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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III
Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III

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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III

Язык: Французский
Год издания: 2017
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Le Roi, devant que de partir pour Versailles, envoya à mademoiselle de Fontange un habit dont la richesse ne se peut priser, non plus que l'éclat de la garniture qui l'accompagnoit ne se peut trop admirer. Elle le reçut, et partit un peu après avec Sa Majesté, qui donna tous les divertissemens ordinaires à toutes les dames de la Cour, en réservant un particulier pour son aimable maîtresse. Ce fut un jeudi après midi que cette place d'importance, après avoir été reconnue, fut attaquée dans les formes: la tranchée fut ouverte, on se saisit des dehors, et enfin, après bien des sueurs, des fatigues et du sang répandu, le Roi y entra victorieux. On peut dire que jamais conquête ne lui donna tant de peine. Pour moi, quoique je le croie fort vaillant, je n'en suis point surpris, parce que, s'il nous est permis de juger de la nature de la place par les dehors, l'entrée n'en a pu être que très difficile.

Quoi qu'il en soit, cette grande journée se passa au contentement de nos deux amans; il y eut bien des pleurs et des larmes versées d'un côté, et jamais une virginité mourante n'a poussé de plus doux soupirs. Cette fête fut suivie pendant huit jours de toutes sortes de jeux et de divertissements; la danse n'y fut pas oubliée, et mademoiselle de Fontange y parut merveilleusement, et se distingua parmi les autres13. Le duc de Saint-Aignan s'étant trouvé au lever du Roi le lendemain de la noce, d'abord que le Roi l'aperçut, il sourit, et, le faisant approcher, il lui fit confidence du succès de ses amours. Il l'assura que jamais il n'avoit plus aimé, et il lui dit que, selon les apparences, il ne changeroit jamais d'inclination. Le duc suivit le Roi chez sa nouvelle maîtresse; ils la trouvèrent qui considéroit attentivement les tapisseries faites d'après M. Lebrun, qui représentoient les victoires de Sa Majesté14: elles faisoient la tenture de son appartement; le Roi lui-même lui en expliqua plusieurs circonstances, et, voyant, qu'elle y prenoit plaisir, il dit au duc de faire un impromptu sur ce sujet. La vivacité de l'esprit de M. le duc de Saint-Aignan parut et se fit admirer, car dans un moment il écrivit sur ses tablettes les vers suivans:

Le héros des héros a part dans cette histoire.Mais quoi! je n'y vois point la dernière victoire.De tous les coups qu'a faits ce généreux vainqueur,Soit pour prendre une ville ou pour gagner un cœur,Le plus beau, le plus grand et le plus difficileFut la prise d'un cœur qui sans doute en vaut mille,Du cœur d'Iris enfin, qui mille et mille foisAvoit bravé l'Amour et méprisé ses lois.

Le Roi, impatient de voir ce que le duc écrivoit, lui tira ses tablettes devant même qu'il eût achevé. Il fit la lecture des vers et les trouva fort spirituels; il les fit voir à sa maîtresse, qui les trouva fort bien tournés et fort galans. Le duc lui dit que la chose étoit imparfaite; mais il lui répondit que, dans son imperfection même, il la trouvoit agréable, et qu'il lui demandoit un petit ouvrage sur ce sujet15. Le duc fit un remercîment à Sa Majesté de l'honneur qu'elle lui faisoit de lui commander de travailler sur une matière si noble et si charmante. Après ce compliment, le duc se retira, et