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Les bâtiments en pierre élégants de La Leggenda, nettoyés par la pluie et débarrassés de leur poussière estivale, luisaient d’un éclat bronze doré dans le soleil matinal. Quand Olivia remonta l’allée pavée, elle admira la plantation de vignes la plus proche, qui s’étendait sur le coteau pentu. Elle se sentit fière d’avoir travaillé ici quand ces vignes avaient été plantées. Maintenant, ces vignes, visiblement robustes et à croissance rapide, étaient saines et fortes. Elles aussi, elles semblaient avoir prospéré et donnaient l’impression d’avoir poussé à toute vitesse après l’orage de la veille.
Avant d’approcher de l’entrée cintrée de la salle de dégustation, Olivia risqua un coup d’œil dans le bâtiment de vinification.
Il n’y avait aucun signe de Nadia.
Elle ne reviendrait peut-être travailler que le lendemain. Parfois, il y avait des miracles, n’est-ce pas ?
Ce qui l’inquiétait plus, c’était que la voiture de Marcello n’était pas dans le parking. Cela signifiait que, ce matin, il était peut-être en train d’inspecter les vignobles, ou même en train de travailler dans l’autre exploitation viticole près de Pise. Olivia allait devoir attendre, vérifier s’il arrivait et être prête à s’excuser dès le moment où il apparaîtrait.
Quand Olivia entra dans la salle de dégustation, elle écarquilla les yeux. On aurait dit qu’un pugilat était en train de s’y dérouler.
– Non, non, non ! cria une voix passionnée à l’accent français. Comment pouvez-vous autoriser ce genre de chose ? C’est mal, mal, vraiment mal. Inacceptable !
Olivia reconnut les tons distinctifs de Jean-Pierre Pelletier, son tout nouvel assistant sommelier.
Avec qui se disputait-il de si bon matin ? se demanda Olivia.
Elle se précipita à l’intérieur pour essayer de calmer la diatribe de Jean-Pierre, mais elle s’arrêta brusquement quand elle entendit la réponse stridente.
– J’autorise ce que je veux. Je suis en charge, ici, et je refuse de recevoir des ordres d’un homme jeune, ignare et encore inexpérimenté !
Olivia reconnut les tons furieux aux accents italiens de Gabriella, la directrice du restaurant.
Il se trouvait que Gabriella était aussi l’ex-petite amie de Marcello. Comme Olivia s’était immédiatement sentie attirée par Marcello quand elle l’avait rencontré et comme elle avait senti qu’il était attiré lui aussi, elle pensait que c’était pour cela que Gabriella avait ressenti de l’aversion pour elle dès le premier jour. En fait, ce n’était pas de l’aversion mais une haine malveillante. Gabriella avait essayé de son mieux de faire renvoyer Olivia de l’exploitation viticole.
Eh bien, si Jean-Pierre l’exaspérait, c’était dommage, n’est-ce pas ?
Olivia ralentit le pas et, avançant nonchalamment, entra sans se presser et écouta non sans plaisir la dispute se poursuivre avec moult hurlements.
– Ignare ? Mon père a travaillé dix ans dans un des restaurants de Paris les plus décorés par Michelin et il m’a appris qu’on devait placer le verre de vin rouge à gauche du verre de vin blanc pour un arrangement formel de table.
Quand Olivia s’arrêta à mi-course pour redresser une des fiches de dégustation placées sur le long comptoir en bois, elle se rendit compte que Jean-Pierre n’avait pas l’air agressif. Il avait juste l’air passionné, comme s’il ne pouvait pas supporter que Gabriella se trompe à ce point.
– Dans notre restaurant, nous faisons autrement, répliqua sèchement Gabriella.
Olivia entendit à sa voix qu’elle était sur la défensive. Elle savait que cela signifiait que Gabriella avait perdu et qu’elle ne ripostait que pour avoir le dernier mot.
– Eh bien, vous le faites de manière incorrecte ! s’écria Jean-Pierre.
Olivia entendit à son ton qu’il était vraiment exaspéré.
– Bonjour, Jean-Pierre. Sommes-nous prêts à commencer la journée ? demanda-t-elle, décidant que, si elle intervenait à ce moment-là, cela permettrait à Jean-Pierre d’avoir le dernier mot et de gâcher complètement la journée de Gabriella.
