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Il Suffira D'Un Duc
— Dois-je lui lier les chevilles, demanda la bonne.
— Quoi ?
Margaret gigota sur le lit, essayant de se libérer.
— On ne dit pas ‘quoi’, ma chère, dit Maman par automatisme. J’ai appris que c’était assez grossier. ‘Excusez-moi’ est de loin préférable. Il y a un nombre supplémentaire de syllabes, mais le but est toujours la politesse.
— La courtoisie n’est pas mon souci actuel, souffla Margaret.
Une mèche de cheveux s’échappa de sa coiffure.
Et puis une autre.
Et puis une autre.
Margaret aurait aimé être un pirate pour avoir un large éventail de jurons à proférer.
— Lorsque le duc reviendra dans sa chambre, dit Maman. Il vous découvrira.
— Et il saura qu’il ne m’a pas mise là.
— Cela n’a aucune d’importance. Vous serez découverts ensemble. Un témoin m’accompagnera. Je serai bouleversée.
Maman joignit les mains, et ses lèvres tremblèrent. Puis elle eut un sourire radieux, comme si elle se réjouissait de ses talents d’actrice.
Margaret la regarda fixement.
— Il y a un bon moment que vous avez réfléchi à tout ceci.
— J’en ai rêvé toute éveillée. Et à présent, grâce à de généreux paiements, cela se réalisera, dit Maman en lançant un regard reconnaissant vers la bonne et en applaudissant. Oh, pensez au mariage que nous allons organiser pour vous. Toute la société y assistera.
— Parce qu’ils auront peine à croire que le duc et moi nous mariions jamais.
— Votre impopularité ne sera plus qu’un lointain souvenir, dit Maman d’une voix débordant de confiance.
Margaret fronça les sourcils.
Maman était impossible. Depuis que Papa les avaient rendus riches, Maman avait voulu marier Margaret à un excellent parti. Malheureusement, il semblait plus facile que Papa invente quelque chose et, à partir de cela, crée une entreprise toute entière, que pour Maman de piéger un beau-fils possédant un titre. Clairement, Maman ne devrait pas viser un duc. Même les plus expérimentées des mères marieuses devaient hésiter devant cet objectif.
— Vous perdrez votre poste si vous faites cela, dit Margaret à la bonne. Je le raconterai au duc.
— Son futur est assuré, dit Maman avec précipitation en hochant la tête vers la bonne. Notre résidence peut toujours être plus étincelante.
La mère de Margaret ouvrit son réticule en brocart de velours et en sortit un pot. Maman enleva le couvercle et une senteur florale agréable se diffusa dans la pièce.
— Ce parfum ne me calmera pas, dit Margaret.
— Très chère, ce ne sont pas de vos émotions dont je me soucie.
Maman voleta dans la pièce, passant du lit à baldaquin à la méridienne.
Elle répandit quelque chose en chantonnant.
Margaret écarquilla les yeux.
— Êtes-vous en train de répandre des pétales de rose ?
— Je pensais que c’était évident, dit Maman. Mieux vaut rendre cela romantique, ma chère.
C’était insensé.
Margaret lutta contre la tentation de hurler. Selon toute vraisemblance, cela lui vaudrait uniquement d’être bâillonnée. En outre, cet étage était désert, et le bruit des festivités avait pratiquement causé des vibrations.
Elle pourrait peut-être retirer ces liens. C’était peu probable, mais pour l’instant, c’était son seul espoir.
— Vous souhaitez qu’elle garde ses vêtements ? demanda la bonne.
— La réponse est oui. De toute évidence, s’exclama Margaret.
— Une déchirure suffira, dit Maman.
— Bien sûr.
La bonne déchira le corsage de la robe de bal de Margaret avec efficacité.
— Vous n’êtes pas obligée de faire cela, Maman, supplia Margaret. Ce plan ne marchera pas. Ce n’est pas le bon moyen pour me marier. Et nous pourrions simplement partir. Personne ne le saura. Et je ferai davantage d’efforts – je le promets.
