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A travers chants: études musicales, adorations, boutades et critiques
A travers chants: études musicales, adorations, boutades et critiques

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A travers chants: études musicales, adorations, boutades et critiques

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Язык: Французский
Год издания: 2017
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Pour l'adagio, il échappe à l'analyse… C'est tellement pur de formes, l'expression de la mélodie est si angélique et d'une si irrésistible tendresse, que l'art prodigieux de la mise en œuvre disparaît complétement. On est saisi, dès les premières mesures, d'une émotion qui, à la fin devient accablante par son intensité; et ce n'est que chez l'un des géants de la poésie, que nous pouvons trouver un point de comparaison à cette page sublime du géant de la musique. Rien, en effet, ne ressemble davantage à l'impression produite par cet adagio, que celle qu'on éprouve à lire le touchant épisode de Francesca di Rimini, dans la Divina Comedia, dont Virgile ne peut entendre le récit sans pleurer à sanglots, et qui, au dernier vers, fait Dante tomber, comme tombe un corps mort. Ce morceau semble avoir été soupiré par l'archange Michel, un jour où, saisi d'un accès de mélancolie, il contemplait les mondes, debout sur le seuil de l'empyrée.

Le scherzo consiste presque entièrement en phrases rhythmées à deux temps, forcées d'entrer dans les combinaisons de la mesure à trois. Ce moyen, dont Beethoven a usé fréquemment, donne beaucoup de nerf au style; les désinences mélodiques deviennent par là plus piquantes, plus inattendues; et d'ailleurs, ces rhythmes à contre-temps ont en eux-mêmes un charme très-réel, quoique difficile à expliquer. On éprouve du plaisir à voir la mesure ainsi broyée se retrouver entière à la fin de chaque période, et le sens du discours musical, quelque temps suspendu, arriver cependant à une conclusion satisfaisante, à une solution complète. La mélodie du trio, confiée aux instruments à vent, est d'une délicieuse fraîcheur; le mouvement en est plus lent que celui du reste du scherzo, et sa simplicité ressort plus élégante encore de l'opposition des petites phrases que les violons jettent sur l'harmonie, comme autant d'agaceries charmantes. Le finale, gai et sémillant, rentre dans les formes rhythmiques ordinaires; il consiste en un cliquetis de notes scintillantes, en un babillage continuel, entrecoupé cependant de quelques accords rauques et sauvages, où les boutades colériques, que nous avons eu déjà l'occasion de signaler chez l'auteur, se manifestent encore.

V

SYMPHONIE EN UT MINEUR

La plus célèbre de toutes, sans contredit, est aussi la première, selon nous, dans laquelle Beethoven ait donné carrière à sa vaste imagination, sans prendre pour guide ou pour appui une pensée étrangère. Dans les première, seconde et quatrième symphonies, il a plus ou moins agrandi des formes déjà connues, en les poétisant de tout ce que sa vigoureuse jeunesse pouvait y ajouter d'inspirations brillantes ou passionnées; dans la troisième (l'héroïque), la forme tend à s'élargir, il est vrai, et la pensée s'élève à une grande hauteur; mais on ne saurait y méconnaître cependant l'influence d'un de ces poëtes divins auxquels, dès longtemps, le grand artiste avait élevé un temple dans son cœur. Beethoven, fidèle au précepte d'Horace:

«Nocturnâ versate manu, versate diurnâ,»

lisait habituellement Homère, et dans sa magnifique épopée musicale, qu'on a dit à tort ou à raison inspirée par un héros moderne, les souvenirs de l'antique Iliade jouent un rôle admirablement beau, mais non moins évident.

La symphonie en ut mineur, au contraire, nous paraît émaner directement et uniquement du génie de Beethoven; c'est sa pensée intime qu'il y va développer; ses douleurs secrètes, ses colères concentrées, ses rêveries pleines d'un accablement si triste, ses visions nocturnes, ses élans d'enthousiasme en fourniront le sujet; et les formes de la mélodie, de l'harmonie, du rhythme et de l'instrumentation s'y montreront aussi essentiellement individuelles et neuves que douées de puissance et de noblesse.

