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Perdus Pour Toujours
Perdus Pour Toujours

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Perdus Pour Toujours

Язык: Французский
Год издания: 2021
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Il traverse l’espace entre la porte et mon bureau en acajou des années trente, il s’assied sur un des vieux fauteuils en cuir où, avant avec mon père, et maintenant avec moi, ont l’habitude de s’asseoir les clients qui collaborent avec nous depuis l’époque de mon oncle-grand-père, et dit, « Vous êtes encore ici ? À l’heure à laquelle vous arrivez, vous pourriez déjà être sur le chemin du retour. » Il se met à rire tout seul de sa propre blague et sans attendre il continue sur un ton qui lui parait plus sérieux : « Tenez, une chose, Carl (il n’arrive pas à m’appeler Kalle), vous n’avez pas grand-chose à faire, n’est-ce pas ? Il vit avec l’idée qu’il n’y a que lui qui travaille réellement.

« Et bien si vous voulez vraiment que je vous dise… » Mais il ne me laisse pas poursuivre.

« Je suppose que non, je suppose que non. Vous devez ainsi avoir énormément de temps libre. Mais je vais vous donner de quoi faire. Bien, comme vous le savez, un séminaire sur le futur des zones d’exonération fiscale dans le cadre de la coopération internationale croissante contre le trafic de drogues, le blanchiment d’argent et le financement des groupes terroristes qui se sont vérifiés ces dernières années, a lieu à Funchal de mercredi à vendredi. Le bureau y est inscrit et j’étais supposé y aller, mais j’ai un empêchement (probablement une fête chez un mondain quelconque avec le droit à sa photo dans une revue) et je me vois dans l’impossibilité de m’y rendre. Que diriez-vous d’y aller ? Ce genre d’évènement est très intéressant, vous pourriez y rencontrer énormément de gens originaires de différents pays et comme vous parlez toutes ces langues vous allez sûrement adorer. »

Je pense d’abord à lui dire non sans entrer dans les détails, mais finalement je change d’avis : « Vous avez sûrement raison, mais n’oubliez- vous pas un petit détail ? » Il me regarde comme un âne, sans comprendre de quoi je parle.

« Quel détail ? » Cet homme est vraiment bête, ou alors il fait semblant : « Becca », lui dis-je en soupirant et à lui de me répondre : « Mais vous n’avez pas de baby-sitter ou de voisine qui a l’habitude de rester avec elle quand vous partez en weekend ? Comment vous vous débrouillez avec les filles qui vous draguez en boite de nuit ? » Typique de Gomez, court, grossier et dérangeant, alors qu’il se croit poli et respectueux et hyper-bcbg. Je règle cela en laissant passer, encore une fois, pensant que ce n’est pas sa faute s’il est né imbécile. « Là n’est pas la question, mais plutôt qu’il s’agit là de trois jours et de trois nuits, et je ne peux pas la laisser seule tout ce temps. C’est hors de question. Mais très bien, je vais me rendre à votre place à Madère. Cependant j’emmène Becca avec moi. Elle va adorer le voyage. »

Lui passe un éclair dans les yeux puis il reprend son demi-sourire en plastique. « Vous allez voir, cela va être très intéressant ! D’ailleurs, vous me donnerez une copie de vos notes (qu’il ne va, sans doute, même pas lire). Autre chose, le billet de la petite... (Celle-là je l’attendais) ... c’est vous qui allez le payer, n’est-ce pas ? » Gomez est toujours égal à lui-même. Les dépenses des autres sont les dépenses des autres, alors que les siennes, même personnelles, sont toujours les dépenses de la société.

