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Perdus Pour Toujours
Perdus Pour Toujours

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Perdus Pour Toujours

Язык: Французский
Год издания: 2021
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Je me lève d’un coup et cours dans le bureau de Gabriela qui est en train de taper quelque chose à l’ordinateur avec ses écouteurs. Je ferme la porte et allume la télévision avant qu’elle ne puisse me demander ce que je fais. Elle me regarde avec incompréhension.

Je lui fais signe qu’il n’y a rien et retourne devant le téléviseur. C’est bientôt la fin du bulletin et ils reparlent enfin des deux corps mutilés retrouvés il y a une semaine à Manaus et qui ont pu être identifiés hier, Elisa Ferrara, médecin italienne, et un certain Konrad Lentz, journaliste suisse. Une coïncidence de plus, il doit s’agir du même homme que Beauchamp et mon père connaissaient. Mais comment et d’où ? Et qui est ce Beauchamp ? J’éteins la télévision et sors du bureau de Gabriela sans rien lui dire.

De retour à mon bureau, je prends le fax et marque le numéro de téléphone qui y est imprimé. Le téléphone sonne pendant quelques temps avant que quelqu’un ne réponde.

« Creutzer-Scheider advokat firma, Grüezi. »

« Grüezi, mon nom est Carl Nebuloni, je suis avocat et j’ai été contacté par Maître Guido Creutzer, avec qui j’aimerais m’entretenir. »

« Eh bien, Maître Nebuloni ; je crains que Maître Creutzer ne soit pas là ni aujourd’hui ni demain. Est-ce que cela vous dérangerait de rappeler mercredi, ou bien voulez-vous que je lui dise de vous recontacter ? » Je lui dis que j’essayerai de rappeler mais lui donne mon numéro afin que si je ne suis pas là, il puisse parler à Gabriela.

Qui, d’ailleurs, vient juste de rentrer dans mon bureau d’un air déterminé. « Voici les confirmations de tes billets et de ta réservation d’hôtel. Sur ce post-it vert tu as les codes de réservation ; va directement au check-in avec ça, les billets sont électroniques. Sur le post-it jaune il y a le numéro de téléphone de l’hôtel et le nom de l’employé avec qui j’ai parlé, si jamais tu as un problème. »

Je prends les deux bouts de papier autocollants qu’elle me donne et les colle sur la page de demain sur mon agenda. « Demain matin tu viens ou tu veux que j’annule ce que tu avais prévu ? » Je regarde mon agenda et vois que je n’ai qu’une réunion avec les stagiaires les plus expérimentés pour savoir combien d’entre eux souhaiteraient rester avec nous et combien ont déjà d’autres plans. Je lui dis de la décaler à la semaine prochaine et de ne pas oublier de prévenir Meirelles qui est le responsable des stages. Elle me fait une grimace comme pour me dire « tu penses vraiment que je pourrais oublier de prévenir Meirelles », mais prend note.

« Non, je pense que je ne vais pas venir. L’avion est à treize heures c’est ça ? Cela me laisse le temps de m’organiser à la maison. Tu penses qu’ils vont réussir à survire ces quelques jours sans moi ? » lui demandé-je d’un air très sérieux.

« Humm, je ne sais pas Chef. Je pense qu’il y a au moins deux stagiaires à qui vous allez manquer… ». Elle me fait un clin d’œil et nous nous mettons à rire. Je n’ai de contact avec absolument aucune des stagiaires et Gabriela le sait bien. De plus, elle a entendu dire qu’elles me trouvaient trop jeune à leur goût. Mais c’est mieux ainsi, fréquenter des avocates ne m’a attiré que des ennuis.

« Je venais aussi pour te dire que le Colonel Martins est arrivé, je peux le laisser entrer ? » Le Colonel Martins, je l’avais complétement oublié ! Je dis à Gabriela de me laisser, que je vais le chercher dans la salle d’attente. Le Colonel Cunha Martins est un vieillard de presque quatre-vingt-dix ans et qui était déjà notre client à l’époque de mon oncle-grand-père. C’est vraiment quelqu’un de bien et il adore passer au cabinet quand il se promène dans les alentours, alors que la plupart des choses qu’il me demande peuvent être dites ou expliquées par téléphone.

Il prévoit tous les rendez-vous au moins quinze jours avant et planifie tout au moindre détail. Heureusement aussi c’est assez vite expédié, et ça ne dure pas longtemps. Aujourd’hui il est venu me demander de l’aide sur des inventaires pour une altération de testament.

