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L'autre monde ou Histoire comique des Etats et Empires de la Lune
L'autre monde ou Histoire comique des Etats et Empires de la Lune

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L'autre monde ou Histoire comique des Etats et Empires de la Lune

Язык: Французский
Год издания: 2017
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J’aurais ajouté que, pour complaire à ses amis qui lui conseillaient de se faire un Patron qui l’appuyât à la Cour, ou ailleurs, il vainquit le grand amour qu’il avait pour sa liberté, et que, jusqu’au jour qu’il reçut à la tête le coup dont j’ai parlé, il demeura auprès de Monsieur le Duc d’Arpajon, à qui même il dédia tous ses Ouvrages; mais, parce que dans sa maladie il se plaignit d’en avoir été abandonné, j’ai cru ne pas devoir décider si ce fut par un effet du malheur général pour tous les petits, et commun à tous les grands, qui ne se souviennent des services qu’on leur rend que dans le temps qu’ils les reçoivent, ou si ce n’était point un secret du Ciel, qui, voulant l’ôter sitôt du monde, voulait aussi lui inspirer le peu de regret qu’on doit avoir de quitter ce qui nous y semble de plus beau, et qui pourtant ne l’est pas toujours.

Je ferais tort à Monsieur Roho, si je n’ajoutais son nom sur une liste si glorieuse, puisque cet illustre mathématicien, qui a tant fait de belles épreuves physiques, et qui n’est pas moins aimable pour sa bonté et sa modestie que relevé au-dessus du commun par sa science, eut tant d’amitié pour Monsieur de Bergerac, et s’intéressa de telle sorte pour ce qui le touchait, qu’il fut le premier qui découvrit la véritable cause de sa maladie, et qui rechercha soigneusement, avec tous ses amis, les moyens de l’en délivrer; mais Monsieur des Boisclairs, qui jusque dans ses moindres actions n’a rien que d’héroïque, crut trouver en Monsieur de Bergerac une trop belle occasion de satisfaire sa générosité, pour en laisser la gloire aux autres, qu’il résolut de prévenir, et qu’il prévint en effet, dans une conjoncture d’autant plus utile à son ami, que l’ennui de sa longue captivité le menaçait d’une prompte mort, dont une violente fièvre avait même déjà commencé le triste prélude. Mais cet ami sans pair l’interrompit, par un intervalle de quatorze mois, qu’il le garda chez lui, et il eût eu, avec la gloire que méritent tant de grands soins et tant de bons traitements qu’il lui fit, celle de lui avoir conservé la vie, si ses jours n’eussent été comptés et bornés à la trente-cinquième année de son âge, qu’il finit à la campagne chez Monsieur de Cyrano, son cousin, dont il avait reçu de grands témoignages d’amitié, de qui les conversations, si savantes dans l’Histoire du temps présent et du passé, lui plaisaient extrêmement, et chez qui, par une affectation de changer d’air qui précède la mort, et qui en est un symptôme presque certain dans la plupart des malades, il se fit porter, cinq jours avant de mourir.

Je crois que c’est rendre à Monsieur le Maréchal de Gassion une partie de l’honneur qu’on doit à sa mémoire, de dire qu’il aimait les gens d’esprit et de cœur, parce qu’il se connaissait en tous les deux, et que, sur le récit que Messieurs de Cavois et de Cuigy lui firent de Monsieur de Bergerac, il le voulut avoir auprès de lui. Mais la liberté dont il était encore idolâtre (car il ne s’attacha que longtemps après à M. d’Arpajon) ne put jamais lui faire considérer un si grand homme que comme un maître; de sorte qu’il aima mieux n’en être pas connu et être libre, que d’en être aimé et être contraint; et même cette humeur, si peu soucieuse de la fortune, et si peu des gens du temps, lui fit négliger plusieurs belles connaissances que la Révérende Mère Marguerite, qui l’estimait particulièrement, voulut lui procurer; comme s’il eût pressenti que ce qui fait le bonheur de cette vie lui eût été inutile pour s’assurer celui de l’autre. Ce fut la seule pensée qui l’occupa sur la fin de ses jours d’autant plus sérieusement, que Madame de Neuvillette, cette femme toute pieuse, toute charitable, toute à son prochain, parce quelle est toute à Dieu, et de qui il avait l’honneur d’être parent du côté de la noble famille des Bérangers, y contribua, de sorte qu’enfin le libertinage, dont les jeunes gens sont pour la plupart soupçonnés, lui parut un monstre, pour lequel je puis témoigner qu’il eut depuis cela toute l’aversion qu’en doivent avoir ceux qui veulent vivre chrétiennement.

J’augurai ce grand changement, quelque temps avant sa mort, de ce que, lui ayant un jour reproché la mélancolie qu’il témoignait dans les lieux où il avait accoutumé de dire les meilleures et les plus plaisantes choses, il me répondit que c’était à cause que, commençant à connaître le monde, il s’en désabusait; et qu’enfin il se trouvait dans un état où il prévoyait que dans peu la fin de sa vie serait la fin de ses disgrâces; mais qu’en vérité son plus grand déplaisir était de ne l’avoir pas mieux employée:

Iam invenes vides, me dit-il,Insteteum ferior œtasMerentem stultos preterisse dies.