« Non, cela ne me semble pas correct. En fin de comptes, j’y vais seulement parce que vous me le demandez, et Becca vient, non pas parce que je le souhaite mais parce que je n’ai personne à qui la laisser et car je ne souhaite pas la laisser seule autant de temps » Et maintenant le coup fatal. « Dans ces conditions, je pense que c’est plutôt vous qui devriez payer le billet, vous ne trouvez pas ? » Je lui dis cela tout en arborant un sourire avec lequel il pourrait comprendre que je suis en train de plaisanter, mais même ainsi, il est sur le point de faire une attaque.

Pour Gomez, toute attaque à sa bourse, même imaginaire, est toujours vue comme une attaque à sa propre existence. « Humm, Bien, je ne suis pas d’accord. Étant donné qu’elle vient avec vous, et que vous représentez la société, le billet doit être payé par la société. Ainsi, ça me parait juste, » ajoute-il d’un air très sérieux, comme s’il s’agissait de son idée et qu’il la défendait au tribunal. « C’est bon pour vous ? Vous allez au séminaire à ma place, et ensuite vous me donnez une copie de vos notes. C’est une bonne affaire vous ne trouvez pas ? »

Comme s’il était en train de me faire une grande faveur en demandant d’aller à sa place à Funchal, assister à un séminaire qui correspond plus à ses intérêts qu’aux miens. Mais celle-ci je ne peux pas la laisser passer. « Oui je pense que c’est une très belle affaire, je l’accepte volontiers et je vous prête même mes notes. Par ailleurs, je les laisserai dans la bibliothèque afin qu’elles servent à tout le monde, en outre, vous me devrez une faveur » – non pas que cela me serve à quelque chose, car il sera difficile d’arriver à le convaincre de me la rendre, mais je trouve bien que ce soit dit.

La perplexité gravée sur son visage se prépare à me répondre lorsque Gabriela toque à la porte :

« Bonjour Patron, il y a deux fax qui viennent d’arriver pour toi, l’un après l’autre. Le premier est de Neil Allard et fait référence à une lettre de septembre qui est archivée dans ce dossier. L’autre vient de Suisse et je crois que c’est un premier contact mais comme c’est écrit en allemand je n’en suis pas sûre. Le facteur est passé et a laissé tout cela pour toi, il serait peut-être bon d’y jeter un coup d’œil. Comme d’habitude j’ai jeté les publicités. Ah oui, et quelqu’un a téléphoné de la part du couple Rémy pour dire qu’ils ne pourraient pas venir aujourd’hui. Ils te demandent si tu peux les recevoir la semaine prochaine à la même heure. »

Elle s’était avancée jusqu’au bureau et m’a laissé le courrier, le dossier et les fax à droite au coin du plateau de cuir ciré. Elle n’a pas encore remarqué Gomez que le fauteuil cache des gens qui rentrent. J’essaye d’attirer son regard afin de lui montrer qu’il est là. Elle me fait un clin d’œil, elle a compris mon signal. « Si tu as besoin de quelque chose, tu siffles, je retourne à mon bureau. » Elle va pour sortir et dit avec surprise : « Oh Maître Pedro, je ne vous avais pas vu. Bonjour. Susana a votre courrier, elle doit être en train de le mettre sur votre bureau. » Et sort sans plus tarder, laissant Gomez stupéfait et visiblement contrarié.

« Vous laissez votre secrétaire vous tutoyer ? Et vous lui laissez lire les fax qui vous sont adressés ? Comment lui permettez-vous tant de liberté ? Ce n’est pas normal, croyez-moi. Vous ne pouvez pas donner votre confiance au personnel. Les gens pourraient également penser qu’il y a quelque chose de plus entre vous. Une relation amoureuse avec sa secrétaire n’est vraiment pas une bonne chose… » Et il continue sur le même ton encore quelques minutes alors que je ne lui prête aucune attention.

