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Nach Paris! Roman
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Nach Paris! Roman

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Язык: Французский
Год издания: 2017
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Tous ces souvenirs me remontaient en foule au cerveau, tandis que l'inquiétude commençait à m'oppresser et que je me retournais dans mon lit sans dormir. Au canon des manœuvres se substituait étrangement dans ma tête le canon de la guerre: la guerre dont je me représentais déjà en images vives le tumulte et l'ardente mêlée! Je sentais peu à peu venir le rêve ou le cauchemar. Je m'endormis enfin au petit jour d'un sommeil éreinté. Quand je me réveillai, très tard, je me trouvai couvert de sueur: j'étais entré le premier à Paris et je venais de rapporter à ma chère Dorothéa, en guise de cadeau de noces, le trésor de la Banque de France. Le chocolat que Johann m'avait servi à l'heure habituelle était froid sur la table et le soleil inondait ma chambre.

L'après-midi de ce même jour, qui était un dimanche, je ne pus m'empêcher de pédaler jusqu'à Goslar, pendant que ma mère préparait ma cantine.

Dorothéa me reçut avec de grands témoignages d'affection non sans étonnement, vu ma visite de la veille.

– Je pars demain, lui dis-je; vous ne me reverrez pas avant quinze jours.

– Mon Dieu, Wilfrid, où allez-vous?

– A Magdebourg.

– Qu'allez-vous faire à Magdebourg?

– Je suis appelé pour une période d'instruction militaire.

Ce pouvait être vrai. J'avais, en effet, à accomplir encore, à la suite de ma libération, deux périodes de huit semaines pour être nommé officier de réserve. J'aurais donc pu me contenter de cette explication. Mais me rendant bien compte que ma convocation, dans ce cas, n'aurait pas été libellée de la sorte et qu'il s'agissait certainement d'un appel extraordinaire, je m'écriai tout à coup, saisi d'une émotion trop naturelle et du besoin de mettre de la solennité dans mes adieux:

– Je mens, Dorothéa, ce n'est pas pour une période d'instruction que je suis appelé: je crois qu'il va y avoir la guerre.

– La guerre? s'exclama-t-elle bouleversée. La guerre! Herrgott!

Et s'élançant du côté de la porte, elle se mit à crier:

– Papa! papa! il va y avoir la guerre!..

Je l'arrêtai tout effaré, me souvenant du «strictement secret» de l'ordre de mobilisation.

– Non, non, dis-je, il ne faut pas qu'on le sache… Personne ne doit savoir encore… Je viens secrètement vous faire mes adieux.

– Herrje! que vais-je devenir?

Je ne cherchai pas à rassurer Dorothéa. Il me plaisait de la voir pleurer, s'effondrer, jugeant de son amour par ses larmes et ne voulant pas qu'il fût supposable, devant elle, que je ne partisse pas réellement pour la guerre.

– Je vous rapporterai des bijoux français, fis-je. Car j'espère bien avoir le plaisir de tuer quelques officiers. Ils portent tous, paraît-il, des bracelets, des bagues, des breloques de prix, et l'on en voit, dit-on, ornés de boucles d'oreilles.

– De boucles d'oreilles!.. susurra-t-elle dans ses pleurs.

– Je vous en enverrai, déclarai-je.

– Oui, oui, des boucles d'oreilles!.. Vous me le promettez?

Cela me rappela le cri du cœur de Marguerite, dans Faust, lorsqu'elle découvre la cassette apportée par Méphistophélès:

Wenn nur die Ohrring' meine wæren! 1

– Je vous le promets. Je vous enverrai aussi des cartes postales datées de tous les lieux de nos victoires.

– Mais, dit-elle, si c'est vous qui êtes tué?

– Alors, fis-je avec un grand geste, vous vous direz que je serai mort glorieusement pour la patrie allemande et vous me pleurerez toute votre vie.

– Oh! plus que ça, gémit-elle, jusque dans l'éternité!

C'est en de tels propos que nous nous entretînmes pendant une heure, fréquemment entrecoupée de cette exclamation qu'elle me lançait en même temps que ses beaux bras autour du cou, ni plus ni moins que quand je lui contais l'histoire de ma balafre:

– Tu es un héros!

Doux souvenirs! moments inoubliables!

