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L'oeuvre du divin Arétin, deuxième partie
L'oeuvre du divin Arétin, deuxième partie

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L'oeuvre du divin Arétin, deuxième partie

Язык: Французский
Год издания: 2017
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Pippa.– Je l'utiliserai.

Nanna.– Supposé que le jaloux en ait quelque vent, vite la main en l'air, pour jurer que non, et d'une mine assurée dis toujours: «Des bêtises!» S'il entre en fureur, humilie-toi jusqu'à crier: «Ainsi, vous me tenez pour une de ces espèces, hein? Si l'on vous a dit quelque chose, puis-je empêcher les langues? Si j'en avais voulu d'autres, je ne vous aurais pas pris, je n'aurais pas fais de moi une recluse, pour l'amour de vous»; et en clabaudant de la sorte, serre-toi contre lui le plus que tu pourras. Si les poings se mettent à entrer en branle, patience! Il ne tardera pas à payer les frais de médecin et de médecines. Toutes les caresses que tu lui auras faites pour le radoucir, il te les fera pour te reconsoler, et les «Pardonne-moi», les «J'ai eu tort de le croire» te chatouilleront si bien que tu redeviendras la belle et bonne amie. Gare que si tu confessais ta faute ou si tu voulais te revenger de quatre coups de poing qui vont et viennent, tu ne sois en danger de le perdre ou de l'irriter si fort qu'il ne t'en résulterait rien de bon. Il est clair que le difficile c'est de garder des amants et non d'en faire.

Pippa.– Il n'y a pas de doute à cela.

Nanna.– Tourne la page. Tu en rencontreras un autre qui ne sera pas jaloux, quoique amoureux, en dépit de ceux qui ne croient pas que l'amour puisse exister sans jalousie. Pour les hommes taillés dans ce bois-là, il y a un électuaire dont on n'a qu'à faire prendre une ou deux lampées: on rendrait jaloux un bordel.

Pippa.– Quel électuaire?

Nanna.– Fais-toi écrire une petite lettre par quelqu'un à qui tu puisses te fier; celle-ci, par exemple, que j'ai autrefois apprise par cœur:

«Signora, je ne puis vous saluer, en tête de ma lettre, parce qu'il n'y a plus de salut pour moi. A l'heure que votre pitié daignera m'assigner et à l'endroit qui vous paraîtra le plus commode, je pourrai vous dire ce que je n'ose vous déclarer par écrit ni par message. C'est pourquoi je vous supplie, au nom de vos charmes divins, que la nature, avec le consentement de Dieu, a empruntés aux anges pour vous les donner, de vouloir permettre que je vous parle. J'ai à vous dire des choses qui vous rendront heureuse, et d'autant plus heureuse que j'obtiendrai plus vite l'audience que je sollicite à genoux. J'attends une réponse empreinte d'autant de grâce qu'il s'en irradie de votre gracieux visage. Si vous refusez de me l'octroyer, comme vous refusâtes les perles que je vous fis porter non en présent, mais en signe de bonne amitié, par… etc., le fer, la corde ou le poison me délivrera de mes peines. Je baise les mains à votre illustre Seigneurie…», avec la suscription et la souscription que saura faire celui qui écrira la lettre, dans le cas que je t'explique.

Pippa.– Qu'aurai-je à en faire, la lettre une fois écrite?