Une relation amoureuse avec Gabriela ? Enfin ! Je ne la trouve pas répugnante mais ce n’est pas l’idée, et d’ailleurs ce n’est pas mon genre. Ensuite, c’est vrai qu’elle est très sympathique et amicale, pour ne pas dire intelligente, belle et avec les bonnes formes au bon endroit, toutefois, elle est mariée, a deux enfants et est autant intéressée par moi que moi par elle. Ce qui signifie pas du tout. Il n’y a que l’esprit mal tourné de Gomez qui puisse imaginer une situation dans laquelle ma relation avec Gabriela pourrait allait plus loin qu’une simple relation de camarade de bureau. Quand il se tait enfin, j’en profite.

« Gabriela et moi nous sommes toujours tutoyés, et je ne vois pas de problème à cela et d’ailleurs elle non plus. Pour vous dire la vérité, à part vous, Lemos Nogueira et un ou deux associés qui préfèrent ainsi, je tutoie tout le monde dans le cabinet, même l’agent de sécurité. C’est bizarre que vous n’ayez jamais remarqué. Quant au fait qu’elle lise mes fax, et bien c’est ma secrétaire et cela me fait gagner du temps. Si je ne lui fais pas confiance à elle, à qui pourrais-je faire confiance ? » Gomez m’écoute d’un air totalement livide.

« Oui j’ai remarqué que vous tutoyez tout le monde, – dit-il à moitié énervé – mais cela est complétement différent. Que vous les tutoyiez d’accord mais qu’ils vous tutoient ce n’est pas possible. Cela peut créer des problèmes de discipline et rendre difficile de maintenir la distance, vous voyez ? »

Si cela dépendait de lui, il y aurait encore des esclaves et les salariés n’auraient le droit de faire que ce que les patrons, dans toute leur grandeur, les autoriseraient à faire, devant remercier un genou à terre la grandeur de leur don, pour plus qu’en réalité il puisse être insignifiante. Cet homme vit dans la préhistoire des relations humaines ; et le pire c’est que ça n’est pas le seul. Et il semblerait que de plus en plus de monde, peut-être parce qu’ils n’ont pas le choix, supportent ces manières. Je ne lui dis pas ce qu’il mérite, car cela ne mènerait à rien, tellement il est convaincu de sa vertu.

« Je pense que vous avez tort. Je n’ai jamais eu de problème avec personne ici du fait que je tutoie les gens. Bien au contraire, je pense que cela rend le quotidien plus agréable, en sentant moins la naphtaline, vous voyez ce que je veux dire ? Personne ne m’a jamais manqué de respect – et moi non plus d’ailleurs, mais cela ne l’intéresse pas – ou ne se met, de manière indisciplinée, à refuser tout ce que je lui demande dans le cadre du cabinet. Prenez l’exemple de nos collègues espagnols et de leurs employés, ils se tutoient sans que cela n’affecte en rien leur productivité en tant qu’avocats. » Cette référence aux espagnols était bien choisie car malgré son nom et son insistance permanente pour qu’il soit écrit avec un z, Gomez les déteste du plus profond de lui et tombe directement dans le panneau. « Par ailleurs, il y a plusieurs autres exemples d’organisations extrêmement hiérarchisées et très disciplinées dans lesquelles tout le monde se tutoie, du poste le plus bas au poste le plus élevé sans que cela ne remette en cause la hiérarchie et la discipline. » Je finis ainsi, en espérant qu’il ait compris. Fol espoir. L’homme ne se montre pas vaincu.

« Oui, oui je peux accepter que cela soit réel, bien que je ne puisse l’imaginer, – j’en ai marre de devoir lui ouvrir les yeux, pauvre âne, j’y pense mais ne dis rien – cependant, si tel est le cas, c’est à l’étranger. Au Portugal les choses sont différentes. Les personnes sont différentes. Le portugais de base est très indiscipliné et ne peut pas être laissé en liberté. Et ce même pour lui-même. »

