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OEuvres compl?tes de Gustave Flaubert, tome 4
En deçà, dans l’intérieur, quatre murs à chaperon d’ardoises enfermaient le potager, où les carrés de terre, labourés nouvellement, formaient des plaques brunes. Les cloches des melons brillaient à la file sur leur couche étroite; les artichauts, les haricots, les épinards, les carottes et les tomates alternaient jusqu’à un plan d’asperges, qui semblait un petit bois de plumes.
Tout ce terrain avait été, sous le Directoire, ce qu’on appelait une folie. Les arbres, depuis lors, avaient démesurément grandi. De la clématite embarrassait les charmilles, les allées étaient couvertes de mousse, partout les ronces foisonnaient. Des tronçons de statue émiettaient leur plâtre sous les herbes. On se prenait en marchant dans quelques débris d’ouvrage en fil de fer. Il ne restait plus du pavillon que deux chambres au rez-de-chaussée avec des lambeaux de papier bleu. Devant la façade s’allongeait une treille à l’italienne, où, sur des piliers en brique, un grillage de bâtons supportait une vigne.
Ils vinrent là-dessus tous les deux, et, comme la lumière tombait par les trous inégaux de la verdure, Frédéric, en parlant à Louise de côté, observait l’ombre des feuilles sur son visage.
Elle avait dans ses cheveux rouges, à son chignon, une aiguille terminée par une boule de verre imitant l’émeraude; et elle portait, malgré son deuil (tant son mauvais goût était naïf), des pantoufles en paille garnies de satin rose, curiosité vulgaire, achetées sans doute dans quelque foire.
Il s’en aperçut et l’en complimenta ironiquement.
«Ne vous moquez pas de moi!» reprit-elle.
Puis, le considérant tout entier, depuis son chapeau de feutre gris jusqu’à ses chaussettes de soie:
«Comme vous êtes coquet!»
Ensuite, elle le pria de lui indiquer des ouvrages à lire. Il en nomma plusieurs, et elle dit:
«Oh! comme vous êtes savant!»
Toute petite, elle s’était prise d’un de ces amours d’enfant qui ont à la fois la pureté d’une religion et la violence d’un besoin. Il avait été son camarade, son frère, son maître, avait amusé son esprit, fait battre son cœur et versé involontairement jusqu’au fond d’elle-même une ivresse latente et continue. Puis il l’avait quittée en pleine crise tragique, sa mère à peine morte, les deux désespoirs se confondant. L’absence l’avait idéalisé dans son souvenir; il revenait avec une sorte d’auréole, et elle se livrait ingénument au bonheur de le voir.
Pour la première fois de sa vie, Frédéric se sentait aimé; et ce plaisir nouveau, qui n’excédait pas l’ordre des sentiments agréables, lui causait comme un gonflement intime; si bien qu’il écarta les deux bras, en se renversant la tête.
Un gros nuage passait alors sur le ciel.
«Il va du côté de Paris, dit Louise; vous voudriez le suivre, n’est-ce pas?
– Moi! pourquoi?
– Qui sait?»
Et, le fouillant d’un regard aigu:
«Peut-être que vous avez là-bas… (elle chercha le mot) quelque affection.
– Eh! je n’ai pas d’affection!
– Bien sûr?
– Mais oui, mademoiselle, bien sûr!»
En moins d’un an, il s’était fait dans la jeune fille une transformation extraordinaire qui étonnait Frédéric. Après une minute de silence, il ajouta:
«Nous devrions nous tutoyer comme autrefois; voulez-vous?
– Non.
– Pourquoi?
– Parce que!»
Il insistait.
Elle répondit en baissant la tête:
«Je n’ose pas!»
Ils étaient arrivés au bout du jardin, sur la grève du Livon. Frédéric, par gaminerie, se mit à faire des ricochets avec un caillou. Elle lui ordonna de s’asseoir. Il obéit; puis, en regardant la chute d’eau:
«C’est comme le Niagara!»
Il vint à parler des contrées lointaines et de grands voyages. L’idée d’en faire la charmait. Elle n’aurait eu peur de rien, ni des tempêtes, ni des lions.
Assis, l’un près de l’autre, ils ramassaient devant eux des poignées de sable, puis les faisaient couler de leurs mains tout en causant; – et le vent chaud qui arrivait des plaines leur apportait par bouffées des senteurs de lavande, avec le parfum du goudron s’échappant d’une barque derrière l’écluse. Le soleil frappait la cascade; les blocs verdâtres du petit mur où l’eau coulait apparaissaient comme sous une gaze d’argent se déroulant toujours. Une longue barre d’écume rejaillissait au pied en cadence. Cela formait ensuite des bouillonnements, des tourbillons, mille courants opposés, et qui finissaient par se confondre en une seule nappe limpide.
Louise murmura qu’elle enviait l’existence des poissons.
«Ce doit être si doux de se rouler là dedans, à son aise, de se sentir caressé partout.»
Et elle frémissait, avec des mouvements d’une câlinerie sensuelle.
Mais une voix cria:
«Où es-tu?
– Votre bonne vous appelle, dit Frédéric.
