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» – Venez.

»Sa figure était plus grave qu'à l'ordinaire. Nous entrâmes dans l'église; elle était déserte. Qu'elles sont belles, monsieur, nos églises siciliennes, où le génie de la mosquée d'orient s'allie au génie du catholicisme occidental! Vous aimez sans doute ces mosaïques incrustées, ces saints de couleurs tranchantes, ce mélange d'éclat et de ténèbres, ces nombreux monumens, un ciel éthéré apparaissant à travers les dentelures et les trèfles des hautes voûtes; l'or et la pourpre resplendissant dans les chapelles, et les versets du Coran qui se lisent encore au bas des corniches noircies par la fumée des cierges chrétiens? Malgré cette pompe, il y avait autour de moi, dans cette solitude du temple, une tranquillité pour ainsi dire palpable qui m'enlaça, me saisit, pesa sur moi comme un manteau de plomb, et dit à la fièvre de mes passions: Fais silence.

»Le père Anselme me conduisit vers le fond de l'église, s'arrêta derrière le maître-autel, et là il me dit:

» – Mon fils, quoique nous soyons de communion différente, agenouillez-vous ici. Je suis prêtre et vieux, vous recevrez mes conseils d'homme et de pasteur, vous plierez le genou, non devant moi, mais devant Dieu qui nous frappe et nous sauve. Nous prierons ensemble.

»J'étais troublé, je fis ce qu'il me disait. Après quelques prières communes, il reprit:

» – Votre soupçon est fondé.

»Un long soupir s'échappa de mon sein, et je ne pus rien répondre.

» – Partez pour l'Angleterre, écrivez à votre femme sans lui témoigner aucun soupçon; passez par Bath où demeure la femme dont on a acheté le silence; payée pour se taire, elle parlera si vous lui offrez un meilleur prix. Que rien ne trahisse votre intention avant que vos soupçons soient éclaircis; quand vous connaîtrez toute la vérité, vous vous conduisez comme un homme d'honneur doit le faire, et vous abandonnerez la coupable à ses remords, ou vous rendrez votre confiance à l'épouse fidèle.

»En ce moment quelques personnes entraient dans l'église; nous étions placés de manière à ce que je pusse les voir sans être aperçu d'eux.

» – C'est lui! m'écriai-je.

«En effet le jeune Anglais, dont le nom était sir Ormond Mondeville, venait d'entrer dans l'église, accompagné d'un de ses amis. Il n'était pas étonnant que, nouvellement arrivé à Messine, il s'empressât de visiter l'intérieur de cette nef remarquable, l'une des curiosités les plus pittoresques de la contrée. Le père Anselme vit mon mouvement et me retint.

» – Je suis plus calme que vous, me dit-il, je vais lui parler; vous devez vous taire. Le moine salua sir Ormond et lui fit remarquer une belle et vieille statue de bronze placée à droite du maître-autel. J'essayai de lier conversation avec l'un des officiers qui se trouvaient là; je ne sais ce que je lui dis, mais, incapable de lier deux paroles et deux idées, je suis persuadé qu'il me regarda comme un fou ou comme un idiot.

»Anselme s'exprimait avec facilité, avec élégance; sa courtoisie envers sir Ormond me surprenait. Malgré l'état d'irritation fébrile où je me trouvais, j'étais frappé de la singularité de sa conduite. Il me semblait qu'il s'agissait pour lui d'une expérience à faire. Sa froideur se communiqua, pénétra jusqu'à moi: je le suivis en silence et beaucoup plus calme, plus recueilli, plus attentif.

»J'avais donné à ce moine des renseignemens exacts qu'il m'avait demandés, sur ma femme, sur son caractère, sur ses traits, le son de sa voix, la couleur de ses cheveux, la forme de son visage et l'expression de sa physionomie. Il causait vivement avec sir Ormond et arrêtait son attention sur les portraits des saints pères, qui peuplaient le temple, profitant de la liberté italienne pour commenter ces tableaux, demander au jeune homme son opinion sur leur beauté relative, et déduire des conséquences morales de leur extérieur mélancolique ou sévère. Lorsque sir Ormond parlait, le long regard noir d'Anselme descendait dans l'ame de son interlocuteur; mais mon compatriote restait indifférent et calme, et toute cette investigation métaphysique, chef-d'oeuvre de pénétration intuitive et d'inquisition intellectuelle, n'aboutit qu'à nous montrer un coeur froid, des sens blasés, un faux goût pour les arts, et un coeur incapable de véritable passion dans aucun genre. En vain Anselme éveillait tout ce que le fond d'une ame humaine peut renfermer d'associations et de souvenirs tendres et délicats, rien ne vibrait à l'unisson chez notre dandy. Il développait par saillies un épicurisme facile et sans choix, mêlé d'une vanité de fat: puis, sans savoir qu'il avait placé dans les mains de l'étranger une clef qui découvrait le triste trésor de ses secrètes pensées, il remercia Anselme de sa complaisance et s'en alla.

