
Полная версия
Œuvres complètes de lord Byron, Tome 1
Céphalonie est l'une des îles ioniennes laissées sous la protection du gouvernement anglais, depuis le traité de paix de 1814. Lord Byron qui n'ignorait pas, en se dévouant désormais à la cause des Grecs, les dissentions déplorables qui régnaient parmi eux, craignit, s'il descendait de prime abord sur le théâtre de l'insurrection, de ne servir qu'un parti en voulant soutenir la cause commune. Il connaissait les Grecs, leur turbulence, leur jalouse indépendance, leur misère et leur avidité; il n'ignorait pas que déjà ces défauts, suite naturelle du genre de vie des Arnautes, avaient fait retourner sur leurs pas un grand nombre d'Européens accourus en Grèce dans l'espoir chimérique d'avoir pour compagnons des milliers d'Aristides ou de Périclès. Ces dissentions, ces motifs de découragemens, voilà ce que Byron voulait essayer de détruire en se rendant en Grèce; mais il fallait avant tout qu'il connût l'exacte situation des choses.
Les Grecs venaient de commencer la troisième campagne sous d'heureux auspices. Tandis que l'armée des deux pachas Yussuf et Mustapha était taillée en pièces dans les défilés des Thermopyles par le brave Odysseus, l'ancien Péloponèse était presque entièrement affranchi du joug des Turcs; mais, du côté de l'Étolie, une nouvelle armée, commandée par le pacha de Scutari, s'avançait jusqu'aux murs de Missolonghi, et cette ville importante et tous les ports de la Grèce occidentale étaient déjà bloqués par les armées de terre et de mer des Turcs.
Byron commença par envoyer sur le continent MM. Trelawney et Browne, avec la mission d'explorer l'état de tous les partis. En attendant leur retour, il fixa son séjour dans la petite ville de Metaxata, qui devint aussitôt, pour ainsi dire, le point central du gouvernement grec, tant était grande la réputation qui le précédait.
Elle grandissait encore tous les jours; ceux qui l'approchaient, Anglais, Français, Allemands et Grecs, ne se lassaient pas d'admirer la profondeur de ses plans et la magnanimité de ses intentions. Sans cesse appliqué à rechercher des instructions positives, il écoutait avec attention les rapports les plus contradictoires: il répandait l'or à pleines mains, mais avec discernement.
Voici la source de tout l'argent qu'il prodiguait: «J'ai écrit, dit-il dans une lettre du 13 octobre 1823, à notre ami D. Kinnaird, le priant de m'envoyer tous les crédits qu'il pourra réunir. De plus, j'ai en avance une année de revenu et la vente d'une terre par-devers moi. – Jusqu'à ce que les Grecs trouvent un emprunt, il est probable que je serai leur meilleur banquier, c'est-à-dire tant que ma signature aura cours. Répétez-lui cela, et dites-lui que je vais tirer, d'une manière effrayante sur M. R***. Je ne lésine pas quand nos braves se décident à reprendre les armes; et s'ils persévèrent ils seront encore mieux venus. Ils ont eu hors de ma poche, et d'un seul coup, quatre mille livres sterlings (outre quelques distributions partielles), et le prochain déboursé sera au moins aussi considérable. Et comment pourrais-je, dites-moi, leur refuser s'ils se battent? et si je suis avec eux? etc.»
Cependant il reçut des nouvelles de M. Trelawney. Ce loyal ambassadeur avait assisté au congrès de Salamis, et l'on y avait décidé qu'Odysseus marcherait sur Négrepont, Colocotroni sur Patras, et que Mavrocordato serait chargé de défendre Missolonghi. «Si cette ville tombe, écrivait Trelawney, Athènes et des milliers de têtes sont en péril. Il faut que la flotte secoure cette ville. Je donnerais ma tête à monnayer pour sauver cette clef de la Grèce.» Byron comprit ce langage; il fit équiper deux navires ioniens et quitta Céphalonie le 29 décembre, faisant voile pour Missolonghi. Le 31, à la hauteur de Zante, ils furent rencontrés par un corsaire turc. Le premier navire, sur lequel il était, parvint à l'éviter; le second, qui transportait le comte Gamba et plusieurs domestiques de Lord Byron, fut moins heureux: les captifs furent conduits à Patras, devant Yussouf-Pacha. Grâces au sang-froid de Gamba qui, en réclamant hautement le privilége des pavillons anglais, parvint à intimider le chef musulman, il leur fut permis de se rendre à Missolonghi; mais, à leur grand étonnement, ils n'y trouvèrent pas Lord Byron. Les vents contraires l'avaient forcé de s'arrêter sur des rochers situés à quelques milles de Missolonghi; et en se remettant en mer, son navire avait touché un bas-fond. Heureusement, Mavrocordato envoya bientôt à sa rencontre plusieurs bateaux qui le prirent à bord, avec sa suite, et le conduisirent à Missolonghi.