laissa le Roi avec mademoiselle de Fontange. Il y passa presque toute la journée; il ne mangea point en public, et la solitude eut pour lui des charmes qu'il n'auroit pas rencontrés dans la grandeur de sa Cour. De vous dire à quoi il employa tout le temps, ce seroit un peu trop pénétrer; néanmoins nous avons lieu de croire que l'amour fut mis souvent sur le tapis, et quelquefois sur la couverture, parce que le lendemain, qui étoit destiné à une partie de chasse, notre belle se trouva un peu lasse et fatiguée, et elle pria le Roi de la dispenser de l'accompagner dans un si pénible exercice. Le Roi, qui ne pouvoit l'abandonner, aima mieux en différer le divertissement que de le donner aux autres dames sans qu'elle y eût part. On remit la partie à trois jours, et on passa cet intervalle de temps dans des jeux, des bals et des festins, où l'adresse et la magnificence du Roi parurent toujours avec éclat. Ce fut dans une de ces fêtes que le duc présenta au Roi les vers qu'il avoit faits par son ordre; le Roi en fit la lecture après le bal fini, et, les ayant trouvés d'une justesse merveilleuse, il en donna le plaisir à toute la Cour par la lecture qu'on en fit publiquement pendant la collation. En voici une copie, qui m'est tombée entre les mains:

TRIOMPHE DE L'AMOURSURLE CŒUR D'IRISL'Amour 16 , cet aimable vainqueur,A qui tout cède et que rien ne surmonte,Etoit près de jouir d'un extrême bonheur,Lorsqu'il se souvint, à sa honte,Que, bien que tout lui fût soumis,Il n'avoit point le cœur d'Iris.Il voyoit mille cœurs qui s'empressoient sans cesseDe venir en foule à sa cour,Car les cœurs ont cette foiblesseDepuis que l'univers est soumis à l'Amour.Le cœur d'Iris ne pouvoit se contraindre;Il les regardoit tous avec quelque mépris.Il n'appartient qu'au cœur d'IrisDe connoître l'Amour et de ne le pas craindre.Ce conquérant avoit droit de s'en plaindre;Que l'on ne soit donc pas surprisSi, rempli d'une noble audace,Il voulut attaquer cette invincible place;Il le voulut en effet,Et ce que l'Amour veut est fait.Avant que d'entreprendre une si juste guerre,Il fit assembler son conseil.Ce conseil n'a point de pareilNi dans les cieux ni sur la terre;C'est un agréable amasDe guerrières vigilantes,Qui sont toutes ses confidentes,Et qui toutes ont des appas.L'on y vit la Magnificence,L'Espérance, la Complaisance,La Tendresse, la Propreté.L'on y vit la Flatterie,La Hardiesse et la Galanterie.L'Amour les aime avec égalité;Car elles sont sous son obéissance,Et le servent de tous côtés,En rendant toutes les beautésTributaires de sa puissance.Mais il n'est pas mal à proposDe dire, en passant, quatre motsDe tant de guerrières aimables.La Galanterie, aujourd'hui,Est une des plus agréables;Elle plaît à l'Amour et ne va point sans lui,Toutes ses actions font voir sa bonne grâce,Elle charme, quoi qu'elle fasse;Elle a de merveilleux talents;Elle se voit partout chérie,Et plus d'un cœur hait les galantsSans haïr la Galanterie.La Flatterie a l'air charmant;Elle paroît d'abord douce, aimable et sincère,Mais, à parler ingénument,Quand elle dit du bien, ce n'est pas pour en faire,Ou du moins c'est très rarement.L'on connoît la Complaisance:Lorsqu'on dira que son pouvoir est grand;Qu'elle vient par sa patiencePresque toujours à bout de ce qu'elle entreprend;Et l'on sait par expérienceQu'Amour, ce charmant vainqueur,Se déguise en ComplaisancePour faire moins de bruit ou pour surprendre un cœur.La Magnificence a des charmes,Quoique la vanité forme tous ses desseins,Et les richesses sont des armesQui