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Vie de Christophe Colomb
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Vie de Christophe Colomb

Язык: Французский
Год издания: 2017
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Cazadilla fit plus encore; car, voyant le mécontentement que le roi Jean II éprouvait de cette nouvelle décision et le penchant qu'il continuait à manifester pour tenter l'entreprise, il eut recours à une manœuvre indigne, qu'il présenta au roi sous le prétexte spécieux, si souvent invoqué en pareil cas, qu'il était de la dignité de la couronne de ne pas s'engager à cet égard par une détermination officielle, et qu'il fallait agir à l'insu de Colomb pour vérifier jusqu'à quel point ses propositions pouvaient être fondées.

Le roi eut la faiblesse d'adopter ce conseil, qui n'était qu'une ruse odieuse déguisée sous le semblant de la dignité royale; et, mettant à profit les cartes et les communications diverses de Colomb, des instructions furent tracées, et l'ordre fut donné d'expédier secrètement une caravelle du cap Vert, pour qu'elle fît route immédiatement, et d'après ces mêmes instructions.

Cependant, Colomb était tenu en suspens par plusieurs assurances qu'on lui donnait, que le conseil, ne pouvant agir avec trop de maturité, prenait du temps pour mieux asseoir son jugement. Quant à la caravelle, elle partit; mais elle éprouva des contrariétés; et, comme le capitaine et l'équipage ne rencontrèrent que des mers agitées par des vents impétueux, qu'ils ne virent devant eux que des horizons menaçants et que l'espace succédant à l'espace, sans l'aspect d'aucune terre pour les encourager ou les guider, ils faillirent à l'œuvre comme des hommes non stipulés par l'aiguillon de la gloire ou manquant de conviction, et ils retournèrent au cap Vert, d'où ils firent voile pour Lisbonne; là, ils s'excusèrent de leur manque de résolution, en ridiculisant le projet comme étant déraisonnable et même extravagant.

Cette insigne duplicité indigna Colomb au point qu'il ne voulut plus entendre à rien, même, dit-on, à une disposition que montra le roi à renouer la négociation. Sa femme était morte depuis quelque temps, il ne tenait donc plus au Portugal par aucun lien, et il en serait parti immédiatement, si ses affaires pécuniaires, dérangées par le peu de soins que ses préoccupations scientifiques lui avaient permis d'y donner, lui en avait laissé la faculté. Il fit alors tous ses efforts pour rétablir ses finances; et finalement, il quitta ce royaume en 1484, emmenant avec lui son jeune fils Diego.

Quelque fâcheux pour notre illustre navigateur qu'aient pu être les événements que nous venons de décrire, ils ont eu, toutefois, le résultat de démontrer invinciblement la fausseté des allégations par lesquelles on a cherché à insinuer que l'idée première de ses projets ne lui appartenait pas en propre, et qu'elle lui avait été suggérée par des révélations qui lui avaient été faites dans ses voyages à la côte de Guinée, ou par la connaissance de faits empreints de caractères tellement vraisemblables qu'ils avaient dû être acceptés par lui comme des preuves. Ainsi, cette prétendue statue qui, sur le cap le plus avancé de la plus occidentale des Açores, avait un doigt mystérieusement dirigé vers l'occident; ainsi, ces vues de terres que l'on croyait, en certains temps, apercevoir du sommet des montagnes des îles Canaries; ces pièces de bois grossièrement travaillées, apportées par des vents d'Ouest; ces arbres d'espèces étrangères à l'Europe ou à l'Afrique, dont les troncs avaient été roulés par les vagues jusques à notre continent; ces cadavres parvenus sur nos côtes, et dont les traits ou les formes n'appartenaient à aucune race alors connue dans nos pays!.. tout cela était évidemment des fables; car, s'il y avait eu la moindre certitude, s'il avait existé le moindre prétexte à en retirer des inductions favorables, il est certain que le roi Jean, que Cazadilla, que la junte, que le conseil privé, que les marins de la caravelle expédiée du cap Vert en auraient eu connaissance, qu'ils n'auraient pas traité Colomb de visionnaire, et qu'ils n'auraient point déclaré que ses projets étaient extravagants.