Lord Byron fut reçu, par les Grecs, au milieu des transports de joie et de reconnaissance. Il profita de ces premiers instans d'enivrement pour servir la cause de l'humanité. Le jour de son arrivée, un Turc, tombé entre les mains de quelques bateliers, allait expirer dans les tourmens: Byron le fait venir et s'empresse de réclamer sa grâce; mais il avait affaire à des hommes peu accoutumés à de semblables rémissions, et sa demande ne fut pas accueillie. Alors il soustrait à toutes les recherches le prisonnier, et quand les Grecs furieux viennent le réclamer à grands cris: «Vous me tuerez, leur dit-il, avant de me forcer à vous livrer cet homme. Barbares que vous êtes, comment osez-vous agir ainsi, et vous dire chrétiens?» Il garda chez lui, pendant quelque tems, le Turc que la frayeur avait rendu malade, puis il profita de la première occasion pour le renvoyer, guéri, à Patras où demeurait sa famille.
Ce n'est pas tout. À quelques jours de là il obtint encore du prince Mavrocordato la délivrance de plusieurs autres prisonniers, qu'il fit habiller à ses frais et reconduire au pacha de Scutari. Ces Turcs remirent, de sa part, à leur maître une lettre dont nous citerons les dernières phrases: «Si cette circonstance trouve place dans votre souvenir, j'ose prier Votre Hautesse de traiter les Grecs qui pourraient, par la suite, tomber en votre pouvoir, avec humanité: j'insiste d'autant plus sur ce point, que les horreurs de la guerre sont déjà assez grandes sans les aggraver, des deux côtés, par des cruautés inutiles. – Missolonghi, 23 janvier 1834.» C'est, je crois, la première et la seule fois que la plume de Lord Byron ait tracé l'expression de formes obséquieuses et suppliantes.
Je passe sous silence d'autres traits nombreux du même genre. Il eut, d'ailleurs, moins de peine à ramener à des sentimens généreux les Grecs altérés de vengeance, que les officiers européens, à des plans sages et raisonnables. Certes, il ne fallait pas une grande profondeur de jugement pour sentir que, dans les circonstances présentes, les premiers besoins des Grecs étaient des canons, des vaisseaux, des munitions de guerre de toute espèce, et peut-être encore avant tout cela, de l'argent monnayé. «Nous avons assez d'hommes, criaient les Grecs aux Européens; envoyez-nous des armes, du fer et de l'or, nous sommes sauvés.» Cependant, les comités, organisés dans toute l'Europe, cédaient à d'autres influences. Le brave Stanhope et quelques autres aveugles Philellènes les pressaient, quand l'insurrection était déclarée, de s'occuper, avant tout, de rendre les Grecs dignes de la liberté, de la liberté constitutionnelle, et, je crois même, représentative! À les entendre, il fallait transformer les aumônes de toutes les ames généreuses en imprimeries, en livres, en cartes géographiques, en mappes, etc. On sent que ces recommandations étaient accueillies avec ardeur; le commerce européen saluait l'aurore d'une liberté qui s'alliait si bien avec l'intérêt industriel, et les pauvres Grecs, sans artillerie, sans solde, perdaient chaque jour quelque chose de leur enthousiasme.
«J'avoue, disait Lord Byron, que je ne puis comprendre l'usage des presses d'imprimerie pour un peuple qui ne sait pas lire. Le comité nous envoie des mappemondes; mais il suppose donc qu'en venant en Grèce j'ai l'intention d'ouvrir un cours de géographie? On donne des livres à des gens qui manquent de fusils; ils implorent des sabres, et le comité leur adresse des caractères typographiques! Son secrétaire, M. Bowring, m'écrit une longue lettre sur la terre classique de la liberté, le berceau des arts, la source du génie, le séjour des dieux, le ciel de la poésie, et je ne sais quelle centaine d'autres belles choses. Je lui ai répondu de manière à le dissuader de m'écrire une seconde fois sur le même ton. Assez de bavardage, lui dis-je, mais au fait, au fait. Depuis ce tems, je n'entends plus parler de lui8.»