Maman pinça les lèvres, puis marcha d’un pas décidé vers Margaret.
Margaret reprit espoir.
Maman allait peut-être vraiment la libérer. Peut-être que tout se passerait bien.
Au lieu de cela, Maman retira les épingles des cheveux de Margaret. Elle retira un peigne de son réticule et lui lissa les cheveux.
Ses yeux s’éclairèrent, et elle pinça les joues de Margaret.
— Beaucoup mieux. Vous avez l’air très indécente, comme si l’on venait de vous ravir.
Puis Maman se retourna et sortit de la pièce avec la bonne.
Margaret fut seule.
Elle avait toujours su que Maman était enthousiaste à l’idée de la marier, mais elle n’avait pas réalisé qu’elle se résoudrait à cela. N’aurait-elle pas dû s’y attendre ? Maman n’avait-elle pas soudoyé quelqu’un pour l’assister quand le marquis de Metcalfe avait ouvertement cherché une épouse ?
La gorge de Margaret se teinta de nausée.
Si seulement elle avait travaillé plus dur afin de trouver un mari cette saison. La prochaine fois que quelqu’un de même vaguement convenable montrerait le moindre intérêt pour elle, Margaret jurait de l’épouser.
Elle n’aurait probablement même pas ma chance de le faire. Margaret serait perdue une fois qu’elle serait découverte dans le lit du duc.
Son cœur trembla, et elle étudia son nouvel environnement.
Du tissu vert foncé habillait les murs, comme s’il avait été choisi pour s’assortir avec l’habit de chasse du duc. De lourds meubles des siècles passés garnissaient la pièce. Des bustes royaux d’empereurs romains étaient perchés sur la table. Clairement, la personne qui les y avait placés n’avait pas prévu que des femmes puissent être trainées dans cette pièce par leurs mères marieuses.
En matière de literie, celui-ci surpassait les autres par sa somptuosité. Les coussins possédaient une plaisante densité de plumes, et le cordage du sommier ne s’affaissait pas de façon intolérable. La courtepointe était confortablement moelleuse, et aucune brise de soufflait à travers la fenêtre. Le duc avait le bon nombre d’oreillers, et sa literie était convenablement douce. Aucun doute, les nuages pourraient en prendre exemple.
Mais en dépit de la texture soyeuse, le cœur de Margaret tambourinait toujours, comme si elle était une criminelle en fuite, et pas allongée sur l’un des lits les plus luxueux de Grande-Bretagne.
Margaret méprisait la danse, mais elle n’avait que peu d’envie de passer toute la durée du bal ici. Elle songea avec envie à la nourriture alignée sur la table de banquet. Geneviève et Juliette se demanderaient probablement où elle était.
À un moment donné, le duc de Jevington entrerait dans la pièce, et tout se passerait horriblement.
Margaret continua à tirer sur ses liens.
Malheureusement, ils ne montrèrent aucun signe de faiblesse.



Chapitre Deux

Jasper Tierney, duc de Jevington, n’avait jamais estimé qu’il excellait à grand-chose. Ses aptitudes sportives étaient acceptables, même s’il n’ait jamais compris l’intérêt de risquer de se briser la nuque pour plonger après une balle en jouant au rugby. Ses compétences scolaires étaient pires. Harrow n’incluait aucun cours qui décernait de bonnes notes pour l’aptitude de quelqu’un à faire rire ses camarades de classe, et Jasper manquait d’enthousiasme, à parts égales, pour décliner les mots latins et diviser les fractions.
Mais Jasper s’était trompé : il excellait à organiser des réjouissances.
Les réceptions de Jasper étaient réputées, et il se tenait sur la mezzanine tandis que ses invités dansaient et plaisantaient, buvaient et se réjouissaient. Des valets de pied transportaient des plats en argent d’une main, sans se démonter face aux hommes et aux femmes qui affluaient autour d’eux. Une musique enjouée flottait dans la salle de bal, et les gens se balançaient joyeusement, formant les figures complexes habituelles avec gaieté.
