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Vie de Jeanne d'Arc. Vol. 1 de 2
La déposition de Dunois50 cause aussi quelque déception. On sait que Dunois était un des hommes les plus intelligents et les plus avisés de son temps et qu'il passait pour beau parleur. Il avait défendu, non sans habileté, la ville d'Orléans et fait toute la campagne du sacre. Il faut que sa déposition ait été bien maltraitée par le traducteur et par les scribes. Sans cela on serait obligé de croire que le prudent seigneur la fit faire par son chapelain. Il y parle du «grand nombre des ennemis» en des termes plus convenables à un chanoine de la cathédrale ou à un marchand drapier, qu'au capitaine chargé d'assurer la défense et tenu de connaître les forces réelles des assiégeants. Tout ce qui, dans cette pièce, a trait au transport des vivres, le 28 avril, est à peu près inintelligible. Et Dunois n'a pas pu dire que la première étape de l'armée de Gien avait été Troyes. Rapportant un propos que lui tint la Pucelle après le sacre, il la fait parler comme si ses frères l'attendaient à Domremy, tandis qu'ils chevauchaient près d'elle en France. Par une étrange maladresse, pour prouver que Jeanne avait des visions, il conte une historiette qui, tout au contraire, laisserait croire que cette jeune paysanne était une simulatrice habile et donnait, à la demande des seigneurs, le spectacle de l'extase, comme l'Esther du regretté docteur Luys51.
J'ai dit, dans cet ouvrage, à propos du procès de réhabilitation, ce qu'il faut penser des dépositions des greffiers, de l'huissier Massieu, du frère Isambard de la Pierre, du frère Martin Ladvenu52 et de tous ces brûleurs de sorcières et vengeurs de Dieu, qui travaillèrent à la réhabilitation d'aussi bon cœur qu'ils avaient travaillé à la condamnation.
Dans bien des cas, au sujet d'événements considérables, les témoins parlent tout à fait à l'encontre de la réalité. Un marchand drapier d'Orléans, nommé Jean Luillier, vient devant les commissaires, hardi comme l'archer de Bagnolet, et déclare que les habitants ni la garnison ne pouvaient résister contre les ennemis assemblés en si grand nombre53. Or, sur ce point important il est démenti par les documents les plus sûrs, qui établissent que les Anglais étaient au contraire bien faibles et bien dénués autour d'Orléans54.
Si les témoignages du second procès sentent souvent l'artifice et l'apprêt, s'ils sont parfois hors de toute vérité, ce n'est pas seulement le tort de ceux qui les portèrent; c'est aussi le tort de ceux qui les reçurent. Ceux-ci les avaient sollicités avec trop d'art. Ces témoignages valent ce que valent les témoignages dans un procès d'inquisition. Ils représentent en certains endroits la pensée des juges autant, peut-être, que celle des témoins.
Ce que, en l'espèce, les juges s'efforçaient surtout d'établir, c'était que Jeanne n'avait rien compris quand on lui avait parlé de l'Église et du pape, et qu'elle avait refusé d'obéir à l'Église militante parce qu'elle croyait que l'Église militante c'était messire Cauchon et ses assesseurs. Enfin il fallait la montrer à peu près idiote. C'était là un très utile expédient de procédure ecclésiastique. Et il y avait encore une autre raison, une raison très forte, de la faire passer pour une fille dénuée d'intelligence, une innocente. Ce second procès, comme le premier, répondait à des intentions politiques; il avait pour objet de faire connaître que Jeanne était venue au secours du roi de France, non par suggestion diabolique, mais par inspiration céleste. En conséquence, on s'efforça de montrer qu'elle n'avait pas d'esprit, pour que l'Esprit Saint fût plus manifeste en elle. Les interrogateurs s'y appliquèrent constamment. Ils surent amener les témoins à dire à tout propos qu'elle était simple, très simple. Una simplex bergereta55, dit l'un. Erat multum simplex et ignorans56, dit l'autre.
Et puisque cette innocente était envoyée de Dieu pour délivrer ou prendre des villes, pour conduire des gens d'armes, il fallait qu'ignorante du reste, elle eût la science infuse de la guerre et montrât dans les batailles la force et le conseil qu'elle tenait d'En Haut. On dut donc obtenir des dépositions établissant qu'elle était plus habile à guerroyer qu'aucun homme au monde.
