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A travers chants: études musicales, adorations, boutades et critiques
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A travers chants: études musicales, adorations, boutades et critiques

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Nous touchons au moment où les voix vont s'unir à l'orchestre. Les violoncelles et les contre-basses entonnent le récitatif dont nous avons parlé plus haut, après une ritournelle des instruments à vent, rauque et violente comme un cri de colère. L'accord de sixte majeure, fa, la, , par lequel ce presto débute, se trouve altéré par une appogiature sur le si bémol, frappée en même temps par les flûtes, les hautbois et les clarinettes; cette sixième note du ton de ré mineur grince horriblement contre la dominante et produit un effet excessivement dur. Cela exprime bien la fureur et la rage, mais je ne vois pas ici encore ce qui peut exciter un sentiment pareil, à moins que l'auteur, avant de faire dire à son coryphée: Commençons des chants plus agréables, n'ait voulu, par un bizarre caprice, calomnier l'harmonie instrumentale. Il semble la regretter, cependant, car entre chaque phrase du récitatif des basses, il reprend, comme autant de souvenirs qui lui tiennent au cœur, des fragments des trois morceaux précédents; et de plus, après ce même récitatif, il place dans l'orchestre, au milieu d'un choix d'accords exquis, le beau thème que vont bientôt chanter toutes les voix, sur l'ode de Schiller. Ce chant, d'un caractère doux et calme, s'anime et se brillante peu à peu, en passant des basses, qui le font entendre les premières, aux violons et aux instruments à vent. Après une interruption soudaine, l'orchestre entier reprend la furibonde ritournelle déjà citée et qui annonce ici le récitatif vocal.

Le premier accord est encore posé sur un fa qui est censé porter la tierce et la sixte, et qui les porte réellement; mais cette fois l'auteur ne se contente pas de l'appogiature si bémol, il y ajoute celles du sol, du mi et de l'ut dièze, de sorte que TOUTES LES NOTES DE LA GAMME DIATONIQUE MINEURE se trouvent frappées en même temps et produisent l'épouvantable assemblage de sons: fa, la, ut dièse, mi, sol, si bémol, .

Le compositeur français Martin, dit Martini, dans son opéra de Sapho, avait, il y a quarante ans, voulu produire un hurlement d'orchestre analogue, en employant à la fois tous les intervalles diatoniques, chromatiques et enharmoniques, au moment où l'amante de Phaon se précipite dans les flots: sans examiner l'opportunité de sa tentative et sans demander si elle portait ou non atteinte à la dignité de l'art, il est certain que son but ne pouvait être méconnu. Ici, mes efforts pour découvrir celui de Beethoven sont complétement inutiles. Je vois une intention formelle, un projet calculé et réfléchi de produire deux discordances, aux deux instants qui précèdent l'apparition successive du récitatif dans les instruments et dans la voix; mais j'ai beaucoup cherché la raison de cette idée, et je suis forcé d'avouer qu'elle m'est inconnue.