Nanna.– Plie-la menu et glisse-la dans un gant que tu laisseras tomber quelque part, comme à l'étourdie. L'homme qui met la jalousie sous ses semelles ne tardera pas à l'avoir en plein poumon. L'insouciant ramasse le gant et sent aussitôt le billet; dès qu'il le sentira, il le prendra et, se cachant d'un chacun, se retirera en quelque coin, seul, tout seul. A peine aura-t-il commencé à lire qu'il commencera à faire la grimace; et quand il en sera aux perles refusées, il soufflera comme un aspic; sa morgue lui tombera dans les talons et l'âme lui viendra aux dents, car j'imagine que le diable entre au corps de l'homme qui tout d'un coup butte contre un rival, et l'on ne pourrait dire quelle rage met sens dessus dessous celui qui jusqu'alors croyant ne pas avoir de compagnon au plat en voit surgir un qui lui met en grand danger tout le rôti. La facétieuse missive lue et relue, il la remettra où il l'a trouvée, c'est-à-dire dans le gant: toi, là-dessus, sois à l'épier par quelque fente ou par le trou de la serrure et, au bon moment, querelle la servante, dis-lui: «Où est mon gant, petite sotte? Où est-il, tête à l'évent?» Le dolent ne manquera pas de s'avancer; hausse le ton et dis: «Gueuse, coquine, tu seras cause de quelque scandale, et peut-être de ma ruine. Je crois bien que si elle lui tombe entre les mains, je ne pourrai jamais lui faire entrer dans la tête que je voulais la lui montrer et lui dire quel est celui qui m'adresse de telles sottises. Dieu sait si des perles ou des ducats ont le pouvoir de faire de moi la femme d'un autre!» L'englué, en entendant cela, calmera sa colère et, après avoir délibéré une minute, t'appellera en s'écriant: «Le voici! pas un mot de plus; je n'ai de confiance qu'en toi, j'ai lu tout et ce ne sont pas les perles qui te manqueront. Je t'en supplie, ne me dis pas le nom de celui qui te fait des offres si magnifiques, parce que peut-être bien, peut-être bien…» Il s'arrêtera là-dessus; tu lui répondras: «Je n'ai jamais voulu vous dire les ennuis que j'ai, les messages, les… enfin, suffit! Je suis à vous, je veux toujours l'être, et quand je serai morte, je serai encore toute à vous.»

Pippa.– Dites-moi donc à quoi aboutira la trame.

Nanna.– A ce que le trouveur de la lettre n'aura plus de repos. Tout homme qu'il apercevra dans ta rue, il croira que c'est celui qui te l'a envoyée, ou son ruffian, et de peur de te laisser la moindre occasion d'accepter ses cadeaux, il ira tout de suite au-devant de ces Mantouans, pour ne pas dire de ces Ferrarais, qui, à peine descendus à l'auberge, s'en vont faire de l'œil à toutes, comme si les galons et les crevés qui déparent leurs pourpoints et leurs capes possédaient le privilège de les faire expédier «gratis», comme on dit au Palais. Pippa, si jamais des chats-huants de cette espèce te tombent entre les pinces, informe-toi bellement de l'époque où ils doivent s'en aller et calcule le temps de leur séjour d'après les bagues, les agrafes, les chaînes de cou, les dentelles et autres fanfreluches qu'ils ont sur le corps; parce que, pour ce qui est de leur argent, il n'y a aucun fondement à faire là-dessus, et comme par aventure jamais ne reviendront, tu n'as pas à t'inquiéter qu'ils te prisent ou te méprisent.

Pippa.– Je m'en moquerai pas mal; mais que savez-vous de leur argent?

Nanna.– Je sais qu'ils n'en apportent même pas assez pour s'en retourner dans leur pays. Si tu as affaire à eux, dévalise-les de ces colifichets dont je te parle; sinon, tu resteras les mains pleines de leurs compliments à l'ambre.

Pippa.– Si je tombe dans leur panneau, que je les paye de ma bourse!

Nanna.– Au cas que l'un d'eux couche avec toi, guigne de l'œil ce qu'il a de bon, sa chemise, sa coiffure de nuit, et le matin, avant qu'il se lève, fais venir une Juive avec une foule de babioles; quand tu les auras comparées avec ses mantouaneries, dis de les emporter ou brouille le paquet et jette tout à terre, mets-toi en colère contre toi-même, contre le bélître, et grommelle entre tes dents jusqu'à ce qu'il te les offre; s'il refuse, invite-le à revenir coucher et cette fois saccage-le de gré ou de force.