– Bien! bien!»
Louise ne se dérangeait pas.
«Elle va se fâcher, reprit-il.
– Cela m’est égal! et d’ailleurs… Mlle Roque faisant comprendre, par un geste, qu’elle la tenait à sa discrétion.
Elle se leva pourtant, puis se plaignit de mal de tête. Et, comme ils passaient devant un vaste hangar qui contenait des bourrées:
«Si nous nous mettions dessous, à l’égaud?»
Il feignit de ne pas comprendre ce mot de patois et même la taquina sur son accent. Peu à peu, les coins de sa bouche se pincèrent, elle mordait ses lèvres; elle s’écarta pour bouder.
Frédéric la rejoignit, jura qu’il n’avait pas voulu lui faire de mal et qu’il l’aimait beaucoup.
«Est-ce vrai?» s’écria-t-elle, en le regardant avec un sourire qui éclairait tout son visage, un peu semé de taches de son.
Il ne résista pas à cette bravoure de sentiment, à la fraîcheur de sa jeunesse, et il reprit:
«Pourquoi te mentirais-je?.. tu en doutes… hein?» en lui passant le bras gauche autour de la taille.
Un cri, suave comme un roucoulement, jaillit de sa gorge; sa tête se renversa, elle défaillait, il la soutint. Et les scrupules de sa probité furent inutiles; devant cette vierge qui s’offrait, une peur l’avait saisi. Il l’aida ensuite à faire quelques pas doucement. Ses caresses de langage avaient cessé, et, ne voulant plus dire que des choses insignifiantes, il lui parlait des personnes de la société nogentaise.
Tout à coup elle le repoussa, et, d’un ton amer:
«Tu n’aurais pas le courage de m’emmener!»
Il resta immobile avec un grand air d’ébahissement. Elle éclata en sanglots, et s’enfonçant la tête dans sa poitrine:
«Est-ce que je peux vivre sans toi!»
Il tâchait de la calmer. Elle lui mit ses deux mains sur les épaules pour le mieux voir en face, et, dardant contre les siennes ses prunelles vertes, d’une humidité presque féroce:
«Veux-tu être mon mari?
– Mais… répliqua Frédéric, cherchant quelque réponse. Sans doute… Je ne demande pas mieux.»
A ce moment la casquette de M. Roque apparut derrière un lilas.
Il emmena son «jeune ami» pendant deux jours faire un petit voyage aux environs, dans ses propriétés; et Frédéric, lorsqu’il revint, trouva chez sa mère trois lettres.
La première était un billet de M. Dambreuse l’invitant à dîner pour le mardi précédent. A propos de quoi cette politesse? On lui avait donc pardonné son incartade?
La seconde était de Rosanette. Elle le remerciait d’avoir risqué sa vie pour elle; Frédéric ne comprit pas d’abord ce qu’elle voulait dire; enfin, après beaucoup d’ambages, elle implorait de lui, en invoquant son amitié, se fiant à sa délicatesse, à deux genoux, disait-elle, vu la nécessité pressante et comme on demande du pain, un petit secours de cinq cents francs. Il se décida tout de suite à les fournir.
La troisième lettre, venant de Deslauriers, parlait de la subrogation et était longue, obscure. L’avocat n’avait pris encore aucun parti. Il l’engageait à ne pas se déranger: «C’est inutile que tu reviennes!» appuyant même là-dessus avec une insistance bizarre.
Frédéric se perdit dans toutes sortes de conjectures, et il eut envie de s’en retourner là-bas; cette prétention au gouvernement de sa conduite le révoltait.
D’ailleurs, la nostalgie du boulevard commençait à le prendre; et puis sa mère le pressait tellement, M. Roque tournait si bien autour de lui et Mlle Louise l’aimait si fort, qu’il ne pouvait rester plus longtemps sans se déclarer. Il avait besoin de réfléchir et jugerait mieux les choses dans l’éloignement.
Pour motiver son voyage, Frédéric inventa une histoire, et il partit en disant à tout le monde et croyant lui-même qu’il reviendrait bientôt.
VI
Son retour à Paris ne lui causa point de plaisir; c’était le soir, à la fin du mois d’août, le boulevard semblait vide, les passants se succédaient avec des mines refrognées, çà et là une chaudière d’asphalte fumait, beaucoup de maisons avaient leurs persiennes entièrement closes; il arriva chez lui; de la poussière couvrait les tentures; et, en dînant tout seul, Frédéric fut pris par un étrange sentiment d’abandon; alors il songea à Mlle Roque.
L’idée de se marier ne lui paraissait plus exorbitante. Ils voyageraient, ils iraient en Italie, en Orient! Et il l’apercevait debout sur un monticule, contemplant un paysage, ou bien appuyée à son bras dans une galerie florentine, s’arrêtant devant les tableaux. Quelle joie ce serait que de voir ce bon petit être s’épanouir aux splendeurs de l’art et de la nature! Sortie de son milieu, en peu de temps, elle ferait une compagne charmante. La fortune de M. Roque le tentait d’ailleurs. Cependant une pareille détermination lui répugnait comme une faiblesse, un avilissement.