peuvent, dans de nobles mains,Vaincre les plus rebelles,Et gagner l'amitié des belles.La Propreté 17 fait moins de bruit.Elle se plaît d'être bien mise,Et souvent en une entrepriseElle retire plus de fruit;On la voit toujours paroîtreSans qu'elle ait rien d'affecté:L'Amour a de la peine à se faire connoîtreLorsqu'il est sans la Propreté.L'Espérance est toujours confianteEt ne se rebute jamais;Quelquefois elle se contenteDans des desseins et des souhaitsQui passent souvent son attente;Mais, quoiqu'ils soient hors de saison,Elle croit faire avec raison.La Tendresse prétend qu'on l'aimeAutant qu'elle prétend aimer,Et les cœurs se laissent charmerA sa délicatesse extrême;A peine peut-on concevoirEt son adresse et son pouvoir:Chacun l'estime et la caresse,Et l'Amour avoue à son tourQue dès qu'il est sans tendresse,Il ne passe plus pour Amour.Je dirai que la HardiesseEst incapable de foiblesse;Elle n'a jamais de langueur;Tout lui donne de l'assurance;Rien ne l'étonne, et sa vigueurS'augmente par la résistance.Les amans les plus amoureuxLa consultent dans leurs affaires,Et souvent les plus témérairesNe sont pas les plus malheureux.Parlons encor de trois guerrières,Moins aimables que les premièresDont j'ai déjà fait les portraits.Commençons par la Jalousie,De qui les coups, de qui les traitsBlessent toujours la fantaisie.Dieux! qu'elle est d'une étrange humeur!Elle n'explique rien qu'à son désavantage,Et, sur le moindre ombrage,Elle se rompt la tête et se ronge le cœur.L'Inquiétude est la seconde;Elle se plaît à fatiguer l'Amour.Il n'est point d'endroit dans le mondeQui ne la divertisse et l'ennuie à son tour,On n'a point de mesure à prendrePour l'arrêter ou pour l'attendre.L'Amour s'en plaint à tout propos;Mais ce qu'il trouve de plus rudeEst que presque toujours il chasse le Repos,Pour retenir l'Inquiétude.La Ruse n'a que lâchetéEt que malice pour partage;Quand elle dit la véritéC'est qu'elle est à son avantage.L'Amour peut s'en servir à la prise d'un cœur,Quoique bien souvent il s'abuse,Car les services de la RuseNe lui font jamais de l'honneur.Or, ces guerrières se rendirentDans le lieu du conseil le jour qu'on avoit pris.On y parla du cœur d'Iris,Et quelques unes, d'abord, direntQu'il étoit honteux à l'AmourDe laisser encor plus d'un jourCette place en état de pouvoir se défendre;Qu'il falloit désormais ou périr ou la prendre;Qu'en vain l'Amour avoit fait tant d'exploitsSi ce cœur refusoit d'obéir à ses lois.Quelques autres, plus retenues,Leur répondirent hautementQue bien que ces raisons fussent assez connues,On devoit agir prudemment;Qu'on ne prenoit pas de la sorteUne place si forte,Et que le cœur d'IrisPouvoit bien plus d'un jourOpposer ses remparts aux forces de l'Amour;Que la place étoit bien gardée,Que par la Vertu même elle étoit commandée, Et que l'Amour avoit été battuPlus d'une fois par la Vertu.L'Amour avoit trop de couragePour s'arrêter à cet avis,Et, sans haranguer davantage,Il voulut que les siens fussent d'abord suivis.La Valeur lui faisoit entendreQu'il est beau de tout entreprendrePour posséder le cœur d'Iris,Et tenoit pour indubitableQu'il n'est point de cœur imprenable,Et qu'il doit prendre un jour tous ceux qu'il n'a pas pris.Rempli de ce désir, ce conquérant s'apprêteA cette importante conquête.Il veut mettre en effet ses généreux projets,Et pour montrer à tous qu'il peut ce qu'il désire,Il commande à l'instant qu'on arme ses sujets,Dans tous les lieux de son empire.La Vertu, qui voyoit un effort si puissant,Craignoit d'être contrainte à céder la