bannerbanner
Настройки чтения
Размер шрифта
Высота строк
Поля
На страницу:
2 из 3

– Qui est votre anneau de mariage?

– Qui est… mon anneau…»

Elle s’arrêta. Velmont nota qu’elle rougissait, et il l’entendit balbutier:

«Serait-ce possible?… Mais non…»

À la fin[90], elle répondit, à voix basse:

«Ce n’est pas mon anneau de mariage. Un jour, il y a longtemps, je l’ai fait tomber de la cheminée de ma chambre, et, malgré toutes mes recherches, je n’ai pu le retrouver. Sans rien dire, j’en ai commandé un autre… que voici à ma main.

– Le véritable anneau portait la date de votre mariage?

– Oui… vingt-trois octobre.

– Et le second?

– Celui-ci ne porte aucune date.»

Il sentit en elle une légère hésitation.

«Je vous en supplie[91], s’écria-t-il, ne me cachez rien…

– Je n’ai rien à cacher[92], fit-elle en relevant la tête. Alors, je me suis souvenue… Avant mon mariage, un homme m’avait aimée. Il est mort maintenant. J’ai fait graver le nom de cet homme, et j’ai porté cet anneau comme on porte un talisman. Il n’y avait pas d’amour en moi puisque j’étais la femme d’un autre.[93] Mais dans le secret de mon cœur, il y eut un souvenir, quelque chose de doux qui me protégeait…»

Velmont lui prit la main, et prononça, tout en examinant l’anneau d’or:

«L’énigme est là. Votre mari, je ne sais comment, connaît la substitution. À midi, sa mère viendra. Devant témoins, il vous obligera d’ôter votre bague, et de la sorte[94], il pourra obtenir le divorce, puisqu’il aura la preuve qu’il cherchait. Donnez-moi cette bague…»

Il s’interrompit brusquement. Tandis qu’il parlait, la main d’Yvonne s’était glacée dans la sienne, et, ayant levé les yeux, il vit que la jeune femme était pâle, affreusement pâle.

«Qu’y a-t-il?… Je vous en prie…»

«Il y a… il y a que je suis perdue!.. Il y a que je ne peux l’ôter, cet anneau! Il est devenu trop petit!.. Comprenez-vous?… Il fait partie de mon doigt[95]… et je ne peux pas… je ne peux pas. Ah! Je me souviens, l’autre nuit… un cauchemar que j’ai eu… Il me semblait que quelqu’un entrait dans ma chambre et s’emparait de ma main. Et je ne pouvais pas me réveiller… C’était lui! c’était lui! Il m’avait endormie, j’en suis sûre… et il regardait la bague… Ah! je comprends tout… je suis perdue…»

Elle courut vers la porte… Il lui barra le passage:

«Vous ne partirez pas.

– Mon fils… Je veux le voir, le reprendre…

– Savez-vous seulement où il est?

– Je veux partir!

– Vous ne partirez pas!.. Ce serait de la folie.»

Il la saisit aux poignets et réussit à la ramener vers le divan, puis à l’étendre, et il reprit les bandes de toile et lui attacha les bras et les chevilles.

«Oui, disait-il, ce serait de la folie. Qui vous aurait délivrée? Vous enfuir, c’est accepter le divorce… Il faut rester ici.»

Elle sanglotait.

«J’ai peur… J’ai peur… Cet anneau me brûle… Emportez-le…

– Et si l’on ne le retrouve pas à votre doigt? Non, il faut affronter la lutte… Croyez en moi… je réponds de tout…»

Quand il se releva, elle était liée comme auparavant. Puis il murmura:

«Pensez à votre fils, et, quoi qu’il arrive, ne craignez rien… je veille sur vous.[96]«

Et il partit.