Jean-Pierre repartit rapidement dans la salle de dégustation en laissant Gabriella chercher une réponse appropriée, frustrée et bouche bée.
Mince, les cheveux foncés et âgé d’à peine vingt-et-un ans, Jean-Pierre était le candidat qu’elle avait embauché parmi les cinq qui avaient été impatients de commencer une carrière dans le monde du vin.
Elle avait choisi ce jeune homme pour sa passion évidente et pour sa nature éloquente. Quand il s’était excité pendant l’entretien, la façon dont il avait agité les bras avait rappelé Nadia à Olivia. Elle avait pensé qu’il s’adapterait bien à l’atmosphère italienne de l’exploitation viticole et que, avec son enthousiasme, il irait loin.
Jusque-là, les instincts d’Olivia avaient fait mouche mais, à l’origine, elle ne s’était pas rendu compte qu’elle serait obligée de passer autant de temps à gérer ses crises de colère.
– Bonjour, Olivia. Tout est prêt pour l’arrivée des touristes. J’essayais d’aider à préparer les tables d’à côté, expliqua-t-il en adressant à Olivia un coup d’œil anxieux.
– La salle de dégustation a l’air parfaite, dit Olivia pour le complimenter.
Quand elle contempla la salle spacieuse, elle se sentit fière. Le long comptoir de dégustation brillait et la rangée de tonneaux en bois portant le logo de l’exploitation viticole constituait un décor parfait pour les clients. La chaleur rayonnante des lettres dorées symbolisait la gentillesse de l’accueil et l’expérience de dégustation que les clients appréciaient.
Des posters encadrés permettant de découvrir l’histoire de La Leggenda et ses vins étaient disposés le long des murs. De plus, sur les tables, il y avait des dépliants en papier glacé tout nouveaux pour les clients qui désiraient avoir plus d’informations.
Olivia était fière de ces dépliants, parce que c’était elle qui les avait créés. Elle avait récemment pris la direction du marketing de l’exploitation viticole en plus de son travail en salle de dégustation et les brochures étaient une des manières qu’elle avait de mettre en valeur la présence de la marque « La Leggenda ».
– Si vous remarquez que quelque chose ne va pas dans le restaurant, n’hésitez jamais à le dire à Gabriella. Après tout, il faut que nous respections les niveaux d’excellence les plus élevés qui soient dans toute l’entreprise, ajouta-t-elle.
En parlant, elle avait élevé la voix juste au cas où Gabriella l’aurait écoutée. Elle était sûre qu’elle l’avait écoutée et elle se sentait heureuse de l’avoir contrariée à nouveau. Cela faisait longtemps qu’elle n’en avait plus eu l’occasion.
Quand Marcello lui avait demandé d’embaucher un nouvel assistant sommelier, Olivia avait commencé par recommander Paolo, un serveur du restaurant qui aimait aider dans la salle de dégustation pendant les pics d’activité.
Gabriella l’avait déjouée en promouvant immédiatement Paolo au poste de serveur en chef. C’était une grande opportunité pour ce beau jeune étudiant, car cela signifiait qu’il allait gagner plus et qu’il n’aurait plus besoin de polir les verres, tâche qu’il n’aimait pas.
Olivia avait été déçue et en avait conclu à raison que Gabriella l’avait fait rien que pour l’agacer.
Maintenant, elle était contente que Jean-Pierre, qui avait été embauché parce que Paolo n’était plus disponible, semble avoir des talents remarquables pour énerver Gabriella. Ce n’était pas la première fois qu’ils se disputaient. Olivia ne pouvait s’empêcher de se sentir satisfaite à chaque fois qu’elle les entendait élever la voix. Elle espérait que cela montrait à Gabriella que les actions mesquines pouvaient avoir des conséquences imprévues.
– Nous proposons une offre spéciale aux clients pendant les prochaines semaines, dit-elle à Jean-Pierre. S’ils prennent le menu de dégustation complet, ils pourront goûter le tout premier vin pétillant Metodo Classico de La Leggenda.
Les yeux de Jean-Pierre s’illuminèrent. Olivia avait déjà découvert que le vin pétillant, et surtout le champagne français, était sa boisson préférée.
– Excellent. Je trouve que ce vin pétillant est exceptionnel, dit-il avec enthousiasme. Je sais que les clients l’aimeront.
– C’est un bijou de vinification, convint Olivia.