Demoiselle Marguerite la Touroulde l'affirme57. Le duc d'Alençon déclare que la Pucelle était très experte tant à manier la lance qu'à former une armée, à ordonner une bataille et à préparer l'artillerie, et qu'elle étonnait les vieux capitaines par son art à mettre les canons en place58. Ce seigneur entend bien que c'était par miracle et qu'il en faut rendre grâce à Dieu seul. Car, s'il eût fallu rapporter le mérite des victoires à Jeanne elle-même, il n'en eût pas tant dit.
Et, puisque le Seigneur avait choisi la Pucelle pour accomplir un si grand ouvrage, c'était donc qu'il avait reconnu en elle la vertu qu'il préfère en ses vierges. Dès lors il ne suffisait pas qu'elle eût été chaste; il était nécessaire qu'elle l'eût été miraculeusement; il était nécessaire qu'elle eût poussé la chasteté et la sobriété dans le boire et le manger jusqu'à la sainteté. Aussi les témoins viennent-ils publier à l'envi: Erat casta, erat castissima. Ille loquens non credit aliquam mulierem plus esse castam quam ista Puella erat. Erat sobria in potu et cibo. Erat sobria in cibo et potu59.
Il fallait enfin qu'une telle pureté manifestât par des privilèges singuliers sa céleste origine. À cette nécessité répondent de nombreux témoignages. De rudes hommes d'armes, Jean de Novelompont, Bertrand de Poulengy, Jean d'Aulon, de hauts seigneurs, le comte de Dunois et le duc d'Alençon, viennent affirmer, sur la foi du serment, que Jeanne ne leur inspirait pas de désirs charnels. Ces vieux capitaines s'en étonnent; ils vantent leur vigueur passée et s'émerveillent que leurs jeunes ardeurs aient été une fois endormies par une pucelle. Cela ne leur semble pas naturel, cela ne leur paraît pas humainement possible. À les entendre décrire les effets que Jeanne produisait sur eux, on croit voir sainte Marthe enchaînant la Tarasque. Dunois, très occupé dans sa déposition de noter les miracles, ne manque pas de signaler celui-là comme un des plus propres à confondre la raison. S'il n'a ni convoité ni sollicité cette jeune fille, il ne voit qu'une explication à ce fait unique, c'est que Jeanne était sacrée, res (p. XXVIII) divina. Pour exprimer leur soudaine continence, Jean de Novelompont et Bertrand de Poulengy emploient l'un et l'autre identiquement les mêmes formes de langage, affectées et contournées. Et voici qu'un écuyer de l'écurie du roi, Gobert Thibaut, vient déclarer qu'on parlait beaucoup dans l'armée de cette grâce divine spécialement dévolue aux Armagnacs divina. Pour exprimer leur soudaine continence, Jean de Novelompont et Bertrand de Poulengy emploient l'un et l'autre identiquement les mêmes formes de langage, affectées et contournées. Et voici qu'un écuyer de l'écurie du roi, Gobert Thibaut, vient déclarer qu'on parlait beaucoup dans l'armée de cette grâce divine spécialement dévolue aux Armagnacs60 et refusée aux Anglais et aux Bourguignons, si l'on en juge par les entreprises amoureuses d'un gentilhomme de Picardie et de Jeannotin, tailleur à Rouen61.
Tout cela, comme on voit, répond à la pensée des juges, et ce sont, si je puis dire, des vérités théologiques, plutôt que des vérités naturelles.
Les dépositions, qui, comme celles de Jean de Novelompont et de Bertrand de Poulengy, contiennent des passages rédigés en termes identiques, abondent d'ordinaire dans les enquêtes inquisitoriales. Elles sont rares, je dois le dire, dans le procès de réhabilitation, peut-être parce que les témoins ont été entendus à de longs intervalles de temps, dans diverses contrées, et sans doute aussi parce que la cause de la Pucelle n'exigeait pas de grands efforts de procédure, la partie adverse ayant fait défaut.
Il est fâcheux que toutes les dépositions recueillies dans cette enquête, hors celle de Jean d'Aulon, aient été traduites en latin; elles y ont perdu l'accent original et les nuances fines de la pensée.
Parfois le greffier se contente de dire que le témoin dépose comme le précédent. C'est ainsi que tous les bourgeois déposent sur la délivrance de la ville d'Orléans, comme le marchand drapier qui, précisément, n'était pas très au fait des circonstances dans lesquelles sa ville avait été délivrée. C'est ainsi encore que le sire de Gaucourt, après une brève déclaration, dépose comme Dunois, qui pourtant avait dit des choses bien particulières pour être ainsi communes à deux témoins62.
