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Les grotesques de la musique
Mais le piano! ah! le piano! «Mes pianos, monsieur! vous n'y songez pas. A moi le second rang! A moi une médaille d'argent! moi qui ai inventé l'emploi de la vis pour fixer la cheville voisine de la mortaise du quadruple échappement! Je n'ai pas démérité, monsieur? J'emploie, monsieur, six cents ouvriers; ma maison est toujours ma maison; j'envoie toujours mes produits non seulement à Batavia, à Vittoria, à Melbourne, à San-Francisco, mais dans la Nouvelle-Calédonie, dans l'île de Mounin-Sima, monsieur, à Manille, à Tinian, à l'île de l'Ascension, à Hawaï; il n'y a pas d'autres pianos que mes pianos à la cour du roi Kamehameha III, les mandarins de Pékin ne prisent que mes pianos, monsieur, on n'en entend pas d'autres à Nangasaki, monsieur… et à Saint-Germain-en-Laye; oui, monsieur. Et vous venez me parler de médaille d'argent, quand la médaille d'or serait pour moi une fort médiocre distinction! et vous ne m'avez pas seulement proposé pour le grand cordon de la légion d'Honneur! Vous me la baillez belle! Mais nous verrons, monsieur, cela ne se passera pas ainsi. Je proteste, je protesterai; j'irai trouver l'Empereur, j'en appellerai à toutes les cours de l'Europe, à toutes les présidences du Nouveau-Monde. Je publierai une brochure! Ah! bien oui, une médaille d'argent à l'inventeur de l'échappement de la cheville qui fixe la vis de la quadruple mortaise!!!»
Ceci met le feu, vous pouvez le penser, aux mille kilogrammes de poudre qui sont dans la montagne. Mais comme il est absolument impossible de répondre ainsi qu'il conviendrait à de pareilles exclamations, et de faire sauter… la montagne, la condensation des gaz s'opère, et il ne reste au fond du fourneau qu'un peu d'eau insipide.
Ou bien: «Hélas! monsieur, je n'ai donc pas la première médaille?.. Il est donc vrai? une pareille iniquité a pu être accomplie?.. Mais on reviendra là-dessus, et j'ose vous demander votre voix, votre énergique intervention!.. Vous me refusez?.. Oh! c'est incroyable! Mes pianos n'ont pourtant pas démérité; je fais toujours d'excellents pianos qui peuvent soutenir la lutte avec tous les pianos. Ce n'est pas un musicien tel que vous, monsieur, qui pourrait s'abuser à cet égard… Je suis ruiné, monsieur… Monsieur, je vous en supplie, accordez-moi votre voix… Oh! mais, c'est affreux! Monsieur, je vous en conjure… voyez mes larmes… je n'ai plus d'autre refuge que… la Seine… j'y cours… Ah! c'est de la férocité! je n'eusse jamais cru cela de vous… Mes pauvres enfants!..»
On ne peut encore rien faire sauter.
Eau de mélisse!
Ou bien: «J'arrive d'Allemagne, et l'on y rit beaucoup de votre jury. Comment! ce n'est pas le premier facteur de pianos qui est le premier? il serait donc devenu le second? il aurait donc démérité? Cela a-t-il le sens commun? et le second serait devenu le premier? A-t-on jamais vu rien de semblable? Vous allez recommencer tout cela, je l'espère, pour vous au moins. Certainement je ne connais pas ce merveilleux piano que vous avez couronné; je ne l'ai ni vu ni entendu; mais c'est égal, une telle décision vous couvre tous de ridicule.»
Eau de Cologne!
Ou bien: «Je viens, monsieur, pour une petite affaire… une affaire. C'est par erreur, sans doute, que les pianos de ma maison ont été déclassés; car tout le monde sait que ma maison n'a pas démérité. L'opinion publique a déjà fait justice de cette… erreur, et vous allez recommencer l'examen des pianos. Or, pour qu'il n'y ait pas de nouvelle bévue commise, je prends la liberté d'éclairer messieurs les membres du jury sur la force de ma maison. Je fais de nombreuses et importantes affaires… et ni mes associés ni moi nous ne regardons à… des… sacrifices… nécessaires dans certaines… circonstances… Il n'y a qu'à bien comprendre…» A un certain froncement de sourcils du juré, l'homme d'affaires voit qu'on ne… comprend pas et se retire.