victoire;Et pour mettre remède à ce danger pressant,Elle fit avertir la Gloire.La Gloire 18 a de l'honneur et de la probité;Jamais le malheur ne l'étonne;Elle songe toujours à l'immortalité,Et ne fait que ce qui la donne.Elle aime la Vertu, mais c'est du fond du cœur;La Vertu l'aime aussi comme sa propre sœur;Elles sont deux et ne sont qu'une.Souvent l'une pour l'autre elles ont combattu,Et l'on a vu souvent la Gloire et la VertuFaire tête à la Fortune.Si la Gloire aimoit les appas,La Vertu, cette guerrière aimable,Quand l'Amour étoit raisonnable,Ne le haïssoit pas.Il est vrai qu'autrefois ils avoient eu querelle:L'Amour l'ayant choquée en cent occasions,La Gloire avoit aussi blâmé ses actions,L'ayant même traité d'ingrat et d'infidèle;Mais dans leur amitié sincère et mutuelleLa Gloire avoit aussi servi l'AmourA gagner plus d'une victoire,Et l'Amour avoit à son tourTravaillé souvent pour la Gloire.Mais cependant l'Amour, pour ne perdre le temps,Commande à la RenomméeDe faire venir son armée,Et dans deux jours se met aux champs,Et divise en trois corps ses troupes amoureuses.Il choisit les plus belliqueusesPour les ménager prudemment;Il étoit lui-même à leur tête,Prêt à combattre vaillammentPour une si belle conquête.Il prétend à tout prixSoumettre le cœur d'Iris.Il se fondoit sur son expérience,Sur son adresse et sa vaillance.Dès qu'on met l'Amour en jeu,Il n'entend plus raillerie,Et ne dresse jamais aucune batterieQu'à dessein de faire grand feu.Dans sa marche il fit paroîtreQu'il est toujours très puissant,Car il conquit en passantLes cœurs qu'il put reconnoître;Il emporta d'assaut le cœur d'Amarillis 19,Il prit celui d'Aminthe 20 et celui de Philis 21,Il accepta les clefs de celui de Climène 22Et celui de Cloris 23 le reconnut sans peine.Ces cœurs n'étoient pas assez fortsPour soutenir un siége et pour se bien défendre:Aussi l'Amour, pour les prendre,Ne fit pas de grands efforts.Enfin les troupes se rendirentAuprès du cœur d'Iris, qui ne les craignoit pas,Et par les formes l'investirentAprès avoir donné quelques légers combats.Le cœur d'Iris est fait sur un parfait modèle;C'est une place forte, aimable, noble, belle,Qui va même de pair avec les plus grands cœurs;Elle n'est en état que depuis quatre lustres,Mais le sang de ses fondateursTient rang depuis long-temps parmi tous les illustres 24.Cette place a de beaux dehorsEt cinq portes très régulières.La porte de la vue est une des premières,Et ne sauroit céder qu'à de puissants efforts.C'est là que sans cesse se montrentUne troupe de doux regards,Qui, sans avoir nuls égards,Volent innocemment tous ceux qui s'y rencontrent.Cent fois l'Amour, ce conquérant rusé,Après s'être bien déguisé,Voulut entrer par cette porte;Mais la Vertu, qu'on trompe rarement,Le reconnut toujours déguisé de la sorte,Et le chassa honteusement.La porte de l'Ouïe est étroite et petite;Il faut passer par cent jolis détours,Et c'est en vain qu'on solliciteD'y pouvoir entrer tous les jours.On n'entre pas dès qu'on ose y paroître,Il faut parler et se faire connoître.Celle du Goût a ses beautés,Et mille régularités;La nature la fit avec un soin extrême,C'est un ouvrage sans égal,Et cette porte, enfin, d'ivoire et de corail,S'ouvre à propos et se ferme de même.Celle de l'Odorat exhale des odeursPlus douces que celles des fleurs.La porte du Toucher est extrêmement forte;Mais tout le monde sait, sans en être surpris,Que ce n'est point par cette porteQu'on entre dans le cœur d'Iris.Enfin cette place fameusePar son assiette avantageuseN'est pas difficile