Et quand fut venu celui de la séparation et qu'après lui avoir fait jurer à nouveau de ne pas divulguer ce terrible secret de la guerre, j'eus pris pour la dernière fois congé d'elle, j'emportai comme un miel à mes lèvres le goût de son premier baiser sur la bouche.

O ma Dorothéa!

Il avait été décidé, pour ne pas prêter aux commentaires de la population, que mon père m'accompagnerait seul à la gare, en chapeau de paille et les mains dans les poches, comme s'il s'agissait pour moi d'une courte excursion. Ainsi fut fait. Johann nous suivait à cinq pas de distance, portant ma valise.

Le train s'annonça. Nous le vîmes paraître au déclin de la courbe. Il vint se ranger le long de la petite gare. Il était passablement plus long que d'habitude. Je me dirigeai vers une voiture de seconde classe. Des chants sortaient des wagons de troisième.

– Einsteigen!.. Fertig!

– Bon voyage, mon fils Wilfrid! Au revoir dans quinze jours!

Le train s'ébranla, cracha sa fumée, tandis que mon père, le conseiller de commerce Hering, saluait du mouchoir et que le domestique Johann ôtait dignement sa casquette.

II

Le trajet jusqu'à Magdebourg n'est pas long. Après Ilsenburg, il y a Wernigerode, puis Dannstedt, puis Halberstadt, où l'on rejoint la ligne de Halle. D'Halberstadt à Magdebourg on met une heure et demie.

Il faisait un temps superbe. Partout régnaient la gaieté, le soleil, la vie normale, paisible et laborieuse. Les gens montaient et descendaient, pressés ou lents, des paniers au bras, des paquets aux mains, les dames en parasol, les hommes le cigare aux lèvres, causant diversement de choses et d'autres, s'abordant, se reconnaissant, s'interpellant. J'aperçus sur le quai d'Halberstadt un groupe d'étudiants de Halle, la casquette sur l'oreille, la badine sous l'aisselle. Des touristes circulaient, des Anglais à Baedeker, des Russes à lunettes d'or. D'entre ces nombreux visages qui passaient ainsi sous mes yeux, y en avait-il un qui trahit une inquiétude? Y en avait-il un seul pour se douter que dans quelques jours peut-être il aurait à changer brusquement d'aspect sous l'effet d'une formidable nouvelle dont il n'avait pour lors aucune idée?

Je ne fus cependant pas sans remarquer qu'à chaque station montaient deux ou trois jeunes gens à l'air préoccupé, munis d'un léger bagage. Il en descendit une cinquantaine à Halberstadt. Quelques-uns avaient comme moi une valise; la plupart, des paysans et des ouvriers, portaient un baluchon de toile nouée. Mais, dans le mouvement de la gare, leur présence ne souleva nulle curiosité.

Nienhagen, Oschersleben, Blumenberg… De nombreux réservistes montaient, qui descendirent à Magdebourg avec moi. Pas un uniforme en gare. Je chargeai un commissionnaire de porter ma cantine à la caserne et m'en fus faire un tour en ville. Tout y était habituel et calme. Les magasins étalaient leurs vitrines, devant lesquelles baguenaudait la foule bourgeoise. Les promeneurs animaient la Kaiserstrasse. Devant le théâtre étaient placardées les affiches d'une troupe estivale. Des enfants se dirigeaient par bandes vers les ombrages du jardin Frédéric-Guillaume. Une seule chose m'étonna: l'absence à peu près complète de soldats, dans cette ville qui à l'ordinaire en regorge.

J'avais encore deux heures de liberté. Je décidai de les employer à me rafraîchir dans une brasserie, car il faisait terriblement chaud. J'entrai au Franziskaner. L'immense taverne était pleine. Je finis cependant par trouver une place et me mis aussitôt à vider des cruchons avec la même soif que si j'avais été notre valeureux Fuchsmajor, le gros von Pumplitz, surnommé Falstaff.

A toutes les tables, des journaux étaient déployés devant le nez alourdi de consommateurs absorbés. Présumant qu'il pouvait être survenu quelques événements importants, je me fis apporter les dernières gazettes et ne tardai pas à être plongé dans cette lecture aussi profondément que mes voisins.

Comme il était à prévoir, la Serbie continuait à faire des siennes. Cette insolente peuplade se refusait à accepter les conditions exceptionnellement modérées de la note autrichienne, forçant ainsi le gouvernement austro-hongrois à rompre les relations diplomatiques. Le ministre d'Autriche avait quitté Belgrade et le ministre de Serbie à Vienne avait reçu ses passeports.