Eau-de-vie camphrée!
Ou bien: «Monsieur, je viens…
« – Vous venez pour vos pianos?
« – Sans doute, monsieur.
« – Votre maison n'a pas démérité, n'est-ce pas? Nous allons recommencer l'examen; il vous faut la première médaille?
« – Certes, Monsieur!
« – Feux et tonnerres!..»
Le juré quitte son salon, et ferme violemment une porte derrière lui, en en faisant sauter la serrure.
Eau forte! acide hydro-cyanique.
Telles sont les scènes qu'infligeaient autrefois aux malheureux jurés les facteurs, les joueurs, et les protecteurs des facteurs de pianos; au dire d'un ancien juré libéré, juré de rebut, méchante langue sans doute, car nous ne voyons plus rien de pareil aujourd'hui.
Je reprends ma narration.
Les jurés, lors de la dernière exposition, étaient donc au nombre de sept. Nombre mystérieux, cabalistique, fatidique!.. Les sept sages de la Grèce, les sept branches du flambeau sacré, les sept couleurs primitives, les sept notes de la gamme, les sept péchés capitaux, les sept vertus théologales… ah! pardon, il n'y en a que trois, du moins il n'y en avait que trois, car j'ignore si l'Espérance existe encore.
Mais, je le jure, nous étions sept jurés: un Écossais, un Autrichien, un Belge et quatre Français; ce qui semblerait prouver que la France à elle seule est plus riche en jurés que l'Ecosse, la Belgique et l'Autriche réunies.
Cet aréopage constituait ce qu'on nomme une classe. La classe, après un examen minutieux et attentif de toutes les questions dont elle était saisie, devait ensuite prendre part à une assemblée où cinq ou six autres classes se trouveraient réunies pour former un groupe. Et ce groupe avait à prononcer à la majorité des voix sur la validité des décisions prises isolément par chaque classe. Ainsi la classe chargée d'examiner les tissus de soie et de laine, ou celle qui avait étudié le mérite des orfèvres, ciseleurs, ébénistes, et plusieurs autres classes, voulaient bien nous demander, à nous autres musiciens, si les récompenses avaient été justement données à tels ou tels fabricants de tissus, à tels ou tels marchands de bronze, etc., questions auxquelles mes confrères de la classe de musique semblaient un peu embarrassés de répondre dans les premiers jours. Ces jugements ex abrupto leur paraissaient singuliers; ils n'y étaient pas faits, aucun d'eux n'ayant été appelé à voter de la même façon, quatre ans auparavant, à l'Exposition universelle de Londres, où cet usage était déjà admis, et où j'avais pu faire mon noviciat.
J'eus, il est vrai, un instant d'angoisse assez pénible quand, en 1851, le jour de la première assemblée de notre groupe, les jurés anglais, voyant que je m'abstenais, me sommèrent de voter sur les récompenses proposées pour les fabricants d'instruments de chirurgie. Je pensai aussitôt à tous les bras, à toutes les jambes que ces terribles instruments allaient avoir à couper, aux crânes qu'ils devaient trépaner, aux polypes qu'ils auraient à extraire, aux artères, aux filets nerveux qu'il leur faudrait saisir, aux pierres qu'on leur ferait broyer!!! Et je vais, moi, qui ne sais ni A ni B en chirurgie, moins encore en mécanique et en coutellerie, et qui d'ailleurs, fussé-je à la fois un Amussat et un Charrière, n'ai jamais examiné un seul des dangereux outils dont il est question, je vais dire là, carrément, officiellement, que les instruments de celui-ci sont beaucoup meilleurs que ceux de celui-là, et que monsieur un tel et non pas un autre mérite le premier prix! J'avais la sueur au front et des glaçons dans le dos en y songeant. Dieu me pardonne si, par mon vote, j'ai causé la mort de quelques centaines de blessés anglais, français, piémontais, et même russes, mal opérés en Crimée par suite du prix donné à de mauvais instruments de chirurgie!..