À trois heures et demie, Yvonne aperçut son mari qui entrait rapidement, l’air furieux[97]. Il courut vers elle, s’assura qu’elle était toujours attachée, et, s’emparant de sa main, examina la bague. Yvonne s’évanouit…

Elle ne sut pas au juste, en se réveillant, combien de temps elle avait dormi. Elle constata, au premier mouvement qu’elle fit, que les bandes étaient coupées. Elle tourna la tête et vit auprès d’elle son mari qui la regardait.

«Mon fils… mon fils… gémit-elle, je veux mon fils…»

Il répliqua:

«Notre fils est en lieu sûr. Et, pour l’instant, il ne s’agit pas de lui, mais de vous. Nous sommes l’un en face de l’autre sans doute pour la dernière fois, et l’explication que nous allons avoir est très grave. Je dois vous avertir qu’elle aura lieu devant ma mère. Vous n’y voyez pas d’inconvénient?[98]«

Yvonne s’efforça de cacher son trouble et répondit:

«Aucun.

– Je puis l’appeler?

– Oui. Laissez-moi, en attendant. Je serai prête quand elle viendra.

– Ma mère est ici.

– Votre mère est ici? s’écria Yvonne, éperdue et se rappelant la promesse d’Horace Velmont.

– Vous ne désirez pas prendre quelque nourriture auparavant?

– Non… non…

– Je vais donc chercher ma mère.»

Il se dirigea vers la chambre d’Yvonne. Celle-ci jeta un coup d’œil sur la pendule. La pendule marquait dix heures trente-cinq!

Dix heures trente-cinq! Horace Velmont ne la sauverait pas, et personne au monde, et rien au monde ne la sauverait.

Le comte revint avec la comtesse d’Origny et la pria de s’asseoir. Elle ne salua même pas sa belle-fille.

«Je crois, dit-elle, qu’il est inutile de parler très longuement. En deux mots, mon fils prétend…

– Je ne prétends pas, ma mère, dit le comte, j’affirme. J’affirme sous serment[99] que, il y a trois mois, durant les vacances, j’ai trouvé l’anneau de mariage que j’avais donné à ma femme. Cet anneau, le voici. La date du vingt-trois octobre est gravée à l’intérieur.

– Alors, dit la comtesse, l’anneau que votre femme porte…

– Cet anneau a été commandé par elle en échange du véritable[100].»

Il se tourna vers sa femme.

«Voulez-vous, de votre plein gré[101], me donner cet anneau?»

Elle articula:

«Vous savez bien, depuis la nuit où vous avez essayé de le prendre à mon insu[102], qu’il est impossible de l’ôter de mon doigt.

– En ce cas, puis-je donner l’ordre qu’un homme monte? Il a les instruments nécessaires.

– Oui,» dit-elle d’une voix faible comme un souffle.

Tout de suite, d’ailleurs, le comte rentrait, suivi de son domestique et d’un homme qui portait une trousse sous le bras.

Et le comte dit à cet homme:

«Vous savez de quoi il s’agit?

– Oui, fit l’ouvrier. Une bague qui est devenue trop petite et qu’il faut trancher… C’est facile…»

Yvonne observa la pendule. Il était onze heures moins dix. C’était fini. Horace Velmont n’avait pas pu la secourir. Et elle comprit que, pour retrouver son enfant, il lui faudrait agir par ses propres forces[103]. Alors elle tendit sa main fragile et tremblante que l’ouvrier saisit, qu’il retourna, et appuya sur la table.

L’opération fut rapide. Le comte s’exclama, triomphant:

«Enfin nous allons savoir… la preuve est là! Et nous sommes tous témoins…»

Il agrippa l’anneau. Un cri de stupeur lui échappa. L’anneau portait la date de son mariage avec Yvonne: «Vingt-trois octobre».

Nous étions assis sur la terrasse de Monte-Carlo. Son histoire terminée, Lupin alluma une cigarette.

Je lui dis:

«Eh bien?

– Eh bien, quoi?

– Comment, quoi? mais la fin de l’aventure…

– La fin de l’aventure? Mais il n’y en a pas d’autre. La comtesse est sauvée. Voilà tout.