Le premier morceau est consacré à la peinture des sentiments désordonnés qui bouleversent une grande âme en proie au désespoir; non ce désespoir concentré, calme, qui emprunte les apparences de la résignation; non pas cette douleur sombre et muette de Roméo apprenant la mort de Juliette, mais bien la fureur terrible d'Othello recevant de la bouche d'Iago les calomnies empoisonnées qui le persuadent du crime de Desdémona. C'est tantôt un délire frénétique qui éclate en cris effrayants; tantôt un abattement excessif qui n'a que des accents de regret et se prend en pitié lui-même. Écoutez ces hoquets de l'orchestre, ces accords dialogués entre les instruments à vent et les instruments à cordes, qui vont et viennent en s'affaiblissant toujours, comme la respiration pénible d'un mourant, puis font place à une phrase pleine de violence, où l'orchestre semble se relever, ranimé par un éclair de fureur; voyez cette masse frémissante hésiter un instant et se précipiter ensuite tout entière, divisée en deux unissons ardents comme deux ruisseaux de lave; et dites si ce style passionné n'est pas en dehors et au-dessus de tout ce qu'on avait produit auparavant en musique instrumentale.

On trouve dans ce morceau un exemple frappant de l'effet produit par le redoublement excessif des parties dans certaines circonstances, et de l'aspect sauvage de l'accord de quarte sur la seconde note du ton, autrement dit, du second renversement de l'accord de la dominante. On le rencontre fréquemment sans préparation ni résolution, et une fois même sans la note sensible et sur un point d'orgue, le se trouvant au grave dans tous les instruments à cordes, pendant que le sol dissonne tout seul à l'aigu dans quelques parties d'instruments à vent.

L'adagio présente quelques rapports de caractère avec l'allegretto en la mineur de la septième symphonie, et celui en mi bémol de la quatrième. Il tient également de la gravité mélancolique du premier, et de la grâce touchante du second. Le thème proposé d'abord par les violoncelles et les altos unis, avec un simple accompagnement de contre-basses pizzicato, est suivi d'une phrase des instruments à vent, qui revient constamment la même, et dans le même ton, d'un bout à l'autre du morceau, quelles que soient les modifications subies successivement par le premier thème. Cette persistance de la même phrase à se représenter toujours dans sa simplicité si profondément triste, produit peu à peu sur l'âme de l'auditeur une impression qu'on ne saurait décrire, et qui est certainement la plus vive de cette nature que nous ayons éprouvée. Parmi les effets harmoniques les plus osés de cette élégie sublime nous citerons: 1º la tenue des flûtes et des clarinettes à l'aigu, sur la dominante mi bémol, pendant que les instruments à cordes s'agitent dans le grave en passant par l'accord de sixte ré bémol, fa, si bémol, dont la tenue supérieure ne fait point partie; 2º la phrase incidente exécutée par une flûte, un hautbois et deux clarinettes, qui se meuvent en mouvement contraire, de manière à produire de temps en temps des dissonances de seconde non préparées entre le sol, note sensible, et le fa sixte majeure de la bémol. Ce troisième renversement de l'accord de septième de sensible est prohibé, tout comme la pédale haute que nous venons de citer, par la plupart des théoriciens, et n'en produit pas moins un effet délicieux. Il y a encore à la dernière rentrée du premier thème un canon à l'unisson à une mesure de distance, entre les violons et les flûtes, les clarinettes et les bassons, qui donnerait à la mélodie ainsi traitée un nouvel intérêt, s'il était possible d'entendre l'imitation des instruments à vent; malheureusement l'orchestre entier joue fort dans le même moment et la rend presque insaisissable.