Peu à peu néanmoins mes remords se sont calmés; le feu a bien pris à la mine, mais la montagne n'a pas sauté, comme toujours, et le fourneau ne contient à cette heure qu'une petite quantité d'eau pure. J'ai donné dernièrement à Paris un prix à une clef de Garengeot pour arracher les dents, sans éprouver aucune douleur. D'ailleurs, l'institution des groupes ayant été adoptée en Angleterre et en France, et personne ne s'en étant plaint, il faut bien qu'elle soit bonne, utile, morale, et je n'ai que la honte d'avouer la faiblesse d'intelligence qui me met dans l'impossibilité de comprendre sa raison d'être. – Il y a un peu d'ironie dans votre humilité, direz-vous; sans doute le groupe dont vous faisiez partie aura contrarié la classe des musiciens en infirmant quelques-uns de ses jugements, et vous lui gardez rancune? – Ah! certes, non. Le groupe a essayé à peine deux ou trois fois de soutenir que nous nous étions trompés, et en toute autre occasion nos confrères non musiciens ont levé leur main droite pour le vote affirmatif, avec un ensemble qui les montrait dignes de l'être. Non, ce sont de simples réflexions antiphilosophiques sur les institutions humaines, que je vous donne pour ce qu'elles valent, c'est-à-dire pour rien.
Or nous étions sept dans la loge officielle de la salle du Conservatoire, et chaque jour une fournée de quatre-vingt-dix pianos au moins faisaient gémir sous son poids le plancher du théâtre en face de nous. Trois habiles professeurs jouaient chacun un morceau différent sur le même instrument, en répétant chacun toujours le même; nous entendions ainsi quatre-vingt-dix fois par jour ces trois airs, ou, en additionnant, deux cent soixante-dix airs de piano, de huit heures du matin à quatre heures de l'après-midi. Il y avait des intermittences dans notre état. A certains moments, une sorte de somnolence remplaçait la douleur, et comme, après tout, sur ces trois morceaux il s'en trouvait deux de fort beaux, l'un de Pergolèse et l'autre de Rossini, nous les écoutions alors avec charme; ils nous plongeaient dans une douce rêverie. Bientôt après, il fallait payer son tribut à la faiblesse humaine; on se sentait pris de spasmes d'estomac et de véritables nausées. Mais ce n'est pas ici le cas d'examiner ce phénomène physiologique.
Pour n'être en aucune façon influencés par les noms des facteurs des terribles pianos, nous avions eu l'idée d'étudier ces instruments, sans savoir à qui ni de qui ils étaient. On avait en conséquence caché le nom des facteurs par une large plaque de carton portant un numéro. Les essayeurs pianistes, avant de commencer leur opération, nous criaient du théâtre: Numéro 37, ou numéro 20, etc. Chacun des jurés prenait ses notes d'après cette désignation. Quand ensuite le deux cent soixante-dixième air était exécuté, les jurés, non contents de cette épreuve, descendaient sur le théâtre, examinaient de près le mécanisme de chaque instrument, en touchaient eux-mêmes le clavier, et modifiaient ainsi, s'il y avait lieu, leur première opinion. Le premier jour, on entendit un nombre considérable de pianos à queue. Les sept jurés en distinguèrent tout d'abord six dans l'ordre suivant:
Le nº 9 obtint l'unanimité pour la première place;
Le nº 19 obtint également l'unanimité pour la seconde;
Le nº 5 eut 6 voix sur 7 pour la troisième;
Le nº 11, 4 voix sur 7 pour la quatrième;
Le nº 17, 6 voix pour la cinquième;
Le nº 22, 5 voix pour la sixième.
Les jurés, pensant que la position des pianos sur le théâtre, position plus ou moins rapprochée de certains réflecteurs du son, pouvait rendre les conditions de sonorité inégales, imaginèrent alors d'entendre une seconde fois ces six instruments dans un autre ordre et après les avoir tous déplacés. En outre, pour ne pas subir l'influence d'une première impression, ils tournèrent eux-mêmes le dos à la scène pendant le déplacement des instruments, dont ils connaissaient la couleur, la forme et la place, voulant ignorer où ils allaient être portés. Ils les entendirent ainsi sans se retourner, sans savoir lequel était touché le premier, le second, etc.; et leurs notes consultées ensuite, et les numéros rapprochés du nouveau numéro d'ordre dans lequel on venait de les faire entendre, il se trouva, en fin de compte, que les suffrages s'étaient répartis de la même façon sur les mêmes instruments qu'à la première épreuve, tant les qualités de chacun étaient tranchées. Ce fait est l'un des plus curieux de ce genre que l'on puisse citer; il prouve d'ailleurs le soin minutieux avec lequel le jury s'est acquitté de sa tâche.