Un véritable homme des cavernes. À seulement trente-neuf ans. Comment est-ce que je n’ai jamais pu m’en rendre compte ? Peut-être que je m’en étais rendu compte mais que je n’avais jamais eu le déplaisir de l’écouter et de discuter du sujet avec lui. Cependant, ce n’est pas à moi de le faire changer, et même si cela était possible. Je n’ai rien contre ceux qui aiment, allez savoir pourquoi, maintenir des simulacres de formes archaïques dans des relations professionnelles qui n’ont quant à elles plus rien d’archaïques. Ce qui m’attriste est que, de manière générale, ces formes de traitement n’ont rien à voir avec la préservation de la courtoisie d’autres temps, elles sont plutôt utilisées pour marquer une position de domination sur les personnes avec lesquelles elles travaillent au quotidien, les collaborateurs, comme il est usage de dire.

Mais je divague, j’ai Gomez qui se tient devant moi et me regarde d’un air ébahi, espérant que je lui réponde quelque chose, mais il me laisse sans voix. Je ne veux pas l’offenser, car selon mes principes tout le monde a le droit d’être comme il est, même imbécile, et au final il ne m’a rien fait. Le mieux c’est de lui dire, comme d’habitude, ce qu’il souhaite et de poursuivre.

« Je ne dis pas que vous avez tort, après tout votre connaissance du Portugal est incommensurablement plus grande que la mienne. N’oubliez pas (et les personnes comme toi ne me laissent pas l’oublier) qu’ici je suis un étranger (malgré avoir vécu là pratiquement toute ma vie) et que, par conséquent certaines choses sont hors de ma portée ; ce que je peux cependant réaffirmer est que le tutoiement par consentement mutuel ne m’a jamais paru problématique, quelles qu’en soit les circonstances » Apaisé et satisfait que je lui reconnaisse des connaissances supérieures, il me fait un grand sourire et dit : « Heureusement que cela ne vous a pas causé de problème, mais si j’étais vous j’arrêterais » – me conseille-t-il de manière paternelle. « Cela rend tout plus facile. Concernant le séminaire, c’est Susana, qui s’est occupée de ma réservation, voyez avec elle les détails, pour vous et votre petite, qu’elle puisse modifier les billets. »

Il se lève en s’aidant de mon bureau, et après avoir sournoisement observer mes papiers sur le plateau. Il se dirige, ensuite, vers la porte, et remonte son pantalon au niveau des jambes, prisonnier de ses cuisses dodues qui s’entrechoquent à chacun de ses pas. « Non, non, ce n’est pas nécessaire, » lui dis-je avec précipitation. « Gabriela va s’occuper de cela, ce n’est pas la peine de déranger Susana. Je vais lui en parler tout de suite. » Avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit, j’appuie sur le bouton de l’interphone : « Gabi, tu veux bien aller voir Susana s’il te plaît, et lui demander toutes les informations concernant une réservation pour Funchal qu’elle a faite, et nous en parlons plus tard. Merci. »

Au moins je suis sûr de ne pas avoir des billets en classe éco ni une réservation dans un hôtel deux étoiles du côté plus bas d’une colline quelconque. En fin de compte, c’est toujours le cabinet qui paye et pour Gomez, moins de dépenses pour les autres signifie plus de sous pour ses dépenses et dans ses poches. Ce n’est pas difficile de lire sur son visage que c’était pour cette raison qu’il voulait que ce soit Susana qui s’occupe de cela. Malheureusement pour lui je connaissais déjà cette facette de sa personnalité. Bien que, pour lui il aime le luxe, cet homme est d’une radinerie légendaire avec tous les autres. Voyant alors qu’il n’a aucun moyen de reprendre le contrôle, il me fait un petit signe de la main et sort de mon bureau, les chaussettes à damiers lui tombant sur les mollets et le pantalon remonté sur ses cuisses imposantes.

