bannerbannerbanner
Jane Eyre; ou Les mémoires d'une institutrice
Jane Eyre; ou Les mémoires d'une institutrice

Полная версия

Jane Eyre; ou Les mémoires d'une institutrice

текст

0

0
Язык: Французский
Год издания: 2017
Добавлена:
Настройки чтения
Размер шрифта
Высота строк
Поля
На страницу:
11 из 11

Voilà tout ce que je tirai de Mme Fairfax au sujet de son maître et du mien. Il y a des gens qui semblent ne pas se douter qu'on puisse étudier un caractère, observer les points saillants des personnes ou des choses. La bonne dame appartenait évidemment à cette classe; mes questions l'embarrassaient, mais ne lui faisaient rien trouver. À ses yeux, M. Rochester était M. Rochester, un gentleman, un propriétaire, rien de plus; elle ne cherchait pas plus avant, et s'étonnait certainement de mon désir de le connaître davantage.

Lorsque nous quittâmes la salle à manger, elle me proposa de me montrer le reste de la maison. Je la suivis, et j'admirai l'élégance et le soin qui régnaient partout. Les chambres du devant surtout me parurent grandes et belles; quelques-unes des pièces du troisième, bien que sombres, et basses, étaient intéressantes par leur aspect antique. À mesure que les meubles des premiers étages n'avaient plus été de mode, on les avait relégués en haut, et la lumière imparfaite d'une petite fenêtre permettait de voir des lits séculaires, des coffres en chêne ou en noyer qui, grâce à leurs étranges sculptures représentant des branches de palmier ou des têtes de chérubins, ressemblaient assez à l'arche des Hébreux; des chaises vénérables à dossiers sombres et élevés, d'autres sièges plus vieux encore et où l'on retrouvait cependant les traces à demi effacées d'une broderie faite par des mains qui, depuis deux générations, étaient retournées dans la poussière du cercueil. Tout cela donnait au troisième étage de Thornfield l'aspect d'une demeure du passé, d'un reliquaire des vieux souvenirs. Dans le jour, j'aimais le silence et l'obscurité de ces retraites; mais je n'enviais pas pour le repos de la nuit ses grands lits fermés par des portes de chêne ou enveloppés d'immenses rideaux, dont les broderies représentaient des fleurs et des oiseaux étranges ou des hommes plus étranges encore. Quel caractère fantastique eussent donné à toutes ces choses les pâles rayons de la lune!

«Les domestiques dorment-ils dans ces chambres? demandai-je.

– Non, ils occupent de plus petits appartements sur le derrière de la maison; personne ne dort ici. S'il y avait des revenants à Thornfield, il semble qu'ils choisiraient ces chambres pour les hanter.

– Je le crois. Vous n'avez donc pas de revenants?

– Non, pas que je sache, répondit Mme Fairfax en souriant.

– Même dans vos traditions?

– Je ne crois pas; et pourtant on dit que les Rochester ont été plutôt violents que tranquilles; c'est peut-être pour cela que maintenant ils restent en paix dans leurs tombeaux.

– Oui; après la fièvre de la vie, ils dorment bien, murmurai-je.

Mais où donc allez-vous, madame Fairfax? demandai-je.

– Sur la terrasse. Voulez-vous venir jouir de la vue qu'on a d'en haut?»

Un escalier très étroit conduisait aux mansardes, et de là une échelle, terminée par une trappe, menait sur les toits. J'étais de niveau avec les corneilles, et je pus voir dans leurs nids. Appuyée sur les créneaux, je me mis à regarder au loin et à examiner les terrains étendus devant moi. Alors j'aperçus la pelouse verte et unie entourant la base sombre de la maison; le champ aussi grand qu'un parc; le bois triste et épais séparé en deux par un sentier tellement recouvert de mousse, qu'il était plus vert que les arbres avec leur feuillage; l'église, les portes, la route, les tranquilles collines; toute la nature semblait se reposer sous le soleil d'un jour d'automne. À l'horizon, un beau ciel d'azur marbré de taches blanches comme des perles. Rien dans cette scène n'était merveilleux, mais tout vous charmait. Lorsque la trappe fut de nouveau franchie, j'eus peine à descendre l'échelle. Les mansardes me semblaient si sombres, comparées à ce ciel bleu, à ces bosquets, à ces pâturages, à ces vertes collines dont le château était le centre, à toute cette scène enfin éclairée par les rayons du soleil et que je venais de contempler avec bonheur!