Le scherzo est une étrange composition dont les premières mesures, qui n'ont rien de terrible cependant, causent cette émotion inexplicable qu'on éprouve sous le regard magnétique de certains individus. Tout y est mystérieux et sombre; les jeux d'instrumentation, d'un aspect plus ou moins sinistre, semblent se rattacher à l'ordre d'idées qui créa la fameuse scène du Bloksberg, dans le Faust de Goethe. Les nuances du piano et du mezzo forte y dominent. Le milieu (le trio) est occupé par un trait de basses, exécuté de toute la force des archets, dont la lourde rudesse fait trembler sur leurs pieds les pupitres de l'orchestre et ressemble assez aux ébats d'un éléphant en gaieté… Mais le monstre s'éloigne, et le bruit de sa folle course se perd graduellement. Le motif du scherzo reparaît en pizzicato; le silence s'établit peu à peu, on n'entend plus que quelques notes légèrement pincées par les violons et les petits gloussements étranges que produisent les bassons donnant le la bémol aigu, froissé de très-près par le sol octave du son fondamental de l'accord de neuvième dominante mineure; puis, rompant la cadence, les instruments à cordes prennent doucement avec l'archet l'accord de la bémol et s'endorment sur cette tenue. Les timbales seules entretiennent le rhythme en frappant avec des baguettes couvertes d'éponge de légers coups qui se dessinent sourdement sur la stagnation générale du reste de l'orchestre. Ces notes de timbales sont des ut; le ton du morceau est celui d'ut mineur; mais l'accord de la bémol, longtemps soutenu par les autres instruments, semble introduire une tonalité différente; de son côté le martellement isolé des timbales sur l'ut tend à conserver le sentiment du ton primitif. L'oreille hésite… on ne sait où va aboutir ce mystère d'harmonie… quand les sourdes pulsations des timbales augmentant peu à peu d'intensité arrivent avec les violons qui ont repris part au mouvement et changé l'harmonie, à l'accord de septième dominante, sol, si, , fa, au milieu duquel les timbales roulent obstinément leur ut tonique; tout l'orchestre, aidé des trombones qui n'ont point encore paru, éclate alors dans le mode majeur sur un thème de marche triomphale, et le finale commence. On sait l'effet de ce coup de foudre, il est inutile d'en entretenir le lecteur.

La critique a essayé pourtant d'atténuer le mérite de l'auteur en affirmant qu'il n'avait employé qu'un procédé vulgaire, l'éclat du mode majeur succédant avec pompe à l'obscurité d'un pianissimo mineur; que le thème triomphal manquait d'originalité, et que l'intérêt allait en diminuant jusqu'à la fin, au lieu de suivre la progression contraire. Nous lui répondrons: a-t-il fallu moins de génie pour créer une œuvre pareille, parce que le passage du piano au forte, et celui du mineur au majeur, étaient des moyens déjà connus?.. Combien d'autres compositeurs n'ont-ils pas voulu mettre en jeu le même ressort; et en quoi le résultat qu'ils ont obtenu se peut-il comparer au gigantesque chant de victoire dans lequel l'âme du poëte musicien, libre désormais des entraves et des souffrances terrestres, semble s'élancer rayonnante vers les cieux?.. Les quatre premières mesures du thème ne sont pas, il est vrai, d'une grande originalité; mais les formes de la fanfare sont naturellement bornées, et nous ne croyons pas qu'il soit possible d'en trouver de nouvelles sans sortir tout à fait du caractère simple, grandiose et pompeux qui lui est propre. Aussi Beethoven n'a-t-il voulu pour le début de son finale qu'une entrée de fanfare, et il retrouve bien vite dans tout le reste du morceau et même dans la suite de la phrase principale, cette élévation et cette nouveauté de style qui ne l'abandonnent jamais. Quant au reproche de n'avoir pas augmenté l'intérêt jusqu'au dénoûment, voici ce qu'on pourrait dire: la musique ne saurait, dans l'état où nous la connaissons du moins, produire un effet plus violent que celui de cette transition du scherzo à la marche triomphale; il était donc impossible de l'augmenter en avançant.

Se soutenir à une pareille hauteur est déjà un prodigieux effort; malgré l'ampleur des développements auxquels il s'est livré, Beethoven cependant a pu le faire. Mais cette égalité même, entre le commencement et la fin, suffit pour faire supposer une décroissance, à cause de la secousse terrible que reçoivent au début les organes des auditeurs, et qui, élevant à son plus violent paroxysme l'émotion nerveuse, la rend d'autant plus difficile l'instant d'après. Dans une longue file de colonnes de la même hauteur, une illusion d'optique fait paraître plus petites les plus éloignées. Peut-être notre faible organisation s'accommoderait-elle mieux d'une péroraison plus laconique semblable au: Notre général vous rappelle, de Gluck; l'auditoire ainsi n'aurait pas le temps de se refroidir, et la symphonie finirait avant que la fatigue l'ait mis dans l'impossibilité d'avancer encore sur les pas de l'auteur. Toutefois, cette observation ne porte, pour ainsi dire, que sur la mise en scène de l'ouvrage, et n'empêche pas que ce finale ne soit en lui-même d'une magnificence et d'une richesse auprès desquelles bien peu de morceaux pourraient paraître sans en être écrasés.