Le coryphée, après avoir chanté son récitatif, dont les paroles, nous l'avons dit, sont de Beethoven, expose seul, avec un léger accompagnement de deux instruments à vent et de l'orchestre à cordes en pizzicato, le thème de l'Ode à la Joie. Ce thème paraît jusqu'à la fin de la symphonie, on le reconnaît toujours, et pourtant il change continuellement d'aspect. L'étude de ces diverses transformations offre un intérêt d'autant plus puissant que chacune d'elles produit une nuance nouvelle et tranchée dans l'expression d'un sentiment unique, celui de la joie. Cette joie est au début pleine de douceur et de paix; elle devient un peu plus vive au moment où la voix des femmes se fait entendre. La mesure change; la phrase, chantée d'abord à quatre temps, reparaît dans la mesure à 6/8 et formulée en syncopes continuelles; elle prend alors un caractère plus fort, plus agile et qui se rapproche de l'accent guerrier. C'est le chant de départ du héros sûr de vaincre; on croit voir étinceler son armure et entendre le bruit cadencé de ses pas. Un thème fugué, dans lequel on retrouve encore le dessin mélodique primitif, sert pendant quelque temps de sujet aux ébats de l'orchestre: ce sont les mouvements divers d'une foule active et remplie d'ardeur… Mais le chœur rentre bientôt et chante énergiquement l'hymne joyeuse dans sa simplicité première, aidé des instruments à vent qui plaquent les accords en suivant la mélodie, et traversé en tous sens par un dessin diatonique exécuté par la masse entière des instruments à cordes en unissons et en octaves. L'andante maestoso qui suit est une sorte de choral qu'entonnent d'abord les ténors et les basses du chœur, réunis à un trombone, aux violoncelles et aux contre-basses. La joie est ici religieuse, grave, immense; le chœur se tait un instant, pour reprendre avec moins de force ses larges accords, après un solo d'orchestre d'où résulte un effet d'orgue d'une grande beauté. L'imitation du majestueux instrument des temples chrétiens est produite par des flûtes dans le bas, des clarinettes dans le chalumeau, des sons graves de bassons, des altos divisés en deux parties, haute et moyenne, et des violoncelles jouant sur leurs cordes à vide sol, , ou sur l'ut bas (à vide) et l'ut du médium, toujours en double corde. Ce morceau commence en sol, il passe en ut, puis en fa, et se termine par un point d'orgue sur la septième dominante de . Suit un grand allegro à 6/4, où se réunissent dès le commencement le premier thème, déjà tant et si diversement reproduit, et le choral de l'andante précédent. Le contraste de ces deux idées est rendu plus saillant encore par une variation rapide du chant joyeux, exécutée au-dessus des grosses notes du choral, non-seulement par les premiers violons, mais aussi par les contre-basses. Or, il est impossible aux contre-basses d'exécuter une succession de notes aussi rapides; et l'on ne peut encore là s'expliquer comment un homme aussi habile que l'était Beethoven dans l'art de l'instrumentation a pu s'oublier jusqu'à écrire, pour ce lourd instrument, un trait tel que celui-ci. Il y a moins de fougue, moins de grandeur et plus de légèreté dans le style du morceau suivant: une gaieté naïve, exprimée d'abord par quatre voix seules et plus chaudement colorée ensuite par l'adjonction du chœur, en fait le fond. Quelques accents tendres et religieux y alternent à deux reprises différentes avec la gaie mélodie, mais le mouvement devient plus précipité, tout l'orchestre éclate, les instruments à percussion, timbales, cymbales, triangle et grosse caisse, frappent rudement les temps forts de la mesure; la joie reprend son empire, la joie populaire, tumultueuse, qui ressemblerait à une orgie, si, en terminant, toutes les voix ne s'arrêtaient de nouveau sur un rhythme solennel pour envoyer, dans une exclamation extatique, leur dernier salut d'amour et de respect à la joie religieuse. L'orchestre termine seul, non sans lancer dans son ardente course des fragments du premier thème dont on ne se lasse pas.

Une traduction aussi exacte que possible de la poésie allemande traitée par Beethoven donnera maintenant au lecteur le motif de cette multitude de combinaisons musicales, savants auxiliaires d'une inspiration continue, instruments dociles d'un génie puissant et infatigable. La voici:

«O Joie! belle étincelle des dieux, fille de l'Élysée, nous entrons tout brûlants du feu divin dans ton sanctuaire! un pouvoir magique réunit ceux que le monde et le rang séparent; à l'ombre de ton aile si douce tous les hommes deviennent frères.

«Celui qui a le bonheur d'être devenu l'ami d'un ami; celui qui possède une femme aimable; oui, celui qui peut dire à soi une âme sur cette terre, que sa joie se mêle à la nôtre! mais que l'homme à qui cette félicité ne fut pas accordée se glisse en pleurant hors du lieu qui nous rassemble!

«Tous les êtres boivent la joie au sein de la nature; les bons et les méchants suivent des chemins de fleurs. La nature nous a donné l'amour, le vin et la mort, cette épreuve de l'amitié. Elle a donné la volupté au ver; le chérubin est debout devant Dieu.

«Gai! gai! comme les soleils roulent sur le plan magnifique du ciel, de même, frères, courez fournir votre carrière, pleins de joie comme le héros qui marche à la victoire.

«Que des millions d'êtres, que le monde entier se confonde dans un même embrassement! Frères, au delà des sphères doit habiter un père bien-aimé.