La mention de la vinification la fit frissonner d’inquiétude en lui rappelant que tout un monde d’ennuis l’attendait.
Or, à ce moment, un cri perçant résonna de l’extérieur de la salle de dégustation.
– Olivia ! Où est Olivia ? Je veux lui parler immédiatement.
Olivia sentit le découragement l’envahir. Du coin de l’œil, elle vit Gabriella s’attarder à l’entrée du restaurant avec une expression intéressée, comme si elle avait senti qu’Olivia allait avoir des ennuis.
Nadia était arrivée.
Elle n’avait pas encore pu s’excuser auprès de Marcello et, maintenant, elle ne le pourrait plus. Elle serait obligée de supporter toute la furie de Nadia et sa terrible erreur serait dévoilée à toute l’exploitation viticole.
CHAPITRE TROIS
– Olivia ! Te voilà !
Nadia entra brusquement dans la salle de dégustation.
Elle tenait une carafe remplie d’un liquide rose éclatant à la main droite. Elle gesticulait frénétiquement avec la gauche.
Olivia sentit une poussée d’angoisse. Le vin était d’une couleur magnifique, presque comme un bijou. Il était tragique qu’une chose d’une beauté aussi éclatante soit celle qui allait causer sa chute.
– Où est Marcello ? Est-il ici ? demanda Nadia.
Olivia déglutit. C’était pire que ce qu’elle avait imaginé. Si Nadia exigeait que Marcello soit présent, cela signifiait que ce qu’Olivia avait fait était impardonnable.
– Je ne sais pas où il est. Je le cherche parce que – euh —
Elle ne termina pas sa phrase. L’excuse sincère qu’elle avait prévu de formuler était maintenant inutile.
Nadia grimaça.
– Quel dommage. Eh bien, j’imagine qu’il va falloir qu’on en discute à deux, dans ce cas. Avec Jean-Pierre, bien sûr.
Son visage s’illumina, comme si elle était heureuse de trouver un public plus grand.
Olivia la contempla, stupéfaite, consternée.
Jean-Pierre ? Pourquoi fallait-il l’impliquer dans cette affaire ? Est-ce que Nadia allait la licencier et demander à Jean-Pierre de la remplacer ?
Risquant un coup d’œil vers le restaurant, Olivia vit l’expression de joie malsaine de Gabriella. La restauratrice les observait depuis la porte et se délectait de l’épreuve que traversait Olivia.
– Jean-Pierre, mon beau chéri.
Nadia lui adressa un grand sourire. Elle s’était immédiatement entichée du Français mince et spontané. Ces deux-là semblaient être des âmes-sœurs qui avaient tout de suite reconnu leurs traits de personnalité principaux chez l’autre.
– Va nous chercher des verres, merci beaucoup, jeune, petit, beau, grand homme.
Comment l’appelait-elle ? Beau jeune homme petit et grand ? Comme Olivia n’avait qu’une connaissance limitée du français, elle ne pouvait dire si ce fatras de mots était ne serait-ce que correctement conjugué. Elle ne pensait pas que Nadia le savait mieux qu’elle. La vigneronne semblait aimer pratiquer son français exécrable à l’oral et, même si Jean-Pierre grimaçait parfois à cause de l’accent de Nadia, il trouvait amusant d’entendre sa langue déformée par inadvertance.
Même si Olivia travaillait dur pour améliorer son italien et même si elle le comprenait mieux jour après jour, elle était beaucoup trop timide pour le parler et ne pouvait qu’admirer la bravade dont Nadia faisait preuve quand elle tentait de parler une langue étrangère.
Perplexe, Olivia regarda Jean-Pierre tendre le bras par-dessus le comptoir et sortir trois verres de dégustation d’un geste élégant.
Souriant fièrement, Nadia versa du vin dans chaque verre.
– Jean-Pierre, goûte ça. C’est le tout premier rosé de La Leggenda et c’est ta patronne qui l’a conçu !
Elle fit un grand sourire à Olivia qui, choquée, faillit laisser tomber son verre. La situation n’évoluait pas comme elle l’avait prévu.
– C’est encore un très jeune vin, mais il correspond idéalement à sa raison d’être : nous le vendrons et nos clients le boiront l’été prochain. Comme ça, il n’aura pas besoin de trop mûrir avant d’être mis en bouteille. Comme tu t’en rends compte, c’est une merveille absolue. Il est plus qu’excellent : il est magnifique. Olivia, je crois que, avec ton expérience, tu as créé un autre Miracolo, un vin qui n’aurait pas dû fonctionner mais qui a fonctionné quand même et qui rapportera un succès et des louanges extraordinaires à notre exploitation viticole.
