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Histoire des salons de Paris. Tome 3
Histoire des salons de Paris. Tome 3

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Histoire des salons de Paris. Tome 3

Язык: Французский
Год издания: 2017
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Prudhomme, qui écrivait alors le journal des Révolutions de Paris, et qui, sans partager les crimes des hommes de sang de l'époque, vivait parmi eux et était particulièrement lié avec Camille Desmoulins, alla le trouver. Il lui dit que Robespierre se taisait lorsqu'on parlait de lui… Ce silence est de sinistre augure, poursuivit Prudhomme… songe à toi… cesse ton journal.

– Robespierre est mon ami, répondit Camille… s'il était fâché de ce journal, il m'en aurait parlé à moi-même… et il ne m'a rien dit… Je dois même lire ce soir un drame de moi chez lui, et nous devons nous y trouver, Louise et moi, avec tous nos amis, Danton et sa femme, Saint-Just et tous les autres… Et puis, c'est le comité de Sûreté générale qui entraîne Robespierre… il n'est pas coupable de ce qui se fait!

Madame Desmoulins entra dans ce moment dans le cabinet de son mari; Prudhomme répéta ce qu'il croyait devoir être compris par elle; mais, bien loin de l'écouter, elle lui imposa silence.

– Si Camille pouvait suivre vos conseils, lui dit-elle, je le désavouerais. C'est une noble mission qu'il a reçue de l'humanité agonisante… il doit parler… dût-il en mourir…

Et s'approchant de son mari, elle l'embrassa avec amour.

– Si tu meurs pour cette cause sainte, mon Camille, lui dit-elle en le regardant avec une ineffable tendresse, je mourrai avec toi…

– Mais en mourant il cesse de remplir cette mission à laquelle il est appelé, lui répondit Prudhomme…

– N'importe quel sera son sort… il doit faire son devoir… Si Camille cessait d'écrire dans le moment où la tyrannie des comités n'a plus de bornes, lorsqu'enfin leur inamovibilité révèle leur ambition, il serait un lâche… et moi-même je le renierais et l'éloignerais de mon cœur.

– Prenez garde à vous-même, malheureuse femme; prenez garde à vos imprudentes paroles… les bourreaux de la France ne reconnaissent aucun pouvoir… celui de la vertu, de la beauté, de l'esprit, demeure sans force devant eux… tremblez de les irriter…

Madame Desmoulins demeura quelques secondes dans le silence… Au bout de ce temps, elle releva fièrement la tête, et regardant Prudhomme avec calme: – Ils ne me feront pas mourir la première, lui dit-elle; et après lui!.. je demanderais la mort…

Et se jetant dans les bras de son mari, elle l'embrassa en pleurant… mais au milieu de ses sanglots, on entendait encore ces mots:

Fais ton devoir!

Désespéré du peu de succès de sa démarche, Prudhomme courut chez madame Duplessis, mère de madame Desmoulins… il lui parla de ses craintes et du sujet fondé qui les lui inspirait. Madame Duplessis lui répondit qu'elle connaissait sa fille, et que son caractère étant beaucoup plus fort que celui de Camille, tout était perdu si elle le portait à résister…

On sait en effet quel fut le résultat de la conduite nouvelle de Camille Desmoulins!.. Le second jour de son arrestation, sa femme, au désespoir de ne pouvoir fléchir aucun des juges-bourreaux qui devaient prononcer sur le sort de son mari, organisa un mouvement avec ses amis pour le délivrer… Elle eut l'imprudence de lui écrire. La lettre fut interceptée, et tout espoir détruit. Madame Camille Desmoulins, arrêtée à l'instant même, périt huit jours après sur le même échafaud, comme ayant voulu renverser le gouvernement de la république.

… Et elle était plus républicaine qu'aucun d'eux!..