Il m’apporte une feuille A4 manuscrite dans laquelle il explique clairement ce qu’il souhaite mais finit par tout me dire de vive voix. Il me demande des nouvelles de Becca et si tout se passe bien, il me serre ensuite très fort la main et me donne une tape sur l’épaule et sort aussi rapidement qu’il est entré. Au final ça n’a pas duré plus de vingt minutes. Avec son âge et sa vitesse, il doit sûrement représenter le patient parfait de tout gérontologue.

Je remarque qu’il est déjà seize heures vingt, je commence donc à ranger mes affaires pour m’en aller, Becca m’attend pour dix-sept heures et je n’aime pas la décevoir. C’est vrai qu’elle ne sait pas encore lire l’heure mais il y a d’autres manières de savoir si je suis en retard ou pas. Elle voit, par exemple, quels enfants sont déjà partis et ceux qui sont encore là et en faisant une moyenne avec les jours où elle part à l’heure... Ils sont plus difficiles à duper que l’on ne le pense. Dans une impulsion, je mets la lettre de Beauchamp et le fax de Creutzer dans ma sacoche, je ne sais pas bien pourquoi et je prends également l’agenda électronique de mon père et les blocs-notes qu’il gardait dans le double fond du tiroir – des choses vues et revues, mais on ne sait jamais ce qui peut s’y trouver quand on les analyse d’un autre œil.

Je mets mon manteau, toque à la porte de Gabriela pour lui dire au revoir et lui demander si elle veut que je lui ramène quelque chose de Funchal, elle me répond que non et me souhaite un bon voyage.

J’allais sortir lorsque je me souviens de quelque chose, je reviens en arrière et lui dis de ne dire à personne, même sous la torture, où nous allons séjourner. J’esquive la gomme qu’elle me lance et me dirige en courant vers la sortie pour éviter le qualificatif de « patron inhumain qui ne mérite pas sa secrétaire » qui me poursuit.

Le métro n’est pas encore tout à fait plein lorsque je le prends Avenue de la République avant dix-sept heures moins dix, ce qui me laisse le temps de me balader jusqu’à Sancho Pança afin d’observer les filles qui passent. C’est un sport qui apporte beaucoup plus de plaisir en été, comme on pourrait dire, mais un homme dans ma situation doit profiter des opportunités quand elles se présentent. Je n’échangerais contre rien au monde le fait de m’occuper de Becca, mais il est vrai que l’avoir à ma charge a complètement effacé ma vie amoureuse – pour ne pas dire ma vie sexuelle qui est en hibernation. Enfin, par effacer, entendez par là qu’Isabel m’a quitté. Mais ce n’est toutefois pas plus mal. Il vaut mieux qu’elle soit partie plutôt que restée tout en nous rendant la vie difficile à moi ainsi qu’à la petite.

Mais ce n’est pas seulement à cela que je fais référence : être père célibataire est vraiment compliqué. Comment puis-je sortir le soir ? Laisser Becca à une baby-sitter ? Ce devra être quelqu’un de très spécial pour qu’elle l’accepte et je ne serais pas tranquille. De plus, si s’agissait de une mauvais nuit, je ne suis pas sûr qu’une baby-sitter puisse la consoler. On verra bien si Lotta vient passer les vacances de Noël ici. Mais je ne pense pas, elle doit préférer les passer avec Jasper à Copenhague.

Je ne sais pas pourquoi je suis en train de me lamenter, cette phase de cauchemars pour laquelle elle mérite énormément d’attention ne peut pas durer éternellement, et dès qu’elle ira mieux et qu’elle aura grandi un peu plus, je pourrai trouver quelqu’un pour s’occuper d’elle pendant quelques heures afin que je puisse avoir de nouveau une vie sociale. Je dois me trouver des nouveaux amis, car la majorité de ceux que j’avais avant l’accident se sont au fur et à mesure éloignés. Enfin, je ne leur jette pas la pierre, mais je n’ai pas vraiment apprécié ce genre d’attitude.

Je suis déjà presque à la porte de la crèche et rien. Il y a des jours où l’on ne peut pas se rincer l’œil. Je me rends la salle du fond où elle doit être en train de terminer son goûter et je suis reçu par une course accélérée, câliné par des bras puis par des mains pleines de miettes et enduites de beurre criant « Kalle, Kalle ! ». Immédiatement, j’oublie que je n’ai pas de vie sociale ou amoureuse et que je ne suis plus allé au cinéma, à un concert ou à une exposition depuis que mes parents sont morts. L’écouter et la voir heureuse, quand on se retrouve chaque jour après le travail, me suffit à être de bonne humeur pour quelques temps. Je lui demande si sa journée s’est bien passée et elle me répond que oui. Nous disons au revoir à ses amis pour aller à la salle de bains afin qu’elle se lave les mains et le visage avant de mettre son écharpe et son manteau, car, même s’il ne pleut pas, le ciel s’obscurcit et c’est une fin d’après-midi désagréable avec beaucoup de vent.