La nouvelle de la rupture des relations diplomatiques avec la Serbie, annonçait-on de Vienne à la Gazette de Magdebourg, a été rendue publique par des éditions spéciales des journaux. La foule massée dans les rues a accueilli la nouvelle par des acclamations en l'honneur de l'Empereur. Partout règne un grand enthousiasme.

Les manifestations à Berlin, mandait l'agence Wolff, ont duré toute la nuit. Un cortège de cent mille personnes a parcouru la ville en chantant la Wacht am Rhein. Devant l'ambassade de Russie des cris hostiles ont été poussés. On a acclamé l'ambassade d'Autriche et l'ambassade d'Angleterre.

Aux dernières dépêches, les informations suivantes étaient données, datant du jour même:

Berlin, 27 juillet. – S. M. l'Empereur a décidé d'interrompre sa croisière sur les côtes de Norvège, pour rentrer directement à Berlin.

Copenhague, 27 juillet. – Le président de la République française, interrompant son voyage, a pris la décision de revenir immédiatement en France.

Il se passait assurément quelque chose. Mais quoi?

Les articles de la presse étaient divers et contradictoires. J'en lus attentivement une douzaine.

Vienne et Berlin, écrivait la Neue Freie Presse, mêlent aujourd'hui leurs sentiments, et des millions d'hommes, dominés par la même émotion, se retrouvent frères comme autrefois. Le peuple a raison: la guerre doit être menée jusqu'à la dernière extrémité.

Cette guerre, exposait la Zeit, décidera du sort de l'Autriche-Hongrie des Balkans, peut-être de toute l'Europe: du sort de l'Autriche-Hongrie, si on la laisse seule avec la Serbie; de celui des Balkans, si un État balkanique intervient; de celui de l'Europe, si la Russie bouge.

Les Dernières Nouvelles de Munich disaient:

L'Autriche veut être libérée de cet éternel danger qui a son origine en Serbie. Nous avons l'espoir que l'Angleterre s'abstiendra de toute intervention dans le conflit austro-serbe, ainsi que dans une collision éventuelle entre la Triplice et la Duplice.

L'Allemagne mobilisera, si c'est nécessaire spécifiait la Deutsche Tageszeitung. Il n'est pas douteux que notre mobilisation ne soit préparée jusque dans ses moindres détails.

Et la National Zeitung insistait, dirigeant plus particulièrement son avertissement du côté de l'Ouest:

La France ne sait-elle pas ce qu'elle entreprend, en voulant, avant d'avoir achevé ses armements, rencontrer de nouveau l'adversaire de 1870? A-t-elle oublié le siège de Paris? Ne ressent-elle déjà plus la perte des cinq milliards qu'elle a dû payer? En a-t-elle assez de la République et désire-t-elle un autre régime? C'est sur la France que l'Allemagne s'indemnisera. Seulement, cette fois, on se servira d'une autre mesure qu'il y a quarante-quatre ans. Au lieu de cinq milliards ce sera cinquante milliards que devra payer la France. Tu l'as voulu, Georges Dandin!

C'était ce qui s'appelle envoyé!

La presse étrangère, dont nos journaux donnaient de larges extraits, laissait en général une impression favorable, à l'exception des feuilles françaises et russes dont le ton, à en juger par les passages cités, me parut suspect.

Le Daily Chronicle disait:

Si l'effort diplomatique en vue de la paix échoue, il ne faudra pas en rejeter la responsabilité sur Londres ou sur Berlin, non plus que sur Paris ou sur Rome, car le seul rayon d'espoir est donné par l'ardent désir de paix des quatre puissances qui ne sont pas directement intéressées dans le conflit.

La presse de notre alliée italienne se prononçait en termes qui me semblèrent fort justes sur la situation.

L'Autriche a absolument toutes les raisons et la Serbie tous les torts, décidait le Popolo Romano. L'attitude de l'Autriche à l'égard de la Serbie ne pouvait pas être plut correcte.

Et la Tribuna, le journal gouvernemental, commentant le voyage du président Poincaré à Saint-Pétersbourg, formulait:

La politique extérieure française a eu deux objectifs en ces dernières années: lier l'Angleterre à la France et à la Russie par un pacte d'alliance et donner à la politique russe une orientation anti-germanique. La France à ce point de vue a complètement échoué.