Certains témoignages, à ce qu'il semble, ont été tronqués. Celui de frère Pasquerel s'arrête court à Paris, et l'on croirait que le bon frère a quitté la Pucelle immédiatement après l'attaque de la Porte Saint-Honoré, si l'on n'avait pas sa signature au bas de la lettre latine aux Hussites. Ce n'est pas par hasard assurément, que, dans une si longue suite de questions et de réponses, il n'est pas dit un mot du départ de Sully ni de la campagne qui commença à Lagny et finit à Compiègne63.
On voit que cette abondante enquête doit être consultée avec prudence, et qu'il ne faut pas s'attendre à y trouver des éclaircissements sur toutes les circonstances de la vie de Jeanne.
4o Les livres de comptes, lettres, actes et autres pièces authentiques de l'époque donnent seuls sur bien des points quelque précision à l'histoire de la Pucelle. C'est par les pièces d'archives que publia Siméon Luce et par le bail du château de l'Île que nous savons dans quelles circonstances Jeanne a grandi64. Ni les deux procès, ni les chroniques ne nous avaient révélé la situation horrible où se trouvait le village de Domremy de 1412 à 1425.
C'est par les comptes de forteresse tenus à Orléans65 et par les endentures de l'administration anglaise66 que nous pouvons estimer approximativement les forces respectives des défenseurs et des assiégeants et rectifier à cet égard les assertions des chroniqueurs et des témoins de la réhabilitation.
C'est par les lettres qu'au XVIIe siècle copia Rogier dans les archives de Reims que nous pouvons savoir comment Troyes, Châlons et Reims se rendirent au roi et nous apercevoir que Jean Chartier ne rapporte pas exactement, tant s'en faut, la capitulation de Troyes et que Dunois est, à cet égard, pour un témoin tel que lui, d'une insuffisance étrange67.
C'est à la faveur de quatre ou cinq documents d'archives que nous discernons, çà et là, quelques vagues lueurs dans l'obscurité profonde qui recouvre la malheureuse campagne de l'Aisne et de l'Oise.
C'est par les registres capitulaires de Rouen, les testaments des chanoines et diverses autres pièces, que M. Robillard de Beaurepaire sut trouver dans les archives de la Seine-Inférieure, qu'on peut rectifier plusieurs erreurs des deux procès68.
Que d'autres pièces volantes je pourrais encore noter comme précieuses à l'historien! Raison de plus pour se défier des pièces fausses ou falsifiées, comme, par exemple, les lettres d'anoblissement de Guy de Cailly69.
Si rapide qu'ait été cet examen des sources, je crois avoir dit l'essentiel. En résumé, la Pucelle, de son vivant même, ne fut guère connue que par des fables. Ses plus anciens chroniqueurs, bien incapables de faire œuvre de critiques, rapportèrent comme des réalités les légendes de la première heure.
C'est dans le procès de Rouen et dans quelques pièces de comptabilité, quelques lettres missives, quelques actes privés ou publics, que nous trouverons le plus de vérité. Le procès de réhabilitation sera aussi d'un grand secours pour l'histoire, à la condition qu'on n'oublie jamais comment et pourquoi ce procès fut fait.
Au moyen de ces documents on peut se représenter, en somme, assez précisément Jeanne d'Arc dans son caractère et dans sa vie.