Rien ne donnait plus d'humeur à Byron que ce déplorable aveuglement; mais il ne faut pas croire que tous ces démêlés fissent naître aucun refroidissement entre lui et les autres défenseurs de la Grèce. La liberté de la presse ayant été votée par le gouvernement, Lord Byron contribua à la formation des imprimeries pour plus de cinq cents louis; mais il profita de l'occasion pour se plaindre avec force de l'inaction dans laquelle on laissait languir les guerriers. Il avait, en arrivant à Missolonghi, après avoir payé les arrérages de la flotte, pris à sa solde cinq cents Souliotes d'élite, dans l'espoir de bientôt employer ces braves gens à quelque entreprise périlleuse; mais le gouvernement, qui lui supposait des trésors inépuisables comme sa générosité, tremblait de lui voir exposer sa vie et faisait, avec une lenteur condamnable, les préparatifs de la campagne. Mavrocordato ne put toujours résister, et il fut décidé qu'aussitôt l'arrivée de l'artillerie sous les ordres du capitaine Parry, Lord Byron s'avancerait contre le château de Lépante, à la tête de trois mille Souliotes.
Malheureusement, le capitaine Parry et son artillerie se firent long-tems attendre: tandis qu'on laissait ainsi perdre un tems précieux, les Souliotes, guerriers sauvages et indomptables, se livraient, dans les rues de Missolonghi, à toutes sortes d'excès. Habitués à une guerre d'escarmouches, ils accusaient Lord Byron de vouloir les mener au combat contre des pierres; et quand le capitaine Parry arriva, leur mécontentement était à son comble. Byron menaça de les licencier; mais, de leur côté, les soldats de l'artillerie, nouvellement arrivés, refusaient de marcher avant de recevoir une partie de leur solde. Il fallut remettre le siége de Lépante à un tems plus favorable.
L'irritation continuelle que lui causaient tant de contre-tems, fut la première cause du dérangement de sa santé, naturellement assez délicate. Le 15 février, il se trouvait chez le colonel Stanhope, quand tout à coup on remarqua une violente altération dans ses traits. Il voulut faire quelques pas, ses jambes refusèrent de se mouvoir; on le transporta sur un lit: il y resta, pendant quelques minutes, en proie à une effrayante attaque de nerfs, qu'il faisait des efforts inouïs pour surmonter. Enfin, il revint à lui; mais le même accident se renouvela quatre fois dans l'espace d'un mois. Il ne put remonter à cheval, et reprendre ses travaux habituels, que dans les derniers jours de mars. Comme le climat de Missolonghi était trop humide pour lui, un habitant de Zante le conjura de venir habiter durant quelque tems sa maison de campagne. Byron lui répondit: «Je ne puis quitter la Grèce tant qu'il y aura une chance, même douteuse, de mon utilité. Il y va d'un enjeu qui vaut des millions d'hommes tels que moi, – et tant que je pourrai me soutenir le moins du monde, je soutiendrai la cause. Tout en parlant ainsi, je suis parfaitement averti des dissensions et des défauts des Grecs, mais tous les gens raisonnables doivent les comprendre et les excuser.»
Le siége de Lépante avait été remis après la tenue d'un nouveau congrès à Salone, auquel devaient assister Mavrocordato, Byron, Stanhope et Odysseus. Malgré tant de chagrins et de désappointemens, le cœur de Byron était toujours le même. On lit dans une de ses dernières lettres adressées à M. Bowring, secrétaire du comité grec de Londres: «Moi (Lord Byron), prie M. B. de presser l'honorable D. Kinnaird d'envoyer des crédits pour le montant de toutes les ressources de Lord Byron. Il y a ici, pour le moment, les plus grands embarras de toute espèce, mais nous conservons l'espérance, et nous en viendrons à bout.» Hélas, cette espérance ne devait pas se réaliser. Le 9 avril, à la suite d'une longue course à cheval, il rentra chez lui avec une fièvre qui ne l'empêcha pas de donner son attention et de répondre à plusieurs lettres. Le lendemain, l'indisposition offrit des symptômes plus graves; il toussait beaucoup, il dormait péniblement, il éprouvait de vives douleurs dans tous les membres. Mais les deux médecins, Bruno et Millingen, ayant déclaré avec assurance que la maladie n'avait rien d'alarmant, on retarda pendant plusieurs jours la saignée: leur sécurité ne se démentit qu'à la dernière extrémité. «Ce n'est rien, disaient-ils; il serait ridicule de consulter d'autres médecins pour une si légère indisposition.» Lord Byron, de son côté, s'obstinait à dire que son mal était d'une espèce sérieuse. Enfin, on le saigna le 16, et on recommença le 17 avril; son sang était enflammé, et chaque fois le malade éprouva un évanouissement. La crainte de devenir fou s'empara de sa grande ame: «Je ne peux pas dormir, disait-il au fidèle Fletcher; je sais qu'un homme ne peut être sans dormir qu'un certain tems, après quoi il devient nécessairement fou, sans qu'on puisse y trouver le moindre remède; or, j'aimerais mieux dix fois me brûler la cervelle que d'être fou.»