» – Vous voyez cet homme, me dit le moine; la femme qui aura cédé à ses instances ne mérite pas un regret, car il n'a pas un remords. L'intrigue dont il vous a fait involontairement confidence n'est qu'une folie de jeune homme; si malheureusement votre femme est coupable vous devez l'oublier à jamais.

» – Elle mourra! lui dis-je.

»Il me regarda sévèrement.

» – Une erreur de ce genre ne mérite pas votre colère et vous dégage de toute affection. L'épreuve à laquelle j'ai soumis ce jeune homme est certaine; il n'a pas aimé, il n'aime pas, il n'est pas aimé. Un amour profond, même quand on ne le partage pas, laisse son empreinte chez la personne aimée. Croyez-moi, mon fils, ces gens ont péché sans vous offenser. Dans le cas où le crime que vous soupçonnez serait réel, bénissez le ciel; il vous délivre d'une compagne qui vous aurait déshonoré tôt ou tard.

»Ces paroles d'Anselme me semblaient oraculaires; je ne cherchais pas à les comprendre ou à les discuter. Il me fallait un guide, ma main le suivait sans réflexion.

»Mais essayer de bannir l'image de Marie était inutile; je ne pouvais déraciner ainsi mon premier et mon seul amour. Tout rappelait à mon esprit sa beauté, sa simplicité, sa piété, surtout cette délicatesse du sens moral qui s'accordait si peu avec la grossière erreur et l'entraînement sans excuse que l'on attribuait à la maîtresse de sir Ormond. Cependant la première rage était passée. A ma fureur succéda une douleur plus calme, et, si je puis me servir de cette expression, plus exquise. Oh! l'angoisse de ces journées! Oh! la douleur de perdre une telle consolation, un tel soutien, un tel amour, tout l'espoir de ma vie!

»Deux jours après je m'embarquai pour l'Angleterre, et aussitôt après mon arrivée à Falmouth, je partis pour Bath. C'était là qu'étaient restées les traces du crime, et que m'attendaient les seuls renseignemens que je pusse espérer. Me voilà en face de l'auberge que sir Ormond avait désignée; j'entre, tout mon corps frémit de crainte. Une femme de moyen âge et assez jolie se présente à moi, c'est la maîtresse de la maison. On me sert du thé. Sous prétexte que j'ai quitté depuis long-temps l'Angleterre et que je désire m'instruire de quelques particularités relatives à l'état de mon pays, je prie la servante de demander à sa maîtresse si elle peut venir prendre le thé avec moi.

»J'étais arrivé à mon but, et j'allais causer avec celle qui connaissait le secret fatal. Elle monta dans ma chambre, et les discours que je tins furent si incohérens qu'elle s'en étonna. J'étais trop préoccupé du seul sujet qui m'intéressât, pour que mes autres paroles ne fussent pas obscures et confuses. Je passais d'un sujet à l'autre, et j'essayais vainement de donner à ma conversation l'ordre et la suite nécessaires pour inspirer de la confiance à l'hôtesse. Quand je vis que ses regards surpris se fixaient sur moi:

» – Pardon, lui dis-je, madame, vous vous apercevez de mon inquiétude; j'ai des sujets de chagrin profonds, des soupçons cruels à éclaircir; je suis jaloux d'une femme que j'adore, et l'anxiété où je suis doit se peindre dans tous mes discours.

»Je vis que son coeur de femme s'intéressait à mon chagrin et que sa curiosité était excitée.

» – Hélas! repris-je, le lieu même où je suis ne fait qu'accroître mon émotion. S'il faut en croire au scandale qui est venu jusqu'à moi dans un pays étranger, c'est à Bath même que s'est formée l'intrigue qui me désespère.»

»A mesure que je parlais j'examinais à la dérobée les traits de l'aubergiste dont l'émotion et le trouble s'accroissaient pendant mon récit.