Une ambition sans mesure, appuyée sur un orgueil sans égal, et pourtant une grande infériorité à côté de ceux qu'il a fait périr, tels sont les principaux traits du caractère de Robespierre; il faut y ajouter le goût du sang par nature et une profonde hypocrisie. Mais ce qui, surtout, était la passion la plus effrayante pour tout ce qui se trouvait sur son chemin, c'était cette jalousie envieuse que lui inspirait toute supériorité. C'est cette appréhension d'être primé en quoi que ce fût, qui lui fit sacrifier Danton et Camille Desmoulins. Voici, à cet égard, une anecdote assez singulière qui m'a été rapportée par un témoin de la chose.

Avant que les deux comités11, qui étaient à eux seuls tout le pouvoir, se centralisant encore dans Robespierre, eussent fait périr, dans la même journée, la fleur des talents que renfermait la Convention; avant que cette Convention, se mutilant elle-même, envoyât à l'échafaud cette faction de la Gironde qui voulait réellement la liberté, et ne savait pas d'abord, simple qu'elle était, que Robespierre et les siens voulaient de la tyrannie et du despotisme; avant la mort des Girondins, plusieurs tentatives furent faites pour opérer un rapprochement entre les deux factions. Un jour, Danton, alors dans tout l'éclat de sa belle puissance tribunitienne, attendait avec d'autres collègues l'ouverture de la séance. Plusieurs membres de différents partis causaient ensemble dans une des salles qui précédaient la Convention. L'un d'eux dit à Danton:

– Vous devriez bien vous rapprocher de ceux de la Gironde. Et il mena Danton vers Valazé et quelques autres. Après avoir échangé quelques mots, Valazé dit à Danton:

– Ce n'est pas Robespierre, ce n'est pas Marat, bien que celui-ci ait une verve et une repartie mordante qui souvent emporte la pièce, que nous redoutons… Le premier est nul, et le second est faible malgré sa fureur apparente… C'est vous que nous craignons… c'est votre éloquence tonnante, c'est cette colère d'un homme persuadé, convaincu, que vous jetez à la tête de vos adversaires et que vous leur opposez comme une digue qu'ils ne peuvent quelquefois renverser. Votre éloquence entraîne, détermine la multitude… Et voilà la véritable éloquence du tribun du peuple dans des temps orageux… Voilà ce qui nous inquiète; le reste est de peu d'importance.

Le Girondin n'avait pas aperçu, à deux pas de là, Robespierre assis sur un banc et en apparence enseveli dans ses réflexions. Il écouta et entendit toute la conversation, il en recueillit chaque parole dans la haine de son cœur… Et la perte de Danton, qui jusque-là n'avait été qu'incertaine, fut jurée par Robespierre… De ce moment, sa haine ne se voila même plus… et il répétait à ses confidents que bientôt le colosse tomberait.

Un ami de Danton l'en avertit; Danton sourit, et son horrible figure s'illumina tout à coup de ce sourire sardonique.

– Lui se jouer à moi! s'écria-t-il de sa voix tonnante qui frappait les murs avec retentissement. Lui!.. si je le croyais, poursuivait-il avec rage, je lui arracherais les entrailles de ma propre main!..

Tallien avait été envoyé en mission dans les départements; à son retour, comme il ignorait complètement les nouvelles de Paris, car les Conventionnels comme les autres étaient soumis au même régime de sévérité pour la poste, et afin de ne pas éveiller les soupçons des deux comités, ils préféraient ne pas recevoir de lettres. En arrivant à Paris, Tallien alla voir Robespierre, avec qui il était fort intimement lié; il croyait alors, disait-il, au républicanisme pur de cet homme. Il fut donc franc avec lui et lui dit que dans les provinces sa mission n'avait pas eu le succès qu'elle devait avoir, parce que toute puissance pâlissait devant celle des membres des deux comités de Salut public et de Sûreté générale. Un député, un représentant simple, n'avait aucune influence. – Cette suprématie liberticide, ajouta Tallien, n'a pour cause qu'une mesure, au reste attentatoire à la majesté de la représentation nationale… Pourquoi les membres des deux comités sont-ils inamovibles, Robespierre? Comment toi, le fils de la liberté, un républicain si pur et si fidèle, tu as accepté un emploi qui n'est autre chose qu'une méchante copie du despotisme couronné!.. Et le peuple n'a-t-il fait tomber la tête d'un roi que pour en voir renaître vingt autres? Robespierre, cette mesure ne fut pas proposée par toi, j'en réponds; mais tu devais la combattre.