«Millions, vous vous prosternez? reconnaissez-vous l'œuvre du Créateur? Cherchez l'auteur de ces merveilles au-dessus des astres, car c'est là qu'il réside.

«O Joie! belle étincelle des dieux, fille de l'Élysée, nous entrons tout brûlants du feu divin dans ton sanctuaire!

«Fille de l'Élysée, joie, belle étincelle des dieux!!»

Cette symphonie est la plus difficile d'exécution de toutes celles de l'auteur; elle nécessite des études patientes et multipliées, et surtout bien dirigées. Elle exige en outre un nombre de chanteurs d'autant plus considérable que le chœur doit évidemment couvrir l'orchestre en maint endroit, et que, d'ailleurs, la manière dont la musique est disposée sur les paroles et l'élévation excessive de certaines parties de chant rendent fort difficile rémission de la voix, et diminuent beaucoup le volume et l'énergie des sons.

……

Quoi qu'il en soit, quand Beethoven, en terminant son œuvre, considéra les majestueuses dimensions du monument qu'il venait d'élever, il dut se dire: «Vienne la mort maintenant, ma tâche est accomplie.»

QUELQUES MOTS SUR LES TRIOS ET LES SONATES DE BEETHOVEN

Il y a beaucoup de gens en France pour qui le nom de Beethoven n'éveille que les idées d'orchestre et de symphonies; ils ignorent que dans tous les genres de musique, cet infatigable Titan a laissé des chefs-d'œuvre presque également admirables.

Il a fait un opéra: Fidelio; un ballet: Prométhée; un mélodrame: Egmont; des ouvertures de tragédies: celles de Coriolan et des Ruines d'Athènes; six ou sept autres ouvertures sur des sujets indéterminés; deux grandes messes; un oratorio: le Christ au mont des Oliviers; dix-huit quatuors pour deux violons, alto et basse; plusieurs autres quatuors et quintetti pour trois ou quatre instruments à vent et piano; des trios pour piano, violon et basse; un grand nombre de sonates pour le piano seul ou pour piano avec un instrument à cordes, basse ou violon; un septuor pour quatre instruments à cordes et trois instruments à vent; un grand concerto de violon; quatre ou cinq concertos de piano avec orchestre; une fantaisie pour piano principal avec orchestre et chœurs; une multitude d'airs variés pour divers instruments; des romances et des chansons avec accompagnement de piano; un cahier de cantiques à une voix et à plusieurs voix; une cantate ou scène lyrique avec orchestre; des chœurs avec orchestre sur différentes poésies allemandes, deux volumes d'études sur l'harmonie et le contre-point; et enfin, les neuf fameuses symphonies.