– Oui… oui… mais la façon dont la comtesse a été sauvée?»

Lupin éclata de rire. Il prit une pièce de cinq francs et referma la main sur elle.

«Qu’y a-t-il dans cette main?

– Une pièce de cinq francs.»

Il ouvrit la main. La pièce de cinq francs n’y était pas.

«Vous voyez comme c’est facile! Un ouvrier coupe une bague sur laquelle est gravé un nom, mais il en présente une autre sur laquelle est gravée la date du vingt-trois octobre. Bigre![104] J’ai travaillé six mois avec Pickmann.

– L’ouvrier bijoutier?

– C’était Horace Velmont! C’était ce brave Lupin

– Parfait,» m’écriai-je.

Et j’ajoutai, un peu ironique à mon tour:

«Mais ne croyez-vous pas que vous-mêmes fûtes quelque peu dupé en l’occurrence[105]?

– Ah! Et par qui?

– Par la comtesse.

– En quoi donc?

– Dame! ce nom inscrit comme un talisman… ce beau ténébreux qui l’aima et souffrit pour elle… Tout cela me paraît fort invraisemblable, et je me demande si vous n’êtes pas tombé au milieu d’un joli roman d’amour bien réel… et pas trop innocent.»

Lupin me regarda de travers[106].

«Non, dit-il.

– Comment le savez-vous?

– La bague est voici. Vous pouvez lire le nom qu’elle avait fait graver.»

Il me donna la bague. Je lus «Horace Velmont».

Il y eut entre Lupin et moi un instant de silence.

Je repris: «Pourquoi vous êtes-vous résolu à me raconter cette histoire?

– Pourquoi?»

Il me montra, d’un signe, une femme très belle encore qui passait devant nous, au bras d’un jeune homme.

Elle aperçut Lupin et le salua.

«C’est elle, fit-il, c’est elle avec son fils.

– Elle vous a donc reconnu?

– Elle me reconnaît toujours, quel que soit mon déguisement.

– Elle sait qui vous êtes?

– Oui.

– Et elle vous salue?» m’écriai-je.

Il m’empoigna le bras, et, violemment:

«Croyez-vous que je sois à ses yeux un cambrioleur, un escroc, un gredin?… Mais je serais le dernier des misérables, j’aurais tué, même, qu’elle me saluerait encore.

– Pourquoi? Parce qu’elle vous a aimé?

– Allons donc! ce serait une raison de plus, au contraire, pour qu’elle me méprisât.

– Alors?

– Je suis l’homme qui lui a rendu son fils!»

Le signe de l’ombre

«J’ai reçu votre télégramme, me dit. Et me voici. Qu’y a-t-il?»

«Qu’y a-t-il? répliquai-je, oh! pas grand-chose, une coïncidence assez bizarre.

– Et alors?

– Vous êtes bien pressé![107]

– Excessivement. Par conséquent[108], droit au but.

– Droit au but[109], allons-y. Et commencez, je vous prie, par jeter un coup d’œil[110] sur ce petit tableau.

– Abominable, en effet, dit Lupin, au bout d’un instant[111], mais le sujet lui-même ne manque pas de saveur…

– C’est authentique, ajoutai-je. La toile, bonne ou mauvaise, n’a jamais été enlevée de son cadre Empire. D’ailleurs, la date est là… Tenez, dans le bas, à gauche, ces chiffres rouges, 15-4-2, qui signifient évidemment 15 avril 1802.

– En effet[112]… en effet… Mais vous parliez d’une coïncidence, et, jusqu’ici, je ne vois pas…»

J’allai prendre dans un coin une longue-vue que je braquai vers la fenêtre ouverte d’une petite chambre située en face de mon appartement, de l’autre côté de la rue. Et je priai Lupin de regarder.

«Ah! dit Lupin tout à coup[113], le même tableau!

– Exactement le même! affirmai-je. Et la date… vous voyez la date en rouge? 15-4-2.