à garder,Et l'on a toujours pu connoîtreQu'on n'y prétend souffrir qu'un maître,Et que la Vertu seule à droit d'y commander.C'est aussi la Vertu qui défend cette place,Avec mille beaux sentiments.L'Amour sans cesse la menace,Mais elle rit de ses emportements.Cette personne incomparable,Parfaite en tout, partout aimable,Rejettoit tous ses favoris,Et le monde seroit dans une paix profonde,Si, comme dans le cœur d'Iris,La Vertu commandoit dans tous les cœurs du monde.Huit guerrières servoient, presque en toute saison,D'officiers dans la garnison.L'on y voyoit toujours la Force, la Prudence,La Justice, la Tempérance,L'Indifférence et la Tranquillité; L'on y trouvoit la Modestie,Et l'Amitié, qu'un peu de sympathieRend semblable à l'Amour par bien plus d'un côté.L'Amour, pour les gagner, mettoit tout en usage;Mais il en connoissoit la vaillance et l'honneur.Ce n'est pas un petit ouvrageQue d'attaquer un noble cœur.Comme il a de l'expérience,Il distribua les quartiers,S'empara des hauteurs, des bois et des sentiers,Avec beaucoup de diligence.Tous ses retranchements n'avoient aucun défaut.L'ennemi ne pouvoit lui dresser aucun piége,Car il étoit alors aussi savant en siégeQu'il étoit heureux en assaut.Son courage étoit grand, son soin étoit extrême;Il voyoit ses travaux lui-même,Et ce conquérant, à son tour,Employoit son adresse à remuer la terre,Pour persuader que l'AmourEst infatigable à la guerre.Cependant, sur le prompt avisQue la Gloire 25 eut du siége et de la guerre ouverte,Elle se dépêcha d'aller au cœur d'Iris,Pour empêcher les deux partisDe courir à leur perte.Depuis longtemps elle savoitQue la Vertu n'avoit point de foiblesse,Qu'elle écoutoit tous ses conseils sans cesse,Et que l'Amour quelquefois les suivoit,Mais que l'Amour, étant opiniâtre,Ou battroit, ou se feroit battre.Elle eût voulu que la VertuEût traité l'Amour sans rudesse,Et que l'Amour eût combattuPar le conseil de la Tendresse.Le plus grand de tous ses souhaitsEtoit de presser une paixOù tous les deux partis eussent de l'avantage:Le monde l'espéroit, et l'on disoit partoutQue la Gloire étoit assez sagePour en pouvoir venir à bout.L'Amour n'étoit pas sans peine,Il redoutoit les assiégés,Et ses gens étoient affligésDe voir son entreprise vaine.Il prétendoit tout hasarder,Il ne manquoit ni d'ardeur ni d'audace,Et vouloit par assaut emporter cette place,Croyant que la Vertu ne pourroit la garder.Il fut la reconnoître et résolut ensuiteDe l'attaquer des deux côtés:Il se fondoit sur sa conduite,Mais souvent il en manque et fait des nullités.La porte de l'ouïe et celle de la vueLui parurent foibles d'abord;Mais sur ce point l'Amour se trompa fort,Car la place étoit bien pourvue.Les assiégés à tous momensL'incommodoient dans ses retranchemens;Et, quoiqu'il fît toutes choses possibles,Ils étoient toujours invincibles;Ils regardoient avec indignitéL'Espérance et la Propreté;Ils se moquoient de la Tendresse 26,Ils repoussoient la Hardiesse,Et sans relâche ils s'opposoientA ce que les autres faisoient.Encor que l'Amour soit habile,Et qu'il puisse achever tout ce qu'il entreprend,Il vit bien qu'il est difficileDe prendre un cœur que la Vertu défend.Ces guerrières pourtant, quoiqu'alors malheureuses,Faisoient leur devoir constamment;L'Inquiétude seulement,Par façons séditieuses,Les troubloit indirectement;Son humeur toujours inconstante,A qui tout plaît et que rien ne contente,Donnoit de la peine à l'Amour;De tout ce qu'on faisoit elle étoit offensée,Il ne se passoit point de jourQu'elle ne changeât de pensée.Quant