Il ne faut pas croire que cette fécondité de Beethoven ait rien de commun avec celle des compositeurs italiens, qui ne comptent leurs opéras que par cinquantaines, témoin les cent soixante partitions de Paisiello. Non, certes! une telle opinion serait souverainement injuste. Si nous en exceptons l'ouverture des Ruines d'Athènes, et peut-être deux ou trois autres fragments vraiment indignes du grand nom de leur auteur, et qui sont tombés de sa plume dans ces rares instants de somnolence qu'Horace reproche, avec tant soit peu d'ironie, au bon Homère lui-même, tout le reste est de ce style noble, élevé, ferme, hardi, expressif, poétique et toujours neuf, qui font incontestablement de Beethoven la sentinelle avancée de la civilisation musicale. C'est tout au plus si, dans ce grand nombre de compositions, on peut découvrir quelques vagues ressemblances entre quelques-unes des mille phrases qui en font la splendeur et la vie. Cette étonnante faculté d'être toujours nouveau sans sortir du vrai et du beau se conçoit jusqu'à un certain point dans les morceaux d'un mouvement vif; la pensée alors, aidée par les puissances du rhythme, peut, dans ses bonds capricieux, sortir plus aisément des routes battues; mais où l'on cesse de la comprendre, c'est dans les adagio, c'est dans ces méditations extra-humaines où le génie panthéiste de Beethoven aime tant à se plonger. Là, plus de passions, plus de tableaux terrestres, plus d'hymnes à la joie, à l'amour, à la gloire, plus de chants enfantins, de doux propos, de saillies mordantes ou comiques, plus de ces terribles éclats de fureur, de ces accents de haine que les élancements d'une souffrance secrète lui arrachent si souvent; il n'a même plus de mépris dans le cœur, il n'est plus de notre espèce, il l'a oubliée, il est sorti de notre atmosphère; calme et solitaire, il nage dans l'éther; comme ces aigles des Andes planant à des hauteurs au-dessous desquelles les autres créatures ne trouvent déjà plus que l'asphyxie et la mort, ses regards plongent dans l'espace, il vole à tous les soleils, chantant la nature infinie. Croirait-on que le génie de cet homme ait pu prendre un pareil essor, pour ainsi dire, quand il l'a voulu!.. C'est ce dont on peut se convaincre cependant, par les preuves nombreuses qu'il nous en a laissées, moins encore dans ses symphonies que dans ses compositions de piano. Là, et seulement là, n'ayant plus en vue un auditoire nombreux, le public, la foule, il semble avoir écrit pour lui-même, avec ce majestueux abandon que la foule ne comprend pas, et que la nécessité d'arriver promptement à ce que nous appelons l'effet doit altérer inévitablement. Là aussi la tâche de l'exécutant devient écrasante, sinon par les difficultés de mécanisme, au moins par le profond sentiment, par la grande intelligence que de telles œuvres exigent de lui; il faut de toute nécessité que le virtuose s'efface devant le compositeur comme fait l'orchestre dans les symphonies; il doit y avoir absorption complète de l'un par l'autre; mais c'est précisément en s'identifiant de la sorte avec la pensée qu'il nous transmet que l'interprète grandit de toute la hauteur de son modèle.

Il y a une œuvre de Beethoven connue sous le nom de sonate en ut dièze mineur, dont l'adagio est une de ces poésies que le langage humain ne sait comment désigner. Ses moyens d'action sont fort simples: la main gauche étale doucement de larges accords d'un caractère solennellement triste, et dont la durée permet aux vibrations du piano de s'éteindre graduellement sur chacun d'eux; au-dessus, les doigts inférieurs de la main droite arpégent un dessin d'accompagnement obstiné dont la forme ne varie presque pas depuis la première mesure jusqu'à la dernière, pendant que les autres doigts font entendre une sorte de lamentation, efflorescence mélodique de cette sombre harmonie. Un jour, il y a trente ans, Liszt exécutant cet adagio devant un petit cercle dont je faisais partie, s'avisa de le dénaturer, suivant l'usage qu'il avait alors adopté pour se faire applaudir du public fashionable: au lieu de ces longues tenues des basses, au lieu de cette sévère uniformité de rhythme et de mouvement dont je viens de parler, il plaça des trilles, des tremolo, il pressa et ralentit la mesure, troublant ainsi par des accents passionnés le calme de cette tristesse, et faisant gronder le tonnerre dans ce ciel sans nuages qu'assombrit seulement le départ du soleil… Je souffris cruellement, je l'avoue, plus encore qu'il ne m'est jamais arrivé de souffrir en entendant nos malheureuses cantatrices broder le grand air du Freyschütz; car à cette torture se joignait le chagrin de voir un tel artiste donner dans le travers où ne tombent d'ordinaire que des médiocrités. Mais qu'y faire? Liszt était alors comme ces enfants qui, sans se plaindre, se relèvent eux-mêmes d'une chute qu'on feint de ne pas apercevoir, et qui crient si on leur tend la main. Il s'est fièrement relevé: aussi, quelques années après, n'était-ce plus lui qui poursuivait le succès, mais bien le succès qui perdait haleine à le suivre; les rôles étaient changés. Revenons à notre sonate. Dernièrement un de ces hommes de cœur et d'esprit, que les artistes sont si heureux de rencontrer, avait réuni quelques amis; j'étais du nombre. Liszt arriva dans la soirée, et, trouvant la discussion engagée sur la valeur d'un morceau de Weber, auquel le public, soit à cause de la médiocrité de l'exécution, soit pour toute autre raison, avait, dans un concert récent, fait un assez triste accueil, se mit au piano pour répondre à sa manière aux antagonistes de Weber. L'argument parut sans réplique, et on fut obligé d'avouer qu'une œuvre de génie avait été méconnue. Comme il venait de finir, la lampe qui éclairait l'appartement parut près de s'éteindre; l'un de nous allait la ranimer:

– N'en faites rien, lui dis-je; s'il veut jouer l'adagio en ut dièze mineur de Beethoven, ce demi-jour ne gâtera rien.

