-moi.

– Vous laisser! hélas! l’acier peut-il s’éloigner de l’aimant qui l’entraîne?

– Ayez pitié de moi, monsieur; ne me couvrez pas de honte. N’étoit-ce donc pas assez de vos impiétés dans la maison de Dieu!

– Mes impiétés?.. je vous adorois, je me croyois au temple d’Amathonte!.. A deux genoux, faut-il que je vous en supplie, ne me repoussez pas. Dès la première fois que je vous vis, miss, votre beauté me frappa, me ravit, m’embrasa du plus ardent amour; j’ai fait de longs efforts pour l’étouffer; je n’étois pas assez présomptueux pour oser aspirer à vous, trésor de perfections; lutte inutile! je n’ai fait qu’enfoncer plus avant la flèche que je voulois arracher. Je le sens bien maintenant, l’amour ne peut se guérir que par l’amour. Ne soyez pas inhumaine, ne soyez pas sourde à tant de passion! un sourire, qui ne soit pas de mépris, un regard, qui ne soit pas de dédain, un mot, qui ne soit pas de colère, et vous verserez un peu de calme et de joie dans l’âme d’un désespéré, et du plus infortuné des amants vous ferez le plus heureux.

– Monsieur, de grâce, je vous le répète, retirez-vous! Me voici dans la rue que j’habite: voulez-vous me perdre aux yeux du monde, aux yeux de mon époux? Il n’est qu’un homme dangereux et pervers qui puisse ainsi se faire un jeu de l’honneur d’une femme!..

– Votre honneur m’est aussi cher que le mien, mademoiselle: Dieu me garde de jamais l’entacher, j’en aurois un remords éternel! Je me retire, espérant que cette déférence sera appréciée à son prix, et rendra votre cœur plus miséricordieux pour moi, qui dépose à vos pieds mystère, amour, obéissance.

Toutefois, le marquis de Villepastour ne s’éloigna point entièrement; il la suivit à quelque distance pour s’assurer de la vérité des rapports de Fitz-Harris. Après l’avoir vue entrer à l’hôtel Saint-Papoul, il continua sa route d’un air de parfait contentement, d’un air presque badin.

XVI

A cette même époque, Fitz-Harris reçut de Killarney une lettre de son frère, dans laquelle il lui étoit conté que leur ancien camarade Patrick Fitz-White, disparu du pays, venoit d’être, aux assises, condamné à mort par contumace, et d’être pendu en effigie sur le port de Tralée, pour séduction, assassinat et vol de la fille de lord Cockermouth. Cette affreuse nouvelle, bien loin de causer de l’affliction à Fitz-Harris, je répugne à le dire, n’éveilla en son cœur plein d’envie qu’une secrète joie. Il s’empressa d’acquiescer au jugement calomnieux des juges de Tralée: il éprouvoit trop de plaisir à trouver Patrick coupable pour ne pas ajouter foi à cette incroyable condamnation.

Aussitôt il communiqua cette lettre à ses camarades intimes, disant à chacun qu’il l’honoroit seul de cette confidence, et qu’il eût ainsi à en garder le secret. Mais, comme lui, touts avoient des confidents, et ces confidents en avoient touts d’autres; si bien qu’en peu de jours ce secret devint, au régiment, le sujet général de la conversation, et parvint aux oreilles de Patrick, qui en fut navré de douleur.

A la pension des sous-officiers, au dîner, devant touts ses compagnons, il ne put se défendre d’adresser de vifs reproches à Fitz-Harris.

– Que vous ai-je donc fait, lui dit-il, pour avoir mérité tant de haine ou si peu d’égard? Moi, votre compatriote, moi, votre ami, vous m’avez traité bien méchamment! Ce n’est pas à ces messieurs que vous eussiez dû faire connoître premièrement la lettre que vous avez reçue d’Irlande, c’étoit à moi. Vous eussiez dû mettre au moins plus de circonspection, et ne point vous en rapporter si témérairement au dit-on d’une correspondance. Le fait est-il controuvé, le fait est-il faux? vous l’ignorez. Je dois à la vérité de vous dire, messieurs, qu’il ne l’est pas. Mais il est une chose que vous n’ignoriez point, vous, mon ami, vous, introduit dans mon intimité… Ici, messieurs, pour me laver de l’infâme condamnation qui pèse sur moi, il faudroit que je vous fisse des révélations que l’honneur me défend et me défendra toujours de faire. Il doit être suffisant de vous dire pour vous faire sentir toute l’énormité de ce jugement, que la femme qu’on m’accuse d’avoir assassinée et volée, miss Déborah, comtesse de Cockermouth-Castle, est ma bien-aimée et mon épouse. – La plupart de vous, messieurs, l’ont vue à mon bras.