» – Je ne connais pas assez la ville de Bath, continuai-je d'un ton assez indifférent, pour trouver sur un sujet qui m'occupe si cruellement des informations exactes. Je sais seulement que l'homme auquel on prétend que je dois mon déshonneur est sir Ormond Mondeville.

»L'hôtesse pâlit; je n'eus pas l'air de m'en apercevoir.

» – Je servais à l'étranger: ma femme et sa mère vinrent passer quelque temps à Bath. Voici, madame, comment on m'a fait le cruel récit de ma honte et de mon malheur: sir Ormond les attendait dans une auberge de Bath ou des environs…

»L'hôtesse, qui tenait une tasse de thé à la main, trembla et en répandit le contenu sur la table. – La jeune femme quelle qu'elle soit, sous prétexte d'une indisposition grave, demanda une chambre séparée. Au milieu de la nuit, l'hôtesse entendant du bruit dans la chambre de cette dernière y entra; sir Ormond Mondeville s'y trouvait: cent livres sterling furent offertes par sir Ormond à cette femme, qui lui promit le silence.

»Je crus que l'hôtesse allait se trouver mal.

»Les renseignemens que m'avait donnés le père Anselme étaient si précis, j'affectais une si complète ignorance du rôle important que l'hôtesse avait joué dans l'aventure, enfin j'étais si bien instruit qu'elle fut obligée de convenir que tout était vrai et que son auberge avait été le théâtre de l'aventure. Je ne voulus pas pousser plus loin mon enquête, et le lendemain je partis pour Londres sans vouloir lui dire mon nom. Il me restait une dernière et faible espérance, la possibilité de quelque méprise qui aurait disculpé Marie, et m'aurait rendu le bonheur. Qu'on imagine avec quelles palpitations de coeur je retrouvai le foyer domestique!

»Marie, en me voyant, se jeta dans mes bras avec une effusion de sensibilité qui me toucha d'abord; puis songeant à sa perfidie, je crus sentir les étreintes d'un serpent, et je fus près de la repousser: je me contraignis. Avec quelle admiration maternelle elle me parla de la beauté de nos enfans, de leurs grâces enfantines et de ses espérances! Comme je souffrais, monsieur, de tout ce qui, sans cette fatale circonstance, m'eût pénétré de bonheur! Chaque battement de mes veines était une douleur; chacune de ses paroles me frappait comme une blessure. Elle pleurait, tout agitée encore de la joie de mon retour, et comme je l'observais d'un air sombre, je crus découvrir dans son regard je ne sais quelle lueur étrange; cet indice excepté, tout en elle respirait la tendresse et la candeur. Pour moi, je n'y voyais que ruse et déception. Elle m'amena ses enfans avec une allégresse et un triomphe de mère: il était impossible de conserver l'ombre d'un soupçon en la regardant; mais elle se détourna, je l'épiai, et je la vis essuyer furtivement des larmes qui coulaient de ses yeux. C'était pour moi la preuve d'un remords qui se trahissait involontairement, le témoignage d'une angoisse secrète infligée par le repentir à cette ame qui n'était point encore entièrement corrompue.

»Je ne sais si ma femme s'aperçut de la contrainte et du tourment que j'éprouvais, il y eut entre nous un moment d'embarras et de silence, puis je pris tout à coup ma résolution.

» – Emmenez les enfans dans la chambre de leur nourrice.

»On les emmena, je restai en silence: Marie les vit partir sans leur adresser un mot, sans leur faire une caresse; sa stupeur acheva de me convaincre. Quand la porte fut fermée je la regardai, elle était pâle; elle arrêtait sur moi un oeil hagard, et restait muette devant moi.

» – Madame, veuillez répondre à quelques questions.

»Elle se tut.

» – Quand avez-vous fait connaissance avec sir Ormond Mondeville?

»Point de réponse.

» – Est-ce dans votre voyage de Londres à Bath?

»Même silence.

» – Répondez-moi, malheureuse femme; je voudrais pour tout au monde vous arracher au coup de l'infamie qui vous flétrit. Répondez!