Après chaque séance, le résultat des votes était consigné dans le procès-verbal; un membre du jury allait découvrir les noms cachés par la plaque de carton, écrivait ces noms avec les numéros auxquels ils correspondaient, et sa déclaration, jointe au procès-verbal, était enfermée dans une enveloppe cachetée et revêtue du timbre du Conservatoire.
C'est pourquoi, pendant les longues semaines consacrées à l'examen des pianos, personne, pas même les membres du jury (excepté un), ne connaissant le nom des facteurs classés, aucun de ceux-ci n'a pu réclamer, ni se plaindre, ni venir nous dire: «Monsieur, je n'ai pas démérité, etc.»
La même marche a été suivie pour les pianos à queue petit format, pour les pianos carrés et pour les pianos droits. Nous avons la satisfaction d'annoncer qu'aucun juré n'a succombé par suite de cette épreuve, et que la plupart d'entre eux sont aujourd'hui en convalescence.
Un rival d'Érard
Certains mécaniciens amateurs se livrent parfois à la fabrication des instruments de musique avec le plus grand succès. Ils font même dans cet art d'étonnantes découvertes… Ces hommes ingénieux, autant que modestes, dédaignent néanmoins d'envoyer leurs ouvrages aux expositions universelles, et ne réclament pour eux personnellement ni brevet d'invention, ni médaille d'or, ni le moindre cordon de la Légion d'honneur.
L'un d'eux vint un jour, en Provence, visiter son voisin de campagne, M. d'O… célèbre critique et musicien distingué. En entrant dans son salon: «Ah! vous avez un piano? lui dit-il.
– Oui, un Érard excellent.
– Moi aussi, j'en ai un.
– Un piano d'Érard?
– Allons donc! de moi, s'il vous plaît. Je me le suis fait à moi-même, et d'après un système tout nouveau. Si vous êtes curieux de le voir, je le ferai mettre demain sur ma charrette, et je vous l'apporterai.
– Volontiers.»
Le lendemain, l'amateur campagnard arrive avec sa charrette; on apporte le piano, on l'ouvre, et M. d'O… est fort étonné de voir le clavier composé exclusivement de touches blanches. «Eh bien! et les touches noires? dit-il.
– Les touches noires? Ah! oui, pour les dièzes et les bémols; c'est une bêtise de l'ancien piano. Je n'en use pas.»
Correspondance diplomatique
A Sa Majesté Aïmata Pomaré, reine de Taïti, Eïmeo, Ouaheine, Raïatea, Bora-Bora, Toubouaï-Manou et autres îles, dont les œuvres viennent d'obtenir la médaille d'argent à l'Exposition universelle.
MAJESTÉ, REINE GRACIEUSE,
Exposition bientôt finie. Nos amis les juges du concours des nations et moi bien contents.
Beaucoup souffert, beaucoup sué, pour entendre et juger les instruments de musique, pianos, orgues, flûtes, trompettes, tambours, guitares et tamtams. Grande colère des juges contre les hommes des nations fabricants de pianos, orgues, flûtes, trompettes tambours, guitares et tamtams.
Les hommes des nations vouloir tous être le premier et tous demander que leur ami soit le dernier; offrir à nous de boire de l'ava, d'accepter des fruits et des cochons. Nous juges très-fâchés, et pourtant, sans fruits ni cochons, bien dit quels étaient les meilleurs fabricants de pianos, orgues, flûtes, trompettes, tambours, guitares et tamtams. Ensuite quand nous avoir bien étudié, examiné, entendu tout, nous, les vrais juges, être obligés d'aller trouver d'autres juges qui n'avaient pas étudié, examiné ni entendu les instruments de musique, et de leur demander si nous avions trouvé les vrais meilleurs. Eux répondre à nous que non. Alors nous encore une fois très en colère, très-fâchés, vouloir quitter la France et l'Exposition.