Pippa.– Quand vous étiez jeune, est-ce que vous faisiez tout ce que vous me recommandez de faire?

Nanna.– De mon temps, c'était un autre temps; j'ai fait ce que j'ai pu, comme tu le verras si je te donne à lire ma vie imprimée par celui que le Diable… non que Dieu l'emporte! je me reprends, de peur que s'il a mauvais caractère, il ne dise de moi pis que n'en diront de toi ces amoureux grossiers avec qui tu ne saurais pas te maintenir. Je sais bien que tu vas me répondre: «Je ne t'empêtrerai pas de semblables gens»; oui, mais tu ne pourras t'en empêcher.

Pippa.– Pourquoi non?

Nanna.– Parce que si tu veux agir avec prudence, comme tu le dois, il te faudra en souffrir autour de toi. Laisse-les donc s'emporter, s'ils s'emportent, et bouche les oreilles aux «putain! coquine!» qu'ils te lâcheront tout d'un trait. Ils ont beau couper en deux la mappemonde, ce ne sont que des paroles noyées dans la salive qu'ils lancent au visage de qui les approche, il n'en est rien de plus; en moins de deux Credo, les voilà retournés en bonace; ils te demandent pardon, te font des cadeaux et voudraient te mettre dans leur cœur. Pour moi, j'aime assez avoir affaire à ceux-là, parce que si la moindre des choses les met en fureur, la moindre des choses les radoucit. Je compare leur colère à un nuage de juillet, il tonne, il éclaire, et après qu'il est tombé vingt-cinq petites gouttes d'eau, voici le soleil. Ainsi donc, patience te procurera richesse.

Pippa.– Nous patienterons; qu'en adviendra-t-il?

Nanna.– Il en adviendra que chacun tiendra à toi jusqu'à la mort. A cette heure, te voici avec un finaud, un madré, un vieux renard qui pèse toutes tes allures; pour la moindre parole, il te cherche querelle, fait signe du pied à son compère, se tord le museau et cligne de l'œil comme s'il disait: «M'attraper, moi? ha!» Tiens-toi coite, ne te trouble jamais; bien mieux, fais toujours la simple, la niaise; ne l'interroge point, ne te défends point. S'il te parle, parle-lui; s'il t'embrasse, embrasse-le; s'il te donne quelque chose, accepte et comporte-toi si adroitement qu'il ne puisse jamais te prendre au plat. Tâche qu'il commence à se dire en lui-même que tu es bonne comme le pain; mais ne te laisse pas sarcler le jardinet sans qu'il paye la façon du terrain où il veut semer la graine, et comme il s'aide de tous ses tours de gibecière pour ne pas se faire attraper, de même tu t'aideras de toute ta finesse pour l'obliger d'avouer qu'il n'y a pas moyen de t'attraper non plus. Force lui sera, à ce rapetasse-morceaux, de te fier sa foi méfiante; ainsi refait du même au même, il sera tout à toi et tu ne seras à lui que quand tu le voudras bien.

Pippa.– Je m'étonne, maman, que vous ne teniez pas école pour y apprendre aux gens ces galanteries-là.

Nanna.– Je possède une qualité qui rehausserait une impératrice: je ne suis pas glorieuse. Je l'étais autrefois, Dieu me le pardonne! Mais ne gaspillons pas le temps. Apprends à te fâcher et à te radoucir avec tes poursuivants de la manière que je t'enseigne, et ne trouve pas trop long ce livre que je veux que tu récites couramment. Le putanisme aiguise si bien l'esprit que sans maître, en huit jours, il vous en apprend plus long qu'on n'en peut savoir. Or juge un peu si tu dépasseras les autres, ayant la Nanna pour guide!

Pippa.– Qu'il en soit ainsi!