Robespierre fut d'une extrême adresse dans cette conversation; il sut maintenir son pouvoir sur Tallien, tout en accusant d'autres collègues.

– Que veux-tu qu'on fasse, après tout?

– Prouver que toi ainsi que Carnot, et tous ceux qui composent les deux comités, n'avez aucune ambition, les renouveler enfin.

Robespierre sourit avec ironie.

– Oui, c'est cela. Te voilà maintenant du même bord que ceux de la commune de Paris, et les autres machinateurs qui veulent perdre la patrie.

– Et que veulent ces hommes?

– Ce que tu demandes toi-même: changer les comités… les comités! qui seuls peuvent sauver et sauveront la patrie; nous sommes dans un moment de crise, Tallien, où la chose publique est perdue si le timon est abandonné à trop de mains. La Convention n'est déjà que trop nombreuse!

Tallien fit un mouvement à ce mot qui fut remarqué par Robespierre… Il se reprit et dit ensuite:

– Elle est trop nombreuse, quand je vois des hommes dans son sein qui peuvent perdre notre malheureuse patrie.

– Qui sont-ils? Et quel est leur nombre?

– Trop grand sans doute, surtout lorsqu'à leur tête on voit un homme comme Danton.

– Danton!

– Lui-même!.. Crois-tu maintenant que la République doive prendre trop de mesures pour centraliser son pouvoir, lorsqu'elle voit de semblables perfidies?

– Mais où est la preuve?

– Crois-tu que je t'en impose?

– Non; mais tu peux être mal informé. Un homme aussi bon patriote que Danton ne doit être jugé dans l'opinion de ses frères qu'après avoir été entendu.

Intimement lié avec Danton, Tallien courut aussitôt près de lui, et lui demanda comment il était avec Robespierre.

– Mais très-bien, répondit Danton. Nous avons bien quelquefois de petites discussions, mais, ajouta-t-il en souriant, cela passe comme cela vient.

– Tu t'abuses, malheureux!

Et Tallien lui rapporta sa conversation du jour même avec Robespierre… Danton demeura stupéfait.

– À tout autre qu'un ami, je dirais que ce n'est pas vrai! mais à toi, je te laisse voir le fond de mon âme. Elle est profondément navrée de ce que tu me dis. Me crois-tu?

– Oui!.. mais que comptes-tu faire?

– Voir Robespierre… Demande-lui un rendez-vous pour demain à huit heures du matin. Nous serons seuls à cette heure…

Tallien demanda et obtint le rendez-vous, qui fut accordé comme une grâce… Il vit que son malheureux ami était en péril, et voulut le détourner d'aller chez Robespierre… À la première parole Danton rugit comme un lion.

– Moi le craindre! s'écria-t-il… C'est à lui de trembler!..

Ils arrivèrent au moment où Robespierre venait de se lever. En entrant, Danton fut d'abord au fait:

– Me voilà, lui dit-il. Je viens vers toi. Qu'as-tu à me reprocher?

ROBESPIERRE

Des faits graves dans l'intérêt de la patrie. Tu blâmes et tu entraves tout ce que veulent et ordonnent les comités du Gouvernement… Je le sais… ne nie pas.

DANTON

En quoi, et comment?.. dans quel lieu… et quel jour? qui m'a entendu, et qu'ai-je dit?.. des faits, et j'y répondrai; la calomnie seule accuse vaguement comme tu le fais.