– Oui, je vois… Et qui demeure dans cette chambre?

– Une dame ou plutôt une ouvrière, puisqu’elle est obligée de travailler pour vivre… des travaux de couture qui la nourrissent à peine, elle et son enfant.

– Comment s’appelle-t-elle?


– Louise d’Ernemont…»

Il releva la tête et me demanda:

«L’histoire est intéressante… Pourquoi avez-vous attendu pour me la raconter?

– Parce que c’est aujourd’hui le 15 avril.

– Eh bien?

– Eh bien, depuis hier, je sais – un bavardage de concierge – que le 15 avril occupe une place importante dans la vie de Louise d’Ernemont. Le 15 avril, elle sort avec sa petite fille vers dix heures, et ne rentre qu’à la nuit tombante. Cela, depuis des années, et quel que soit le temps.[114]

– Étrange… prononça Lupin d’une voix lente. Et l’on ne sait pas où elle va?

– On l’ignore.

– Vous êtes sûr de vos informations?

– Tout à fait sûr.[115] Et voici la preuve.»

Une porte s’était ouverte en face, et on vit une petite fille et une femme.

«Vous voyez, murmurai-je, elles vont sortir.»

De fait, après un moment, la mère prit l’enfant par la main, et elles quittèrent la chambre.

Lupin saisit son chapeau.

«Venez-vous?»

Je descendis avec Lupin.

En arrivant dans la rue, nous aperçûmes ma voisine qui entrait chez un boulanger. Elle acheta deux petits pains qu’elle plaça dans un panier que portait sa fille et qui semblait déjà contenir des provisions.

Louise d’Ernemont prit une des ruelles étroites et désertes. Il y avait d’abord à droite, une maison dont la façade donnait sur la rue Raynouard, puis un mur moisi. Vers le milieu, devant laquelle Louise d’Ernemont s’arrêta, et qu’elle ouvrit à l’aide d’une clef. La mère et la fille entrèrent.

«En tout cas[116], me dit Lupin, elle n’a rien à cacher, car elle ne s’est pas retournée une seule fois…»

Il avait à peine achevé cette phrase qu’un bruit de pas retentit derrière nous. C’étaient deux vieux mendiants, un homme et une femme. Ils passèrent sans prêter attention à notre présence.[117] L’homme sortit de sa besace une clef semblable à celle de ma voisine, et l’introduisit dans la serrure. La porte se referma sur eux.

Et tout de suite, au bout de la ruelle, un bruit d’automobile qui s’arrête… Lupin m’entraîna cinquante mètres plus bas. Et nous vîmes descendre, un petit chien sous le bras, une jeune femme très élégante, parée de bijoux, les yeux trop noirs, les lèvres trop rouges, et les cheveux trop blonds. Devant la porte, même manœuvre, même clef… La demoiselle au petit chien disparut.

«Ça commence à devenir amusant,» ricana Lupin.

Successivement débouchèrent deux dames âgées, maigres, qui se ressemblaient comme deux sœurs; puis un valet de chambre[118]; puis un caporal d’infanterie; puis un gros monsieur vêtu d’une jaquette malpropre; puis une famille d’ouvriers. Et chacun des nouveaux venus arrivait avec un panier rempli de provisions.

«C’est un pique-nique,» m’écriai-je.

Nous cherchions vainement un stratagème pour entrer, quand, tout à coup, la petite porte se rouvrit et livra passage[119] à l’un des enfants de l’ouvrier.

Le gamin monta en courant jusqu’à la rue Raynouard. Quelques minutes après, il rapportait deux bouteilles d’eau. Lorsque l’enfant repoussa la porte, Lupin fit un bond[120] et planta la pointe de son couteau dans la gâche de la serrure[121].

«Nous y sommes,» dit Lupin.

Il entra franchement. Je suivis son exemple et je pus constater que, à dix mètres en arrière du mur, un massif de lauriers élevait comme un rideau qui nous permettait d’avancer sans être vus.