Mme Fairfax resta en arrière pour fermer la trappe. À force de tâter, je trouvai la porte qui conduisait hors des mansardes, et je me mis à descendre le sombre petit escalier. J'errai quelque temps dans le passage qui séparait les chambres de devant des chambres de derrière du troisième étage. Il était étroit, bas et obscur, n'ayant qu'une seule fenêtre pour l'éclairer. En voyant ces deux rangées de petites portes noires et fermées, on eût dit un corridor du château de quelque Barbe-Bleue.

Au moment où je passais, un éclat de rire vint frapper mes oreilles; c'était un rire étrange, clair, et n'indiquant nullement la joie. Je m'arrêtai; le bruit cessa quelques instants, puis recommença plus fort: car le premier éclat, bien que distinct, avait été très faible; cette fois c'était un accès bruyant qui semblait trouver un écho dans chacune des chambres solitaires, quoiqu'il ne partît certainement que d'une seule, dont j'aurais pu montrer la porte sans me tromper.

«Madame Fairfax, m'écriai-je, car à ce moment elle descendait l'escalier, avez-vous entendu ce bruyant éclat de rire? d'où peut- il venir?

– C'est probablement une des servantes, répondit-elle; peut-être

Grace Poole.

– L'avez-vous entendue? demandai-je de nouveau.

– Oui; et je l'entends bien souvent; elle coud dans l'une de ces chambres. Quelquefois Leah est avec elle; quand elles sont ensemble, elles font souvent du bruit.»

Le rire fut répété et se termina par un étrange murmure.

«Grace!» s'écria Mme Fairfax.

Je ne m'attendais pas à voir apparaître quelqu'un, car ce rire était tragique et surnaturel; jamais je n'en ai entendu de semblable. Heureusement qu'il était midi, qu'aucune des circonstances indispensables à l'apparition des revenants n'avait accompagné ce bruit, et que si le lieu ni l'heure ne pouvaient exciter la crainte; sans cela une terreur superstitieuse se serait emparée de moi. Cependant l'événement me prouva que j'étais folle d'avoir été même étonnée.

Je vis s'ouvrir la porte la plus proche de moi, et une servante en sortit. C'était une femme de trente ou quarante ans. Elle avait les épaules carrées, les cheveux rouges et la figure laide et dure.

«Voilà trop de bruit, Grace, dit Mme Fairfax; rappelez-vous les ordres que vous avez reçus.»

Grace salua silencieusement et rentra.

«C'est une personne que nous avons pour coudre et aider Leah, continua la veuve. Elle n'est certes pas irréprochable, mais enfin elle fait bien son ouvrage. À propos, qu'avez-vous fait de votre jeune élève, ce matin?»

La conversation ainsi tournée sur Adèle, nous continuâmes, et bientôt nous atteignîmes les pièces gaies et lumineuses d'en bas. Adèle vint au-devant de nous en nous criant:

«Mesdames, vous êtes servies.» Puis elle ajouta: «J'ai bien faim, moi!»

Le dîner était prêt et nous attendait dans la chambre de

Mme Fairfax.

CHAPITRE XII

La manière calme et douce dont j'avais été reçue à Thornfield semblait m'annoncer une existence facile, et cette espérance fut loin d'être déçue lorsque je connus mieux le château et ses habitants: Mme Fairfax était en effet ce qu'elle m'avait paru tout d'abord, une femme douce, complaisante, suffisamment instruite, et d'une intelligence ordinaire. Mon élève était une enfant pleine de vivacité. Comme on l'avait beaucoup gâtée, elle était quelquefois capricieuse. Heureusement elle était entièrement confiée à mes soins, et personne ne s'opposait à mes plans d'éducation, de sorte qu'elle renonça bientôt à ses petits accès d'entêtement, et devint docile. Elle n'avait aucune aptitude particulière, aucun trait de caractère, aucun développement de sentiment ou de goût qui pût l'élever d'un pouce au-dessus des autres enfants; mais elle n'avait aucun défaut qui pût la rendre inférieure à la plupart d'entre eux; elle faisait des progrès raisonnables et avait pour moi une affection vive, sinon très profonde. Ses efforts pour me plaire, sa simplicité, son gai babillage, m'inspirèrent un attachement suffisant pour nous contenter l'une et l'autre.