Nadia sirota le vin, apparemment passionnée.
Olivia se pencha contre le comptoir. Elle était reconnaissante de pouvoir s’appuyer contre lui à cause de ses jambes flageolantes.
Nadia aimait son vin ? Où étaient les ennuis qu’elle avait anticipés ? La vigneronne ne semblait pas du tout être en colère qu’Olivia ait utilisé les raisins. L’espace d’un instant, elle se demanda si elle n’était pas encore endormie dans son lit et si tout cela n’était pas un rêve étrange.
Elle remua un pied pour vérifier.
Non, elle n’était pas endormie. Si elle l’avait été, Pirate lui aurait griffé un orteil et elle se serait réveillée. De toute façon, Jean-Pierre et Nadia étaient encore en train de parler de sa création.
– C’est délicieux, convint Jean-Pierre. J’adore le bon rosé. C’est un bon exemple de vin très moderne. Il a un goût subtil, complexe et il est très facile à boire.
– Exactement, dit Nadia en claquant la paume de la main sur le comptoir. En ce qui concerne les ventes, le rosé est le type de vin qui se vend le mieux, surtout sur le marché américain.
– Pourquoi ? demanda Jean-Pierre.
Olivia voyait qu’il était prêt à retenir ce que dirait Nadia pour améliorer sa connaissance du vin.
– Certaines personnes pensent que c’est parce qu’il plaît à la génération Y, qui l’adore, mais d’autres pensent que c’est parce qu’on produit beaucoup de rosés de bonne qualité de nos jours, expliqua Nadia. Il y a trente ans, les rosés étaient très mauvais et trop sucrés, du sirop pour la toux rose vif, pas mieux. De nos jours, la plupart des rosés sont secs ou demi-secs et d’une qualité largement supérieure. De plus, leur belle couleur est un argument de vente supplémentaire.
Finalement, Olivia osa goûter son vin. Elle inspira son arôme floral frais avec une nuance de melon. Elle avait adoré son bouquet distinctif et charmant. Maintenant qu’elle pouvait le réévaluer, elle décida que son goût était riche en cerise, en fraise et en herbes sauvages, avec une saveur piquante d’agrumes qui apportait une finition agréablement sèche.
– Comment fabrique-t-on du rosé ? demanda Jean-Pierre. Est-ce qu’on mélange du vin rouge à du vin blanc ?
Nadia leva les yeux au ciel et le contempla affectueusement.
– C’est mal vu, ou même exclu. Traditionnellement, on fabrique le rosé avec des raisins rouges. Sa couleur étonnante s’obtient en laissant la peau sur les raisins pendant une période très brève du processus, un jour ou deux, pas plus.
Olivia hocha la tête. Elle avait laissé la peau en contact avec le vin pendant vingt-quatre heures.
– Avec le vin rouge, on laisse la peau beaucoup plus longtemps, poursuivit Nadia en gesticulant de manière éloquente pour accentuer l’importance de ses mots. Quand on laisse la peau sur les grains de raisin rouge très peu de temps, on obtient une teinte de rosé d’un rose magnifique et cela donne une saveur exquise, sans la lourdeur du rouge traditionnel, que certains n’aiment pas. Bien que les vins blancs soient plus spécifiquement associés à certains menus, le rosé est un vin beaucoup plus polyvalent et on peut l’apprécier avec toutes les nourritures. Voilà, c’était ta leçon de vin de la journée.
Elle leva son verre pour porter un toast à Olivia, qui était encore trop stupéfaite pour dire un seul mot.
– J’allais m’occuper du Projet Rosé l’année prochaine parce que je croyais que nous devrions fabriquer notre rosé surtout à base de raisins sangiovese, qu’on a en quantité insuffisante cette année, mais Olivia a utilisé un mélange créatif de raisins rouges. Elle a été très astucieuse ! dit Nadia en la contemplant avec admiration. Elle a mélangé et associé les dernières récoltes de la saison, dont un peu de raisins Colorino à peau foncée, et cela a donné au rosé une couleur brillante que je n’avais jamais vue.
Finalement, Olivia retrouva sa voix.