ROBESPIERRE

Eh bien! lorsque les Girondins ont justement péri, tu as blâmé leur condamnation.

DANTON

Non.

ROBESPIERRE

Tu les as pleurés?

DANTON

Oui.

ROBESPIERRE

Ah! tu en conviens?

DANTON

Pourquoi non?.. Il y avait parmi eux des hommes d'un haut et rare talent et aimant la patrie…

(Robespierre fait un mouvement, et sourit avec dédain.)

DANTON, répétant de toute la force de sa voix

Oui, Robespierre, aimant la patrie… et puis j'ai pleuré sur la mort de plusieurs d'entre eux qui n'étaient encore que des enfants… Pourquoi faire mourir Roger-Ducos?

ROBESPIERRE, d'un ton sombre et presque menaçant

Pourquoi soutiens-tu mes plus ardents ennemis, toi? Camille Desmoulins n'est-il pas connu pour être le mien?

DANTON, levant les épaules

Autre enfant!..

ROBESPIERRE

Tu lui donnes tes avis pour son Vieux Cordelier… Tous deux vous vous liguez contre moi… Tu ne lui donnes que des louanges à lui.

DANTON

Oui, j'en conviens, je suis de son avis, lorsque dans ce journal il demande qu'enfin le sang cesse de couler et qu'il appelle la clémence avec toutes les mères, les femmes et les filles… Eh quoi! du sang! toujours du sang!.. Toute la France doit-elle donc périr? Robespierre, qui peut dire qu'un jour toi aussi tu n'auras pas besoin de cette clémence que tu refuses À TOUS? comment oser la demander si jamais tu arrives à ce moment extrême!..

ROBESPIERRE

Ose dire que tu n'es pas avec Phélippeaux12?

DANTON, souriant en levant les épaules

Allons! me voilà Phélippeautin à présent!

ROBESPIERRE, marchant droit à lui

Nieras-tu que tu n'approuves Phélippeaux dans ses opinions?.. Ose me dire que ce n'est pas sur ton avis qu'il a fait imprimer son écrit sur la Vendée?

DANTON, le regardant avec fermeté

Robespierre, je ne mens jamais. Oui, c'est moi qui ai conseillé à Phélippeaux d'écrire cette brochure… C'est moi qui l'ai fait imprimer… c'est moi qui l'ai distribuée… Il faut enfin que tant de carnage finisse dans la Vendée… On y marche dans le sang jusqu'à la cheville… Cela doit avoir un terme… C'est encore moi, Robespierre, qui me lève et le crie de toute la force de ma voix… C'est MOI!.. MOI!.. toujours moi!..

ROBESPIERRE

Oui, Danton, toujours toi!.. toujours conspirateur!.. et forcé de l'avouer!..

En écoutant cette parole amère, en voyant l'expression de la physionomie de Robespierre, Danton voit son sort… et une pensée intérieure lui fait verser des larmes.

En ce moment, Robespierre s'habillait; il voit cette larme qui aurait arraché d'autres larmes d'un cœur généreux, mais le misérable n'y vit que le triomphe qu'il remportait sur un superbe ennemi qui jamais peut-être, de sa vie, n'avait pleuré… Il se baissa, et jetant à Tallien un regard qu'il croyait dérober à Danton, il semblait lui dire: L'homme orgueilleux s'est abaissé jusqu'aux larmes; mais Danton le vit, et, se relevant aussitôt de toute la hauteur de sa taille colossale, il s'écria avec sa voix de Stentor:

– Oui, je pleure, et je ne cache pas mes larmes… elles prouvent que j'ai une âme!.. Crois-tu donc que c'est sur moi que je pleure?.. Si tu mourais, Robespierre, tout meurt avec toi, si ce n'est l'exécration de ta renommée qui le survivra éternellement… Mais moi, quand je mourrai… d'autres me survivent!.. et ces autres, ce sont des enfants… une femme. Moi, conspirer en faveur de la royauté!.. moi, l'ennemi juré des rois!.. Qu'on m'envoie aux armées combattre les ennemis de la France et défier, affronter les tyrans… c'est alors, c'est LÀ qu'on verra si je suis conspirateur!..