Quant au socialisme, son pacifisme intransigeant s'exprimait en déclarations catégoriques:

Pour le prolétariat allemand et international, écrivait le Vorwærts le 25 juillet, la situation est claire. Quoi qu'il arrive, le prolétariat ne doit pas se croiser les bras. Si la classe ouvrière est sincère dans son intention de maintenir la paix entre les peuples et d'éviter les conflits internationaux, elle doit être à son poste. Le peuple ne veut pas d'aventure guerrière; il veut une politique qui garantisse la paix.

Sur quoi le leader français Jaurès, lui faisant écho par dessus la frontière, répondait dans son organe l'Humanité:

Tout ce que nous voyons à l'heure présente, dans cette obscurité, c'est que nos camarades socialistes d'Allemagne ont vigoureusement protesté contre le caractère menaçant et offensant de la note autrichienne. Que les socialistes de tous les pays redoublent d'efforts pour éclairer l'opinion et pour opposer leur solidarité à l'épouvantable catastrophe dont est menacé le monde.

J'en étais là de ma lecture, quand je me sentis frappé sur l'épaule.

– Guten Abend, Herr Wilfrid, vous êtes donc à Magdebourg?

C'était un ami de mon père, le juge de district Obercassel, dont je fréquentais la maison pendant mon année de volontariat.

– Comme vous le voyez, monsieur le juge de district, je suis ici de passage.

– Quoi de nouveau? Tout le monde va bien, à Ilsenburg?

– Tout le monde va bien, je vous remercie. Mon père fait chaque jour son heure de trapèze, ma mère cultive son piano et mes petites sœurs grandissent.

– Tant mieux, tant mieux, Et vous, Herr Wilfrid? Vous étudiez à Halle, je crois?

– A Halle, parfaitement, monsieur le juge de district.

– Oh! oh! fit-il en m'examinant, mes félicitations! Vous avez ramassé là une superbe balafre. Cela vous va fort bien, mon cher!

Il me secoua cordialement la main, s'assit en face de moi, commanda un litre et, remarquant l'amoncellement de journaux qui formait sur la table une pile presque aussi haute que celle de mes rondelles de cruchons, il demanda:

– Vous avez lu les feuilles du soir? Quelles sont les nouvelles? L'Autriche a-t-elle fait sa déclaration de guerre?

– Pas encore, monsieur le juge de district. Nous en sommes toujours à la rupture diplomatique. Vous croyez donc à la guerre?

– Naturellement.

– Et la médiation des puissances?

– Bêtise! L'Autriche veut avoir la Serbie, elle l'aura! Elle n'en fera qu'une bouchée.

– C'est certain. Mais il y a la Russie. Que fera la Russie?

– La Russie fera ce qu'elle voudra. Cela nous est égal.

– Comment, cela nous est égal? Mais si la Russie bouge, nous intervenons!

– Eh bien, nous intervenons.

– Vous croyez donc aussi à la guerre européenne?

– J'y crois aussi.

– Cependant, notre gouvernement assure qu'il veut la paix.

– Il l'assure, sans doute. Il faut toujours assurer qu'on veut la paix. Mais je pense que c'est précisément pour avoir un bon motif d'intervention qu'il laisse François-Joseph donner tête baissée dans l'affaire balkanique. Vous comprenez que, si l'Allemagne voulait réellement la paix, notre empereur n'aurait qu'un mot à dire pour que tout rentre aussitôt dans l'ordre.

– Ce mot, l'empereur va peut-être le dire. Qui sait s'il ne rentre pas aujourd'hui à Berlin pour cela?

– Je ne le pense pas. L'Allemagne a tout intérêt à une guerre européenne. Jamais la situation ne nous aura été plus favorable: la Russie sans chemins de fer et perdue par ses grèves, la France plus qu'aux trois quarts pourrie, incapable d'un effort militaire, l'Angleterre en proie à la guerre civile et devant forcément rester neutre.

– C'est juste. Mais si la situation nous est si favorable, ne pensez-vous pas, monsieur le juge de district, qu'aucun pays n'osera nous attaquer? Il faudrait donc que ce soit l'Allemagne qui prenne l'offensive? Assumerait-elle la responsabilité de déclarer la guerre?