Il est donc bien démontré que, dans le Portugal, pays où l'art de la navigation était le plus avancé, et qui était le mieux situé pour connaître l'exactitude de ces bruits ou de tous ceux qui pouvaient alors circuler sur l'existence de contrées transatlantiques, rien qui eût un caractère authentique n'y existait; que les théories de Colomb, touchant ces mêmes contrées, y furent unanimement qualifiées d'impraticables ou d'insensées, et qu'à lui seul revient l'honneur tout entier non-seulement d'avoir conçu de si vastes projets, mais encore de les avoir exécutés!

Il règne quelque obscurité sur la vie de Colomb pendant l'année 1485; nous allons en rapporter ce qui paraît le moins vague dans le récit des historiens qui ont traité ce sujet.

De Lisbonne il se rendit à Gênes où il renouvela ses propositions de découvertes dans l'Occident; la république, alors occupée de guerres ruineuses qui minaient sa prospérité, ne crut pas pouvoir accepter des offres qui auraient ajouté beaucoup d'éclat à sa puissance, et dont les conséquences avantageuses pour son opulence auraient pendant longtemps établi sa suprématie commerciale. Il s'adressa ensuite à Venise qui, se trouvant en ce moment dans une période critique pour ses affaires, refusa également ses propositions. L'Angleterre, à cette même époque, était gouvernée par Henri VII, dont Colomb avait entendu vanter la sagesse et la magnificence; il crut donc devoir engager son frère Barthélemy à s'embarquer pour cette île, afin de faire connaître ses plans à ce souverain, et de chercher à les lui faire approuver. Quant à lui, après avoir embrassé son vieux père qui vivait encore, et après avoir satisfait, autant qu'il était en lui, à sa piété filiale, par les mesures qu'il prit pour subvenir aux besoins de sa vieillesse, il partit pour l'Espagne avec l'espoir d'y recevoir un accueil plus favorable que celui que lui avaient fait jusqu'alors les gouvernements auxquels il s'était adressé.

À une demi-lieue de Palos, sur une éminence solitaire qui avoisine la mer, se trouvait, et se trouve même encore aujourd'hui, un ancien couvent de Franciscains, entouré d'un bois de pins, et qui est dédié à Sainte-Marie de la Rabida. À la porte de ce couvent, en l'année 1486, s'arrêta, un jour, un étranger qui venait de débarquer sur les côtes de l'Espagne, et qui, exténué de fatigue, conduisant par la main un jeune enfant également épuisé, frappa et demanda un peu d'eau et de pain pour ranimer les forces défaillantes de cet enfant qui était son fils. Cet étranger, qui devait, plus tard, doter la couronne d'Espagne de possessions innombrables, et qui, en ce moment, faisait un humble appel à la charité du frère gardien d'un simple couvent de ce royaume, c'était Christophe Colomb, qui se rendait à Huelva dans l'espoir d'y trouver son beau-frère Correo!

Le supérieur du couvent entrait en ce même moment: c'était un homme instruit, intelligent, qui, après avoir accompli les premiers devoirs de l'hospitalité, fut tellement frappé de l'air de noblesse et de dignité de son hôte, qu'il lia conversation avec lui et qu'il l'engagea à faire quelque séjour au couvent.

Ce supérieur, qui se nommait Jean Perez de Marchena, ne put, sans un sentiment de sympathie extrême, entendre le récit de la vie de l'étranger qui lui en confia toutes les particularités et se garda bien d'omettre les pensées de découvertes dont il était le plus préoccupé; mais, se méfiant de son propre jugement, le supérieur en référa à Garcia Fernandez, médecin de Palos, qui était un de ses amis. Fernandez fut séduit, comme l'avait été Jean Perez; il en conversa avec des marins, avec des pilotes de l'endroit qui parurent frappés de la grandeur de l'idée; mais ce qui acheva de déterminer la conviction du supérieur du couvent, fut l'approbation décidée qui fut donnée aux théories de Colomb par Martin Alonzo Pinzon, de Palos, l'un des plus habiles capitaines de la marine marchande espagnole, et chef d'une famille de marins aussi riche que distinguée. Pinzon fit même plus qu'approuver; car il offrit, spontanément, une forte somme pour contribuer à un armement, et sa personne pour accompagner Colomb afin de le seconder dans le voyage.