La conversation prenait le ton d'une dispute et d'une vive querelle… Au moment où Robespierre allait répliquer, mademoiselle Duplaix sortit d'un appartement intérieur, et dit à Robespierre:

– Maximilien, il y a là plusieurs députations des départements qui veulent te voir; elles attendent depuis longtemps: les ferai-je entrer?..

– Fais les monter, dit Robespierre.

Danton fut alors entraîné presque violemment par Tallien au moment où sa colère lui donnait une telle fureur qu'il se serait peut-être porté à quelque extrémité envers Robespierre, qui, toujours armé, toujours entouré de vingt ou vingt-cinq misérables qu'il appelait sa garde, aurait tué ou fait massacrer Danton sur l'heure, sous le prétexte de tentative d'assassinat.

Cette garde personnelle était seulement de vingt hommes; elle était composée de tout ce qu'on avait pu trouver de plus abject. Ils suivaient Robespierre de loin, et se tenaient à portée de sa voix pour le secourir en cas d'attaque; ils dormaient pêle-mêle; comme à un bivouac, dans le vestibule de la maison qu'il habitait. Maintenant, écrivez l'histoire avec le Moniteur, qui raconte bénévolement que Robespierre allait dans Paris sans garde, et livré à l'amour des Parisiens et à leur reconnaissance.

Lorsque Danton et Tallien furent hors de cette maison, Danton marcha longtemps sans parler. Tallien respectait son silence… Tout à coup Danton s'arrête, et saisissant fortement le bras de Tallien:

– Ne suis-je pas un homme perdu?.. dis-moi, ne le penses-tu pas?

– Non, si tu gagnes Robespierre de vitesse… Nous voici près de la Convention, entrons-y tous deux. Nos amis y sont en force aujourd'hui, je le sais. Monte à la tribune, parle comme tu le sais faire dans une occasion telle que celle-ci. Parle de cette inamovibilité funeste qui donne tant de mécontentement et d'ombrage aux départements… Parle de l'assassinat de la Gironde… Parle enfin, et tu seras secondé.

– Il n'est pas encore temps, dit Danton.

– Il n'est pas temps!..

– Non; pas encore.

– Mais, malheureux, si tu perds une minute, c'est fait de toi!.. Ne connais-tu plus Robespierre?.. Demain, aujourd'hui, cet homme va faire ce que tu hésites, toi, d'accomplir, et il sera vainqueur… Danton… par pitié pour toi-même!..

– Il n'est pas encore temps.

Ces funestes paroles semblaient être dictées à Danton par son mauvais ange… Danton, ordinairement si hardi, si téméraire dans la parole et l'action, demeurait là, en face de son danger, inerte et sans force. Un ami aussi dévoué à son sort que l'était Tallien, le conventionnel Lacroix, fut averti par Tallien lui-même.

– Hélas! lui dit-il, j'ai prévu tout ce qui arrive… J'en ai parlé à Danton, et toujours cette même réponse… et puis une trop grande confiance dans la terreur qu'il croit inspirer à Robespierre. Il croit que celui-ci n'osera jamais toucher à sa tête… Avant-hier, alarmé par un mot de Saint-Just et une autre parole d'Henriot, j'ai tout tenté auprès de Danton; je lui ai représenté que le tyran est odieux au peuple… qu'à un seul mot de son éloquente bouche, Robespierre tombait à l'instant; enfin, ajouta Lacroix, je me suis mis à genoux devant lui… oui… à genoux!.. Eh bien! que m'a-t-il répondu?.. que crois-tu que cet homme ainsi pressé ait dû me dire?

Il n'est pas encore temps!