Je m’apprête à sortir mais je retourne dire à Ana que Becca ne va pas revenir avant lundi et reçois alors le deuxième regard chaleureux du jour. C’est agréable car elle est assez jolie mais si jamais cela se passait mal, ce serait Becca qui en souffrirait le plus.

Le voyage du retour en métro s’est déroulé sans incident, malgré le fait d’avoir pris la chaise pliante avec nous et que le métro soit, comme d’habitude à dix-sept heures, bondé.

Arrivés à Marqûes, je lui demande si elle veut aller voir les illuminations et manger une glace, comme elle m’a demandé ce matin, mais elle me dit non de la tête et nous changeons ainsi de rame en direction du Colombo. Nous y arrivons sans difficultés et montons lentement les marches – avec la petite chaise dans la main je ne peux pas du tout la prendre dans mes bras – puis rentrons dans la voiture et nous montons en route vers la maison.

J’ouvre la porte d’entrée à dix-huit heures quinze. On ne peut pas dire que nous avons fait un voyage éclair, en considérant que nous ne sommes même pas sortis de ce qu’on peut considérer le centre-ville.

Je commence à préparer le dîner auquel j’ai pensé tout le long du chemin depuis la crèche. C’est compliqué de cuisiner pour des enfants, ils aiment une chose aussi vite qu’ils ne l’aiment plus. Mais aujourd’hui j’ai une panne d’inspiration culinaire (comme si un jour j’avais été très inspiré …). Je ne cherche alors pas plus loin que des poissons panés avec une purée de pommes de terre, un œuf poché et des rondelles de tomate, que des choses qu’elle aime – ou du moins que d’habitude elle aime. J’accompagne cela avec un verre de lait froid, encore un favori, et pour terminer une banane, qu’elle mange tel un petit singe.

À dix-huit heures trente, nous sommes assis à table et je commence à lui parler du voyage. Au début, elle aime beaucoup l’idée, mais après lorsqu’elle se rend compte qu’elle ne va pas voir ses amis, elle ne sait plus si elle doit être contente ou pas. Finalement, elle arrive à la conclusion que prendre l’avion est plus amusant que d’aller à la crèche et l’excitation s’empare d’elle. Je n’aurais peut-être pas dû lui dire, ça va être difficile de la mettre au lit maintenant…

« Kalle, kan ja’sitta på fonste’et? » Me demande-t-elle en me suppliant, comme toutes les fois où nous prenons l’avion. « Javisst, bien sûr, bebé, mais pourquoi ? ». Je lui réponds cela en sachant très bien ce qu’elle veut. Elle me fait une tête qui laisse entendre qu’elle ne comprend pas comment je peux être adulte et ne pas comprendre pourquoi elle souhaite être assise côté hublot. « Et bien c’est pour voir les z’autres z’avions et les petits canards quand ils passent dans le ciel à côté de nous, så kla’t ! » Mais voyons, comment ne puis-je pas comprendre immédiatement que c’est pour cela que les gens s’asseyent côté hublot dans les avions ? Nous continuons dans une discussion qui est un mélange de trois langues, notre tradition jusqu’à environ dix-neuf heures trente, moment à laquelle elle commence à bailler. Cependant, aujourd’hui elle décide qu’elle veut regarder Pippi. Nous allons tout d’abord à la salle de bains pour qu’elle se lave les mains et se brosse les dents et la laisse ensuite me poursuivre dans une course folle jusqu’au salon, entre rires et cris « Non ! Pas de chatouilles ! ». Je mets le DVD dans l’appareil et allume la télévision, m’assieds dans le fauteuil et, comme prévu, au bout de 15 minutes elle dort déjà profondément.

Je la prends dans mes bras et l’emmène jusqu’à sa chambre et lui enfile le pyjama tout délicatement sans faire de bruit. Je la couvre avec la couette car la nuit est humide et sors sur la pointe des pieds en laissant la lampe de chevet au cas où elle se réveille.