»A ces mots je me levai; elle se leva aussi, étendit ses bras vers moi, puis laissa échapper un éclat de rire convulsif, mouvement si terrible, si hideux à voir, et accompagné d'un cri si aigu que vous auriez frémi, que je tremble encore d'horreur en me le rappelant. Puis elle me contempla un instant d'un air solennel, et tomba par terre. Je commandai au domestique de la porter dans sa chambre. Un reste de tendresse me parlait pour elle; je pris soin d'elle, et aussitôt qu'elle eut repris l'usage de ses sens, je sortis pour me rendre chez son père. C'est un plus des vénérables vieillards de la pairie anglaise; homme froid, d'une probité à toute épreuve, et d'une rare hauteur de raison. J'étais si douloureusement ému que, lorsque je le vis, les larmes jaillirent de mes yeux.

»Sa froideur m'étonna. Elle contrastait avec mon émotion et semblait me la reprocher. D'un air de réserve et de hauteur cérémoniale, il me demanda ce que je venais faire en Angleterre, depuis combien du temps j'y étais, et si je comptais y rester long-temps. Je me persuadai qu'il savait d'avance les torts de sa fille, et que sa froideur avec moi n'était qu'un moyen d'éloigner les reproches que j'avais à lui faire. Dans tous les temps, il est vrai, je l'avais vu froid, posé, et ses ennemis taxaient de morgue et d'insolence aristocratique la réserve de ses manières. Mais bouleversé comme je l'étais, il me semblait que cette froideur était une insulte à mon émotion. Je m'armai de courage, mes larmes se tarirent, et je lui fis à mon tour, d'un ton calme et concentré, le récit de mon aventure à Messine et de ma visite à Bath. Je ne lui cachai aucune particularité, ni la lecture de ce fatal article de journal, ni les conseils du père Anselme, ni ma conversation avec l'hôtesse.

»Il m'écouta en silence. Sa fille avait paru consternée, lui n'était qu'attentif. Il fit plusieurs tours dans sa galerie d'un air méditatif, passant souvent sa main sur son front, mais sans trahir aucune émotion par ses gestes ou ses paroles.

» – Cela n'est pas impossible, me dit-il ensuite en croisant les bras et s'arrêtant devant moi.

»C'était un caractère profond, parfaitement maître de lui-même dans toutes les circonstances, qui exprimait toujours une pensée par une parole et cachait la plus grande partie de ses pensées. Il continua cependant:

» – Ce que vous me dites est étrange; nous verrons.

»Une larme roulait dans ses yeux, il se hâta de l'essuyer. La douleur de cet homme vénérable, cette double souffrance de l'orgueil et de l'amour paternel, cette larme arrachée à un vieillard toujours calme et maître de lui, m'ébranlèrent jusqu'au fond de l'ame. Je me levai brusquement. Tout semblait confirmer nos soupçons.

» – Je partirai bientôt, lui dis-je; d'ici à mon départ, j'habiterai la maison de ma mère, où je vais faire conduire mes enfans.

» – Vous n'avez pas perdu de temps, monsieur, et vous allez bien vite: au surplus, je passerai chez vous dans la journée.

»Nous nous quittâmes froidement. J'étais déterminé à faire avec la plus grande promptitude les démarches nécessaires pour hâter le divorce, et je ne doutai pas un moment de la justesse de nos soupçons. Si les preuves légales du crime manquaient, toutes les preuves morales concouraient à le prouver: la consternation de Marie, le long silence de son père, le trouble et l'aveu de l'aubergiste, ces fatales initiales employées par le journaliste, ce voyage de Bath qui se trouvait à la fois dans le récit du jeune homme, dans la lettre de ma femme et dans l'article du journal. Ma tête brûlait, mon corps chancelait quand j'arrivai chez ma mère. Les caresses de mes enfans, que j'envoyai chercher, ne me touchèrent pas. Ma mère, à qui l'on avait appris l'état où se trouvait ma femme et mon départ précipité, était sortie. Je sus plus tard qu'elle s'était rendue chez moi; mais dans le premier moment, son absence me surprit. Craint-elle, me dis-je, de retrouver un fils malheureux, et a-t-elle à se reprocher de n'avoir pas prévenu ma douleur par des conseils assez sévères et une surveillance assez attentive? Hélas! j'étais injuste, et j'oubliais que le premier mouvement d'une mère est de s'élancer chez un fils souffrant.

»Je m'étendis sur un sofa, et j'attendis avec angoisses. A l'instant où je me levais pour aller à sa recherche, ma mère entra, et quelques minutes après on annonça lord Barndale, père de Marie. Ma mère n'avait eu que le temps de prononcer ces paroles:

» – Je viens de chez vous: votre femme est partie dans une voiture de louage, sans dire où elle allait.