à la Jalousie, elle étoit sans emploi,Quoique l'Amour l'eût avec soi,Et quoiqu'elle en fût bien traitée.La Ruse, qui veille toujours,Fit une mine en peu de jours,Mais la mine fut éventée.L'Amour 27 étoit au désespoirDe voir que la Vertu méprisoit son pouvoir;Mais une fortune contraireChangea le vainqueur en vaincu,Et fit connoître, en cette affaire,Que souvent la Fortune aide peu la Vertu;Car la Tendresse, étant suivieDes Soins, des Soupirs et des Pleurs,Malgré cent nobles défenseurs,Gagna la porte de l'Ouïe.Les assiégés crurent d'abordQue tout cédoit à cet effort,Et la surprise fut si grandeQue leur courage en fut presque abattu;Mais rien n'ébranle la VertuLorsque c'est elle qui commande.Durant ces mouvemens, quelques légers Soupirs,Courant au gré de leurs désirs,Rapportent à l'Amour qu'on voit dans la campagne,Un gros de gens qui viennent sur leurs pas.L'Amour, que la peur accompagne,Se vit d'abord dans l'embarras;Il reprend cœur, il s'arme en diligencePour voir qui sont ces ennemis,Et plus ce gros de gens s'avancePlus l'Amour demeure surpris.Mais il l'est plus qu'on ne peut croireLorsqu'il voit que ce gros accompagne la Gloire,Et qu'elle s'en détache afin de l'embrasser.Pour répondre à ces soins il s'avance, il se presse,Et, chacun les laissant passer,Ils se rendent tous deux caresse pour caresse.Les complimens durèrent tout le jour;Celui d'après, la Gloire vit l'AmourEt lui parla de paix dès cette conférence.L'Amour fit de la résistance,Lui remontra qu'il étoit en pouvoirDe vaincre et de tout entreprendre,Et par des raisons lui fit voirQue la Place devoit se rendre;Mais la Gloire lui fit entendreQue bien souvent un noble désespoirFait faire des efforts qu'on ne sauroit comprendre.Il se laisse toucher à ce zèle pressant,Et sans différer il consentQue la Gloire se satisfasse.On fait trois jours de trève, et la Gloire d'abord,Pour mettre enfin l'Amour et la Vertu d'accord,Se présente devant la place.Mais quels plaisirs ne goûte pasUn cœur que la Vertu possède,Quand la Gloire avec ses appasSe présente et vient à son aide!La Vertu la reçut avec empressement,Lui donna d'abord audience;Il est vrai que par bienséanceTout se passa publiquement.Le monde sait que d'ordinaireLa Vertu n'a point de secret,Et qu'elle auroit bien du regretSi chacun ne voyoit tout ce qu'elle veut faire.Pour persuader la Vertu,La Gloire mit tout en usage,Et lui fit voir qu'elle avoit combattuJusqu'alors à son avantage;Qu'elle ne seroit pas moins sage 28Pour être bien avec l'Amour,Et que peut-être à son dommageIl faudroit y venir un jour;Que ce n'étoit pas une honteDe céder à ce conquérant;Qu'elle même étoit son garant,Et que le cœur d'Iris y trouveroit son compte;Qu'il falloit céder au vainqueurDe l'air, de l'onde et de la terre,Et que la paix, en matière de cœur,Valoit cent fois mieux que la guerre.Enfin la Gloire agit avec tant de douceur,Avec tant d'adresse et d'ardeur,Qu'on reçut ses conseils comme de vrais oracles.La Vertu répondit par des remercîmens,Et prit un jour pour vaincre les obstaclesQue pouvoient apporter ses nobles sentimens.Alors, la Gloire crut qu'il étoit nécessaireQu'Amour fût instruit de l'affaire.L'Amour lui répondit qu'il tiendroit à bonheurQu'elle voulût lui rendre office:L'Amour acquiert bien de l'honneur,Lorsque la Gloire agit pour lui rendre service.Cependant le Conseil s'assemble au cœur d'Iris,Et la Vertu prend les avisPour rendre réponse à la Gloire.On conclut à la paix, et dès le même jour,Ce qu'on ne peut qu'à peine croire,Le cœur d'Iris hait moins l'Amour.Ensuite