Ce langage sera sans doute trouvé bien froid par les personnes qui affichent de solennelles doctrines sur la nature évangélique des enfants et sur la dévotion idolâtre que devraient toujours leur vouer ceux qui sont chargés de leur éducation. Mais je n'écris pas pour flatter l'égoïsme des parents ou pour servir d'écho à l'hypocrisie; je dis simplement la vérité. J'éprouvais une consciencieuse sollicitude pour les progrès et la conduite d'Adèle, pour sa personne une tranquille affection, de même que j'aimais Mme Fairfax en raison de ses bontés, et que je trouvais dans sa compagnie un plaisir proportionné à la nature de son esprit et de son caractère.

Me blâmera qui voudra, lorsque j'ajouterai que de temps en temps, quand je me promenais seule, quand je regardais à travers les grilles de la porte la route se déroulant devant moi, ou quand, voyant Adèle jouer avec sa nourrice et Mme Fairfax occupée dans l'office, je montais les trois étages et j'ouvrais le trappe pour arriver à la terrasse, quand enfin mes yeux pouvaient suivre les champs, les montagnes, la ligne sombre du ciel, je désirais ardemment un pouvoir qui me fit connaître ce qu'il y avait derrière ces limites, qui me fit apercevoir ce monde actif, ces villes animées dont j'avais entendu parler, mais que je n'avais jamais vues. Alors je souhaitais plus d'expérience, des rapports plus fréquents avec les autres hommes et la possibilité d'étudier un plus grand nombre de caractères que je ne pouvais le faire à Thornfield. J'appréciais ce qu'il y avait de bon dans Mme Fairfax et dans Adèle, mais je croyais à l'existence d'autres bontés différentes et plus vives. Ce que je pressentais, j'aurais voulu le connaître.

Beaucoup me blâmeront sans doute; on m'appellera nature mécontente; mais je ne pouvais faire autrement; il me fallait du mouvement. Quelquefois j'étais agitée jusqu'à la souffrance; alors mon seul soulagement était de me promener dans le corridor du troisième, et, au milieu de ce silence et de cette solitude, les yeux de mon esprit erraient sur toutes les brillantes visions qui se présentaient devant eux: et certes elles étaient belles et nombreuses. Ces pensées gonflaient mon coeur; mais le trouble qui le soulevait lui donnait en même temps la vie. Cependant je préférais encore écouter un conte qui ne finissait jamais, un conte qu'avait créé mon imagination, et qu'elle me redisait sans cesse en la remplissant de vie, de flamme et de sentiment; toutes choses que j'avais tant désirées, mais que ne me donnait pas mon existence actuelle.

Il est vain de dire que les hommes doivent être heureux dans le repos: il leur faut de l'action, et, s'il n'y en a pas autour d'eux, ils en créeront; des millions sont condamnés à une vie plus tranquille que la mienne, et des millions sont dans une silencieuse révolte contre leur sort. Personne ne se doute combien de rébellions en dehors des rébellions politiques fermentent dans la masse d'êtres vivants qui peuple la terre. On suppose les femmes généralement calmes: mais les femmes sentent comme les hommes; elles ont besoin d'exercer leurs facultés, et, comme à leurs frères, il leur faut un champ pour leurs efforts. De même que les hommes, elles souffrent d'une contrainte trop sévère, d'une immobilité trop absolue. C'est de l'aveuglement à leurs frères plus heureux de déclarer qu'elles doivent se borner à faire des poudings, à tricoter des bas, à jouer du piano et à broder des sacs.

Quand j'étais ainsi seule, il m'arrivait souvent d'entendre le rire de Grace Poole; toujours le même rire lent et bas qui la première fois m'avait fait tressaillir. J'entendais aussi son étrange murmure, plus étrange encore que son rire. Il y avait des jours où elle était silencieuse, et d'autres où elle faisait entendre des sons inexplicables. Quelquefois je la voyais sortir de sa chambre tenant à la main une assiette ou un plateau, descendre à la cuisine et revenir (oh! romanesque lecteur, permettez-moi de vous dire la vérité entière), portant un pot de porter. Son apparence aurait glacé la curiosité la plus excitée par ses cris bizarres; elle avait les traits durs, et rien en elle ne pouvait vous attirer. Je tâchai plusieurs fois d'entrer en conversation avec elle; mais elle n'était pas causante. Généralement une réponse monosyllabique coupait court à tout entretien.