Ce qui ressort surtout des textes, c'est qu'elle fut une sainte. Elle fut une sainte avec tous les attributs de la sainteté au XVe siècle. Elle eut des visions, et ces visions ne furent ni feintes ni contrefaites; elle crut réellement entendre des voix qui lui parlaient et qui (p. XXXIII) ne sortaient pas d'une bouche humaine. Ces voix l'entretenaient le plus souvent d'une façon distincte et intelligible pour elle. C'était dans les bois qu'elle les entendait le mieux, ou quand sonnaient les cloches. Elle voyait des figures en manière, a-t-elle dit, de choses multiples et minimes, comme des étincelles perçues dans un éblouissement. Sans nul doute, elle avait aussi des visions d'une autre nature, puisque nous tenons d'elle qu'elle voyait saint Michel sous les apparences d'un prud'homme, c'est-à-dire d'un bon chevalier, sainte Catherine et sainte Marguerite, le front ceint d'une couronne. Elle les voyait qui lui faisaient la révérence; elle les embrassait par les jambes et sentait leur bonne odeur.Qu'est-ce à dire sinon qu'elle avait des hallucinations de l'ouïe, de la vue, du toucher et de l'odorat? Chez elle, de tous les sens, le plus affecté c'est l'ouïe: elle dit que ses voix lui apparaissent; elle les nomme parfois aussi son conseil; elle les entend très bien à moins qu'on ne fasse du bruit autour d'elle. Le plus souvent elle leur obéit; quelquefois elle leur résiste. Il est douteux que ses visions fussent aussi distinctes. Soit qu'elle ne le voulût pas, soit qu'elle ne le pût pas, elle n'en donna jamais aux juges de Rouen une description bien nette ni bien précise. Ce qu'elle sut peindre le mieux ce furent encore les anges porte-couronne qu'elle avoua ensuite n'avoir jamais vus que dans son imagination. ne sortaient pas d'une bouche humaine. Ces voix l'entretenaient le plus souvent d'une façon distincte et intelligible pour elle. C'était dans les bois qu'elle les entendait le mieux, ou quand sonnaient les cloches. Elle voyait des figures en manière, a-t-elle dit, de choses multiples et minimes, comme des étincelles perçues dans un éblouissement. Sans nul doute, elle avait aussi des visions d'une autre nature, puisque nous tenons d'elle qu'elle voyait saint Michel sous les apparences d'un prud'homme, c'est-à-dire d'un bon chevalier, sainte Catherine et sainte Marguerite, le front ceint d'une couronne. Elle les voyait qui lui faisaient la révérence; elle les embrassait par les jambes et sentait leur bonne odeur.
Qu'est-ce à dire sinon qu'elle avait des hallucinations de l'ouïe, de la vue, du toucher et de l'odorat? Chez elle, de tous les sens, le plus affecté c'est l'ouïe: elle dit que ses voix lui apparaissent; elle les nomme parfois aussi son conseil; elle les entend très bien à moins qu'on ne fasse du bruit autour d'elle. Le plus souvent elle leur obéit; quelquefois elle leur résiste. Il est douteux que ses visions fussent aussi distinctes. Soit qu'elle ne le voulût pas, soit qu'elle ne le pût pas, elle n'en donna jamais aux juges de Rouen une description bien nette ni bien précise. Ce qu'elle sut peindre le mieux ce furent encore les anges porte-couronne qu'elle avoua ensuite n'avoir jamais vus que dans son imagination.
À quel âge ces troubles lui vinrent-ils? On ne peut pas le dire avec précision. Mais ce fut très probablement au sortir de l'enfance, et nous sommes avertis par le témoignage de Jean d'Aulon, que Jeanne ne sortit jamais tout à fait de l'enfance70.
Bien que, le plus souvent, il soit hasardeux de tirer d'une donnée historique les éléments d'une étude clinique, plusieurs savants ont tenté de définir l'état pathologique qui rendait cette jeune fille apte à subir de fausses perceptions de l'ouïe et de la vue71. Comme la psychiatrie a fait en ces dernières années de rapides progrès, je me suis adressé à un savant éminent qui connaît l'état actuel de cette science, à laquelle il a apporté lui-même d'importantes contributions. J'ai demandé au docteur Georges Dumas, professeur à la Sorbonne, si la science dispose d'éléments suffisants pour établir rétrospectivement le diagnostic de Jeanne. Il m'a envoyé en réponse une lettre qu'on lira dans l'appendice I de cet ouvrage72.
Je n'ai pas qualité pour aborder ce sujet. Du moins puis-je, sans sortir de ma compétence, présenter, relativement aux hallucinations de Jeanne d'Arc, une observation qui m'a été suggérée par l'étude des textes. Cette observation est d'une conséquence infinie; je la contiendrai rigoureusement dans les limites que me tracent la nature et l'objet de cet ouvrage.