Je range la cuisine, mets la vaisselle dans le lave-vaisselle et prépare les vêtements pour les valises, que je ferai demain. Je m’assieds ensuite devant la télévision afin de regarder les informations de vingt-et-une heures trente sur Euronews. Ils mentionnent à nouveau les noms de Lentz et de Ferrara, mais précisent cette fois-ci que les deux victimes étaient au service d’une l’institution de l’Union Européenne qui s’occupe de la protection de l’enfance (IEPE) et qu’ils s’étaient rendus au Brésil afin d’enquêter sur des cas d’adoptions illégales de la part de citoyens de l’UE, accompagnés de plaintes pour ventes et enlèvements d’enfants.

On ne peut pas dire qu’ils entrent trop dans les détails, mais à vrai dire ce n’est pas non plus une chaîne spécialisée dans de telles choses. Demain je vais essayer de voir si je peux me procurer un journal qui pourrait m’en dire plus sur cette histoire à l’aéroport. Peut-être que l’un d’entre eux aura préparé un traitement un peu plus approfondi sur la mort de ces deux personnes, en comparaison à celui d’Euronews.

À la fin des informations, je prends ma sacoche et vais dans le bureau afin de faire des photocopies de la lettre, des annexes et du fax, j’ouvre le coffre où mes parents laissaient leurs papiers importants et y glisse les originaux. Si les personnes assassinées menaient une enquête sur des cas d’adoptions illégales et sur des enlèvements d’enfants au Brésil, le plus probable est que le bracelet d’identification et les documents qui semblent être des actes de naissance se réfèrent également à des enfants adoptés illégalement ou enlevés dans d’autres pays. Ne pouvant pas lire les autres, je me replonge dans les actes de naissances angolais. Je remarque une chose dont je ne m’étais pas aperçu avant, en dessous du nom de la mère, sur l’espace destiné à la profession, il y a, dans les deux cas, un trait fait au stylo. Et, encore dans les deux cas, sur l’espace destiné à l’identification du père, un trait également fait au stylo.

Peut-être que cela ne veut rien dire, mais c’est tout de même étrange que quelqu’un paye un hôpital particulier, en supposant que le nom corresponde bien à la personne, mais ne déclare pas la profession de la mère ni le nom ou la profession du père, n’y laissant que le nom de la mère. Peut-être qu’il s’agissait d’une grossesse non-désirée qui n’a pas pu être interrompue pour une bonne raison. Mais dans ce cas, il aurait mieux valu tout cacher. Plus j’y pense et plus cela me paraît étrange. Et une fois de plus je me demande ce que mon père avait à voir avec cela.

Je ne lui connaissais pas de clients angolais et moins de brésiliens. Au bureau, il n’y a que Gomez qui a des contacts avec le Brésil, où il peut exercer et donc y passer parfois du temps, mais que je sache il n’a aucune affaire en cours liée à des adoptions, et ce n’est même pas le type de sujet qu’il traite. Je lui demanderai lundi s’il sait quelque chose à propos de cet Hôpital Privé. Belém comme nom de lieu ne m’est pas étranger, où cela se trouve-t-il ? Je prends une carte et je vois ce nom au nord du pays. Bien sûr ! C’est la capitale de l’État du Pará, elle se situe à l’embouchure du fleuve du même nom. Ce n’est pas une petite ville, lors des deux derniers recensements elle apparaît avec près de 190 mille habitants. Mais même ainsi elle ne doit pas avoir beaucoup d’hôpitaux privés, et si la loi est similaire à la loi portugaise, il ne pourra y en avoir qu’un avec ce nom. Tant de choses à découvrir. Cependant, pour ne pas perdre de temps et parce que je trouve tout cela très curieux, j’écris une lettre à Beauchamp, dans laquelle, sans plus de détails, je lui demande qu’il me contacte d’urgence au bureau et lui donne mon numéro direct. Demain, je la posterai dans la boite aux lettres de l’aéroport. Avant d’aller me coucher, je commande par téléphone un taxi pour onze heures du matin.

TROIS

Ma journée commence à l’heure habituelle avec les exercices qui font partie de ma routine matinale depuis déjà quelques mois. Je n’arrive pas à me concentrer, je pense sans cesse à l’histoire de Lentz et de Ferrara et à cause de cela je n’arrive pas à finir avant sept heures. Je dois recommencer plusieurs fois du début car je ne me rappelle pas du nombre où j’en suis, une pénitence qui a pour objectif d’améliorer ma mémoire et ma concentration, mais qui ne me sert vraiment à rien aujourd’hui.