Je reviens au fax de Neil, je vois qu’il n’est pas compliqué et prends note mentalement de lui répondre aujourd’hui. Je me penche, en suivant, sur l’autre qui a l’air d’être véritablement un premier contact, au sujet d’une succession on dirait. Cependant, il est adressé à mon père – Gabriela n’a pas dû faire attention – et fait référence à une lettre que je n’ai jamais reçu ainsi qu’à un nom qui me rappelle des souvenirs lointains, mais comme cela n’a pas l’air urgent, je la mets sur la pile de choses que je dois faire et retourne m’occuper de ce que j’étais en train d’écrire avant que Gomez n’entre dans mon bureau.

Contrairement à ce que je pensais, comme je n’ai pas eu d’appel téléphonique et que personne ne m’a interrompu, je réussis à expédier la réponse au fax de vendredi avant onze heures et demie. Gabriela vient alors toquer à la porte pour me dire que c’est l’heure, mais je suis déjà en train de mettre mon manteau. Elle me passe mon sac en toile lorsque nous nous croisons dans le couloir et je sors rapidement par le hall. Lorsque je vois que l’ascenseur est au rez-de-chaussée, je me décide à prendre les escaliers, et descends les marches quatre par quatre, attirant l’attention de João, l’agent de sécurité qui, lui, monte. « Eh bien, tu es pressé aujourd’hui. C’est toi qui donnes le cours ? » Me lance-t-il d’en haut après s’être agrippé à la rampe pour ne pas tomber. Je lui réponds que oui, lui dis à plus tard, et continue à descendre sans m’arrêter.

Je sors dans la rue en courant, je tourne à gauche en direction du Chiado et après avoir tourné à droite au coin de la librairie Soares da Costa, je remonte la rue jusqu’en haut et entre dans le troisième immeuble à droite. Je monte au deuxième étage où se trouve le dojo d’Aïkido dans lequel je m’entraîne depuis plus de dix ans. J’ouvre la porte avec la clé et laisse rentrer les personnes qui étaient déjà en train d’attendre. Je cours dans les vestiaires, et change alors, les vêtements du bureau pour le keikogi. Je passe alors les soixante minutes suivantes à transpirer et à faire transpirer les dix autres enthousiastes – pas mal pour un lundi – qui ont choisi d’employer l’heure du déjeuner à perdre des calories plutôt qu’à en accumuler. Le maître Takeda est au Japon pour un séminaire et le maître-adjoint nous a demandé, à moi ainsi qu’à un autre gradé, si nous pouvions l’aider lors de quelques entrainements à l’heure du déjeuner. Toutefois, je vais devoir leur dire que je ne peux pas venir ni le mercredi ni le vendredi. C’est dommage, j’aime bien ces entrainements en milieu de journée, car ils coupent la routine des horaires de bureau et même si ce n’est que deux jours, je sais que je vais en ressentir le manque.

Après avoir terminé l’entrainement, je retourne dans les vestiaires, j’enlève le keikogi, ouvre le casier où se trouvent mes affaires de bain et saute sous la douche. Je me lave presque à l’eau froide et en me dépêchant, me sèche avec une grande serviette que je laisse toujours pendre sur le séchoir puis me mets une nouvelle dose de déodorant sous les bras et deux pschitt de parfum sur le torse.

Je remets ensuite mon uniforme d’avocat et sors avec le dernier de mes équipiers. Il me parle avec engouement de la trilogie Matrix, qu’ils trouvent être les meilleurs films jamais réalisés, et décrit avec détails les bonus inclus dans une énième édition spéciale de la série destinée aux collectionneurs, qui vient juste de sortir – quinze ans et le sens critique d’un nouveau-né.

Je me décide à ne pas le contredire, il y a des choses que nous devons découvrir par nous-même.