Mais quel changement en peu de mois! Qui donc a pu le causer? car son âme est tout aussi ardente!..

Plus, peut-être, et voilà le malheur de la position actuelle de Danton… Cette incurie pour ce qui concerne sa sûreté, cette apathie physique enfin qui le rend si différent de lui-même, est produite par la passion qu'il a pour sa femme… Cette passion le domine au point qu'il ne peut s'absenter un jour de Paris si elle ne peut ou ne veut le suivre… Je lui proposerais bien de fuir, j'en ai les moyens, mais il refusera. Sa femme est enceinte, il ne voudra pas la quitter. S'il agit, il peut troubler le repos de celle qu'il aime à présent plus que la patrie, plus que la liberté, plus que tout ce qui n'est pas elle… Voilà pourquoi il ne voulait jamais reconnaître que Robespierre est son ennemi et lui en veut.

Lacroix ne disait que trop vrai… Danton était sous la puissance d'une de ces passions qui décident de la vie… La sienne lui fut sacrifiée. Dès le même soir du jour où Danton l'avait vu, un greffier du Tribunal révolutionnaire, de ce cloaque impur où les plus illustres têtes reçurent la couronne du martyre, un homme qui voulait du bien à Danton, le vint trouver pour l'avertir que Fouquier-Tinville (accusateur public) allait être investi de l'affaire, qu'on avait parlé de son arrestation au Comité et à la Convention.

– Arrêté! dit Danton en se levant impétueusement, arrêté! Ils n'oseraient!

– C'est le mot que dit le duc de Guise en entrant chez Henri III, et il n'en sortit pas vivant! répondit Lacroix…

Mais Danton, comme s'il eût voulu braver le tyran et lui montrer que sa force n'était pas éteinte, alla le soir même de cet avertissement à l'Opéra, dans une petite loge. Ce greffier du Tribunal révolutionnaire vint encore l'y trouver, et l'avertir que l'ordre de l'arrêter était expédié, et qu'il n'avait qu'un moment pour échapper. Il avait une maison à Romainville; il offrit à Danton de l'y conduire… Oui, dans ces horribles jours, il y avait encore de nobles âmes!..

Sa femme, qui jusque-là avait ignoré son danger, joignit ses mains, et le pria, le conjura de fuir. Il la vit tellement effrayée qu'il allait suivre cet ami courageux qui, pour lui, donnait peut-être sa tête, lorsqu'un autre ami de Danton, un ami des plus intimes, qui était avec eux dans la loge, soit qu'il fût convaincu du contraire, ou qu'il fût peut-être un faux ami, le détourna vivement de cette fuite, en lui disant qu'on n'arrêtait pas un homme comme lui. Le peuple s'y opposerait, ajouta-t-il.

– C'est ce que j'ai toujours dit, ajouta Danton en serrant la main de cet homme qui n'était peut-être qu'un traître… je reste…

Et, embrassant sa femme, il lui dit de se calmer, et puis ayant avec chaleur remercié le greffier, il écouta le reste du spectacle avec une extrême attention… Il sortit ensuite avec sa femme, retourna tranquillement chez lui, et le lendemain matin, à peine était-il jour, qu'un bataillon entourait sa maison, et qu'il fut arrêté sans que le peuple manifestât autre chose que de la curiosité!..

Et cependant Danton était tellement aimé, que ceux chargés de l'arrêter firent tout ce qui dépendait d'eux pour faciliter son évasion. Lorsqu'ils virent qu'il ne voulait pas fuir, ils prolongèrent leur opération de scellés et tout ce qui a rapport à une pareille mesure, espérant que l'on viendrait le délivrer!.. Personne ne vint… et pourtant, je le répète, on l'aimait… Mais la terreur qu'inspiraient les comités était si grande, que tout disparaissait devant cette puissance. On le conduisit à la Conciergerie, où il se rencontra avec Phélippeaux, avec Lacroix, Camille Desmoulins, Hérault de Séchelles, etc.