Je laisse Becca dormir car, même si elle n’a pas passé une mauvaise nuit, c’est toujours du repos de gagné. Je prends mon petit-déjeuner et fais nos deux valises. Enfin, je mets mes affaires dans la valise et laisse les siennes sur le lit afin qu’elle les approuve (ou pas). Au milieu de sa chambre, je dispose sa petite valise à roulettes du Petit Spirou afin qu’elle puisse apporter quelques jouets et des poupées pour passer le temps là-bas.

Je décide d’aller prendre ma douche avant de réveiller Becca et quand j’entre dans la salle de bains et que je vois mon reflet dans le miroir je choisis de raser ma barbe. Je me mouille le visage avec de l’eau chaude, je me masse avec une crème à base d’huile d’eucalyptus, je mets de la crème au menthol, germe de blé et lanoline dans un bol en porcelaine et je fais mousser à l’aide d’une brosse en vison.

J’attends quelques minutes pour bien laisser la crème pénétrer dans ma peau et me couvre ensuite le visage de mousse. J’attends à nouveau quelques minutes de plus avant de me raser et répète ensuite l’application de la crème d’huile d’eucalyptus avant de me masser le visage avec de la Floïd – une lotion après-rasage que mon grand-père m’envoie de Madrid avec une régularité sans nom, alors que je lui ai déjà dit des centaines de fois que je pouvais l’acheter ici aux grand-magasins du Corte Inglés. Cela pourrait sembler n’être qu’une coquetterie dans ma routine, mais s’il m’était impossible il-y-a quelques années de me raser sans que cela m’irritait la peau, maintenant je peux le faire, selon les envies, deux fois par jour sans problème.

J’expédie la douche en cinq minutes, je me sèche et vais m’habiller dans ma chambre. La météo à Madère est plus chaude et plus humide qu’à Lisbonne, je me décide ainsi à porter un costume deux pièces printanier en lin de Tasmanie marron clair, je mets des sous-vêtements beiges, des chaussettes ocres et une chemise dans les tons de jaune en coton à carreaux avec des boutons au col et aux surpiqures jaune foncé. La cravate est en soie épaisse vert foncé avec des dessins géométriques ocres assortis aux couleurs de la chemise et du costume. Je mets des chaussures marron clair à lacets, mais je remarque qu’elles ont besoin d’être cirées. Je vais alors dans le cellier chercher le pot de cirage. Rapidement et avec attention, pour ne pas me tacher, je cire les chaussures, leur redonnant brillance et éclat, puis les enfile à nouveau. Je retourne dans la salle de bains pour me laver les mains et j’analyse alors mon reflet dans le grand miroir et satisfait du résultat, je vais réveiller Becca.

Je ne mets pas longtemps à la réveiller car elle se rappelle qu’aujourd’hui nous prenons l’avion. Elle commence à sauter sur le lit et je dois lui dire d’arrêter. Je l’emmène ensuite dans la salle de bains, elle prend sa douche, je la laisse toute seule, faire comme elle le souhaite – ça n’est pas un travail très bien fait et cela dure la plupart du temps plus qu’il ne faudrait, mais elle se sent grande alors je la laisse faire.

Je la prends dans mes bras pour l’emmener dans le salon et lui sers son petit-déjeuner accompagné de tonnes et de tonnes de questions sur l’avion et sur Madère. Nous allons ensuite dans sa chambre pour choisir les vêtements qu’elle va mettre. Étrangement aujourd’hui ça n’a pris que très peu de temps – cela doit être dû à l’excitation du voyage inattendu – de plus, elle n’a pas critiqué ce que j’avais mis de côté pour elle. Pendant qu’elle reste dans sa chambre pour choisir les jouets qu’elle va prendre, je vais finir la valise que je dispose ensuite à côté de la porte d’entrée. Je vais pour mettre mon téléphone professionnel dans ma sacoche, mais je me dis qu’il est mieux de prendre mon téléphone personnel et de laisser celui du bureau à la maison.

Il reste encore une heure avant l’arrivée du taxi, nous avons donc le temps de nous asseoir et de lire un livre de contes de fées. Parmi les nombreuses questions, la plupart n’ayant aucun rapport avec l’histoire, j’arrive presque à lire Cendrillon en entier avant que l’on ne frappe à la porte.

La course en direction de l’aéroport est, comme je m’y attendais, une longue marche au milieu des flux de circulation de l’heure du déjeuner. Un accident entre trois voitures à côté de la station-service Repsol, avec des ambulances et une voiture de police également arrêtées au milieu de la Segunda Circular, n’aide en rien à ce que nous allions plus vite.