Nous nous séparons dans la rue Garrett, et partons, lui en haut, et moi en bas, en direction du centre commercial. Je monte jusqu’au dernier étage et achète un déjeuner léger composé d’une soupe, d’un steak grillé avec du riz, d’un fruit et d’un verre de lait. Je mange seul, sans précipitation, assis sur une table de l’espace commun à tous les restaurants, pendant que je pense aux choses que je vais devoir faire cet après-midi. Quand je finis, je descends les escaliers et sors à nouveau dans la rue en direction du bureau. J’y arrive un peu avant quatorze heures. À part la radio de Gabriela, branchée comme toujours sur la Voxx, on entend aucun autre bruit, je crois qu’aujourd’hui tout le monde est allé déjeuner à la même heure. C’est mieux ainsi. Je m’assieds à mon bureau et attrape le deuxième et le troisième fax de vendredi que j’expédie en moins d’une heure. J’inscris mon temps de travail pour ce matin sur ma feuille d’heure puis je retourne sur le fax de Neil Allard. Comme je l’espérais, cela ne me prend pas trop de temps. Je pense aussi à mentionner dans ma réponse que je me rends à Funchal, où, même si je ne lui dis pas, je pense qu’il sera avec certitude. Je prends aussi note du temps passé au nom de Neil pour l’ajouter à d’autres tâches déjà effectuées pour le même client. Comme je n’ai rien de plus urgent à traiter, j’en profite pour passer en revue le courrier que Gabriela m’a apporté ce matin. Une notification de l’Ordre des Avocats, accompagnée d’un énorme prospectus, imprimé en couleurs et avec de nombreuses photographies, pour un séminaire qui me paraît aussi cher qu’ennuyant, sur un sujet dont je n’ai jamais entendu parler. Je crois que ça ne m’intéresse pas et place donc la lettre et le prospectus dans le classeur tubulaire qui se trouve au sol à ma droite. Deux avis du tribunal avec des convocations aux audiences de deux procès en cours. Une carte postale de ma cousine Filipa qui est en Australie afin de conclure son diplôme en Biologie Maritime et qui est partie en vacances en Tasmanie ; ça a l’air intéressant, peut-être qu’un jour j’irai y faire un tour. Deux relevés de compte de cartes de crédit, à zéro. Je me demande pourquoi se donnent-ils encore la peine de les envoyer. Une enveloppe C5 grisâtre en provenance de Suisse et adressée à Herr Dr. Nebuloni. Qui est-ce que je connais en Suisse qui pourrait m’envoyer une si grosse enveloppe ? Un certain G. Beauchamp à en juger le nom de l’expéditeur, mais cela ne me dit absolument rien.

J’ouvre l’enveloppe et en sors un paquet de feuilles pliées en deux. Je les déplie et vois que ce sont principalement des photocopies de documents. La majeure partie sont rédigés dans des langues que je ne connais pas, bien qu’une semble être du russe ou quelque chose comme ça, et trois autres étant pour sûr en portugais. Deux actes de naissance, un datant de 1999 et un autre de 2001, de deux enfants, une fille qui s’appelle Olga et un garçon sans prénom sur l’acte et enregistré avec le nom de sa mère ainsi qu’un numéro de série Vanbane10D2001, dont la venue au monde a eu lieu à Luanda, à l’Hôpital Particular. La troisième photocopie en portugais est ce qui me semble être en premier lieu une étiquette de bagage, mais je me rends vite compte qu’il s’agit d’un bracelet d’identification hospitalière de nouveau-né à en juger par la taille. Il y a imprimé dessus « Hôpital Privée de Belém » en majuscules et le nom « Arantes (Walmisson) » qui parait être écrit au stylo. En bas il y a encore une date, « 15.Jan.02 » ainsi qu’une série de numéros et de lettres « SxMClOKDlv:0203 ». Avec un nom pareil, ce Belém doit, c’est certain, se trouver au Brésil. Mais pourquoi m’envoie-t-on cela ? Et pourquoi les photocopies sont-elles froissées et sales. Il s’agit de quelque chose de rouge, de l’eau rouillée ? Il ne pouvait pas en tirer d’autres… ? Je pose les feuilles et prends la lettre qui l’accompagne.