– Pourquoi pas? Je ne vois pas pourquoi l'Allemagne ne déclarerait pas la guerre, si c'est nécessaire. Offensive, défensive, tout cela ne signifie rien, Herr Wilfrid. En réalité, on se défend toujours, même quand on attaque. Or, nous nous sentons attaqués, parce qu'on ne nous laisse pas faire ce que nous voulons. En attaquant à notre tour, nous ne faisons donc que nous défendre. Il n'y a pas un Allemand qui ne comprenne cela.

– Vous vouiez dire que, de quelque façon que la guerre s'engage, cette guerre ne sera jamais pour nous qu'une guerre défensive?

– C'est exactement ce que je veux dire. Tenez, les socialistes eux-mêmes… Je vois que vous venez de lire cette peste de Vorwærts, fit-il en posant son gros index poilu sur la feuille socialiste… Eh bien, les socialistes eux-mêmes finiront aussi par le comprendre.

Et comme j'avais un geste d'incrédulité:

– Vous verrez, affirma-t-il.

Puis, après avoir allumé un cigare et fait renouveler son litre, le juge de district Obercassel continua:

– C'est maintenant qu'il nous faut agir. Dans quelques années, il serait trop tard. Nous avons besoin de nous étendre, de briser autour de nous des résistances qui pourraient devenir trop fortes. Il nous faut les ports du nord, les mines de fer et les colonies françaises. Il nous faut la Vistule et la mainmise sur la Baltique. Il nous faut l'accès de la Méditerranée et la domination surtout l'empire ottoman. Voilà pour commencer. Dans vingt ans, ce sera le tour de l'Angleterre. Dans cinquante ans, les États-Unis seront allemands, le Brésil de même; le canal de Panama nous appartiendra et nous pourrons alors nous occuper sérieusement de la Chine.

– C'est magnifique! m'écriai-je enthousiasmé.

– Nous ne verrons pas tout cela. Vous peut-être, pas moi. Mais je suis modeste, je mécontenterai d'assister à la première partie de cette colossale trilogie.

Il prononçait tout cela tranquillement, l'œil doucement émerillonné, en ingurgitant à petits coups sa bière blonde.

– Mais j'y songe, fit-il, vous êtes mobilisable, Herr Wilfrid. Vous n'avez encore rien reçu?

J'hésitais à répondre. Mais je voulus maintenir le secret.

– Non, dis-je en rougissant.

– Cela m'étonne, car chez nous l'artillerie et les pionniers sont déjà partis.

– Quand?

– Il y a trois jours. Ils doivent être bien loin maintenant.

– Vous les avez vus?

– Non. Peu de gens les ont vus. Ils sont partis de nuit. Le 26e régiment d'infanterie est également parti, mais la nuit dernière seulement. Il s'est embarqué à la gare de Neustadt.

– Et le 183e?

– Le 183e, on ne le voit pas non plus. Mais je crois qu'il est encore ici. Il doit être consigné dans sa caserne. Est-ce au 183e que vous êtes incorporé?

– Pour le moment, oui. Mais je serai peut-être affecté à son régiment de réserve.

– C'est probable. Vous êtes sous-officier maintenant?

– J'ai été libéré avec ce grade, mais je ne sais si on me le conserverait dans une campagne.

– Oh! certainement. On n'a jamais trop de sous-officiers. Et, si la chance vous favorise, vous ne serez pas longtemps sans avoir le porte-épée. Il y aura vite des trous à combler, expliqua-t-il placidement.

Ceci me rappela la caserne. Je tirai ma montre. Il était cinq heures et demie.

Je réglai ma consommation et, prétextant un train à prendre, je laissai le juge Obercassel dans la salle enfumée du Franziskaner.

– Mes amitiés chez vous, me cria-t-il encore… et bonne chance!.. Si vous allez en France, vous m'enverrez une carte postale timbrée de Paris!

La grosse horloge du corps de garde sonnait six heures, quand je fis mon entrée à la caserne. Une vie intense la remplissait du haut en bas. A tous les étages s'agitaient des gestes, s'activaient des silhouettes, à toutes les fenêtres s'astiquaient ou se brossaient des effets militaires. Sous la haute majuscule de leur lettre d'ordre, les multiples portes engouffraient on dégorgeaient un flot incessant d'uniformes. Un sourd remuement continu, sans éclat, sans vacarme, montait ou descendait de partout, coupé de brefs commandements ou du bruissement cadencé des pas. Sur tout un côté de la cour principale étaient alignés trois ou quatre cents hommes en calot rond et vareuse de coutil qui faisaient l'exercice sous les ordres d'un premier-lieutenant et d'une demi douzaine de sous officiers. Des cours annexes parvenaient des odeurs d'écurie, de piscine, de cordonnerie et de soupe au lard.