– Volontiers, dit Listz, mais éteignez tout à fait la lumière, couvrez le feu, que l'obscurité soit complète.

Alors, au milieu de ces ténèbres, après un instant de recueillement, la noble élégie, la même qu'il avait autrefois si étrangement défigurée, s'éleva dans sa simplicité sublime; pas une note, pas un accent ne furent ajoutés aux accents et aux notes de l'auteur. C'était l'ombre de Beethoven, évoquée par le virtuose, dont nous entendions la grande voix. Chacun de nous frissonnait en silence, et après le dernier accord on se tut encore… nous pleurions.

Une assez notable partie du public français ignore pourtant l'existence de ces œuvres merveilleuses. Certes, le trio en si bémol tout entier, l'adagio de celui en et la sonate en la avec violoncelle ont dû prouver à ceux qui les connaissent que l'illustre compositeur était loin d'avoir versé dans l'orchestre tous les trésors de son génie. Mais son dernier mot n'est pas là; c'est dans les sonates pour piano seul qu'il faut le chercher. Le moment viendra bientôt peut-être où ces œuvres, qui laissent derrière elles ce qu'il y a de plus avancé dans l'art, pourront être comprises, sinon de la foule, au moins d'un public d'élite. C'est une expérience à tenter; si elle ne réussit pas, on la recommencera plus tard.

Les grandes sonates de Beethoven serviront d'échelle métrique pour mesurer le développement de notre intelligence musicale.

FIDELIO

OPÉRA EN TROIS ACTES DE BEETHOVEN

SA REPRÉSENTATION AU THÉÂTRE LYRIQUE

Le 1er ventôse de l'an VI, le théâtre de la rue Feydeau représenta pour la première fois LÉONORE, OU L'AMOUR CONJUGAL, fait historique en deux actes (tel était le titre de la pièce), paroles de M. Bouilly, musique de P. Gaveaux. L'œuvre parut médiocre malgré le talent que montrèrent, dans les deux rôles principaux, Gaveaux, l'auteur de la musique, et madame Scio, une grande actrice de ce temps.

Plusieurs années après, Paër écrivit une partition gracieuse sur un libretto italien dont la Léonore de Bouilly était encore l'héroïne, et ce fut en sortant d'une représentation de cet ouvrage que Beethoven, avec la rudesse humoriste qui lui était habituelle, dit à Paër:

– Votre opéra me plaît, j'ai envie de le mettre en musique.

Telle fut l'origine du chef-d'œuvre dont nous avons à nous occuper aujourd'hui. La première apparition du Fidelio de Beethoven sur la scène allemande ne fit pas prévoir la célébrité réservée à cet ouvrage, et les représentations, dit-on, en furent bientôt suspendues. Quelque temps après il reparut, modifié de diverses façons dans la musique et dans le drame, et précédé d'une nouvelle ouverture. Cette seconde tentative eut un succès complet; Beethoven, rappelé à grands cris par l'auditoire, fut traîné sur la scène après le premier et après le second acte, dont le finale produisit un enthousiasme inconnu à Vienne jusque-là. La partition de Fidelio n'en dut pas moins subir mille critiques plus ou moins acerbes; et cependant, à partir de ce moment, on l'exécuta sur tous les théâtres d'Allemagne, où elle s'est maintenue jusqu'à présent, où elle fait partie du répertoire classique. Le même honneur lui arriva un peu plus tard sur les théâtres de Londres. En 1827, une troupe allemande étant venue donner des représentations à Paris, Fidelio, dont les deux rôles principaux étaient chantés avec un rare talent par Haitzinger et madame Schroeder-Devrient, fut accueilli avec enthousiasme. Il vient d'être mis en scène au Théâtre-Lyrique; quinze jours auparavant, il reparaissait à celui de Covent-Garden de Londres; on le joue en ce moment à New-York. Cherchez les théâtres où sont représentés à cette heure la Léonore de Gaveaux et la Leonora de Paër… Les érudits seuls connaissent l'existence de ces deux opéras. Ils ont passé… ils ne sont plus. C'est que, des trois partitions, la première est d'une faiblesse extrême, la seconde à peine une œuvre de talent, et la troisième une œuvre de génie.