Je sais que pour le meurtrier il n’est pas de pitié; je sais que rien n’excite plus notre dépit et notre indignation, que les déceptions d’estime; quand nous sommes désabusés sur le compte d’un homme que nous honorions et que nous cultivions comme vertueux, je sais combien est grande notre colère; je sais que notre devoir est de le démasquer et d’appeler sur lui la réprobation: mais, Fitz-Harris, vous n’avez pu douter un seul instant de moi; vous n’avez pu et vous ne pouvez me croire criminel, non, cela est impossible! Vous à qui mon cœur étoit ouvert comme un livre, quelque effort que vous fassiez pour vous aveugler, pour étouffer la voix qui dans le fond de votre conscience, vous crie que je suis pur et juste! – Je croyois à votre amitié, Fitz-Harris!

– Messieurs, que pensez-vous de cette complainte? s’écria alors Fitz-Harris d’un air moqueur.

– Messieurs, que pensez-vous de cette perfidie?.. Harris, je vous accuse de trahison!

– N’avez-vous pas une épée, Patrick?

– Messieurs, ceci est un cri de sa conscience: on provoque en duel qui on estime pour son égal, et non point un homme d’opprobre digne de l’échafaud qui le réclame, un assassin!

Je ne me venge pas avec le fer, Fitz-Harris!

– Vous vous battrez!

– Je ne me bats pas.

– Alors vous m’égorgerez au détour d’une rue.

– Je ne me venge pas avec le fer.

– D’une heure à autre, Fitz-Harris, l’estime et l’amitié que je porte à un homme ne se détruisent pas: mon amitié se fonde sur de l’estime, mon estime sur de nobles qualités, et les nobles qualités, vous le savez, ne sont ni passagères ni volages. Parce qu’un ami dans un moment d’erreur m’a blessé, cet ami n’est pas moins, en dehors de cette faute toute personnelle, avant comme après, à mes yeux comme aux yeux de touts, un galant homme, rempli de bons sentiments et digne d’être estimé. L’amour et l’amitié ont un flux et reflux de peines et de plaisirs, de maléfices et de bénéfices: j’aurois le plus profond mépris pour moi-même, si mon amour ou si mon amitié croissoit et décroissoit suivant ce flux et ce reflux, s’ils n’étoient pas, une fois donnés, inaltérables.

Fitz-Harris, déconcerté, ne répliqua pas à ces dernières paroles; il se fit seulement quelques chuchotements indécents autour de la table.

Le bruit se répandit bientôt dans la caserne, et Fitz-Harris contribua de touts ses efforts à l’accréditer, que Patrick avoit refusé de se battre, que Patrick étoit un lâche qu’il étoit impossible de faire aller sur le terrain. Non content d’en faire un poltron, on en fit un sot: la scène du dîner fut falsifiée et ridiculisée et devint un thême de dérision.

XVII

Le marquis de Gave de Villepastour étoit fort inconstant dans ses goûts satisfaits, mais très-fidèle à ses désirs. Quelques jours après la messe de Saint-Germain-des-Prés, résolu à faire une nouvelle algarade, et sans autres justes motifs, ayant condamné Fitz-Whyte aux arrêts, il s’enveloppa d’un manteau qui le déguisoit parfaitement, et vint à l’hôtel Saint-Papoul, sonner à la porte de lady Déborah.

Elle attendoit Patrick, elle ouvrit précipitamment.

– M. Mac-Whyte, s’il vous plaît? dit-il en contrefaisant sa voix.

– Il est absent, monsieur, mais il ne tardera pas à rentrer.

– En ce cas, veuillez me permettre de l’attendre, j’ai grand besoin de le voir et de lui parler.

– Entrez, monsieur.

A peine la porte refermée sur lui, M. de Villepastour, faisant l’agréable, s’écria: – Ma belle miss, vous avez introduit le loup dans la bergerie; il n’est plus besoin de houlette ni de hoqueton! – Et, rejetant au loin son chapeau et son manteau, il se montra comme la première fois, dans son brillant costume vert-naissant.

A cette vue, Déborah poussa un cri de frayeur, et s’enfuit au fond de son appartement: il l’y suivit, et se jeta à ses genoux.

– Par votre petite babouche que j’embrasse, et votre joli pied qui l’habite, et pour lequel je donnerois touts les trônes et touts les sceptres des rois, ne me fuyez pas, mademoiselle! Ne craignez rien, vous êtes avec moi en noble et sûre compagnie. J’aimerois mieux perdre la vie à l’instant que vous causer la moindre douleur. Ne vous offensez pas de la ruse que j’ai employée pour pénétrer auprès de vous; je sais bien tout ce que ma conduite a d’effronté et d’indélicat; mais quand la passion commande, quand la raison est foulée aux pieds, pourroit-on écouter la froide bienséance? Je languissois; il falloit que je vous visse, que j’entendisse votre voix; que je m’enivrasse de vos émanations, car vous êtes une fleur de beauté, cruelle miss, une tulipe emplie de nectar: heureux les frelons qui boivent à votre calice!.. Hélas! où m’entraîne mon délire?.. Hélas! hélas! je suis fou, fou d’amour…

Non, M. de Villepastour n’étoit ni délirant ni fou; il jouoit seulement la comédie avec assez d’adresse. Il n’avoit pas le plus léger sentiment pour Déborah, son âme étoit froide, sa tête brûlante. Son pouls battoit, les désirs sensuels l’entraînoient: l’ardeur de la volupté l’animoit; il caressoit en imagination un corps admirable, que ses regards de faune devinoient; toute sa pensée étoit là; étreindre ce beau corps, labourer de baisers ces charmes nus.