– Je suis vraiment soulagée que tu ne sois pas en colère contre moi. Je n’avais pas compris que tu voulais que j’utilise seulement ce qu’il y avait dans la salle de vinification, pas les nouvelles récoltes. Quand Antonio a dit que tu avais déjà réservé les nouveaux raisins pour des vins spécifiques, j’ai craint d’avoir des ennuis.
Nadia haussa les épaules.
– Indépendamment, ces petites récoltes finales n’auraient pas produit de grosses quantités de vin ; c’étaient seulement des ajouts. Combinées, elles ont produit des quantités suffisantes pour que nous puissions vendre ce rosé.
Jean-Pierre le sirota admirativement.
– Il est excellent. Je suis vraiment fier que ma patronne ait fabriqué ce vin.
Quand Olivia jeta un autre coup d’œil vers le restaurant, elle vit que Gabriella était furieuse. Quand elle tourna la tête, l’autre femme disparut de sa vue, visiblement déçue qu’Olivia n’ait été ni réprimandée ni licenciée.
Finalement, Olivia se permit d’admirer la couleur éclatante de sa toute première création de vin sans se sentir coupable.
– Le timing est parfait, expliqua Nadia. Le plus prestigieux des critiques de vin de Toscane, Raffaele di Maggio, va visiter notre exploitation viticole cette semaine pour goûter et noter nos nouveaux produits. Nous pourrons lui présenter ce rosé. Une évaluation favorable sur son site web toscan Wine Tourism aiderait énormément à lancer ce vin. Ce critique a beaucoup d’influence et son site est devenu extrêmement populaire.
– Je me souviens de son nom, dit Olivia.
Elle avait entendu des visiteurs le prononcer et elle savait que beaucoup de touristes consultaient son site, qui semblait avoir acquis énormément de notoriété ces derniers temps.
Elle se sentit un peu nerveuse et se rendit compte qu’elle était plus intimidée que flattée par cette nouvelle. Faire évaluer son rosé par un critique aussi renommé, cela l’effrayait. C’était déjà assez miraculeux que Nadia ait aimé sa nouvelle création, mais elle n’était pas prête à ce que son tout premier vin soit goûté par un expert renommé. Et s’il voyait les choses différemment et ne l’aimait pas du tout ?
*Quelques heures de dur labeur plus tard, Olivia verrouilla la salle de dégustation et sortit. Il y avait une brise très fraîche et elle savait qu’elle apprécierait de pouvoir rentrer chez elle d’un pas rapide pour se réchauffer.
Alors, elle vit la voiture de Marcello monter l’allée sinueuse et oublia complètement qu’il faisait froid.
Le SUV se gara sous l’olivier aux grandes branches et Marcello en sortit, visiblement pressé. Olivia en fut déçue. Il semblait que, depuis la fin de l’été, quand ils s’étaient laissés aller à quelques délicieux moments de flirt et avaient même pris une journée pour aller visiter Pise, Marcello ait toujours eu de plus en plus de travail. Olivia avait cru que, avec l’approche de l’hiver, il pourrait se reposer un peu, mais cela ne semblait pas être le cas.
Elle avait espéré que, quand il ferait froid, ils pourraient passer des soirées à bavarder près du feu qui brûlait dans le vestibule de la salle de dégustation. Elle avait rêvé de plus encore !
Bien sûr, elle avait elle aussi travaillé beaucoup plus que prévu. En plus de ses tentatives de vinification, le travail qu’elle avait consacré au marketing de l’exploitation viticole l’avait obligée à passer des heures dans le bureau situé au fond de la réserve, isolée et avec son ordinateur portable pour seule compagnie.
Alors, quand il la vit, Marcello sourit, ses dents blanches étincelèrent dans son visage bronzé et ses yeux bleus se firent plus chaleureux.
Olivia pensa qu’il avait l’air content mais aussi embarrassé, comme s’il pensait lui aussi qu’il y avait des sujets qu’ils auraient dû aborder ensemble.
– Olivia, c’est un plaisir de te voir, dit-il. Nadia m’a appelé. Elle a dit que tu avais créé un rosé qui sera un cru unique et qui nous rapportera des récompenses. Je suis vraiment fier de toi.
Et dire que, la veille, Olivia avait rédigé une lettre d’excuses pour lui parce qu’elle avait cru qu’elle avait de gros ennuis ! La situation d’Olivia avait énormément changé et elle en avait la tête qui tournait.