En effet, plus j'entends, plus je lis l'ouvrage de Beethoven, et plus je le trouve digne d'admiration. L'ensemble et les détails m'en paraissent également beaux; partout s'y décèlent l'énergie, la grandeur, l'originalité et un sentiment profond autant que vrai.

Il appartient à cette forte race d'œuvres calomniées sur lesquelles s'accumulent les plus inconcevables préjugés, les mensonges les plus manifestes, mais dont la vitalité est si intense, que rien contre elles ne peut prévaloir. Comme ces hêtres vigoureux nés dans les rochers et parmi les ruines, qui finissent par fendre les rocs, trouer les murailles, et s'élever enfin fiers et verdoyants, d'autant plus solidement fixés au sol qu'ils ont eu plus d'obstacles à vaincre pour en sortir; tandis que des saules, qui poussèrent sans peine au bord d'une rivière, tombent dans la vase, où ils pourrissent oubliés.

Beethoven a écrit quatre ouvertures pour son unique opéra. Après avoir terminé la première, il la recommença sans que l'on sache pourquoi; il en garda la disposition générale et tous les thèmes, mais en les enchaînant par d'autres modulations, en les instrumentant autrement, en y ajoutant un effet de crescendo et un solo de flûte. Ce solo n'est pas digne, à mon avis, du grand style de tout le reste de l'œuvre. L'auteur semble avoir préféré pourtant cette seconde version, car elle fut publiée la première. L'autre, dont le manuscrit était resté entre les mains d'un ami de Beethoven, M. Schindler, parut, il y a dix ans seulement, chez l'éditeur français Richaut. J'ai eu l'honneur d'en diriger l'exécution une vingtaine de fois au théâtre de Drury-Lane à Londres et dans quelques concerts à Paris; l'effet en est grandiose et entraînant. La seconde version pourtant a conservé la popularité qui lui était acquise sous le nom d'ouverture d'Eléonore; elle la gardera probablement.

Cette superbe ouverture, la plus belle peut-être de Beethoven, partagea le sort de plusieurs morceaux de l'opéra, et fut supprimée après les premières représentations. Une autre (en ut majeur, comme les deux précédentes), d'un caractère doux et charmant, mais dont la conclusion ne parut pas propre à exciter les applaudissements, ne fut pas plus heureuse. Enfin l'auteur écrivit, pour la reprise de son opéra modifié, l'ouverture en mi majeur, connue sous le nom d'ouverture de Fidelio, qu'on adopta définitivement de préférence aux trois précédentes. C'est une page magistrale, d'une verve et d'un éclat incomparables, un vrai chef-d'œuvre symphonique, mais qui ne se rattache, ni par son caractère ni par les thèmes qu'il contient, à l'opéra auquel on le fait servir de préface. Les autres ouvertures, au contraire, sont en quelque sorte l'opéra de Fidelio en raccourci. On y trouve, avec les accents tendres d'Éléonore, les lamentables plaintes du prisonnier mourant de faim, les délicieuses mélodies du trio du dernier acte, la fanfare lointaine de la trompette annonçant l'arrivée du ministre qui doit délivrer Florestan; tout y est palpitant d'intérêt dramatique, et ce sont bien des ouvertures de Fidelio.

Les principaux théâtres d'Allemagne et d'Angleterre s'étant aperçus, après trente ou quarante ans, que la deuxième grande ouverture d'Éléonore (la première publiée) était une œuvre magnifique, l'exécutent maintenant comme un entr'acte avant le second acte de l'opéra, tout en conservant l'ouverture en mi pour le premier. Il est fâcheux que le Théâtre-Lyrique n'ait pas cru devoir suivre cet exemple. Nous voudrions même que le Conservatoire tentât ce que fit un jour Mendelssohn à l'un des concerts du Gewanthaus à Leipzig, et qu'il nous donnât, dans une de ses séances, les quatre ouvertures de l'opéra de Beethoven.

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