Le spectacle qui s’offrit alors à mes yeux était si imprévu, que je ne pus retenir une exclamation, tandis que, de son côté, Lupin jurait entre ses dents:

«Crebleu! celle-là est drôle!»

Le même décor que sur le tableau! Le même décor!

Il était alors une heure et demie. Le mendiant sortit sa pipe, ainsi que le gros monsieur. Les hommes se mirent à fumer près de la rotonde, et les femmes les rejoignirent. D’ailleurs, tous ces gens avaient l’air de se connaître.

Ils se trouvaient assez loin de nous, de sorte que[122] nous n’entendions pas leurs paroles. Soudain il y eut une exclamation et, aussitôt, des cris de colère, et tous, hommes et femmes, ils s’élancèrent en désordre vers le puits.

Un des gamins de l’ouvrier en surgissait à ce moment, attaché par la ceinture au crochet de fer qui termine la corde, et les trois autres gamins le remontaient en tournant la manivelle.

Plus agile, le caporal se jeta sur lui, et, tout de suite, le valet de chambre et le gros monsieur l’agrippèrent, tandis que les mendiants et les sœurs maigres se battaient avec le ménage ouvrier.

En quelques secondes, il ne restait plus à l’enfant que sa chemise.

«Ils sont fous! murmurai-je.

– Mais non, mais non, dit Lupin.»

À la fin, Louise d’Ernemont qui, dès le début, s’était posée en conciliatrice, réussit à apaiser le tumulte. On s’assit de nouveau. Et du temps s’écoula. Chaque minute semblait les accabler d’une tristesse croissante.

«Vont-ils coucher là?» prononçai-je avec ennui.

Mais, vers cinq heures, le gros monsieur à l’eut un geste de désespoir, se leva et mit son chapeau.

«Allons-nous-en, dit Lupin.

– Vous croyez que la séance est finie?

– Oui.»

Nous partîmes sans encombre[123]. Lupin tourna sur sa gauche et, me laissant dehors, entra dans la première maison. Après avoir conversé quelques instants avec le concierge, il me rejoignit et nous arrêtâmes une automobile.

«Rue de Turin, trente-quatre,» dit-il au chauffeur.

Nous arrivâmes à une étude de notaire[124]. Lupin se présenta sous le nom du capitaine en retraite[125] Janniot. Il cherchait une maison selon ses goûts, et on lui avait parlé d’un terrain près de la rue Raynouard.

«Mais ce terrain n’est pas à vendre! s’écria M. Valandier, le notaire.

– Ah! on m’avait dit.

– Nullement… nullement…»

Le notaire se leva et prit dans une armoire un objet qu’il nous montra. Je fus confondu. C’était le même tableau que j’avais acheté, le même tableau qui se trouvait chez Louise d’Ernemont.

«Il s’agit du terrain que représente cette toile, le clos d’Ernemont, comme on l’appelle?

– Précisément.

– Eh bien, reprit le notaire, ce clos faisait partie d’un grand jardin que possédait le fermier général d’Ernemont, exécuté sous la Terreur[126]. Tout ce qui pouvait être vendu, les héritiers le vendirent peu à peu. Mais ce dernier morceau est resté et restera dans l’indivision… à moins que…»

Le notaire se mit à rire.

«À moins que? interrogea Lupin.

– Oh! c’est toute une histoire assez curieuse.»

Et sans se faire prier, il commença.

«Dès le début de la Révolution, Louis-Agrippa d’Ernemont, sous prétexte de[127] rejoindre sa femme qui vivait à Genève avec leur fille Pauline, ferma son hôtel et s’installa dans sa petite maison de Passy, où personne ne le connaissait, qu’une vieille servante dévouée. Mais on le trouva. Il eut arrêté. Son fils Charles aussi.

– Cela se passait?… demanda Lupin.