Cette faiblesse qui avait précédé son arrestation disparut devant ses juges; au tribunal il fut sublime… On sait comment il se joua de ses juges. Il en vint à leur imposer une telle terreur, que le président demanda une compagnie de renfort pour assurer, disait-il, le salut du tribunal en face de cet homme qui appelait le peuple à la révolte.

Sa fin fut héroïque, et particulièrement belle dans ses derniers moments… Il dit adieu à sa femme en l'exhortant à ne pas l'oublier jusqu'au moment, ajouta-t-il, où, nous nous retrouverons!

Cette parole fut dite par Danton; elle lui fut dictée par une conviction, une intuition positive… Pour lui, il n'y avait aucun orgueil à manifester un changement de croyance au dernier instant de sa vie… Hérault de Séchelles13, homme parfaitement beau et dans les opinions nouvelles, avait payé de sa tête d'avoir appartenu à l'ancienne magistrature; il mourut avec Danton et Camille Desmoulins… Son courage fut à la hauteur de celui de toutes les autres victimes… Au moment de monter sur l'échafaud, il conversait paisiblement avec Danton. On vint prendre Danton pour son supplice… – Adieu, mon frère, dit-il à Hérault de Séchelles… adieu!.. – et comme il voulut l'embrasser, l'exécuteur les sépara.

– C'est dignement faire ton métier, mon ami! dit Danton… mais, quoique tu fasses, tu n'empêcheras pas nos têtes de se donner un dernier baiser dans le sac14!..

Après la mort de ces nouvelles victimes, Robespierre crut avoir obtenu une tranquillité assurée; mais un tel homme devait toujours craindre… Il ne pouvait tuer aussi impudemment ses complices sans éveiller la méfiance de ses complices eux-mêmes. Aussi la mort de Danton et de Camille Desmoulins fit-elle une grande impression sur Tallien. Le raisonnement très-simple que Robespierre arriverait enfin à lui, devait le frapper comme une idée logique. Il fut sur ses gardes; et une fois la méfiance éveillée entre deux hommes comme Robespierre et Tallien, elle devait amener un combat dont la chute de l'un d'eux devait être le résultat. Cette pensée prépara le 9 thermidor, le danger de madame de Fontenay le décida.

Cependant Robespierre s'isola de tout le monde politique, même de ses collègues des comités, excepté Saint-Just et quelques autres… Jusque-là, il avait reçu assez souvent et donnait à dîner, soit chez lui, soit chez Rose, fameux restaurateur de ce temps, ou bien Méot ou Léda… Mais, après la mort de Danton, il devint farouche et solitaire. Une grande pensée parut sur son front: quelle était-elle? méditait-il en secret un massacre pour faire couler le sang plus rapidement?.. À en juger par le feu sombre de ses regards, c'était en effet un projet bien horrible qui l'occupait.

Depuis plusieurs mois Robespierre voyait une femme qu'il faut faire connaître pour donner une idée de ce qu'était Paris à l'époque de la terreur; cette femme s'appelait Catherine Théos…

Catherine était autrefois cuisinière… Plusieurs années avant la révolution, elle prétendit (soit qu'en effet elle eût la raison attaquée), elle prétendit avoir eu des visions qui lui révélaient qu'elle était la mère de Dieu. Le résultat de ses rêveries vraies ou fausses fut de la faire mettre à la Bastille, où elle demeura six mois. Lorsque la révolution éclata, Catherine, intrigante et rusée, comprit que c'était un champ libre où devait prospérer tout ce qui était du ressort de ce qu'elle exploitait, et, renonçant à ses talents culinaires, elle prit celle de mère de Dieu. Elle rencontra alors en son chemin dom Gerle, ancien chartreux et ex-membre de l'Assemblée constituante… Mais avant lui, elle avait connu un autre homme qui résolut d'employer à son profit cette femme et ses discours, et cet homme était Robespierre.

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