Nanna.– Il en sera ainsi, n'en doute pas. Fâche-toi avec grâce, Pippa; prends-y toi de telle sorte que tout le monde te donne raison. Si ton amoureux te promet Rome et le reste, attends l'exécution de sa promesse un jour ou deux, sans lui en dire un mot; passé la moitié du troisième jour, pousse-lui un petit coup de bouton. Il te répondra: «Sois sans crainte, tu verras; compte sur moi.» Montre-toi rayonnante et mets-toi à causer du Turc qui doit venir, du Pape qui n'est pas encore crevé, de l'Empereur qui fait des choses miraculeuses, du Roland furieux et du Tarif des courtisanes de Venise, que j'aurais dû mettre en tête. Puis laisse-toi tomber le menton sur la poitrine et deviens muette tout d'un coup; songe et resonge un bout de temps, et en te levant debout, dis d'une voix étranglée: «Je ne l'aurais jamais cru!» Là-dessus, il me semble voir l'homme au cadeau en retard s'écrier: «Qu'avez-vous donc? – Où étiez-vous donc hier soir?» lui riposteras-tu, et sans vouloir rien entendre, sauve-toi dans ta chambre, enferme-toi en dedans. S'il frappe, laisse-le aboyer; moi, de mon côté, je lui donnerai toujours tort et je lui affirmerai par serment qu'on t'a dit qu'il venait passer avec toi un caprice qu'il a pour une telle. Sois-en certaine, il dégringolera l'escalier en blasphémant, en niant la chose; quand il voudra revenir quelque temps après, ou sur l'heure même, ou le lendemain, fais-lui répondre que tu as affaire ou que tu es en compagnie.

Pippa.– Oui, oui; il fera la paix en m'apportant ce qu'il m'aura promis au double.

Nanna.– Vrai, comme je suis sûre que tu auras alors un visage différent du mien; mais suis-moi attentivement. Tu peux encore mettre en œuvre une bouderie de ton cru, c'est-à-dire te fâcher en dedans de toi-même et t'enfoncer les joues dans tes mains.

Pippa.– Pourquoi faire?

Nanna.– Pour faire que lui, qui ne peut durer sans toi, s'approche de toi et te dise: «Quelles fantaisies vous prennent? Vous sentez-vous mal? Vous manque-t-il rien? Parlez.» Il te donnera du vous pour t'amadouer. Réponds-lui: «Eh! laisse-moi en paix, je te prie; allons, ôte-toi de là, ôte-toi, te dis-je; oui, oui!» Tu lui cherches pouille et le tutoies toujours, ce qui aura l'air de le mépriser. Tu t'y prends de la sorte afin qu'il te chatouille pour te faire rire, mais ces rires-là, garde-toi bien d'en laisser rien échapper de ta figure ou de tes yeux, à moins qu'il ne te donne quelque chose; le cadeau fait, fais à sa volonté. On dit que les enfants, eux aussi, se fâchent sans sujet et font la paix quand on leur donne du nanan.

Pippa.– Tout ça, c'est des bêtises. Je voudrais que vous me disiez comment on se rapatrie après une infidélité: mettons le cas qu'elle vienne de lui à moi ou de moi à lui.

Nanna.– Je vais te le dire. S'il arrive que l'infidélité provienne de toi, comme on doit archicroire qu'elle en proviendra, baisse les épaules, parle humblement et dis à tout le monde: «J'ai fait un coup de jeunesse, de tête folle, de femme sans cervelle; le diable m'aveuglait; je ne mérite pas de pardon, et si Dieu m'en réchappe, jamais plus, jamais je n'enfreindrai ses commandements.» Enfin, lève la bonde à l'écluse des larmes et pleure plus que si tu me voyais refroidie aux pieds, ce dont Dieu me garde et le réserve pour qui me veut du mal.

Pippa.– Amen.