Jean Perez, qui avait été confesseur de la reine, donna alors un libre cours à ses bonnes intentions; il conseilla à Colomb de se rendre immédiatement à la cour; il lui remit une lettre pressante de recommandation pour Fernando de Talavera, prieur du couvent du Prado, confesseur actuel de la reine, homme ayant une grande influence politique et qu'il connaissait très-particulièrement; il lui promit aussi de garder au couvent son fils Diego, et de veiller paternellement en tout à sa personne ainsi qu'à son éducation. Pinzon offrit les moyens pécuniaires pour subvenir au voyage; enfin, au printemps de l'année 1486, Colomb, enthousiasmé, Colomb, le cœur ravi de ces encouragements et de ces secours inespérés, s'éloigna du couvent de la Rabida pour se rendre à la cour de Castille réunie en ce moment, à Cordoue où les souverains espagnols, Ferdinand et Isabelle, se trouvaient pour hâter la conquête de Grenade qui appartenait encore aux Maures.

La guerre opiniâtre que les Espagnols faisaient aux Maures et la situation politique du pays, se lient trop étroitement à l'exécution des projets de Christophe Colomb, pour que nous n'entrions pas, à cet égard, dans quelques détails qui expliquent les retards qu'il éprouva pour faire accueillir favorablement ces mêmes projets.

Ferdinand, roi d'Aragon, et Isabelle, reine de Castille, régnaient à cette époque en Espagne: ils avaient uni leurs destinées et leur politique par un mariage qui, en satisfaisant à leur bonheur personnel, leur permettait de combiner leurs efforts pour la gloire de l'Espagne et pour achever d'en expulser les Maures qui, depuis longtemps, y avaient établi leur domination. C'était, en ce moment, l'unique objet de leur ambition; et tous leurs vœux, toutes leurs ressources étaient concentrés et dirigés vers ce noble but.

Cependant, les deux royaumes d'Aragon et de Castille étaient, en particulier, dans une indépendance complète l'un vis-à-vis de l'autre. Grâce à l'accord aussi parfait que désintéressé de ces deux souverains en tout ce qui touchait aux intérêts de l'Espagne, jamais aucun empiétement ne se fit remarquer sur leurs droits respectifs: ainsi, dans chacun des deux royaumes, les impôts étaient levés selon les lois de chacun de ces pays; la justice était rendue au nom de chacun des souverains; mais, dans les actes généraux, leurs deux noms étaient joints pour la signature, leurs têtes figuraient ensemble sur la monnaie nationale, et le sceau royal portait déployées les armes confondues de la Castille et de l'Aragon.

On a dit, à l'étranger, que Ferdinand était fanatique, ambitieux, égoïste, perfide même; mais, en Espagne, il a toujours été cité comme possédant un esprit étendu, une intelligence pénétrante, un caractère égal, et comme un homme d'une politique consommée, doué d'un grand talent d'observation, et sans rival pour les travaux du cabinet.

Quant à Isabelle, les écrivains contemporains n'en ont jamais parlé qu'avec un enthousiasme extrême. Le temps a confirmé ce langage, et il a été ratifié par les écrivains de tous les autres pays. Lorsque Colomb arriva à Cordoue, il y avait dix-sept ans qu'Isabelle était mariée, et on la dépeint alors comme réunissant l'activité et la résolution d'un homme à la douceur féminine la plus accomplie, accompagnant son mari dans les camps, assistant à tous les conseils, animée par les idées les plus pures de la gloire, et adoucissant toujours, par les élans de son caractère généreux, les rigueurs parfois trop sévères de la politique calculatrice du roi. Dans la direction des affaires de son royaume, on nous la montre comme uniquement occupée à améliorer la législation, à guérir les plaies engendrées par de longues guerres intérieures, à encourager les arts, les sciences, la littérature, et ce fut par ses soins que l'université de Salamanque acquit l'illustration dont elle a joui pendant longtemps, parmi les nations. Enfin, sa prudence semblait, en tout, être inspirée par une sagesse infinie, elle veillait sans cesse aux intérêts de tous, et elle était la mère du peuple dans toute l'acception de ce mot.