Au bout de quarante minutes, nous pouvons enfin sortir la valise du coffre de la Mercedes pour la mettre sur un charriot qu’un autre voyageur me donne directement. Je paye le taxi en lui laissant un pourboire et lui demande un reçu, j’assieds Becca sur la valise et nous partons en direction du check-in.

« Neboloni, vous me dites monsieur ? Il me semble ne voir aucune réservation à ce nom. Avez-vous le code ? » Je lui montre le post-it vert de Gabriela et j’attends qu’elle nous trouve sur son écran. Au bout de quelques minutes elle finit par nous trouver « Ah, Nebuloni... », s’exclame-t-elle finalement en accentuant sur le « u », malgré le fait de lui avoir épeler mon nom à deux reprises. Elle étiquette la valise et nous donne les deux cartes d’embarquement. « Porte sept à 12h40. Bon voyage. » Je donne la main à Becca et nous allons jusqu’à une boite aux lettres y déposer le courrier pour Beauchamp. Nous passons ensuite le contrôle de sécurité et nous promenons dans les boutiques jusqu’à l’horaire d’embarquement.

Les bras pleins de jouets et de peluches, on m’a demandé ma carte d’identité trois fois et la carte d’embarquement presque autant. Comme si j’avais changé d’identité avec quelqu’un qui serait discrètement arrivé en parachute dans l’aéroport entre deux contrôles, nous nous asseyons au premier rang alors que l’avion était sur le point de partir sans nous. Becca a le sourire jusqu’aux oreilles. Je me demande pendant quelques minutes comment a-t-elle pu me convaincre de lui acheter autant de choses. Et avec tout cela j’ai oublié de m’acheter le journal ! Heureusement dans le vol il y a de nombreux étrangers et j’arrive à avoir en plus du Diário de Notícias et du International Herald Tribune, Le Monde et le Corriere della Sera, que je me prépare à lire après avoir mangé la moitié de mon déjeuner et avoir aidé Becca à manger le sien.

Le Tribune et le DN d’aujourd’hui ont dédié une partie de leurs unes à la décision du gouvernement mozambicain d’ajouter l’anglais au portugais comme langue officiel du pays, prétextant des liens commerciaux et une participation à la communauté britannique. Je n’y trouve qu’un petit article de Reuters à propos de l’affaire du Brésil, semblable au bulletin d’Euronews, court et factuel.

Le Monde écrit également sur le Mozambique, spécule sur une éventuelle indépendance des Açores et un futur rapprochement de l’archipel avec les États-Unis mais ne mentionne rien sur le Brésil.

Il n’y a que le Corriere qui aborde cette affaire avec plus de détails. Avec un court paragraphe en une, qui renvoie à l’intérieur du journal, il lui est dédié une demi-page dans la rubrique internationale entre une analyse sur la situation en Irak et l’interview d’un avocat luso-américain, président du mouvement pour l’indépendance des Açores, dont le siège est situé à Washington.

Après une analyse biographique du Docteur Ferrara et du travail accompli par l’IEPE, le Corriere poursuit en disant qu’elle « s’était rendue au Brésil et plus précisément dans l’État de l’Amazonie pour enquêter conjointement avec l’Institut de Protection de l’Enfance du gouvernement fédéral brésilien sur des allégations d’adoptions illégales, d’enlèvements et de ventes d’enfants dans lesquelles seraient prétendument impliqués des citoyens de l’Union Européenne. N’ayant encore aucun indice sur l’implication effective de citoyens de l’UE, la présence du Docteur Ferrara au Brésil ainsi que sa participation à l’enquête ne se vérifient que dans le cadre de la collaboration existante entre les deux organisations de protection des mineurs et ne revêtent aucune fonction officielle. » Et un peu plus loin : « La nouvelle de ce trafic inhumain a été pour la première fois mentionnée par Konrad Lentz dans un journal suisse, ZüricherZeitung, qui couvrait également l’enquête à la demande du Docteur Ferrara, avec qui il avait déjà travaillé auparavant sur la tristement célèbre enquête des réseaux pédophiles, déjà rapporté dans ce journal il y a quelques années (...). Les corps horriblement mutilés des deux enquêteurs ainsi que celui du Docteur Marcelo Kabanishi, du Cabinet de la Protection de l’Enfance de l’État d’Amazonie, qui les accompagnait ont été retrouvés dans une décharge au nord-est de Manaus.

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