on parle, on demande, on propose,Et pour ne perdre pas le temps,La Gloire règle toute choseEt fait dresser les articles suivans.IQue dans le cœur d'Iris, sans nulle dépendance,L'Amour et la Vertu vivroient d'intelligence,Et que tous les beaux sentimensObéiroient à leurs commandemens.IIQue la Gloire pourroit revenir à toute heureY faire sa demeure,Soit dans un temps de guerre on dans un temps de paix,Sans que l'Amour le pût trouver mauvais.IIIQue l'Amitié ne seroit point chassée,Et qu'elle seroit caressée.IVQu'on feroit sortir à l'instant,Balle en bouche et tambour battant,Les troupes d'Indifférence,Et qu'elle iroit faire sa résidenceDans quelque ingrat et froid séjour,Loin de l'empire de l'Amour.VQue la Tranquillité pourroit aussi, par grâce,Aller et venir dans la place,Mais que l'Amour lui pourroit ordonnerDe n'y pas toujours séjourner.VIQue l'Amour, conduit par la Gloire,Pour triomphe de la Victoire,Entreroit dans le cœur d'IrisAvec les Jeux, les Appas et les Ris;Que ces troupes seroient suiviesDe quelques autres compagnies.VIIQu'il seroit permis à l'AmourDe retenir à sa cour,Quand il lui prendroit fantaisie,L'Inquiétude avec la Jalousie,Mais que présentementL'Amour consent à leur éloignement.VIIIQue la Hardiesse et l'AudaceN'entreroient jamais dans la place,Et que la Ruse aussi ne pourroit obtenirNul passage pour y venir.IXQue tous ces grands donneurs d'allarmes,Comme Chagrins, Soucis et Larmes,N'entreroient point au cœur d'Iris,Et que, s'ils osoient l'entreprendre,La Justice, les voyant pris,Les casseroit sans les entendre 29.Les articles furent signés.Tout se passa de bonne grâce.Les otages étant donnés,L'Amour incognito fut visiter la place.Les Festins, les Cadeaux, les Bals et les Concerts,Troupes aussi belles que fortes,Allèrent se poster aux portes,Trouvant les passages ouverts.Leur prompt abord troubla la Modestie;Mais, la Vertu lui défendant d'agir,Elle obéit sans nulle repartie 30 ;Et se contenta d'en rougir.Enfin l'Amour, pompeux et magnifique,Fit son entrée au cœur d'Iris 31.Les Plaisirs, les Jeux et les RisRendirent la fête publique.La Gloire et la Vertu marchoient à ses côtés,Et, sous leur charmante conduite,Ces guerrières, qu'Amour a toujours à sa suite,Etaloient à l'envi mille et mille beautés.Tout le monde admiroit son superbe équipage,Et dès que la VertuLe vit paroître avec tant d'avantage,Elle se repentit d'avoir tant combattu.

Comme j'ai cru que la lecture de cette pièce du duc de Saint-Aignan ne pourroit pas vous lasser, je l'ai placée dans cet endroit, qui lui seroit encore plus naturel si elle n'étoit point si longue. Quoi qu'il en soit, il faut avouer que, bien que ces vers ne soient qu'une description énigmatique des amours de notre héroïne, ils ont néanmoins de la beauté, et ils doivent paroître fort spirituels à ceux qui en pourront pénétrer le sens. Ils furent lus du Roi et de la cour avec bien de la satisfaction, et le contentement qu'on témoigna doit passer pour une marque assurée de leur valeur. Le duc y réussit merveilleusement, et lorsqu'il travaille sur une matière qui a du rapport avec son naturel fort galant, il ne fait rien qui ne soit agréable. Le style en des endroits est un peu flatteur, mais aussi ceux qui pourront voir clair dans l'obscurité de quelques mots connoîtront que la satire n'en est pas entièrement bannie. Mais revenons à notre histoire, et suivons, s'il se peut, notre belle, qui part avec son prince pour une partie de chasse qui lui donnera du divertissement.

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