Un an auparavant, Jasper les aurait rejoints, mais à présent, observer lui suffisait. L’organisation d’une réception était épuisante, et le souvenir qu’il garderait de cet événement ne serait pas rehaussé par un mal de tête dû au brandy.
Il tambourina les doigts contre la rampe de la mezzanine. Quelques jeunes femmes levèrent la tête vers lui, les cils papillonnants, et donnèrent des coups de coude à leurs voisines. Des diamants et des rubis scintillaient à leur gorge et leurs boucles savamment coiffées demeuraient impeccables. Jasper leur envoya son grand sourire coutumier. Il ne dut pas attendre longtemps avant qu’elles ouvrent leurs éventails. Ce rituel lui avait paru plus intéressant quand il était nouveau à Londres. Normalement, il descendrait et ferait leur connaissance, ou, comme dans la plupart des cas maintenant, la referait, mais un ennui étrange enlisait ses actions coutumières.
Cependant, il ne pouvait rester sur la mezzanine toute la nuit. Il descendit les escaliers et se mêla à la foule.
L’un de ses valets de pied s’approcha de lui.
— J’ai un message pour vous, Votre Grâce.
Les bals n’étaient pas l’endroit habituel pour recevoir de la correspondance, mais Jasper tendit la main.
Les épaules du valet se détendirent, et il se dépêcha de partir.
Jasper lut le message. Il ne reconnut pas l’écriture et se dirigea d’un bon pas vers le valet, le rejoignant rapidement.
— Il me faut aller dans ma chambre ?
— Je – euh – suppose, dit le domestique en détournant les yeux.
— Qui vous a donné ceci ?
— Est-ce important ?
La voix du valet tremblait, et il se recroquevilla avec un curieux air de culpabilité.
Jasper soupira. Le valet était nouveau, et même si Jasper s’évertuait à ne pas intimider son personnel, son titre rendait le processus difficile.
— Ne vous inquiétez pas, le rassura Jasper.
Sa curiosité était, après tout, bel et bien piquée. Une veuve avait-elle arrangé un tête-à-tête ? Plus probablement, un de ses amis avait envie de vanter les charmes de l’une des jeunes femmes présentes et d’établir une stratégie pour pouvoir gagner son cœur.
Jasper se balada à travers la salle, parcourant la foule de fêtards. D’anciens camarades d’école lui assénèrent une tape dans le dos, souriant joyeusement, comme s’ils ne parvenaient toujours pas à croire qu’ils avaient atteint un âge auquel ils pouvaient boire et danser avec grand plaisir ; un monde dans lequel l’arithmétique et les leçons de géographie n’existaient plus et où personne ne viendrait leur donner des coups de bâtons à cause de déclinaisons latines erronées. Des débutantes se mirent à glousser lorsqu’elles le virent, rejetant leurs cheveux de façon à ce que leurs anglaises, bouclées avec soin, captent la lumière.
Enfin, il quitta la salle de bal, et Jasper frissonna.
De toute évidence, la température était retombée.
De toute évidence, il ne frissonnait pas à cause de quelque prémonition, même s’il se demandait effectivement pourquoi il avait été convoqué dans sa chambre à coucher.
Il fit un signe de tête au majordome, puis grimpa les escaliers. Le bruit de la musique fut assourdi, mais lorsqu’il entra dans le couloir sombre, le porte de la salle de bal claqua en bas. Apparemment, il n’était pas le seul à abandonner les festivités, même s’il était encore tôt. Jasper foula les tapis orientaux familiers, passa devant le buffet aux pieds dorés familier jusqu’à ce qu’il parvienne à sa chambre.
Tout ceci est ridicule.
Il aurait dû ignorer le message. Cependant, il pouvait aussi bien enquêter.
Jasper ouvrit la porte et cligna des yeux dans la faible lumière. Un parfum de rose flottait dans la pièce. Derrière lui, des bruits de pas résonnèrent, et des voix, soprano et baryton, chuchotèrent.