Mais si nous nous reportons à la plus tendre jeunesse d'Isabelle, à ce qu'elle était avant d'unir son sort à celui du roi d'Aragon, rien n'égale les descriptions qui ont été faites des charmes de sa personne, et nous ne pouvons résister au plaisir de citer le portrait qui en a été tracé par un auteur étranger:

«La plus poétique imagination de l'Espagne, pays renommé pour la beauté des femmes, n'aurait pu concevoir une beauté plus régulière: ses mains, ses pieds, son buste et tous ses contours, portaient l'empreinte de la grâce la plus accomplie. Sa taille, quoique moyenne, était remplie de noblesse et de dignité. Celui qui la contemplait ne savait, au premier abord, s'il était fasciné par la perfection du corps ou par l'expression que l'âme communiquait à un extérieur, pour ainsi dire, irréprochable. Née sous le soleil de l'Espagne, elle descendait, cependant, par une longue suite de rois, des monarques goths, et leurs fréquentes alliances avec des princesses étrangères avaient produit, sur sa physionomie, un mélange de l'éclatante fraîcheur du Nord avec la séduisante vivacité des femmes du Midi. Son teint était blanc, et son épaisse chevelure d'un brun clair; ses yeux bleus, d'une douceur ravissante, rayonnaient d'intelligence et de sincérité. Pour ajouter à tant d'attraits, quoique élevée à la cour, une franchise austère, mais inoffensive, régnait dans son langage comme dans ses regards, et, en étincelant sur son visage, à l'éclat de la jeunesse ajoutait celui de la vérité.»

Telle était, telle avait été la noble femme qui contribua, plus peut-être que son mari, à l'expulsion définitive des Maures du territoire espagnol; et qui, quelque grande et patriotique que fût cette œuvre, était destinée à acquérir la gloire plus grande encore, puisqu'elle la rend immortelle dans l'histoire, d'avoir une influence décisive sur la découverte du Nouveau-Monde. Enfin, ce qui prouve clairement l'extrême supériorité de l'esprit d'Isabelle, c'est que, destinée à gouverner l'Espagne conjointement avec Ferdinand; dans ce règne à deux qui lui présentait tant d'écueils, elle sut constamment, tout en maintenant intactes l'étendue de son autorité, la plénitude de ses droits, se faire aimer et respecter par le plus ombrageux des maris, le plus inquiet des hommes et le plus absolu des souverains.

Toutefois, la guerre sainte, ainsi qu'on l'appelait en Espagne, que Ferdinand et Isabelle avaient entreprise contre les Maures, occupait trop les esprits, lors de l'arrivée de Colomb à Cordoue, pour que le moment fût propice à l'examen de ses plans. Fernando de Talavera, lui-même, à qui il remit la lettre de Jean Perez et qui devait être son introducteur auprès de Leurs Majestés, prit à peine le temps de lire la lettre ou de l'écouter, et trouva plus commode de lui dire que ce qu'il proposait était inacceptable. Rien n'annonce même que Talavera en ait entretenu les souverains, ou s'il le fit, ce dut être en termes tellement froids qu'ils ne purent y prendre aucun intérêt.

La campagne fut ouverte en 1486 par le roi et la reine en personnes, et elle fut poursuivie avec vigueur. Quant à Colomb, il attendit à Cordoue des circonstances plus favorables, espérant tout du temps ainsi que des efforts qu'il faisait pour faire goûter ses théories par les hommes éclairés avec lesquels il pouvait entrer en relations. Il se remit à son travail de faire des cartes afin de subvenir à son existence, et, dans cette humble position, il eut souvent à braver les railleries de ceux qui, n'ayant pas le don de le comprendre, se laissaient parfois aller au malin plaisir de le tourner en ridicule, soit à cause de l'état de pénurie où il se trouvait, ou, plus encore, à cause des préoccupations de son esprit que l'on qualifiait de fantasques et d'insensées.

Ce fut dans cette ville qu'il s'attacha à dona Beatrix Enriquez; toutefois, les particularités de cette liaison sont enveloppées d'obscurité: on sait seulement que c'était une dame de bonne famille et qu'elle fut la mère de Fernand, son second fils, qu'il aima toujours à l'égal de son aîné Diego et qui fut l'historien de son père; mais les autres détails de cette partie de la vie de Colomb restent ignorés; on doute même que l'attachement mystérieux qu'il eut pour dona Enriquez ait jamais été légitimé par le mariage.

Quoi qu'il en soit, les idées de Colomb se répandirent peu à peu et obtinrent quelque crédit. Entre autres, Alonzo de Quintanilla, contrôleur des finances du royaume de Castille, fut frappé de la force de ses raisonnements, et il ne put voir, sans en être ému, tant de dignité dans le langage, tant de noblesse dans les manières et tant de foi dans les convictions; aussi, fut-il bientôt un de ses approbateurs les plus chaleureux, un de ses avocats les plus puissants, et il lui donna asile dans sa maison.