Puis redevenir avec les autres juges tous tayos, tous amis; et pour nous rendre notre politesse, ceux-là qui avaient bien examiné, bien étudié, les mérés1, les maros, les prahos, les tapas, les couronnes, exposés par les gens de Taïti, nous demander s'ils avaient bien fait de donner le prix à la Taïti-Ouna2. Nous, bons garçons, qui ne savions rien, répondre tout de suite que oui. Et les juges décider qu'une médaille d'argent serait offerte à Majesté gracieuse, pour les couronnes en écorce d'arrow-root que belle reine a envoyées à ces pauvres hommes d'Europe qui n'en avaient jamais vu. Alors aller tous kaï-kaï, tous manger ensemble; et pendant le déjeuner, les juges des nations beaucoup parler de gracieuse Taïti-Ouna, demander si elle sait le français, si elle a plus de vingt ans… Les juges des nations, même les ratitas3, bien ignorants; pas connaître un seul mot de la langue kanake, pas savoir que gracieuse Majesté s'appeler Aïmata, être née en 1811 (moi rien dire de cela), avoir pris pour troisième mari un jeune arii4, favori de votre père Pomaré III, qui lui donna son nom par amitié. Ne pas se douter que po veut dire nuit et maré tousser, et que votre arrière-grand-père Otou, ayant été fort enrhumé et toussant beaucoup une nuit, un de ses gardes avait dit le lendemain: «Po maré le roi» (le roi, tousser la nuit), ce qui donna à S. M. la spirituelle idée de prendre ce nom, et de s'appeler Pomaré Ier.
Les hommes de France savoir seulement que reine gracieuse avoir quantité d'enfants, et eux beaucoup rire de ce que gracieuse Majesté ne veut pas porter des bas. Eux dire aussi que belle Ouna trop fumer gros cigares, trop boire grands verres d'eau-de-vie, et trop souvent jouer aux cartes seule, la nuit, avec les commandants de la station française qui protége les îles.
Après déjeuner, juges des nations monter ensemble dans les galeries du palais de l'Exposition, pour voir l'ouvrage de vos belles mains, auquel ils venaient de donner le prix sans le connaître, et trouver aussitôt l'ouvrage charmant, et convenir que les couronnes de Taïti bien légères sont pourtant bien solides, plus solides que quantité de couronnes d'Europe.
Les juges des nations, aussi bien les arii5 que les boué-ratiras6, recommencer en descendant à parler de belle reine et de la médaille d'argent qu'elle pourra bientôt pendre à son cou; et chacun avouer qu'il voudrait bien être une heure ou deux à la place de la médaille. Très-bon pour belle Ouna-Aïmata que soit pas possible, car nous juges des nations tous bien laids.
Pas un tatoué, pas un comparable aux jeunes hommes de Bora-Bora, encore moins au grand, beau, quoique Français, capitaine, qui commandait le Protectorat il y a trois ans, et qui, convenez-en, protégeait si bien.
Adieu, Majesté gracieuse, les tititeou-teou7 de l'Exposition sont occupés déjà à faire la médaille d'argent, et jolie boîte pour l'enfermer, avec beaucoup gros longs cigares et deux paires de bas fins brodés d'or. Tout sera bientôt en route pour les îles.
Moi avoir voulu d'abord écrire à Ouna-Aïmata en kanak, mais ensuite pas oser, trop peu savant dans la douce langue, et écrire alors simplement en français comme il est parlé à la cour de Taïti.
Nos ioreana8 et nos bonnes amitiés aux amis Français du Protectorat; que rien ne trouble vos houpas-houpas9, et que le grand Oro10 vous délivre de tous les Pritchards. Je dépose deux respectueux comas11 sur vos fines mains royales, et suis, belle Aïmata, de Votre Majesté, le tititeou-teou,
Hector Berlioz,l'un des juges des nations.Paris, le 18 octobre 1855.
P. S. J'ai oublié de dire à gracieuse Majesté que les bas brodés joints à la médaille et aux cigares peuvent se porter sur la tête.
Prudence et sagacité d'un Provincial. – L'orgue mélodium d'Alexandre
Un amateur, qui avait entendu louer en maint endroit les orgues mélodium d'Alexandre, voulut en offrir un à l'église du village qu'il habitait. «On prétend, se dit-il, que ces instruments ont des sons délicieux, dont le caractère à la fois rêveur et plein de mystère les rend propres surtout à l'expression des sentiments religieux; ils sont en outre d'un prix modéré; quiconque possède à peu près le mécanisme du clavier du piano peut en jouer sans difficulté. Cela ferait parfaitement mon affaire. Mais comme il ne faut jamais acheter chat en poche, allons à Paris et jugeons par nous-même de la valeur de ces éloges prodigués aux instruments d'Alexandre par la presse de toute l'Europe et même aussi par la presse américaine. Voyons, écoutons, essayons et nous achèterons après, s'il y a lieu.»