»Lord Barndale venait aussi de ma maison; il y avait sur sa figure une expression de résolution et de douleur.

– »J'ai pensé, monsieur, me dit-il, à tout ce que vous m'avez appris; ne jouons pas notre bonheur et notre repos. Il peut y avoir erreur dans tout cela. Nous allons monter dans la même chaise de poste, et nous irons à l'instant trouver cette femme qui n'imposera pas à notre crédulité. Nous la paierons, mais pour nous faire des révélations complètes. Venez, monsieur.

»Ses mains se serraient convulsivement. Je pris mon chapeau. Nous partîmes, et pendant toute la route nous ne prononçâmes pas un mot. Nous arrivâmes le soir même de bonne heure à l'auberge. Quel fut mon étonnement ou plutôt mon indignation quand je vis Marie dans le parloir! Elle était donc venue s'assurer de la discrétion de l'hôtesse, et sa présence seule dans ce lieu était une preuve de sa faute.

» – Vous ici, madame, lui dis-je! comment y êtes-vous venue? pourquoi?.. Qui vous a donc appris que je fusse venu ici avant vous?.. N'espérez pas…

»Elle m'interrompit en tirant vivement le cordon de la sonnette; l'hôtesse se présenta. Marie voulut parler, je lui imposai silence, et je dit à la maîtresse de l'hôtel:

» – Lady Osprey n'a-t-elle point passé une nuit dans votre auberge, dans le même lit que sir Ormond Mondeville?

»L'hôtesse pâle hésita un moment.

» – Vous me l'avez dit, repris-je; n'en êtes-vous pas convenue?

» – Oui, monsieur.

» – Quel nom? Répondez. Quel est le nom de cette femme?

» – Vous venez de le prononcer.

» – Lady Osprey?

» – Oui.

» – Je vais parler à madame, disait d'une voix entrecoupée Marie, qui, depuis son enfance sujette à des palpitations violentes, avait appuyé sa main sur son coeur et avait peine à prononcer ce peu de mots. Elle se leva en tremblant, et regardant l'hôtesse, elle lui dit:

» – Suis-je lady Osprey?

»L'hôtesse se tut quelques momens, parut incertaine, et dit enfin:

» – Non, madame.

» – Ces ruses ne me tromperont pas, Marie; c'est une adresse inutile. Combien avez-vous donné à cette femme? Sir Ormond Mondeville lui a donné cent guinées.

»Marie me regarda. Au nom de sir Ormond, l'hôtesse tressaillit, et je me tournai vers lord Barndale.

» – Croyez-vous, lui demandai-je, que l'on puisse trop payer cette femme pour savoir d'elle la vérité?

» – Non certes, dit le père.

»Son énergie était vaincue.

» – Marie, disait-il, vous que j'ai élevée, vous que j'aimais! est-il possible? répondez, vous être livrée à cet homme!

» – Vous n'êtes pas convaincu? dit Marie; eh bien! voici ce que j'exige: allons à Bath. Faites ce que je désire; il faut que cette femme vienne avec nous. Et vous, mon père, prenez-moi sous votre protection.

»Elle avait l'air de souffrir beaucoup en parlant.

» – Faisons ce qu'elle demande, dit lord Barndale, nous déciderons après.

»L'aubergiste se refusait d'abord à nous accompagner mais Marie lui dit d'un ton impératif et avec une énergie qui m'étonna:

» – Il le faut!

«Le changement subit qui venait de s'opérer chez Marie me blessa. Était-ce donc cette femme si délicate et si faible qui prenait tout à coup une attitude arrogante, et un ton auquel la convenance semblait manquer? Nous partîmes.

»Lord Barndale était avec sa fille dans une chaise de poste; je me trouvais avec l'aubergiste dans une autre. Trois fois il fallut s'arrêter pour secourir Marie, dont les évanouissemens nous affligeaient; l'hôtesse paraissait très-émue et à peu près incapable de répondre à mes questions.

»Lorsque nous descendions de voiture, Marie semblait affecter de ne faire aucune attention à moi. Je ne sais quelle résolution violente paraissait l'animer. Arrivée à Bath, elle fit dire au postillon de se diriger vers un hôtel de la rue Pultney qu'elle indiqua très-exactement. Quand nos voitures s'arrêtèrent, Marie descendit la première, frappa, dit au domestique de prier sa maîtresse de descendre un moment, et nous fit signe de la suivre. Nous étions tous debout dans le parloir de cette maison inconnue quand la dame du logis se présenta devant nous; à peine avait-elle mis le pied dans la chambre que l'hôtesse, s'avançant d'un pas et la regardant fixement, s'écria:

» – Voici lady Osprey!