J'aperçus tout d'abord le lieutenant Kœnig, occupé à dénombrer un amoncellement de bagages à l'entrée du magasin de bataillon. Une liste à la main, il en vérifiait le compte, pendant que deux soldats du train rangeaient les colis et les classaient sous ses yeux. J'allai aussitôt à lui.

– Tiens, Hering! Wie geht's, bester Freund?

– Fort bien. Un peu ahuri seulement par tous ces événements.

– Hein! Qui nous aurait dit aux dernières manœuvres…

– Alors quoi? Nous partons?

– Nous partons. Mais quand, das weiss ich nicht. Le colonel reste mystérieux. Quand avez vous reçu votre ordre?

– Avant-hier.

– Parfait. Avez-vous vu le capitaine?

– Pas encore. J'arrive.

– Eh bien, montez vous mettre en tenue. Je vous rejoindrai dans une demi-heure. Nous irons ensemble. Vous verrez, mon cher, un homme extraordinaire.

– Qui ça, Braumüller?

– Mais non, Kaiserkopf… le capitaine Kaiserkopf. Puis, voyant mon étonnement:

– C'est juste, vous ne savez pas… Braumüller est parti avec l'active.

– Le régiment n'est plus ici?

– Non. Nous autres, nous sommes affectés au cadre de réserve. Nous avons un nouveau capitaine, et c'est le capitaine Kaiserkopf.

– Kaiserkopf… répétai-je, comme pour me graver dans la tête ces syllabes sonores.

– Vous verrez. C'est un homme… je ne sais pas s'il vous plaira… c'est un homme extraordinaire… Il vient de Torgau.

– Qu'a-t-il de si extraordinaire?

– Vous verrez. A propos, fit Kœnig, ce n'est pas la peine de sortir votre tenue de service. On distribue depuis ce matin les uniformes de campagne. Faites-vous délivrer le vôtre. A tout à l'heure.

– C'est entendu. Mais qu'est-ce que c'est donc que tous ces gens-là, demandai-je, montrant les hommes à l'exercice. Il y a là pour le moins, un demi-bataillon.

– Une compagnie, mon cher, une seule compagnie, la sixième.

– Une compagnie! m'écriai-je. Vous plaisantez.

– Aucunement, mon ami. Toutes les compagnies de notre régiment vont avoir trois cent cinquante hommes sur pied de guerre.

Je restai suffoqué. Trois cent cinquante hommes par compagnie, cela me semblait un chiffre énorme.

– Kanonenfutter, murmura philosophiquement le lieutenant Kœnig. Ah! les Français ne se doutent pas de ce qu'ils vont recevoir sur le dos: l'active et la réserve, tout à la fois, et des compagnies de trois cent cinquante hommes!

Sur quoi il se remit à sa besogne d'estampillage.

Je montai à la compagnie. Notre étage bourdonnait comme une ruche en travail. Par les portes des chambrées on voyait les hommes en tricot de coton préparer leurs paquetages, ordonner leur fourniment, graisser leurs bottes. Des sous-officiers s'évertuaient, bougonnaient des instructions, mâchaient des jurons entre leurs dents tabagiques. Une prenante odeur de suée, de pieds et d'aisselles flottait dans les corridors.

Je rencontrai le fourrier Schmauser devant les lavabos.

– Ah! vous voilà, Hering! Je vous ai logé chez le feldwebel Schlapps. Vous ne vous plaindrez pas!

– Le feldwebel est absent?

– Le feldwebel est parti en avant avec le lieutenant-colonel Preuss pour les cantonnements.

– Où?

– Je n'en sais rien.

– Quand partons-nous!

– Je n'en sais rien.

– Mais, savez-vous au moins si nous partons?

– Je n'en sais rien de rien. Tout ce que je sais, c'est qu'on s'occupe de nous cantonner quelque part. Voici la clef du feldwebel. Je vais vous envoyer le tailleur, puis vous irez au magasin d'habillement choisir un casque. Tout le monde est équipé à neuf des pieds à la tête.

– Quel remue-ménage!

– Ne m'en parle pas! Voici deux nuits que je ne dors pas. Les chambrées sont archi-pleines, je ne sais où caser mes hommes.

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