Ce prudent amateur vient à Paris, se fait indiquer le magasin d'Alexandre, et ne tarde pas à s'y présenter.
Pour comprendre ce qu'il y a de grotesque dans le parti qu'il crut devoir prendre après avoir examiné les orgues, il faut savoir que les instruments d'Alexandre, indépendamment du soufflet qui fait vibrer des anches de cuivre par un courant d'air, sont pourvus d'un système de marteaux destinés à frapper les anches et à les ébranler par la percussion au moment où le courant d'air vient se faire sentir. L'ébranlement causé par le coup de marteau rend plus prompte l'action du soufflet sur l'anche, et empêche ainsi le petit retard qui existerait sans cela dans l'émission du son. En outre l'effet des marteaux sur les anches de cuivre produit un petit bruit sec, imperceptible quand le soufflet est mis en jeu, mais qu'on entend assez distinctement de près quand on se borne à faire mouvoir les touches du clavier.
Ceci expliqué, suivons notre amateur dans le grand salon d'Alexandre au milieu de la population harmonieuse d'instruments qui y est exposée.
– Monsieur, je voudrais acheter un orgue.
– Monsieur, nous allons vous en faire entendre plusieurs, vous choisirez ensuite.
– Non, non, je ne veux pas qu'on me les fasse entendre. Le prestige de l'exécution de vos virtuoses peut et doit abuser l'auditeur sur les défauts des instruments et transformer quelquefois ces défauts en qualités. Je tiens à les essayer moi-même, sans être influencé par aucune observation. Permettez-moi de rester seul un instant dans votre magasin.
» – Qu'à cela ne tienne, monsieur, nous nous retirons; tous les mélodium sont ouverts; examinez-les.»
Là-dessus, M. Alexandre s'éloigne, l'amateur s'approche d'un orgue, et, sans se douter qu'il faut pour le faire parler agir avec les pieds sur le soufflet placé au-dessous de la caisse, promène ses mains sur le clavier, comme il eût fait pour essayer un piano.
Il est étonné de ne rien entendre d'abord, mais presque aussitôt son attention est attirée par le petit bruit sec du mécanisme de la percussion dont j'ai parlé: cli, cla, pic, pac, tong, ting; rien de plus. Il redouble d'énergie en attaquant les touches: cli, cla, pic, pac, tong, ting, toujours. «C'est à ne pas croire, dit-il; c'est ridicule! comment ferait-on entendre ce misérable instrument dans une église, si petite qu'on la suppose? Et on loue en tous lieux de pareilles machines, et M. Alexandre a fait fortune en les fabricant Voilà pourtant jusqu'où s'étend l'audace de la réclame, la mauvaise foi des rédacteurs de journaux.»
L'amateur indigné s'approche pourtant d'un autre orgue, de deux autres, de trois autres, pour l'acquit de sa conscience; mais, employant toujours le même moyen pour les essayer, il arrive toujours au même résultat. Toujours: cli, cla, pic, pac, tong, ting. Il se lève enfin, parfaitement édifié, prend son chapeau et se dirige vers la porte, quand M. Alexandre, qui avait tout vu de loin, accourant:
– Eh bien, monsieur, avez-vous fait un choix?
– Un choix! parbleu, vos annonces, vos réclames, vos médailles, vos prix, nous la donnent belle à nous autres provinciaux! vous nous croyez donc bien simples, pour oser nous offrir de si ridicules instruments! La première condition d'existence pour la musique, c'est de pouvoir être entendue! Or, vos prétendues orgues, que j'ai fort heureusement essayées moi-même, sont inférieures aux plus mesquines épinettes du siècle dernier, et n'ont littéralement aucun son, non monsieur, aucun son. Je ne suis ni sourd, ni sot.
Bonjour!
La Trompette marine. – Le Saxophone. – Les Savants en instrumentation
A chacune des représentations du Bourgeois gentilhomme, au Théâtre Français, le parterre commet une bévue dont les musiciens, s'il s'en trouve dans la salle, ne peuvent manquer de rire de tout leur cœur. A la première scène du deuxième acte, quand le maître de musique dit: «Il vous faudra trois voix, un dessus, une haute-contre, et une basse, qui seront accompagnées d'une basse de viole, d'un théorbe, et d'un clavecin pour les basses continues, avec deux dessus de violon pour jouer les ritournelles.»