L’innocente Déborah, trompée par ces faux-semblants, fut émue un instant, la force lui manqua pour repousser durement un beau jeune homme qui lui paroissoit plus malheureux que coupable. Quelle que soit la candeur d’une femme elle ne peut se défendre d’un secret orgueil lorsqu’un amoureux courbé à ses pieds lui révèle la puissance de sa beauté.

– Relevez-vous, monsieur, lui dit-elle alors avec un accent d’émotion; elle étoit si troublée qu’elle ne put en ajouter d’avantage.

– Qui relève, pardonne. Oh! vous me pardonnez. Oh! vous êtes bonne, comme vous êtes belle! Tant d’attraits, tant de perfections ne sauroient recéler une âme inhumaine. Oh! je vous remercie; laissez que je vous baise les mains! J’avois par l’excès de ma flamme mérité tout votre courroux; mais vous avez daigné comprendre, vous êtes si bonne, que la faute en est à vos charmes séducteurs, et qu’il seroit mal de punir en moi un tort qui procède de vous.

– Si je vous ai prié de vous relever, monsieur, c’est parce qu’il m’étoit importun de vous avoir à mes genoux, dit sèchement Déborah, blessée profondément de l’air déjà triomphant et du chant de victoire du marquis; et si je vous prie de vous retirer, c’est parce qu’il m’est importun que vous soyez ici. Sortez, je vous en prie!

– Oui, je le sens, je dois vous être importun, je vous suis tout étranger encore. En effet, rien n’est plus insipide que de se trouver seul à seul avec un être indifférent; mais de cet être indifférent et étranger que je vous suis, tel est le pouvoir de l’amour: avec un seul regard, un seul mot vous pouvez, sublime métamorphose! faire un esclave, un ami, un amant lié à vous par des chaînes de fleurs. Allons, laissez tomber sur moi ce regard initiateur, dites ce mot magique, que je change de sort!

– Monsieur, vous perdez auprès de moi votre merveilleuse jactance; soyez-en plus ménager; un muguet comme vous doit souvent en avoir besoin. Croyez-moi, je ne vous serai jamais rien, pour cent raisons, et parce que, vous ne devez pas l’ignorer, je suis liée non par des liens de fleurs, mais par des liens indissolubles.

– Des liens indissolubles, my dear miss, sont de lourdes chaînes, qui pour être supportables ont besoin d’être cachées sous des guirlandes de roses.

– Mais, c’est tout franc, du Marmontel! Monsieur fait sans doute un poème d’opéra?

– Dont vous êtes l’héroïne farouche, ma belle dame.

– Et vous, sans doute, le héros galantin non moins que fastidieux. Mais, je vous en supplie, monsieur, vous m’obsédez, retirez-vous! Vous le savez, j’attends mon époux; je tremble à chaque instant qu’il ne vienne; partez! je vous en supplie, qu’il ne vous trouve pas ici. Épargnez-vous un esclandre, épargnez-moi une scène horrible à voir: il est si violent, si jaloux, il vous tueroit!

– Ho! ho! mais vous en faites un ogre: je suis curieux de savoir comment il me dévorera, et je demeure…

– Partez, de grâce, je vous en supplie à genoux, monsieur… Grands-Dieux! on sonne… C’est lui! vous êtes perdu! je vous l’avois bien dit…

– Qu’il soit le bien-venu céans.

– Que faire?..

– Ouvrez.

– Non, monsieur; je serai plus généreuse que vous n’en êtes digne, j’aurai pitié de vous: tenez, voici la porte d’un escalier secret, prenez-le; partez, fuyez!

– Partir? fuir?.. Non, merci: à d’autres votre escalier dérobé, pour moi, je me plais fort ici, et n’en bougerai pas. Ouvrez à l’ogre.

– Vous le voulez? soit! Mais ne vous en prenez qu’à vous de ce qui va suivre.

– Ouvrez à l’ogre.

– Assez, monsieur!..

Un moment après, seule, d’un air chagrin, Déborah reparut tenant ouverte une lettre décachetée.

– Hé bien! qu’avez-vous donc? ce n’étoit donc pas lui, ma belle mylady?

– Non, pas encore.

– Mais ce billet est de sa main, je reconnois l’écriture. Il vous annonce, sans doute, qu’il est empêché de venir. Il ne viendra pas effectivement. Je gage que le libertin aura été bloqué aux arrêts.

– Vous savez donc?.. Seriez-vous aussi mousquetaire?

– En ai-je l’air?

– Non pas, mais l’insolence. – Mon Dieu! mon Dieu! faut-il qu’il ne puisse venir, quand j’aurois tant besoin de lui! Mais, Saints du Ciel! qui me délivrera de vous?..

– Personne.

– J’ai reculé long-temps devant un scandale, vous me poussez à bout: sortez, ou j’appelle au secours, par la croisée.

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