En d’autres circonstances, il aurait ri intérieurement, se demandant si ces deux personnes cherchaient une chambre libre dans laquelle ils pourraient s’adonner à une étreinte illicite. Ce ne serait pas la première fois que des gens cédaient à la passion lors de l’une de ses réceptions. Jasper excellait à créer une atmosphère plaisante qui inspirerait les poursuites amoureuses.
— À l’aide, appela une femme.
Jasper fut interloqué.
Ce n’était pas Shoreditch, tout de même.
Personne ne devrait requérir assistance en sa demeure.
— Vite, ajouta la femme.
Jasper se tourna vers la voix.
Le son provenait de son lit.
— À l’aide ! répéta la voix.
Jasper était peut-être confus, mais il n’en restait pas moins un gentleman. Il s’approcha d’elle en vitesse.
D’ordinaire, si une femme l’appelait depuis son lit, c’était pour qu’il la touche ici et là et sans tarder. En dépit du ton insistant de cette femme, et la ressemblance avec certaines frasques nocturnes passées, Jasper douta que c’était ce que cette femme désirait.
Après tout, il ne reconnaissait pas sa voix.
Il saisit une bougie et craqua une allumette, projetant une lueur vers le lit.
Il y avait effectivement une jeune femme dans son lit. Elle était allongée à demi dévêtue. Des mèches sombres s’étalaient sur ses épaules.
Cette vue n’était pas totalement inhabituelle, même s’il avait diminué ces cas de figure depuis que son ami Hugh s’était marié.
Mais les mains de cette femme étaient attachées aux montants de son lit.
Etrange.
Il cligna des paupières.
Cette jeune femme ressemblait à Miss Margaret Carberry.
Très étrange.
De toutes les femmes qu’il aurait pu trouver dans son lit, il ne serait jamais attendu à Miss Carberry. Il avait fait sa connaissance lors d’une partie de campagne, et il avait le souvenir d’une jeune femme réservée et rigide, une de celles qui trouvaient intimidante la seule perspective d’avoir une conversation, et qui avaient encore à apprendre les règles pas-très-difficiles du bavardage.
Mais à ce moment-là, elle avait été très convenablement habillée. Contrairement à ses compagnes, elle n’avait montré aucun enthousiasme à converser avec lui. Elle n’avait pas battu des cils. En fait, elle avait plutôt semblé très enthousiaste à l’idée de se fondre dans le décor.
Mais Miss Carberry était assurément très visible, à présent.
Une immanquable odeur de champagne flotta vers lui, et de longs cheveux bouclés encadraient le visage de Miss Carberry de manière séduisante. Elle était vêtue d’une robe jaune, mais l’attention de Jasper fut attirée par une profonde déchirure dans son corsage qui révélait une peau délicieuse.
— Miss Carberry ?
— Détachez-moi, s’il vous plaît, ordonna-t-elle.
Il se força à détacher son regard d’elle et chassa l’image de sa poitrine ronde, peu importe combien elle était attirante.
Pourquoi était-elle ici ? Miss Carberry avait toujours semblé pragmatique. Si elle essayait de le séduire, elle ne serait pas si pressée de quitter le lit.
Il se creusa les méninges. Une idée horrible lui vint à l’esprit.
— Quelqu’un vous a-t-il fait du mal ?
Il passa d’une jambe sur l’autre, peu désireux d’envisager que l’un de ses invités pour avoir agi avec une telle bassesse.
— Parce que si vous me donnez son nom, je vous assure que je ferai en sorte de—
— Non, dit-elle précipitamment. Rien de ce genre.
Il fut à nouveau interloqué.
— Ce n’est pas le moment des explications, dit-elle.
Jasper aimait peut-être bavarder, mais il savait reconnaître quand sa conversation n’était pas la bienvenue. Il se hâta vers le lit, retira un couteau d’un tiroir à son chevet, et la délivra rapidement.
— Merci.