Cependant, il s'affaiblissait d'heure en heure, et le désordre de ses expressions annonçait même des accès de délire. À la fin d'un de ces accès: «Écoutez, Fletcher, dit-il; je commence à croire que je suis sérieusement malade, et si je mourais subitement, je veux que vous ayez quelques instructions que vous aurez, j'espère, soin de faire exécuter.» Ses paroles étaient rapides. Le valet ayant dit qu'il espérait le voir assez vivre pour exécuter lui-même ses volontés: «Non, répondit-il avec la même volubilité; c'en est fait, il faut tout vous dire sans perdre un moment. – Irai-je, milord, chercher une plume, de l'encre et du papier9? – Oh! mon Dieu, non; vous perdriez trop de tems, et je n'en ai pas à perdre. – Faites attention. – O mon enfant! ma chère fille, ma chère Ada; mon Dieu! si j'avais pu la voir! donnez-lui ma bénédiction, donnez-la à ma sœur Augusta10. Vous irez chez lady Byron; – dites-lui tout. – Vous êtes bien dans son esprit…»
Ici sa voix s'affaiblit; il parlait entre ses dents, il agitait ses lèvres sans rien exprimer; son visage avait quelque chose de solennel, et parfois il élevait la voix pour s'écrier: «Fletcher, si vous n'exécutez pas les ordres que je vous donne, je vous tourmenterai plus tard, si je puis. – Milord, dit Fletcher, je n'ai pas entendu un mot de ce que vous m'avez dit. – Oh! Dieu! reprit Byron, tout est fini. Se peut-il que vous ne m'ayez pas entendu!» Il essaya encore de parler, mais il ne prononçait distinctement que les noms de Grèce et de ma fille, le reste était inintelligible. Sur ces entrefaites arriva le capitaine Parry qui l'engagea à se tranquilliser. Byron fit de nouveaux efforts pour exprimer ses pensées, mais vainement, et il répandit un torrent de larmes. À peine M. Parry était-il sorti, qu'il parut vouloir sommeiller. «Il faut que je dorme maintenant,» dit-il. Il laissa tomber sa tête, et ce fut le commencement de l'agonie; elle se prolongea pendant vingt-quatre heures: le 19, à six heures du soir, Byron ouvrit les yeux et les referma aussitôt: ce fut l'instant de son dernier soupir.
La terrible nouvelle parcourut aussitôt toutes les rues de Missolonghi. C'était le jour de Pâques: les exercices religieux sont interrompus; les hymnes d'allégresse se changent en cris, en sanglots, en hurlemens de désespoir. Tous les citoyens, se pressant à l'envi autour de ce qui restait de Lord Byron, accusent le ciel, et maudissent le coup qui, au lieu de frapper chacun d'eux, vient d'atteindre leur ami, leur protecteur, leur père. Ils veulent tous, pour la dernière fois, le contempler. Ses traits conservaient le sceau d'une beauté sublime et solennelle: car la mort n'est pas toujours hideuse, et souvent l'ame, après avoir violemment brisé ses liens, dépose sur le corps qu'elle abandonne une trace presque sensible d'immortalité.
Mais les compatriotes de Byron réclament son corps au nom d'une ingrate patrie: heureusement, on se rappelle que le poète avait souvent exprimé le désir de laisser son cœur au milieu de ses chers Hellènes, et ce souvenir semble adoucir la douleur générale. Le gouvernement, organe de tout un peuple, prescrit aussitôt la forme des funérailles. Trente-sept coups de canon seront tirés en mémoire des années de Byron; toutes les occupations, toutes les séances judiciaires ou administratives seront interrompues; la célébration des solennités pascales est ajournée; un deuil universel sera porté pendant vingt et un jours; enfin, dans toutes les paroisses, un service et une oraison funèbre seront faits sur la tombe de Byron.