– Cela se passait le vingt-six germinal, an II, c’est-à-dire le…»

M. Valandier s’interrompit, les yeux tournés vers le calendrier qui pendait au mur, et il s’écria:

«Mais c’est justement aujourd’hui. Nous sommes le 15 avril, jour anniversaire de l’arrestation du fermier général.

– Coïncidence bizarre, dit Lupin. Et cette arrestation eut, sans doute[128], étant donné l’époque, des suites graves?

– Oh! fort graves, dit le notaire en riant. Trois mois après, au début de Thermidor, le fermier général montait sur l’échafaud. On oublia son fils Charles en prison, et leurs biens furent confisqués.

– Des biens immenses, n’est-ce pas? fit Lupin.

– Eh voilà! voilà précisément où les choses se compliquent. Ces biens qui, en effet, étaient immenses, demeurèrent introuvables.

– Il restait tout au moins, dit Lupin, la maison de Passy.

– La maison de Passy fut achetée à vil prix[129] par le délégué même de la Commune qui avait arrêté d’Ernemont, le citoyen Broquet. Le citoyen Broquet s’y enferma, barricada les portes, et lorsque Charles d’Ernemont, enfin libéré, se présenta, il le reçut à coups de fusil[130]. Le 12 février 1803, le citoyen Broquet vida les lieux[131], mais était fou!

– Bigre! murmura Lupin. Et que devint-il?

– Sa mère, et sa sœur Pauline étant mortes toutes deux, la vieille servante prit soin de lui[132]. Avant de mourir cette servante déclara que, au début de la Révolution, le fermier général avait transporté dans sa maison de Passy des sacs remplis d’or et d’argent, et que ces sacs avaient disparu quelques jours avant l’arrestation. Les trésors se trouvaient cachés dans le jardin. Comme preuve la servante montra trois tableaux, ou plutôt, car ils n’étaient pas encadrés, trois toiles que le fermier général avait peintes durant sa captivité et qu’il avait réussi à lui faire passer avec l’ordre de les remettre à sa femme, à son fils et à sa fille.

– Et ils y sont encore, ricana Lupin.

– Et ils y seront toujours, s’écria Me Valandier…

– Mais Charles?

– Charles vivait dans la retraite la plus absolue[133]. Il ne quittait pas sa chambre.

– Jamais?

– Une fois l’an, Charles d’Ernemont descendait, suivait exactement le chemin que son père avait suivi, traversait le jardin, et s’asseyait tantôt sur les marches de la rotonde, dont vous voyez ici le dessin, tantôt sur la margelle de ce puits. Ce jour-là, c’était le 15 avril, jour de l’anniversaire de l’arrestation.»

M. Valandier ne souriait plus.

Après un instant de réflexion, Lupin demanda:

«Et depuis la mort de Charles?

– Depuis cette époque, reprit le notaire avec une certaine solennité, depuis bientôt cent ans, les héritiers de Charles et de Pauline d’Ernemont continuent le pèlerinage le quinze avril. Ils attendent. Ils attendent le quinze avril, et lorsque le quinze avril est arrivé, ils attendent qu’un miracle se produise.»

Un nouveau silence, et Lupin reprit:

«Votre opinion, Maître Valandier?

– Mon opinion est qu’il n’y a rien.

– Cependant les tableaux?

– Oui, évidemment. Mais tout de même[134], est-ce une preuve suffisante?

– Vous avez parlé de trois tableaux? Et chacun d’eux portait la même date?

– Oui, inscrite par Charles d’Ernemont… La même date,

15-4-2, c’est-à-dire le 15 avril, an II, selon le calendrier révolutionnaire, puisque l’arrestation eut lieu en avril 1794.

– Ah! bien, parfait… dit Lupin… le chiffre 2 signifie…»

Il demeura pensif durant quelques instants et reprit:

«Encore une question, voulez-vous? Personne ne s’est jamais offert pour résoudre ce problème?»

Me Valendier leva les bras.