Elle sauta en bas du lit à baldaquin et atterrit dans une pile de pétales de roses. Elle avait les cheveux défaits, et de lourdes boucles s’échappaient de son chignon.
Elle ne battit pas des cils dans sa direction. Au lieu de cela, elle lança des regards frénétiques dans la pièce.
— Que signifie tout ceci ? exigea une voix d’homme inconnue.
Miss Carberry se baissa rapidement, et son ample poitrine tressauta. Jasper eut soudain le gorge sèche, et il fit le vœu de ne pas songer à ces globes rebondis.
— Oh, je vous en prie, venez ! clamait une voix de femme. Dépêchez-vous ! Ma fille est ici. Seule avec le duc.
— Bonté divine, dit l’homme. En êtes-vous sûre ?
— Naturellement !
Jasper tourna brusquement la tête sur le côté.
De quoi ces gens parlaient-ils ? Miss Carberry avançait à quatre pattes sur le tapis comme si elle était une espionne française. Des pétales de rose collées dans les cheveux.
Bon sang, il n’y avait aucune raison pour que des pétales de roses se trouvent sur le sol.
Miss Carberry n’avait pas simplement été attachée sur le lit – sa robe avait été déchirée.
Comme si je l’avais déchirée en abusant d’elle.
Les poings de Jasper se refermèrent étroitement.
Enfer et damnation.
C’était en train de se produire : la chose que tous les aristocrates redoutaient. Il était victime d’un coup monté destiné à le faire apparaître comme ayant compromis une jeune femme.
Jasper avait rencontré la mère de Miss Carberry. Elle avait poussé Miss Carberry vers son ami Hugh, le marquis de Metcalfe. À présent que le marquis était marié, Mrs Carberry avait peut-être décidé de reporter son attention sur Jasper.
Double enfer et damnation.
— Ils ne peuvent pas me trouver ici, chuchota Miss Carberry avant de courir vers la fenêtre.
— Que faites-vous ? demanda Jasper.
Un homme n’était pas supposé trouver normal de découvrir des filles attachées dans son lit. C’était le genre de choses qui rendrait n’importe quel homme – même le plus expérimenté et raffiné – désireux de poser quelques questions.
Questions auxquelles Miss Carberry ne paraissait pas être d’humeur à répondre.
— Ils arrivent, dit Miss Carberry en se précipitant derrière le rideau.
La porte s’ouvrit, et Jasper détourna la tête.
Deux personnes firent irruption : une version plus sévère et plus âgée de la jeune femme qu’il venait de voir, en qui il reconnut Mrs Carberry, et un autre homme, portant un col blanc.
Bon sang.
La mère de cette fille avait trainé un membre du clergé avec elle : un évêque. La parole d’un homme qui se pliait aux règles morales et éthiques, ou d’un homme qui, à tout le moins, préconisait que les autres se plient aux règles morales et étiques, serait prise au sérieux. Personne n’aimait contredire les évêques, pas si l’on ne prenait pas un plaisir particulier aux flammes éternelles, avec pour seules distractions les cris des malheureux résidents et des créatures ornées de cornes brandissant des fourches.
— Elle est ici !
Mrs Carberry fit un geste théâtral de la main en direction du lit à baldaquin. Ses bracelets cliquetèrent, et sa voix résonna avec une étrange note de triomphe. Ce son ne contenait pas l’angoisse que Jasper imaginait que devait ressentir une personne croyant que sa fille avait réellement été compromise.
Non, la voix de Mrs Carberry était, sans équivoque, pleine de satisfaction.
Et à présent, sa fille en était réduite à se blottir à l’extérieur de la fenêtre de Jasper.
Il n’avait pas eu une haute opinion de Mrs Carberry quand il l’avait rencontrée auparavant. Il révisa instantanément son jugement et la plaça dans la colonne des négatifs, juste un cran au-dessus de soldats français en train de charger.
— De quoi parlez-vous donc ? demanda Jasper du ton glacial qu’il préférait ne jamais employer, favorisant une approche des autres plus chaleureuse. Ceci, cependant, était un instant méritant une attitude hautaine toute aristocratique.