VI

SYMPHONIE PASTORALE

Cet étonnant paysage semble avoir été composé par Poussin et dessiné par Michel-Ange. L'auteur de Fidelio et de la symphonie héroïque veut peindre le calme de la campagne, les douces mœurs des bergers. Mais entendons-nous: il ne s'agit pas des bergers roses-verts et enrubanés de M. de Florian, encore moins de ceux de M. Lebrun, auteur du Rossignol, ou de ceux de J. J. Rousseau, auteur du Devin du Village. C'est de la nature vraie qu'il s'agit ici. Il intitule son premier morceau: Sensations douces qu'inspire l'aspect d'un riant paysage. Les pâtres commencent à circuler dans les champs, avec leur allure nonchalante, leurs pipeaux qu'on entend au loin et tout près; de ravissantes phrases vous caressent délicieusement comme la brise parfumée du matin; des vols ou plutôt des essaims d'oiseaux babillards passent en bruissant sur votre tête, et de temps en temps l'atmosphère semble chargée de vapeurs; de grands nuages viennent cacher le soleil, puis tout à coup ils se dissipent et laissent tomber d'aplomb sur les champs et les bois des torrents d'une éblouissante lumière. Voilà ce que je me représente en entendant ce morceau, et je crois que, malgré le vague de l'expression instrumentale, bien des auditeurs ont pu en être impressionnés de la même manière.

Plus loin est une scène au bord de la rivière. Contemplation… L'auteur a sans doute créé cet admirable adagio, couché dans l'herbe, les yeux au ciel, l'oreille au vent, fasciné par mille et mille doux reflets de sons et de lumière, regardant et écoutant à la fois les petites vagues blanches, scintillantes du ruisseau, se brisant avec un léger bruit sur les cailloux du rivage; c'est délicieux. Quelques personnes reprochent vivement à Beethoven d'avoir, à la fin de l'adagio, voulu faire entendre successivement et ensemble le chant de trois oiseaux. Comme, à mon avis, le succès ou le non succès décident pour l'ordinaire de la raison ou de l'absurdité de pareilles tentatives, je dirai aux adversaires de celle-ci que leur critique me paraît juste quant au rossignol dont le chant n'est guère mieux imité ici que dans le fameux solo de flûte de M. Lebrun; par la raison toute simple que le rossignol, ne faisant entendre que des sons inappréciables ou variables, ne peut être imité par des instruments à sons fixes dans un diapason arrêté; mais il me semble qu'il n'en est pas ainsi pour la caille et le coucou, dont le cri ne formant que deux notes pour l'un, et une seule note pour l'autre, notes justes et fixes, ont par cela seul permis une imitation exacte et complète.

A présent, si l'on reproche au musicien, comme une puérilité, d'avoir fait entendre exactement le chant des oiseaux, dans une scène où toutes les voix calmes du ciel, de la terre et des eaux doivent naturellement trouver place, je répondrai que la même objection peut lui être adressée, quand, dans un orage, il imite aussi exactement les vents, les éclats de la foudre, le mugissement des troupeaux. Et Dieu sait cependant s'il est jamais entré dans la tête d'un critique de blâmer l'orage de la symphonie pastorale! Continuons: le poëte nous amène à présent au milieu d'une réunion joyeuse de paysans. On danse, on rit, avec modération d'abord; la musette fait entendre un gai refrain, accompagné d'un basson qui ne sait faire que deux notes. Beethoven a sans doute voulu caractériser par là quelque bon vieux paysan allemand, monté sur un tonneau, armé d'un mauvais instrument délabré, dont il tire à peine les deux sons principaux du ton de fa, la dominante et la tonique. Chaque fois que le hautbois entonne son chant de musette naïf et gai comme une jeune fille endimanchée, le vieux basson vient souffler ses deux notes; la phrase mélodique module-t-elle, le basson se tait, compte ses pauses tranquillement, jusqu'à ce que la rentrée dans le ton primitif lui permette de replacer son imperturbable fa, ut, fa. Cet effet, d'un grotesque excellent, échappe presque complétement à l'attention du public. La danse s'anime, devient folle, bruyante. Le rhythme change; un air grossier à deux temps annonce l'arrivée des montagnards aux lourds sabots; le premier morceau à trois temps recommence plus animé que jamais: tout se mêle, s'entraîne; les cheveux des femmes commencent à voler sur leurs épaules; les montagnards ont apporté leur joie bruyante et avinée; on frappe dans les mains; on crie, on court, on se précipite; c'est une fureur, une rage… Quand un coup de tonnerre lointain vient jeter l'épouvante au milieu du bal champêtre et mettre en fuite les danseurs.