Mais il était bien résolu (quoi qu’il dût faire) à changer d’existence, c’est-à-dire à ne plus perdre son cœur dans des passions infructueuses, et même il hésitait à remplir la commission dont Louise l’avait chargé. C’était d’acheter pour elle, chez Jacques Arnoux, deux grandes statuettes polychromes représentant des nègres, comme ceux qui étaient à la préfecture de Troyes. Elle connaissait le chiffre du fabricant, n’en voulait pas d’un autre. Frédéric avait peur, s’il retournait chez eux, de tomber encore une fois dans son vieil amour.
Ces réflexions l’occupèrent toute la soirée, et il allait se coucher quand une femme entra.
«C’est moi, dit en riant Mlle Vatnaz. Je viens de la part de Rosanette.»
Elles s’étaient donc réconciliées?
«Mon Dieu, oui! je ne suis pas méchante, vous savez bien. Au surplus, la pauvre fille… Ce serait trop long à vous conter.»
Bref, la Maréchale désirait le voir, elle attendait une réponse, sa lettre s’étant promenée de Paris à Nogent; Mlle Vatnaz ne savait point ce qu’elle contenait. Alors, Frédéric s’informa de la Maréchale.
Elle était maintenant avec un homme très riche, un Russe, le prince Tzernoukoff, qui l’avait vue aux courses du Champ de Mars l’été dernier.
«On a trois voitures, cheval de selle, livrée, groom dans le chic anglais, maison de campagne, loge aux Italiens, un tas de choses encore. Voilà, mon cher.»
Et la Vatnaz, comme si elle eût profité de ce changement de fortune, paraissait plus gaie, tout heureuse. Elle retira ses gants et examina dans la chambre les meubles et les bibelots. Elle les cotait à leur prix juste, comme un brocanteur. Il aurait dû la consulter pour les obtenir à meilleur compte, et elle le félicitait de son bon goût:
«Ah! c’est mignon, extrêmement bien! Il n’y a que vous pour ces idées.»
Puis, apercevant au chevet de l’alcôve une porte:
«C’est par là qu’on fait sortir les petites femmes, hein?»
Et, amicalement, elle lui prit le menton. Il tressaillit au contact de ses longues mains, tout à la fois maigres et douces. Elle avait autour des poignets une bordure de dentelle et sur le corsage de sa robe verte des passementeries comme un hussard. Son chapeau de tulle noir, à bords descendants, lui cachait un peu le front; ses yeux brillaient là-dessous; une odeur de patchouli s’échappait de ses bandeaux; la carcel posée sur un guéridon, en l’éclairant d’en bas comme une rampe de théâtre, faisait saillir sa mâchoire; – et tout à coup, devant cette femme laide qui avait dans la taille des ondulations de panthère, Frédéric sentit une convoitise énorme, un désir de volupté bestiale.
Elle lui dit d’une voix onctueuse, en tirant de son porte-monnaie trois carrés de papier:
«Vous allez me prendre ça!»
C’étaient trois places pour une représentation au bénéfice de Delmar.
«Comment! lui?
– Certainement!»
Mlle Vatnaz, sans s’expliquer davantage, ajouta qu’elle l’adorait plus que jamais. Le comédien, à l’en croire, se classait définitivement parmi «les sommités de l’époque». Et ce n’était pas tel ou tel personnage qu’il représentait, mais le génie même de la France, le peuple! Il avait «l’âme humanitaire; il comprenait le sacerdoce de l’art»! Frédéric, pour se délivrer de ces éloges, lui donna l’argent des trois places.
«Inutile que vous en parliez là-bas! – Comme il est tard, mon Dieu! Il faut que je vous quitte. Ah! j’oubliais l’adresse; c’est rue Grange-Batelière, 14.»
Et, sur le seuil:
«Adieu, homme aimé!
– Aimé de qui? se demanda Frédéric. Quelle singulière personne!»
Et il se ressouvint que Dussardier lui avait dit un jour, à propos d’elle: «Oh! ce n’est pas grand’chose!» comme faisant allusion à des histoires peu honorables.
Le lendemain, il se rendit chez la Maréchale. Elle habitait une maison neuve, dont les stores avançaient sur la rue. Il y avait à chaque palier une glace contre le mur, une jardinière rustique devant les fenêtres, tout le long des marches un tapis de toile; et, quand on arrivait du dehors, la fraîcheur de l’escalier délassait.
Ce fut un domestique mâle qui vint ouvrir, un valet en gilet rouge. Dans l’antichambre, sur la banquette, une femme et deux hommes, des fournisseurs sans doute, attendaient, comme dans un vestibule de ministre. A gauche, la porte de la salle à manger, entrebâillée, laissait apercevoir des bouteilles vides sur les buffets, des serviettes au dos des chaises; et parallèlement s’étendait une galerie, où des bâtons couleur d’or soutenaient un espalier de roses. En bas, dans la cour, deux garçons, les bras nus, frottaient un landau. Leur voix montait jusque-là, avec le bruit intermittent d’une étrille que l’on heurtait contre une pierre.
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