Mrs Carberry ouvrit grand les yeux, puis son visage pâlit.
— Vous êtes dans mes appartements, dit Jasper. Et je ne vous ai pas invités.
— Euh – oui, dit Mrs Carberry en gardant son regard fixé sur le lit.
— Cette femme dit qu’une jeune demoiselle est retenue ici contre con gré, dit l’évêque avec hésitation
— Elle fait erreur, monseigneur, dit Jasper Je suis seul. Elle a peut-être succombé à quelque rêverie. Malgré son nom, il n’est pas nécessaire d’être endormi pour en faire l’expérience.
— Je n’ai pas imaginé ce désastre, souffla Mrs Carberry.
L’évêque la regarda d’un air dubitatif. Il plissa son ample front débarrassé du fardeau d’une chevelure.
— C’est très étrange. Très étrange, en vérité.
— Une observation louable, dit Jasper. Très astucieuse. Mais après tout, la vie n’est-elle pas remplie d’étrangeté ?
Un air renfrogné envahit le visage de l’évêque.
— Votre Grâce, je préfère voir le monde comme étant merveilleux, rempli des manifestations de Notre Seigneur.
— Tout à fait, tout à fait, dit rapidement Jasper.
Commencer une discussion théologique alors qu’un bal parfaitement agréable se déroulait au rez-de-chaussée, sans parler de la jeune femme dissimulée de l’autre côté de ses tentures, n’était pas parmi les désirs immédiats de Jasper. À cet instant précis, la seule chose qu’il désirait était un verre généreusement servi.
— De telles méprises peuvent se produire, dit Jasper avec dignité malgré que ce fait précis ne lui soit jamais arrivé avant, et que cela ne paraissait pas du tout involontaire. Il se dirigea vers la porte.
— À présent, redescendons. Je vous assure que le bal est plus intéressant.
L’évêque le suivit docilement, mais Mrs Carberry s’arrêta.
Le cœur de Jasper sombra.
Une femme disposée à attacher sa fille au lit d’un duc n’allait vraisemblablement pas se laisser démonter pas l’absence temporaire de la fille en question.
— Mais elle était ici ! insista Mrs Carberry. Regardez. Le lit est… froissé !
— J’espère que vous n’insultez pas le travail de ma femme de chambre ? demanda Jasper.
— Balivernes, dit Mrs Carberry. Je la complimentais. Je doute qu’elle ait laissé une telle empreinte.
— Cela ressemble bien à un compliment, Votre Grâce, dit gaiement l’évêque.
— Je pense m’être assis sur le lit, dit Jasper.
— Vous pensez ? demanda l’évêque.
— Je suis tout à fait certain, corrigea Jasper. Absolument certain.
L’évêque ne paraissait pas conscient du fait que ‘absolument’ était un mot dénotant l’assurance, parce que le front de l’évêque se plissa à nouveau.
— Vous ne désiriez pas assister à votre propre bal ?
— Je venais d’arriver, dit Jasper. En outre, pourquoi festoyer lorsqu’on peut contempler les miracles de la vie ?
— Tout à fait juste, dit l’évêque. Vous êtes un homme sage, Votre Grâce.
— C’est un homme dissimulant ma fille, s’exclama Mrs Carberry. Margaret ! Margaret ! Où êtes-vous ?
Pendant un instant, Jasper pensa que Miss Carberry pourrait passer la tête de derrière la tenture, mais aucun bruit ne parvint depuis la fenêtre.
— Elle n’est pas là, dit Jasper. Visiblement.
— Nous devrions vraiment partir, conseilla vivement l’évêque à sa compagne. S’attarder dans les appartements privés du duc est inconvenant.
— Je refuse de recevoir des leçons de bienséance de la part d’un évêque, renifla Mrs Carberry. Il doit l’avoir cachée quelque part.
— Je ne cache pas de femmes dans ma chambre, dit Jasper avec raideur.