»La dame pâlit, recula vers la porte et eut l'air de reconnaître l'aubergiste.

» – Vous vous trompez, lui dit-elle, je suis lady Heathstone.

» – Non, non, s'écria l'hôtesse avec beaucoup d'émotion et de violence, c'est vous qui m'avez dit votre nom, vous-même, cette nuit où vous êtes venue dans mon auberge avec lord Mondeville, et où je vous ai surprise! Cette jeune dame, ajouta-t-elle en montrant Marie qui se trouvait mal pendant cette explication, logeait aussi chez moi, et elle vous a vue; elle vous a même saluée le matin lorsque vous partîtes avec sir Mondeville.

» – Il y a ici quelque erreur, reprit lady Heathstone; que voulez-vous dire?

»Je m'avançai vers lady Heathstone, en priant lord Barndale d'avoir soin de sa fille.

» – Sir Ormond, que j'ai eu le plaisir de voir à Messine, dis-je à cette dame, avait raison de faire l'éloge de votre politique et de votre adresse, cependant elles échouent aujourd'hui. Rendez son nom et son honneur à lady Osprey, madame.

»Elle se jeta sur le sofa, et couvrant son visage de ses mains, elle s'écria:

» – Quoi! vous l'avez vu à Messine?

» – Quittons cette femme, dit d'une voix sombre lord Barndale, qui ne pouvait parvenir à rendre à sa fille l'usage de ses sens.

»Nous la replaçâmes dans la chaise de poste, mourante, presque inanimée, incapable de ressentir la joie que devait lui causer son innocence, si hautement reconnue. Hélas! monsieur, que puis-je vous dire de plus, pendant deux mois elle languit; elle me pardonna et mourut d'un anévrisme au coeur, déterminé par tant de secousses et d'émotions.

»Le père indigné déclara qu'il ne me reverrait jamais. J'eus le malheur de perdre mes deux enfans. Je n'avais plus rien à faire au monde, monsieur, je revins en Sicile, où j'espérais trouver encore lord Mondeville, à qui je voulais demander vengeance de tous les maux que sa fatuité avait fait tomber sur moi, et de l'indigne supposition de nom qui avait flétri l'honneur de ma femme: il était parti pour les Indes avec une commission du gouvernement. Le père Anselme me facilita l'entrée de ce cloître, où je trouve un asile. Hélas! tous les lieux me sont indifférens! Une seule pensée de haine me reste, au milieu de tant de pensées douloureuses! J'ai de l'aversion pour ces institutions sociales qui me condamnent au malheur. Ah! le mariage, monsieur, le mariage! posséder une femme, l'aimer, la croire à soi et trembler toujours; et ne jamais savoir si un autre ne reçoit pas en pur don ce que la loi nous accorde et ce que le coeur peut nous refuser; n'être jamais certain que les désirs et les voeux d'une épouse sont pour vous, sont à vous; conserver pour un autre et élever pour les menus plaisirs d'un ami ces créatures si frêles, si délicates, que nous pouvons briser en les adorant, et que nous couvrons de nos hommages immérités, après les avoir accablées de nos injustices.»

TOBIAS GUARNERIUS

Par une soirée bien brumeuse d'hiver, mon arrière-grand-père, retenu pour quelques affaires à Brème en Saxe, se promenait dans une petite rue écartée, derrière la cathédrale. Ce qu'il faisait là, vous le comprendrez de reste quand je vous aurai appris qu'il avait alors vingt ans, et qu'il est peu de villes en Allemagne où les grisettes soient plus gracieuses et plus agaçantes. Ceci soit dit sans altérer en rien la bonne opinion que par avance vous auriez pu prendre de son mérite. Mais depuis plus de vingt minutes l'heure du rendez-vous était sonnée à toutes les horloges, sans que celle qui l'avait donné eût songé à s'y rendre, et mon arrière-grand-père attendait toujours.

Le gouvernement représentatif nous a trop bien guéris, hélas! de ces merveilleuses patiences d'amour: bien admirable pour moi serait l'homme qui s'en rencontrerait encore capable aujourd'hui.

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