Ce fut le 22 avril que le plus précieux reste de sa dépouille mortelle fut transporté, sur les épaules des officiers du régiment soldé par lui, dans l'église où déjà reposaient les corps de Botzaris et de Normann. De distance en distance, le fardeau était repris par des jeunes citoyens grecs: le cercueil, formé de quatre planches assez mal jointes, était recouvert d'un drap noir; au-dessus étaient déposés un sabre, un casque et une couronne de lauriers: Un orateur, Spiridion Tricoupi, fut alors l'organe de ses concitoyens; ses paroles redoublèrent les sanglots et ranimèrent l'espoir de liberté que pouvait éteindre une si grande catastrophe. Nous citerons la fin de son discours:
«Je m'étais peint à moi-même tout ce que mon cœur désire. J'avais imaginé les bénédictions de nos évêques, les hymnes, les couronnes de lauriers et les danses des vierges de la Grèce, autour de la tombe du bienfaiteur de la Grèce; mais cette tombe ne contiendra pas ses précieux restes: le tombeau restera vide; encore quelques jours, et son corps disparaîtra de la surface de notre terre, – de la nouvelle patrie qu'il s'était choisie. Il faut qu'il soit porté dans la contrée qui fut honorée de sa naissance.
«Ô toi! sa fille, tendrement chérie de lui, tes bras le recevront; tes larmes baigneront la tombe qui recouvrait son corps, et les pleurs des orphelines de la Grèce tomberont sur l'urne qui renferme son cœur précieux. Comme dans le dernier moment de sa vie, toi et la Grèce fûtes seules dans son cœur et sur ses lèvres, il est juste qu'elle garde aussi une portion de ses précieux restes. Apprends, noble dame, que des chefs le portèrent, sur leurs épaules, jusqu'à l'église. Des milliers de soldats grecs bordaient le chemin à travers lequel il passait; leurs fusils, qui avaient détruit tant de tyrans, s'abaissaient devant lui: une foule de soldats entourèrent la couche funèbre; ils jurèrent de ne jamais oublier les sacrifices faits par ton père pour nous, et de ne jamais souffrir que le lieu où son cœur restera fût profané par les pieds des barbares ou des tyrans.»
Le 2 mai, le corps de Lord Byron, confié aux soins du colonel Stanhope, s'éloigna de la Grèce. Il prit la route de la Grande-Bretagne, et aborda à Stangate-Crew, le 1er juillet, pour y subir la quarantaine d'usage. Cam Hobhouse et John Hanson, exécuteurs testamentaires de Lord Byron, s'empressèrent de réclamer le corps, et s'occupèrent du soin d'entourer les funérailles de l'illustre poète de toute la pompe demandée par son titre de pair d'Angleterre. Tout ce que la nation renfermait d'opulent et d'élevé alla jeter un coup-d'œil sur les pièces destinées à briller dans cette occasion; mais quand le convoi sortit de Londres pour se rendre à Newstead, on ne vit qu'un petit groupe d'amis intimes accompagner le convoi. Une multitude de voitures, traînées par des chevaux noirs, et conduites par des laquais en deuil, suivait lentement le char funéraire; mais ces équipages étaient vides, au nombre des premiers étaient les carrosses de lady Byron et du comte de Carlisle, et dans ceux-là on ne vit ni Carlisle ni lady Byron, et, faut-il le dire? ni la pauvre petite Ada! Un seul homme suivit à pied le catafalque, depuis Londres jusqu'à Newstead; c'était un marin qui avait servi sur la frégate la Salsette, lors du premier voyage de Byron en Grèce. Enfin, le 16 juillet 1824, le corps de ce dernier fut déposé, suivant ses intentions, auprès de la tombe de sa mère, dans le village de Hucknall, à deux milles de Newstead. Une inscription fut placée dans le chœur de l'église, par les soins de miss Leight; nous la rapporterons telle qu'elle est:
SOUS CETTE VOÛTEOÙ BEAUCOUP DE SES ANCÊTRES ET SA MÈRE SONTENSEVELIS,REPOSENT LES RESTES DEGEORGES GORDON NOËL BYRON,LORD BYRON DE ROCHDALE,DANS LE COMTÉ DE LANCASTRE,AUTEUR DU PÈLERINAGE DE CHILDE HAROLDIL NAQUIT À LONDRES LE22 JANVIER 1788,IL MOURUT À MISSOLONGHI, DANS LA GRÈCEOCCIDENTALE,LE 19 AVRIL 1824,ENGAGÉ DANS LE GLORIEUX PROJET DE RENDRE ÀCETTE CONTRÉE SES ANCIENNES LIBERTÉET GLOIRETelle fut donc la mort de Lord Byron, tels les honneurs rendus à sa mémoire. En lisant ses œuvres poétiques on sentira que le récit de sa vie en était l'introduction indispensable. Simple narrateur, je n'essaierai pas maintenant de diriger le jugement que les lecteurs porteront de son caractère. Ils reconnaîtront, sans doute, que Byron eut des égaremens et quelques torts à se reprocher; mais peut-être conviendront-ils que ces contrastes d'une si belle vie étaient la condition nécessaire de tant de nobles facultés, et regarderont-ils ce puissant génie comme l'un des hommes destinés à montrer tout ce que le Créateur peut faire de sa créature. Ils apprécieront aussi, sans doute, la conduite de Walter Scott qui, sous prétexte d'honorer la mémoire de son illustre ami, n'a pas craint, lorsque son corps était à peine refroidi, de s'appesantir sur quelques prétendus torts de sa vie privée11. Enfin, ils déverseront le blâme le plus juste sur Thomas Moore, dont le premier soin, en apprenant la mort de Byron, fut de livrer aux flammes des Mémoires destinés à justifier l'illustre défunt contre les calomnies de sa femme et de la plupart de ses compatriotes; des Mémoires qu'il avait reçus de Byron lui-même, comme un religieux dépôt12. Honte éternelle à ceux qui trahirent l'amitié dont un aussi grand homme les avait honorés: et puisse la postérité, qui peut-être admirera les ouvrages de Scott et de Moore, ne jamais oublier la déloyauté de leur conduite dans une circonstance aussi solennelle!
Au reste, les calomnies et les injustices dont Lord Byron eut trop souvent à se plaindre dans sa patrie, n'ont pas trouvé d'écho en Europe. Les membres de la Sainte-Alliance n'ont pas même essayé d'interdire, dans leurs états, la publication de ses audacieuses poésies; et, si quelques Anglais, organes d'une envieuse hypocrisie, ont désigné fréquemment le défenseur des chrétiens de l'Orient comme le chef d'une école satanique, le reste de l'Europe proteste aujourd'hui en masse contre ce titre odieux, tous ceux chez qui n'est pas entièrement étouffé l'amour des arts, du génie et de la liberté, tressaillent et s'attendrissent encore au seul nom de Byron.
A. – P. Paris.Janvier 1827.
DON JUAN
Difficile est propriè communia dicere.
(Horace, Epist. ad Pison.)Crois-tu, parce que tu es vertueux, qu'il n'y aura plus n'y ale ni galettes? – Oui, par sainte Anne! et que le gingembre nous brûlera la bouche.
(Shakspeare, la Douzième Nuit, ou Ce que vous voudrez.)Chant Premier
1. J'ai besoin d'un héros. – Besoin singulier quand chaque année, chaque mois nous en apporte un nouveau, qui, après avoir fatigué le bavardage des gazettes, cesse bientôt d'être l'objet de l'admiration du siècle désabusé. De cette espèce-là, je ne me soucie guère d'en parler; j'aime mieux choisir notre ancien ami Don Juan, que nous avons tous vu un peu trop tôt envoyé au diable sur le théâtre.
2. Vernon, Cumberland-le-Boucher13, Wolfe, Hawke, le prince Ferdinand, Gramby, Burgoyne, Keppel, Howe ont, bons ou mauvais, obtenu la dîme des conversations; ils ont rempli les dépêches de la poste, comme aujourd'hui Wellesley. Mais courant tous après la gloire (neuf marcassins d'une seule laie14), ils ont défilé à leur tour, comme les rois du sang de Banquo. La France eut aussi Dumourier et Bonaparte que vantaient le Moniteur et le Courrier.
3. Barnave, Brissot, Condorcet, Mirabeau, Péthion, Clootz, Danton, Marat, Lafayette, ont encore été fameux chez les Français. Ils ont Joubert, Hoche, Marceau, Lannes, Dessaix, Moreau et bien d'autres guerriers dont l'ancienne et prodigieuse renommée n'est pas même entièrement oubliée; mais mes rimes ne s'arrangent pas de leurs noms.