Nanna.– Le tapage et les pleurnicheries que tu feras lui seront rapportés à franc étrier, parce qu'un homme dans ce cas-là aura toujours espions à ses trousses. Ce qu'ils lui en diront, en ajoutant quelques petites choses du leur, lui fera changer de résolution, et bien qu'il jure de se ronger de faim les poings plutôt que de t'adresser la parole, de se laisser plutôt mener à la boucherie par ses ennemis, et tous les autres philostrocoles qui viennent entre les dents quand on se laisse aller à la colère, il n'en sera rien de plus; ces jurements-là ne le conduiront pas en enfer, parce que messire le bon Dieu ne tient aucun compte des parjures des amoureux: ils ne peuvent faire de testament tant qu'ils pérorent dans le délire du coup de marteau. Si l'obstination persiste en cet opiniâtre dès le maillot, écris-lui une bible, va le trouver chez lui et fais mine de vouloir briser sa porte; s'il refuse d'ouvrir, emporte-toi, crie de toutes tes forces, maudis-le et, rien ne réussissant, feins de te pendre. Prends garde seulement que le simulacre ne devienne une réalité, comme il est arrivé à je ne sais plus qui, de Modène.

Pippa.– Oh! si jamais je me pends, pour rire ou pour de bon, je veux être pendue.

Nanna.– Ah! ah! ah! Voici le bon moyen de défaire le nœud. Furète partout chez toi, dans les armoires, dans tous coins et fais un paquet de ses chemises, de ses chaussettes, de tout ce qui lui appartient, jusqu'à une vieille paire de pantoufles éculées, jusqu'à ses vieux gants, son bonnet de nuit, toutes ses frusques; même, si tu as quelque bracelet, quelque bague qu'il t'ait donnés, renvoie-les-lui.

Pippa.– Je n'en ferai rien.

Nanna.– Fais-le, sur ma parole, parce que les saintes huiles, pour celui que l'amour a mis à toute extrémité, c'est de se voir rendre les cadeaux par lui offerts à sa maîtresse; cela lui fait voir clairement l'estime où l'on tient sa personne et sa fortune, et il en tombe dans un tel chagrin que la moindre folie dont il soit capable, c'est d'aller ramasser des pierres; sans plus de retard, il empoignera les objets en question et te les fera reporter, c'est certain.

Pippa.– Et si c'était quelque avaricieux?

Nanna.– Les avaricieux ne font pas de cadeaux et ne laissent traîner rien qui ait de la valeur; donc, risque-toi à essayer ce que je te dis, et si la paix de Marcone ne se fait pas, dis-moi que je suis une bête, du genre de celles qui se plantent là écarquillées et, pourvu qu'on les mette parmi les premières de toutes, s'imaginent avoir bien arrangé leurs petites affaires en vendant leur peau, sans plus s'aider des pratiques de la magie. Pauvres, pauvres malheureuses! Elles ne soupçonnent pas la fin qui s'accorde avec le commencement et le milieu pour les mener tout droit à l'hôpital et sur les ponts, où, pleines de mal français, cassées en deux, rebutées de tout le monde, elles vont vomir quiconque peut souffrir de les regarder. Je te le dis, ma fille, le trésor que ces fins limiers d'Espagnols ont trouvé dans le nouveau monde ne suffirait pas à payer une putain, si laide, si disgracieuse qu'elle soit; et qui réfléchit bien à leur existence pécherait damnablement à ne pas confesser que c'est vrai.