Les autres domestiques, John et sa femme Leah, chargée de l'entretien de la maison, et Sophie, la nourrice française, étaient bien, sans pourtant avoir rien de remarquable. Je parlais souvent français avec Sophie, et quelquefois je lui faisais, des questions sur son pays natal; mais elle n'était propre ni à raconter ni à décrire: d'après ses réponses vagues et confuses, on eût dit qu'elle désirait plutôt vous voir cesser que continuer l'interrogatoire.

Octobre, novembre et décembre se passèrent ainsi. Une après-midi de janvier, Mme Fairfax me demanda un jour de congé pour Adèle, parce qu'elle était enrhumée; Adèle appuya cette demande avec une ardeur qui me rappela combien les jours de congé m'étaient précieux lorsque j'étais enfant. Je le lui accordai donc, pensant que je ferais bien de ne pas me montrer exigeante sur ce point. C'était une belle journée, calme, bien que très froide; j'étais fatiguée d'être restée assise tranquillement dans la bibliothèque pendant une toute longue matinée; Mme Fairfax venait d'écrire une lettre; je mis mon chapeau et mon manteau, et je proposai de la porter à la poste de Hay, distante de deux milles: ce devait être une agréable promenade. Lorsque Adèle fut confortablement assise sur sa petite chaise, au coin du feu de Mme Fairfax, je lui donnai sa belle poupée de cire, que je gardais ordinairement enveloppée dans un papier d'argent, et un livre d'histoire pour varier ses plaisirs.

«Revenez bientôt, ma bonne amie, ma chère demoiselle Jeannette,» me dit-elle. Je l'embrassai et je partis.

Le sol était dur, l'air tranquille et ma route solitaire; j'allai vite jusqu'à ce que je me fusse réchauffée, et alors je me mis à marcher plus lentement, pour mieux jouir et pour analyser ma jouissance. Trois heures avaient sonné à l'église au moment où je passais près du clocher. Ce moment de la journée avait un grand charme pour moi, parce que l'obscurité commençait déjà et que les pâles rayons du soleil descendaient lentement à l'horizon. J'étais à un mille de Thornfield, dans un sentier connu pour ses roses sauvages en été, ses noisettes et ses mûres en automne, et qui même alors possédait encore quelques-uns des fruits rouges de l'aubépine; mais en hiver son véritable attrait consistait dans sa complète solitude et dans son calme dépouillé. Si une brise venait à s'élever, on ne l'entendait pas; car il n'y avait pas un houx, pas un seul de ces arbres dont le feuillage se conserve toujours vert et fait siffler le vent; l'aubépine flétrie et les buissons de noisetiers étaient aussi muets que les pierres blanches placées au milieu du sentier pour servir de chaussée. Au loin, l'oeil ne découvrait que des champs où le bétail ne venait plus brouter, et si de temps en temps on apercevait un petit oiseau brun s'agitant dans les haies, on croyait voir une dernière feuille morte qui avait oublié de tomber.

Le sentier allait en montant jusqu'à Hay. Arrivée au milieu, je m'assis sur les degrés d'un petit escalier conduisant dans un champ; je m'enveloppai dans mon manteau, et je cachai mes mains dans mon manchon de façon à ne pas sentir le froid, bien qu'il fût très vif, ainsi que l'attestait la couche de glace recouvrant la chaussée, au milieu de laquelle un petit ruisseau gelé pour le moment avait débordé quelques jours auparavant, après un rapide dégel. De l'endroit où j'étais assise, j'apercevais Thornfield; le château gris et surmonté de créneaux était l'objet le plus frappant de la vallée. À l'est, on voyait s'élever les bois de Thornfield et les arbres où nichaient les corneilles; je regardai ce spectacle jusqu'à ce que le soleil descendit dans les arbres et disparût entouré de rayons rouges; alors je me tournai vers l'ouest.

Конец ознакомительного фрагмента.

Текст предоставлен ООО «ЛитРес».

Прочитайте эту книгу целиком, купив полную легальную версию на ЛитРес.

Безопасно оплатить книгу можно банковской картой Visa, MasterCard, Maestro, со счета мобильного телефона, с платежного терминала, в салоне МТС или Связной, через PayPal, WebMoney, Яндекс.Деньги, QIWI Кошелек, бонусными картами или другим удобным Вам способом.

1

À quatre reprises, dans le présent volume, la traductrice emploie le prénom francisé Jeanne au lieu de Jane. [Note du correcteur]

Конец ознакомительного фрагмента
Купить и скачать всю книгу
На страницу:
11 из 11