Antoine Geraldini, nonce du pape, et son frère Alexandre Geraldini, précepteur des plus jeunes enfants de Ferdinand et d'Isabelle, devinrent aussi ses partisans zélés. Ils le présentèrent à Gonzalez de Mendoza, archevêque de Tolède et grand cardinal d'Espagne; c'était un personnage très-considéré à la cour où l'on ne prenait jamais un parti de quelque importance sans le consulter, à tel point qu'il avait reçu le surnom de Troisième Roi d'Espagne! Sa science n'avait rien de froid; son intelligence était vive, et son habileté prompte et décidée dans l'examen ainsi que dans l'exécution ou la pratique des affaires; aussi fut-il charmé de l'éloquence lucide et du noble maintien de Colomb. Il l'écouta avec une attention progressivement croissante; il comprit bientôt la portée infinie de ses projets, la vigueur de ses arguments; et, dès sa première conversation, il devint l'ami le plus dévoué et le plus inébranlable de son interlocuteur: il en parla aussitôt au roi, et le fruit de son intercession ne se fit pas longtemps attendre, car l'audience qu'il demanda fut accordée à l'instant.

Colomb avait alors cinquante et un ans; mais cet âge, déjà assez avancé pour affronter les fatigues de la navigation et les périls d'un voyage sans données positives, sans terme prévu, sans autre guide que sa confiance et que son génie, cet âge, disons-nous, n'avait ni ébranlé ses résolutions, ni affaibli l'ardeur de son courage. Les soucis de son esprit, les méditations fréquentes auxquelles il se livrait, la crainte de ne pouvoir être agréé pour l'accomplissement de ses desseins avaient blanchi sa chevelure, mais sa taille était toujours droite, sa tournure imposante, et son air grave et digne était rehaussé par la mâle simplicité de ses actions. Son costume n'était ni celui d'un riche, ni celui d'un gentilhomme, mais il le portait avec l'aisance d'un homme supérieur; enfin, il y avait dans sa personne quelque chose de respectable allié à une noble fierté qu'on ne saurait rencontrer chez ceux que le ciel n'a pas formés pour le commandement. On savait, on voyait facilement d'ailleurs qu'il possédait une instruction prodigieuse; il avait la réputation d'avoir beaucoup navigué, d'avoir, soit en sous-ordre, soit en chef, visité tous les parages connus et d'avoir vaillamment combattu; pour tout dire en un mot, il était le marin le plus savant, le plus habile de son temps; son érudition surpassait celle des ecclésiastiques les plus renommés, et l'on disait de lui qu'il n'existait pas en Espagne un chrétien qui fût plus pieux, ni plus attaché à ses devoirs religieux.

Des lettres de Colomb apprennent que, lorsqu'il se rendit à l'audience obtenue par le crédit de Gonzalez de Mendoza, ce fut avec le sentiment de l'importance et de la dignité du motif qui l'animait, et comme s'il avait été mû par une inspiration divine qui lui donnait la confiance d'un homme qui se considère comme l'instrument dont Dieu voulait se servir pour accomplir de grands desseins. Voici, en effet, comment dans ces lettres qui existent encore, il s'exprime sur cet épisode remarquable de sa vie:

«En pensant à ce que j'étais je me sentais prêt à succomber sous la conscience de mon humilité; mais en songeant à ce que j'apportais, je me trouvais l'égal des têtes couronnées; je n'étais plus moi, j'étais l'agent de Dieu, choisi et marqué pour exécuter ses volontés!»

Le roi le reçut d'abord avec cette réserve glaciale qui était inhérente à son caractère naturellement méfiant; mais il était trop bon juge pour ne pas apprécier promptement combien le maintien assuré, quoique modeste, de Colomb, parlait en sa faveur, et il lui témoigna bientôt de l'intérêt. Le savant marin, se voyant attentivement écouté, développa son système; et ce fut avec un art infini qui n'avait cependant rien d'adulateur, qu'il termina son exposé, en cherchant à exciter l'ambition de Ferdinand par l'assurance que ses découvertes surpasseraient, en importance, celles que les Portugais avaient déjà faites sur les côtes méridionales de l'Afrique, et que la gloire qui en rejaillirait sur sa couronne éclipserait celle que les souverains du Portugal avaient acquise dans ce vaste champ ouvert à l'activité humaine, et dont ils tiraient tant de vanité.