Pour te faire savoir que je parle par la bouche de la vérité, en voici une, par exemple, qui se trouve obligée à l'un ou à l'autre; elle n'a jamais une heure de repos, elle ne peut ni sortir, ni rester; elle n'est tranquille ni au lit, ni à table. A-t-elle sommeil? impossible de dormir; il lui faut se tenir éveillée, faire des caresses à un galeux, à un homme dont la bouche est un fumier, à un buffle qui la pilonnera tout le temps. Si elle refuse, les reproches vont bon train: «Tu ne mérites pas de m'avoir: tu n'es pas digne de moi; si j'étais ce poltron, ce fainéant d'un tel, tu ne ferais pas l'endormie.» Est-elle à table? toute mouche qui vole est un éléphant, et pour la moindre des bouchées qu'elle adresse à n'importe qui, le voilà qui grogne, qui fume de rage, en mâchonnant son pain et sa jalousie avec, pour tout partage. Sort-elle? le voilà en furie et se disant: «Il y a là-dessous quelque trame.» Il cesse de te parler et va clabauder par les rues l'infidélité qu'il croit que tu lui as faite, soupçonne celui-ci, celui-là et ne peut durer en place. Reste-t-elle au logis, ayant ce je ne sais quoi dont il advient que souvent on est tout mélancolique sans avoir la moindre mélancolie, empêchée que l'on est de faire aux gens bon visage comme à l'ordinaire? – «Mon soupçon se confirme», dira-t-il; «j'en étais sûr; je te pue, maintenant; je sais bien où tu as mal, je le sais fort bien. Tu ne manqueras pas d'hommes, ni moi non plus de femmes pour mon argent. Des putains, il y en a au cent, par ici.» Tout cela ne serait que manus-christi et bonbons dorés, n'était cet avilissant mépris où nous sommes tenues et dont l'odeur pénètre jusqu'au fond de l'abîme, non contente de monter jusqu'au ciel. On nous tourne et on nous retourne par tous les bouts, de jour et de nuit, et qui ne consent à toutes les saletés que l'homme peut imaginer meurt à la peine; l'un préfère le bouilli, l'autre le rôti; ils ont inventé de baiser la motte en arrière, les jambes sur le cou, à la Jeannette, à la grue, à la tortue, à l'église sur le clocher, à la franc étrier, à la brebis qui broute, et autres postures plus bizarres que ne sont les gestes d'un joueur de gobelets. De sorte que je puis bien dire: «Monde, va-t'en avec Dieu!» J'ai honte d'en conter plus long. Bref, aujourd'hui on fait l'anatomie de n'importe quelle signora: c'est pourquoi, sache plaire, Pippa; sache te conduire, autrement je t'ai vue à Lucques!

Pippa.– Vraiment oui, ma foi, il faut, pour être courtisane, savoir autre chose que relever ses jupes et dire: «Va, j'y suis», comme vous me le disiez tout à l'heure. Il ne suffit pas d'être un friand morceau; vous êtes bonne devineresse.

Nanna.– Un particulier n'a pas plus tôt dépensé dix ducats à se passer toutes les fantaisies qu'on peut se passer avec une jeune fille qu'il a été crucifié à Baccano, et comme s'il se faisait là quelque mauvais coup, voilà le peuple en rumeur, criant partout que telle drôlesse a ruiné ce pauvre garçon. Mais qu'ils jouent jusqu'à leurs côtés, en reniant le baptême et la religion, ils en sont loués; leur race puisse-t-elle être anéantie! Laisse-moi finir de te narrer ce que je t'ai promis, et demain j'emploierai toute la journée à te lire le calendrier de ces brigands d'hommes; je te ferai pleurer en te contant les cruautés et les félonies de ces Turcs, de ces Maures, de ces Juifs à l'égard de ces pauvres femmelettes: il n'y a pas de poison, de poignard, de feu ni de flammes qui puisse nous en venger. Pour moi, il m'en est resté deux paires sur la conscience; je m'en suis confessée, sans aller à confesse.

Pippa.– Ne vous mettez pas en colère.

Nanna.– Je ne puis empêcher que les ribauds ne s'y mettent; tu verras comme ils savent reprendre ce qu'ils ont donné et leur vaillantise à vous diffamer, à vous flanquer des trente-et-un. Pourtant, je ne veux pas t'avoir donné le dernier conseil touchant les chatteries, les façons, les manières dont tu devras user dans la conversation: c'est là qu'est la clef du jeu.

Pippa.– Je voulais vous y voir venir.