Orage, éclairs. Je désespère de pouvoir donner une idée de ce prodigieux morceau; il faut l'entendre pour concevoir jusqu'à quel degré de vérité et de sublime peut atteindre la musique pittoresque entre les mains d'un homme comme Beethoven. Écoutez, écoutez ces rafales de vent chargées de pluie, ces sourds grondements des basses, le sifflement aigu des petites flûtes qui nous annoncent une horrible tempête sur le point d'éclater; l'ouragan s'approche, grossit; un immense trait chromatique, parti des hauteurs de l'instrumentation, vient fouiller jusqu'aux dernières profondeurs de l'orchestre, y accroche les basses, les entraîne avec lui et remonte en frémissant comme un tourbillon qui renverse tout sur son passage. Alors les trombones éclatent, le tonnerre des timbales redouble de violence; ce n'est plus de la pluie, du vent, c'est un cataclysme épouvantable, le déluge universel, la fin du monde. En vérité, cela donne des vertiges, et bien des gens, en entendant cet orage, ne savent trop si l'émotion qu'ils ressentent est plaisir ou douleur. La symphonie est terminée par l'action de grâces des paysans après le retour du beau temps. Tout alors redevient riant, les pâtres reparaissent, se répondent sur la montagne en rappelant leurs troupeaux dispersés; le ciel est serein; les torrents s'écoulent peu à peu; le calme renaît, et, avec lui, renaissent les chants agrestes dont la douce mélodie repose l'âme ébranlée et consternée par l'horreur magnifique du tableau précédent.

Après cela, faudra-t-il absolument parler des étrangetés de style qu'on rencontre dans cette œuvre gigantesque; de ces groupes de cinq notes de violoncelles, opposés à des traits de quatre notes dans les contre-basses, qui se froissent sans pouvoir se fondre dans un unisson réel? Faudra-t-il signaler cet appel des cors, arpégeant l'accord d'ut pendant que les instruments à cordes tiennent celui de fa?.. En vérité, j'en suis incapable. Pour un travail de cette nature, il faut raisonner froidement, et le moyen de se garantir de l'ivresse quand l'esprit est préoccupé d'un pareil sujet!.. Loin de là, on voudrait dormir, dormir des mois entiers pour habiter en rêve la sphère inconnue que le génie nous a fait un instant entrevoir. Que par malheur, après un tel concert, on soit obligé d'assister à quelque opéra-comique, à quelque soirée avec cavatines à la mode et concerto de flûte, on aura l'air stupide; quelqu'un vous demandera:

– Comment trouvez-vous ce duo italien?

On répondra d'un air grave:

– Fort beau.

– Et ces variations de clarinette?

– Superbes.

– Et ce finale du nouvel opéra?

– Admirable.

Et quelque artiste distingué qui aura entendu vos réponses sans connaître la cause de votre préoccupation dira en vous montrant: «Quel est donc cet imbécile?»

Comme les poëmes antiques, si beaux, si admirés qu'ils soient, pâlissent à côté de cette merveille de la musique moderne! Théocrite et Virgile furent de grands chanteurs paysagistes; c'est une suave musique que de tels vers:

«Tu quoque, magna Pales, et te, memorande, canemusPastor ab amphryso; vos Sylvæ amnes que Lycæi.»

surtout s'ils ne sont pas récités par des barbares tels que nous autres Français, qui prononçons le latin de façon à le faire prendre pour de l'auvergnat…

Mais le poëme de Beethoven!.. ces longues périodes si colorées!.. ces images parlantes!.. ces parfums!.. cette lumière!.. ce silence éloquent!.. ces vastes horizons!.. ces retraites enchantées dans les bois!.. ces moissons d'or!.. ces nuées roses, taches errantes du ciel!.. cette plaine immense sommeillant sous les rayons de midi!.. L'homme est absent!.. la nature seule se dévoile et s'admire… Et ce repos profond de tout ce qui vit! Et cette vie délicieuse de tout ce qui repose!.. Le ruisseau enfant qui court en gazouillant vers le fleuve!.. le fleuve père des eaux, qui, dans un majestueux silence, descend vers la grande mer!.. Puis l'homme intervient, l'homme des champs, robuste, religieux… ses joyeux ébats interrompus par l'orage… ses terreurs… son hymne de reconnaissance…