Les visionnaires qui se croient investis d'une mission divine se distinguent des autres illuminés par des caractères singuliers. Si l'on étudie les mystiques de ce genre, si on les rapproche les uns des autres, on s'apercevra qu'ils présentent entre eux des traits de ressemblance qu'on peut suivre jusque dans des détails très menus, qu'ils se répètent tous dans certaines de leurs paroles et dans certains de leurs actes, et peut-être, en reconnaissant le déterminisme étroit auquel sont soumis les mouvements de ces hallucinés, éprouve-t-on quelque surprise à voir la machine humaine fonctionner, sous l'action d'un même agent mystérieux, avec cette uniformité fatale. Jeanne appartient à ce groupe religieux, et il est intéressant de la comparer à cet égard à sainte Catherine de Sienne73, à sainte Colette de Corbie74, à Yves Nicolazic, le paysan de Kernanna75, à Suzette Labrousse, l'inspirée de l'Église constitutionnelle76 et à tant d'autres voyants et voyantes de cet ordre qui ont entre eux un air de famille. Trois visionnaires surtout sont étroitement apparentés avec Jeanne. Le premier en date est un vavasseur de Champagne, qui avait mission de parler au roi Jean. J'ai suffisamment fait connaître ce saint homme dans le présent ouvrage. Le second est un maréchal ferrant de Salon, qui avait mission de parler à Louis XIV; le troisième, un paysan de Gallardon, nommé Martin, qui avait mission de parler à Louis XVIII. On trouvera en appendice, des notices sur ce maréchal et sur ce laboureur, qui tous deux eurent des apparitions et montrèrent un signe au roi77. Les ressemblances que ces trois hommes, malgré la contrariété des sexes, présentent avec Jeanne d'Arc sont intimes et profondes, elles tiennent à leur nature même; et les différences, qui semblent au premier aspect séparer si largement Jeanne de ces visionnaires, sont d'ordre esthétique, (p. XXXVII) social, historique, par conséquent extérieures et contingentes. Sans doute il y a d'eux à elle contraste d'apparence et de fortune; ils présentent autant de disgrâce qu'elle exerce de charme et c'est un fait qu'ils échouèrent misérablement tandis qu'elle grandit en force et fleurit en légende. Mais c'est le propre de l'esprit scientifique de reconnaître dans le plus bel individu et dans le plus misérable avorton d'une même espèce des caractères communs, attestant l'identité d'origine.De notre temps, les libres penseurs, empreints pour la plupart de spiritualisme, se refusent à reconnaître en Jeanne non seulement cet automatisme qui détermine les actes d'une voyante comme elle, non seulement les influences d'une hallucination perpétuelle, mais jusqu'aux suggestions de l'esprit religieux. Ce qu'elle faisait par sainteté et dévotion, ils veulent qu'elle l'ait fait par enthousiasme raisonné. De telles dispositions se remarquent chez l'honnête et savant Quicherat qui met, à son insu, beaucoup de philosophie éclectique dans la piété de la Pucelle. Cette façon de voir ne fut pas sans inconvénients. Elle amena les historiens de libre pensée à exagérer jusqu'à l'absurde les facultés intellectuelles de cette enfant, à lui attribuer ridiculement des talents militaires et à substituer à la naïve merveille du XVe siècle un phénomène polytechnique. Les historiens catholiques de notre temps sont plus dans la nature et (p. XXXVIII) dans la vérité quand ils font de la Pucelle une sainte. Par malheur, l'idée de la sainteté s'est beaucoup affadie dans l'Église depuis le concile de Trente, et les historiens orthodoxes sont peu disposés à rechercher les variations de l'Église catholique à travers les âges. Aussi nous la rendent-ils béate et moderne. Si bien que, pour trouver la plus étrangement travestie de toutes les Jeanne d'Arc, on hésiterait entre leur miraculeuse protectrice de la France chrétienne, patronne des officiers et des sous-officiers, modèle inimitable des élèves de Saint-Cyr, et la druidesse romantique, la garde nationale inspirée, la canonnière patriote des républicains, s'il ne s'était trouvé un Père jésuite pour faire une Jeanne d'Arc ultramontaine dans la vérité quand ils font de la Pucelle une sainte. Par malheur, l'idée de la sainteté s'est beaucoup affadie dans l'Église depuis le concile de Trente, et les historiens orthodoxes sont peu disposés à rechercher les variations de l'Église catholique à travers les âges. Aussi nous la rendent-ils béate et moderne. Si bien que, pour trouver la plus étrangement travestie de toutes les Jeanne d'Arc, on hésiterait entre leur miraculeuse protectrice de la France chrétienne, patronne des officiers et des sous-officiers, modèle inimitable des élèves de Saint-Cyr, et la druidesse romantique, la garde nationale inspirée, la canonnière patriote des républicains, s'il ne s'était trouvé un Père jésuite pour faire une Jeanne d'Arc ultramontaine78. social, historique, par conséquent extérieures et contingentes. Sans doute il y a d'eux à elle contraste d'apparence et de fortune; ils présentent autant de disgrâce qu'elle exerce de charme et c'est un fait qu'ils échouèrent misérablement tandis qu'elle grandit en force et fleurit en légende. Mais c'est le propre de l'esprit scientifique de reconnaître dans le plus bel individu et dans le plus misérable avorton d'une même espèce des caractères communs, attestant l'identité d'origine.