« Sehr Geherte Ric, » … Une partie du mystère est résolue au moins. La lettre est adressée à mon père ; mais qui en l’appelant Ric, ne saurait pas encore qu’il est décédé ? Je pensais avoir prévenu tout le monde. Est-ce une vieille lettre ? Non, elle est datée de mercredi dernier. Avec attention, je tente de déchiffrer l’écriture minuscule de ce fameux Gerhard Beauchamp, qui a l’air d’avoir écrit sa lettre à l’encre et avec une plume de canard dont la pointe était mal taillée. « Je te demande pardon pour cette longue absence, mais comme tu le sais déjà si Lentz t’a croisé avant de retourner au Brésil, j’ai été à l’hôpital tout ce temps-là. Celui qui a essayé de me mettre hors service, qui que ce soit, n’a pas été totalement incompétent. Je ne me rappelle plus de rien. D’après ce qu’on m’a dit, je suis resté dans le coma pendant près d’un mois et suis occasionnellement conscient depuis. Il n’y a que depuis trois semaines que je suis complètement réveillé et que je me rappelle où j’avais caché les photocopies que je t’envoie ci-jointes. Elles sont un peu froissées et sales (c’est mon sang) mais je ne voulais pas en faire des nouvelles puisque ça aurait rendu les documents incompréhensibles. J’espère qu’elles peuvent encore servir à quelque chose. Téléphone-moi si tu as besoin car ton numéro n’est plus attribué. À bientôt. Ton Ger. »

Mais quelle lettre bizarre. Je regarde à nouveau les photocopies et je vois qu’elles ont toutes plus ou moins l’air d’être des documents officiels, aucune d’entre elles n’a plus de cinq ans à en juger par ce qui ressemble à des dates. Ce sont vraisemblablement des actes de naissance, peut-être que ceux des enfants angolais ont servi d’exemple. Je n’ai pas la moindre idée de ce que mon père aurait pu avoir à faire avec des histoires comme celle-ci. Et ce n’est cependant pas aujourd’hui que je vais en savoir plus, la lettre ne donne aucun numéro de téléphone et j’ai encore beaucoup trop à faire pour perdre du temps à demander à la PT qu’il me donne le numéro correspondant à l’adresse. Demain, peut-être.

Je me lance sur la pile d’affaires que je dois traiter, lorsque je vois une brochure du séminaire à Funchal que Gomez m’a laissé sur le bureau sans que je ne m’en rende compte. Cela me rappelle que je dois en parler à Gabriela, par téléphone je lui demande qu’elle réserve deux places dans un vol pour demain après-midi, une chambre avec deux lits et vue sur la baie à un étage supérieur du Pearl Bay. L’hôtel est un peu loin du lieu du séminaire, mais de ce que je me rappelle de ma dernière visite là-bas, il sera très bien pour Becca.

Je reviens aux dossiers en cours, et j’expédie en deux temps trois mouvements trois choses que j’avais laissé en suspens il y a quelques jours, peut-être à la recherche du bon moment. Je passe en revue le reste des choses à faire et relis le fax suisse avec cette fois un peu plus d’attention. Il provient d’un certain Guido Creutzer, avocat, qui dit à mon père qu’il a reçu un paquet qui lui était destiné provenant d’un homme nommé Konrad Lentz, décédé. Il demande à mon père de le contacter afin de convenir des détails d’envoi. Deux courriers pour mon père dans la même journée, et tous deux provenant de Suisse. Ma mémoire m’envoie un signal et je reprends la lettre de Beauchamp. Elle aussi parle d’un Lentz, serait-ce le même ? Subitement, je me rappelle des noms que j’ai entendu ce matin sur Euronews. Quinze heures vingt-neuf, il doit y avoir un bulletin d’informations à quinze heures trente et peut-être qu’ils vont reparler de cette affaire

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