Voilez-vous la face, pauvres grands poëtes anciens, pauvres immortels; votre langage conventionnel, si pur, si harmonieux, ne saurait lutter contre l'art des sons. Vous êtes de glorieux vaincus, mais des vaincus! Vous n'avez pas connu ce que nous nommons aujourd'hui la mélodie, l'harmonie, les associations de timbres divers, le coloris instrumental, les modulations, les savants conflits de sons ennemis qui se combattent d'abord pour s'embrasser ensuite, nos surprises de l'oreille, nos accents étranges qui font retentir les profondeurs de l'âme les plus inexplorées. Les bégayements de l'art puéril que vous nommiez la musique ne pouvaient vous en donner une idée; vous seuls étiez pour les esprits cultivés les grands mélodistes, les harmonistes, les maîtres du rhythme et de l'expression. Mais ces mots, dans vos langues, avaient un sens fort différent de celui que nous leur donnons aujourd'hui. L'art des sons proprement dit, indépendant de tout, est né d'hier; il est à peine adulte, il a vingt ans. Il est beau, il est tout-puissant; c'est l'Apollon Pythien des modernes. Nous lui devons un monde de sentiments et de sensations qui vous resta fermé. Oui, grands poëtes adorés, vous êtes vaincus: Inclyti sed victi.

VII

SYMPHONIE EN LA

La septième symphonie est célèbre par son allegretto4. Ce n'est pas que les trois autres parties soient moins dignes d'admiration; loin de là. Mais le public ne jugeant d'ordinaire que par l'effet produit, et ne mesurant cet effet que sur le bruit des applaudissements, il s'ensuit que le morceau le plus applaudi passe toujours pour le plus beau (bien qu'il y ait des beautés d'un prix infini qui ne sont pas de nature à exciter de bruyants suffrages); ensuite, pour rehausser davantage l'objet de cette prédilection, on lui sacrifie tout le reste. Tel est, en France du moins, l'usage invariable. C'est pourquoi, en parlant de Beethoven, on dit l'Orage de la symphonie pastorale, le finale de la symphonie en ut mineur, l'andante de la symphonie en la, etc., etc.

Il ne paraît pas prouvé que cette dernière ait été composée postérieurement à la Pastorale et à l'Héroïque, plusieurs personnes pensent au contraire qu'elle les a précédées de quelque temps. Le numéro d'ordre qui la désigne comme la septième ne serait en conséquence, si cette opinion est fondée, que celui de sa publication.

Le premier morceau s'ouvre par une large et pompeuse introduction où la mélodie, les modulations, les dessins d'orchestre, se disputent successivement l'intérêt, et qui commence par un de ces effets d'instrumentation dont Beethoven est incontestablement le créateur. La masse entière frappe un accord fort et sec, laissant à découvert, pendant le silence qui lui succède, un hautbois, dont l'entrée, cachée par l'attaque de l'orchestre, n'a pu être aperçue, et qui développe seul en sons tenus la mélodie. On ne saurait débuter d'une façon plus originale. A la fin de l'introduction, la note mi dominante de la, ramenée après plusieurs excursions dans les tons voisins, devient le sujet d'un jeu de timbres entre les violons et les flûtes, analogue à celui qu'on trouve dans les premières mesures du finale de la symphonie héroïque. Le mi va et vient, sans accompagnement, pendant six mesures, changeant d'aspect chaque fois qu'il passe des instruments à cordes aux instruments à vent; gardé définitivement par la flûte et le hautbois, il sert à lier l'introduction à l'allegro, et devient la première note du thème principal, dont il dessine peu à peu la forme rhythmique. J'ai entendu ridiculiser ce thème à cause de son agreste naïveté. Probablement le reproche de manquer de noblesse ne lui eût point été adressé, si l'auteur avait, comme dans sa pastorale, inscrit en grosses lettres, en tête de son allegro: Ronde de Paysans. On voit par là que, s'il est des auditeurs qui n'aiment point à être prévenus du sujet traité par le musicien, il en est d'autres, au contraire, fort disposés à mal accueillir toute idée qui se présente avec quelque étrangeté dans son costume, quand on ne leur donne pas d'avance la raison de cette anomalie. Faute de pouvoir se décider entre deux opinions aussi divergentes, il est probable que l'artiste, en pareille occasion, n'a rien de mieux à faire que de s'en tenir à son sentiment propre, sans courir follement après la chimère du suffrage universel.

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