De notre temps, les libres penseurs, empreints pour la plupart de spiritualisme, se refusent à reconnaître en Jeanne non seulement cet automatisme qui détermine les actes d'une voyante comme elle, non seulement les influences d'une hallucination perpétuelle, mais jusqu'aux suggestions de l'esprit religieux. Ce qu'elle faisait par sainteté et dévotion, ils veulent qu'elle l'ait fait par enthousiasme raisonné. De telles dispositions se remarquent chez l'honnête et savant Quicherat qui met, à son insu, beaucoup de philosophie éclectique dans la piété de la Pucelle. Cette façon de voir ne fut pas sans inconvénients. Elle amena les historiens de libre pensée à exagérer jusqu'à l'absurde les facultés intellectuelles de cette enfant, à lui attribuer ridiculement des talents militaires et à substituer à la naïve merveille du XVe siècle un phénomène polytechnique. Les historiens catholiques de notre temps sont plus dans la nature et (p. XXXVIII) dans la vérité quand ils font de la Pucelle une sainte. Par malheur, l'idée de la sainteté s'est beaucoup affadie dans l'Église depuis le concile de Trente, et les historiens orthodoxes sont peu disposés à rechercher les variations de l'Église catholique à travers les âges. Aussi nous la rendent-ils béate et moderne. Si bien que, pour trouver la plus étrangement travestie de toutes les Jeanne d'Arc, on hésiterait entre leur miraculeuse protectrice de la France chrétienne, patronne des officiers et des sous-officiers, modèle inimitable des élèves de Saint-Cyr, et la druidesse romantique, la garde nationale inspirée, la canonnière patriote des républicains, s'il ne s'était trouvé un Père jésuite pour faire une Jeanne d'Arc ultramontaine dans la vérité quand ils font de la Pucelle une sainte. Par malheur, l'idée de la sainteté s'est beaucoup affadie dans l'Église depuis le concile de Trente, et les historiens orthodoxes sont peu disposés à rechercher les variations de l'Église catholique à travers les âges. Aussi nous la rendent-ils béate et moderne. Si bien que, pour trouver la plus étrangement travestie de toutes les Jeanne d'Arc, on hésiterait entre leur miraculeuse protectrice de la France chrétienne, patronne des officiers et des sous-officiers, modèle inimitable des élèves de Saint-Cyr, et la druidesse romantique, la garde nationale inspirée, la canonnière patriote des républicains, s'il ne s'était trouvé un Père jésuite pour faire une Jeanne d'Arc ultramontaine[75].
Je n'ai pas soulevé de doutes sur la sincérité de Jeanne. On ne peut la soupçonner de mensonge: elle crut fermement recevoir sa mission de ses voix. Il est plus difficile de savoir si elle ne fut pas dirigée à son insu. Ce que nous connaissons d'elle avant son arrivée à Chinon se réduit à très peu de chose. On est porté à croire qu'elle avait subi certaines influences; c'est le cas de toutes les visionnaires: un directeur, qu'on ne voit pas, les mène. Il en dut être ainsi de Jeanne. On l'entendit qui disait, à Vaucouleurs, que le dauphin avait le royaume en commende79. Ce n'était pas les gens de son village qui lui avaient appris ce terme. Elle récitait une prophétie qu'elle n'avait pas inventée et qui, visiblement, avait été fabriquée pour elle.
Elle dut fréquenter des prêtres fidèles à la cause du dauphin Charles et qui surtout souhaitaient la fin de la guerre. Les abbayes étaient incendiées, les églises pillées, le service divin aboli80. Ces pieuses gens qui soupiraient après la paix, voyant que le traité de Troyes ne l'avait pu donner, l'attendaient seulement de l'expulsion des Anglais. Et ce qu'il y eut de rare, d'extraordinaire et comme d'ecclésiastique et de religieux en cette jeune paysanne, ce n'est pas qu'elle se crût appelée à chevaucher et à guerroyer, c'est que dans «sa grande pitié», elle annonçât la fin prochaine de la guerre, par la victoire et le sacre du roi, alors que les seigneurs des deux pays et les gens d'armes des deux partis n'avaient ni soupçon ni désir que la guerre finît jamais.