«Que dites-vous là s’écria-t-il. Toute personne étrangère qui voulait opérer des recherches devait, au préalable, déposer une certaine somme.

– Quelle somme?

– Cinq mille francs. En cas de réussite, le tiers des trésors revient à l’individu. En cas d’insuccès, le dépôt reste acquis aux héritiers. Comme ça, je suis tranquille.

– Voici les cinq mille francs.»

Le notaire sursauta.

«Hein! que dites-vous?


– Je dis, répéta Lupin en sortant cinq billets de sa poche, je dis que voici le dépôt de cinq mille francs.

– C’est sérieux? articula Me Valandier.

– Absolument sérieux.

– Pourtant je ne vous ai pas caché mon opinion. Toutes ces histoires invraisemblables ne reposent sur aucune preuve.

– Je ne suis pas de votre avis[135], déclara Lupin.»

Le notaire le regarda comme on regarde un monsieur dont la raison n’est pas très saine.

«Si vous changez d’avis, ajouta-t-il, je vous prie de m’en avertir huit jours d’avance.»

On se quitta. Aussitôt dans la rue, je m’écriai:

«Vous savez donc quelque chose?

– Moi? répondit Lupin, rien du tout. Et c’est là, précisément, ce qui m’amuse.

– Mais il y a cent ans que l’on cherche!

– Il s’agit moins de chercher que de réfléchir. Or j’ai trois cent soixante-cinq jours pour réfléchir.»

Puis il y eut toute une période durant laquelle je n’eus pas l’occasion de le voir[136].

De fait, le matin du 15 avril arriva, et j’avais fini de déjeuner que Lupin n’était pas encore là. À midi un quart, je m’en allai et me fis conduire à Passy.

Tout de suite, dans la ruelle, j’avisai les quatre gamins de l’ouvrier qui stationnaient devant la porte. Averti par eux, Me Valandier accourut à ma rencontre.

«Eh bien, le capitaine Janniot? s’écria-t-il.

– Il n’est pas ici?

– Non.»

Les groupes se pressaient autour du notaire.

«Ils espèrent, me dit Me Valandier, et c’est ma faute.»

Il m’interrogea, et je lui donnai, sur le capitaine, des indications quelque peu fantaisistes que les héritiers écoutaient en hochant la tête[137].

Louise d’Ernemont murmura:

«Et s’il ne vient pas?

– Nous aurons toujours les cinq mille francs à nous partager,» dit le mendiant.

À une heure et demie, les deux sœurs maigres s’assirent, prises de défaillance. Puis le gros monsieur à la jaquette malpropre eut une révolte subite contre le notaire.

«Parfaitement, Maître Valandier, vous êtes responsable…»

Il me regarda d’un œil mauvais[138].

Mais l’aîné des gamins surgit à la porte en criant:

«Voilà quelqu’un!.. Une motocyclette!..»

Le bruit d’un moteur grondait par-delà le mur[139].

«Mais ce n’est pas le capitaine Janniot, clama le notaire qui hésitait à le reconnaître.

– Si, affirma Lupin en nous tendant la main, c’est le capitaine Janniot, seulement j’ai fait couper ma moustache… Maître Valandier, voici le reçu que vous avez signé.»

Il saisit un des gamins par le bras et lui dit:

«Cours à la station de voitures et ramène une automobile jusqu’à la rue Raynouard.»

Il y eut des gestes de protestation. Le capitaine Janniot prononça:

«Vous m’excuserez. Le rapide de Marseille a déraillé entre Dijon et Laroche. Il y a une douzaine de morts, et des blessés que j’ai dû secourir. Alors, dans le fourgon des bagages, j’ai trouvé cette motocyclette…»

Il consulta sa montre.[140]

«Eh! Eh! pas de temps à perdre.»

Je le regardais avec une curiosité ardente. Lentement le capitaine Janniot se dirigea vers la gauche et s’approcha du cadran solaire. Il demanda:

На страницу:
2 из 3