– Merci, dit-elle. Je suis vraiment contente que ça ait bien marché, même si ce succès est dû à la chance du débutant.
Elle avait ajouté un tout petit peu de séduction à ses paroles. Après tout, si elle pouvait réussir au-delà de ses rêves les plus fous dans une partie de sa vie, elle pourrait peut-être le refaire dans une autre !
– Pas du tout. C’est de la compétence, dit Marcello en insistant. Ne sous-estime pas tes talents. Je suis fier que nous ayons un nouveau vin délicieux à offrir à ce critique renommé le jour de son arrivée.
Olivia sentit son estomac se nouer à cette idée. Décidant de passer à un sujet moins effrayant, elle parla précipitamment.
– As-tu fini le travail pour la journée ? Tu as prévu quelque chose ce soir ?
Dès qu’Olivia eut prononcé ces mots, elle se dit qu’elle aurait aimé pouvoir les effacer parce qu’elle avait finalement donné l’impression d’être beaucoup trop impertinente. Elle avait presque demandé à Marcello s’il était libre ce soir. C’était foireux. Plusieurs mois auparavant, Olivia avait conclu que, pour qu’il y ait une histoire d’amour entre eux, il faudrait que ce soit son magnifique patron qui fasse le premier pas. Elle ne pouvait pas insister elle-même, car elle avait trop à perdre. Si leur histoire se passait mal, cela pourrait faire courir des risques à son emploi et à son avenir à l’exploitation viticole.
– Plus tard ce soir, j’ai une conférence téléphonique avec un fournisseur des États-Unis, dit Marcello en levant un sourcil. Le nouveau rosé est une nouvelle passionnante dont je compte parler lors de cette discussion.
Déçue, Olivia se força à sourire poliment. Ce n’était pas ce qu’elle avait espéré l’entendre dire.
Cependant, quand il parla à nouveau, il le fit d’un ton charmeur.
– Mis à part ça, je préparerai des pâtes et je boirai un verre de vin rouge. Le plat que j’ai prévu pour ce soir est le Ragu al Cinghiale. C’est un plat toscan traditionnel et délicieux que l’on prépare avec du sanglier sauvage, actuellement en vente à la boucherie du village.
– Du sanglier sauvage ? demanda Olivia.
Marcello hocha la tête.
– Les sangliers sauvages se reproduisent de manière prolifique. Donc, tous les ans, des chasseurs déclarés en tuent un nombre limité dans cette région. Comme ça, les populations présentes dans les forêts restent saines et durables et les sangliers ne sont pas forcés de saccager les vignobles ou les fermes pour trouver à manger, ce qui pourrait bien sûr être dangereux.
– Vraiment ? demanda Olivia, fascinée.
Il y avait des sangliers sauvages dans les bois ? Elle ne l’avait jamais su !
– Je prépare ce plat délicieux pendant les mois les plus froids, pendant la saison où cette viande est disponible. Je crois que j’arrive à le préparer de façon quasi-parfaite. La prochaine fois, je pourrai peut-être t’inviter à essayer le résultat.
Olivia avait le vertige. C’était une invitation. Pas une invitation directe mais, au moins, il y avait du progrès.
– J’adorerais, dit-elle. Je ne suis pas une cuisinière exceptionnelle, mais je crois que ma plus grande réussite jusqu’ici a été le ragoût Pappa al Pomodoro à base de pain rassis, de haricots et de tomates. Quand je saurai bien préparer ce plat, je serai heureuse d’avoir ton opinion.
– Ce sera un plaisir, promit Marcello en inspirant profondément. Entre temps —
Olivia sentit son cœur bondir. Dans la manière dont il avait prononcé ces mots, il y avait du potentiel. Elle se sentit tout affolée par ce qui allait peut-être se passer.
Alors, le téléphone de Marcello sonna.
En fronçant les sourcils pour s’excuser, il vérifia l’identité de celui qui l’appelait puis répondit et se dirigea énergiquement vers son bureau.
Olivia le regarda partir, bouche bée, déçue.
Ils avaient été sur le point de se donner rendez-vous. Elle en était certaine. Maintenant, son attention avait encore été détournée, et qui savait pour combien de temps ? C’était terriblement frustrant et Olivia commençait à se demander si leur histoire d’amour naissante ne risquait pas de rester perpétuellement en suspension.