Le roi se montra très-satisfait; aussi, ordonna-t-il à Fernando de Talavera de convoquer les astronomes et les géographes les plus renommés du royaume, afin qu'il y eût une conférence dans laquelle le côté scientifique et pratique de la question serait examiné. Christophe Colomb fut transporté de cette heureuse issue, en pensant qu'en présence d'hommes instruits, et qu'en s'exprimant lui-même, sa cause serait facile à gagner; anticipant alors sur la décision des juges qu'il croyait devoir être autant au-dessus des préjugés vulgaires que de leur intérêt personnel, il pensa être arrivé au terme de ses sollicitations et n'avoir plus qu'à se livrer à l'exécution de ses plans.

La conférence eut lieu à Salamanque dans le couvent des Dominicains de Saint-Étienne, réputé le plus éclairé de la chrétienté. Colomb y fut accueilli avec la plus grande distinction, et comme un homme à qui l'on était fier de donner l'hospitalité. Ces dehors flatteurs n'inspirèrent aucune vanité à celui qui était l'objet de tant de déférence; et ce fut avec calme, mais avec une noble chaleur dans le regard qu'il se présenta au milieu du conseil le plus imposant qu'on pût imaginer, si l'on était fondé à juger de la sagesse d'un corps par le rang, par l'âge et par la réputation des membres qui le composent. Mais les séances du conseil sont trop importantes et présentent trop d'intérêt, pour que nous ne les reproduisions pas avec une certaine étendue.

Les professeurs de l'université ne composaient pas seuls ce même conseil; il y avait en outre plusieurs dignitaires de l'Église et quelques moines érudits; toutefois, Colomb ne tarda pas à être convaincu que plusieurs des personnages de la conférence étaient imbus, à l'avance, de sentiments qui lui étaient défavorables, ainsi qu'il n'arrive que trop souvent, lorsque des hommes très-élevés dans l'échelle sociale ont à s'occuper de ceux que leur rang place infiniment au-dessous d'eux et qu'ils sont, naturellement, enclins à considérer comme des intrigants ou comme des imposteurs qu'il est de leur devoir de démasquer. Quelques-uns d'entre eux pensaient, en effet, que Colomb, navigateur presque inconnu en Espagne et n'appartenant à aucune institution scientifique, ne pouvait être qu'un aventurier ou tout au plus qu'un visionnaire; ils avaient, d'ailleurs, cette aversion naturelle aux pédants contre toute innovation qui attaque l'échafaudage de leurs doctrines, et ils restèrent sous ces fâcheuses impressions.

Aussi, Colomb ne fut-il écouté avec attention que par les moines dominicains de Saint-Étienne: les autres se retranchèrent dans cette espèce de fin de non-recevoir que, lorsque tant de profonds philosophes s'étaient occupés de recherches géographiques, lorsque tant d'habiles marins avaient navigué sur toutes les mers connues depuis un temps immémorial, et qu'aucun d'eux n'avait laissé seulement entrevoir la possibilité de terres transatlantiques; que même, à leurs yeux, l'Océan devenait infranchissable dans cette direction, il était plus que présomptueux de venir leur affirmer, sans autres preuves que des assertions imaginaires, que ces terres existaient positivement, et de demander, pour aller à leur recherche, des navires et des hommes que ce serait envoyer à une perte infaillible.

Colomb demanda que la discussion fût approfondie et que des objections plus sérieuses lui fussent faites, car, avec les raisonnements précédents, il n'y aurait jamais lieu au moindre progrès marquant, ni à la moindre perfectibilité. Alors la Bible et les ouvrages des Pères de l'Église furent mis en avant comme des arguments irrésistibles. Ainsi, l'existence des Antipodes, soutenue par les anciens, fut déclarée impossible en vertu de passages des écrits de saint Augustin et de Lactance qui les traitent de fables incompatibles avec les fondements de la foi chrétienne, puisque soutenir qu'il pouvait y avoir du côté opposé de la terre des lieux qui fussent habités, c'était avancer qu'Adam n'était pas le père commun de tous les hommes, ce qui serait contraire aux notions les plus certaines et les plus respectées, et constituerait une attaque évidente contre les vérités de la Bible. On ajouta que, puisque saint Paul avait dit, dans son épître aux Hébreux, que les cieux peuvent être comparés à un tabernacle ou à une tente étendue sur la terre, on devait en conclure que la terre était plate comme l'est le dessous d'une tente.

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