Nanna.– Et tu m'y tiens maintenant. Savoir causer, avec ce gentil babillage qui jamais n'ennuie, c'est le citron dont on exprime le jus sur les tripes en train de frire dans la poêle et le poivre dont on les saupoudre. Le joli passe-temps, si tu te trouves en société avec toute sorte de monde, que de plaire à chacun et de les cajoler tous sans te rendre fastidieuse! Il y a du bon aussi dans quelques mots salés, quelque riposte adressée à qui se permettrait de vouloir te dauber; et comme les caractères des gens sont encore de plus de variétés que leurs fantaisies, étudie-les, guette, prévois, examine, réfléchis et passe au crible les cervelles de tout le monde.

Te voici un Espagnol, bien attifé, parfumé, délicat comme le cul d'un pot de chambre, qui se brise dès qu'on le cogne, l'épée au côté, bouffi d'arrogance, son moço par derrière, la bouche pleine de ses «Par la vie de l'Impératrice!» et autres gentillesses. Dis-lui: «Je ne mérite pas qu'un cavalier tel que vous me fasse tant d'honneur! Que Votre Seigneurie se couvre la tête: je ne l'écouterai pas qu'elle ne se la soit couverte.» Si les «Votre Altesse» qu'il te lâchera par la figure et les baisers dont il te léchera les mains étaient le moyen alchimique de t'enrichir, grâce à ses Altesses et à toutes ses cérémonies, tes revenus dépasseraient ceux d'Agostino Chigi.

Pippa.– Je sais bien qu'il n'y a rien à gagner avec eux.

Nanna.– Avec eux, tu n'as pas autre chose à faire qu'à leur rendre de la fumée en échange du vent et des bouffées en échange de ces soupirs qu'ils savent si bien lâcher à pleins boyaux. Incline-toi cependant à leurs révérences, ne leur baise pas seulement la main, mais le gant, et si tu ne veux pas qu'ils te payent avec le récit de la prise de Milan, dépêtre-toi d'eux le mieux que tu sauras.

Pippa.– C'est ce que je ferai.

Nanna.– Tiens-toi tranquille. Un Français! Ouvre-lui vite, à celui-là; ouvre-lui en un éclair, et pendant que tout guilleret il t'embrasse, il te baise à la bonne franquette, fais apporter le vin; avec les gens de cette nation, sors du naturel des putains, qui ne te donneraient pas un verre d'eau si elles te voyaient trépasser, et à l'aide de deux bouchées de pain commencez à vous familiariser amoureusement ensemble. Sans rester trop longtemps sur les convenances, accepte-le à coucher avec toi et mets-moi gentiment à la porte tous les autres: aussitôt, tu croiras avoir affaire à carnaval, tant il pleuvra de victuailles dans ta cuisine. Quoi de plus? Il sortira en chemise de tes griffes, parce que ce sont de bons ivrognes, sachant mieux dépenser l'argent que le gagner et s'oubliant eux-mêmes plus facilement qu'ils ne se souviennent d'une injure qu'on leur a faite; il se souciera bien que tu l'aies volé ou non!

Pippa.– Amours de Français! Soyez-vous bénis!

Nanna.– Songe aussi que les Français retournent deniers et les Espagnols coupes. Les Allemands, parlons d'eux, sont faits d'un autre moule, et il y a lieu de jeter sur eux son dévolu: je parle des gros marchands, qui se plongent dans les amours, je ne veux pas dire comme dans le vin, parce que j'en ai connu d'on ne peut plus sobres, mais comme dans les luthérianeries. Ils te donneront de grands ducats, si tu sais les prendre par le bon bout, sans aller crier sur les toits qu'ils sont tes amants, ni qu'ils te font ceci, qu'ils te disent cela; plume-les secrètement, ils se laisseront plumer.

Pippa.– J'en aurai bonne mémoire.

Nanna.– Leur naturel est dur, âpre et grossier; quand ils s'entêtent d'une chose, Dieu seul la leur ôterait. Donc, sache les oindre, comme d'huile douce, de la connaissance que tu as de leur caractère.

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