«Et en vérité, ajouta-t-il, je crois que Tibulle prophétisait de moi, quand il parlait de la sorte; car personne n’eut jamais tant de regret que j’en ai de tant de beaux jours passés si inutilement.»

Tu me dois pardonner cette digression, Lecteur, et si je me suis si fort étendu sur le mérite d’un ami, sa mort m’exempte du blâme que j’aurais encouru de l’avoir voulu flatter, outre que de si belles choses ne sauraient jamais déplaire. Pour donc reprendre la suite des autorités sur lesquelles il s’est fondé, je dis que le Démon dont il se fait servir si utilement pendant son séjour dans la Lune n’est pas une chose inouïe, puisque Thalès et Héraclite ont dit que le monde en était rempli; outre ce qu’on a publié de ceux de Socrate, de Dion, de Brutus, et de plusieurs autres. La pluralité des mondes, dont il a parlé, est appuyée sur le sentiment de Démocrite, qui l’a soutenue; de même que l’infini et les petits corps ou atomes, dont il a discouru en quelques endroits après ce Philosophe, Epicure et Lucrèce.

Le mouvement qu’il donne à la Terre n’est pas nouveau, puisque Pythagore, Philolaus et Aristarque soutinrent autrefois qu’elle tournait autour du Soleil, qu’ils mettaient au centre du monde. Leucippe, et plusieurs autres ont presque dit la même chose; mais Copernic, dans le dernier siècle, l’a soutenue plus hautement que tous, puisqu’il a changé le système de Ptolémée, auparavant suivi de tous les Astronomes, dont la plupart approuvent aujourd’hui celui de Copernic, d’autant plus simple et plus aisé, qu’il met le Soleil au centre du Monde, la Terre entre les Planètes, à la place que Ptolémée y donne au Soleil, c’est-à-dire qu’il fait mouvoir autour du Soleil la sphère de Mercure, puis celle de Vénus, puis celle de la Terre, au bord de laquelle il met un Epicicle, sur lequel il fait tourner la Lune autour de la Terre, et achever sa révolution en vingt-sept jours, outre celle qu’il lui fait faire avec la même Terre autour du Soleil en un an.

Je te confesserai toutefois, Lecteur, que ce changement m’est indifférent, parce que je ne professe point ces Sciences, qui sont trop abstraites pour moi; et je te proteste que tout ce que j’en sais ne consiste qu’en quelques termes que me fournit la mémoire de quelque lecture des ouvrages qui en traitent. C’est pourquoi je déclare que, par ce que j’ai dit de Copernic, je n’ai point prétendu offenser Ptolémée; il me suffit que Cœli enarrant gloriam Dei, et que leur admirable structure me prouve qu’ils ne sont point l’ouvrage de la main des hommes. Quoi qu’en ait dit Ptolémée, ils ne sont que ce qu’ils ont toujours été; et, quelque changement qu’y ait apporté Copernic, ils sont demeurés dans le même lieu et dans la même fonction que leur a donnés l’Etre Souverain, qui, sans changer, peut seul changer toutes choses. J’ai dit, au commencement de ce discours, le sujet qui me l’a fait entreprendre; et, dans la suite, on peut connaître comment et pourquoi j’ai cité, tous ces Savants. Je te prie, Lecteur, de t’en souvenir, afin de justifier le peu ou point de déférence que j’ai pour tout ce qui peut commettre la vérité de ma croyance avec les imaginations d’autrui.

LE BRET.

L'AUTRE MONDE OU HISTOIRE COMIQUE DES ETATS ET EMPIRES DE LA LUNE

La Lune était en son plein, le Ciel était découvert, et neuf heures du soir étaient sonnées, lorsque, revenant de Clamart, près Paris (où M. de Guigy le fils, qui en est Seigneur, nous avait régalés plusieurs de mes amis et moi), les diverses pensées que nous donna cette boule de safran nous défrayèrent sur le chemin: de sorte que, les yeux noyés dans ce grand Astre, tantôt l’un le prenait pour une lucarne du Ciel; tantôt un autre assurait que c’était la platine où Diane dresse les rabats d’Apollon; un autre, que ce pouvait bien être le Soleil lui-même, qui, s’étant au soir dépouillé de ses rayons, regardait par un trou ce qu’on faisait au monde, quand il n’y était pas.

– Et moi, leur dis-je, qui souhaite mêler mes enthousiasmes aux vôtres, je crois, sans m’amuser aux imaginations pointues dont vous chatouillez le Temps pour le faire marcher plus vite, que la Lune est un monde comme celui-ci; à qui le nôtre sert de Lune.

Quelques-uns de la compagnie me régalèrent d’un grand éclat de rire.

– Ainsi peut-être, leur dis-je, se moque-t-on maintenant, dans la Lune, de quelque autre, qui soutient que ce globe-ci est un monde.

Mais j’eus beau leur alléguer que Pythagore, Epicure, Démocrite et de notre âge Copernic et Keppler3 avaient été de cette opinion, je ne les obligeai qu’à rire de plus belle.

Cette pensée, cependant, dont la hardiesse biaisait à mon humeur, affermie par la contradiction, se plongea si profondément chez moi, que, pendant tout le reste du chemin, je demeurai gros de mille définitions de Lune, dont je ne pouvais accoucher: de sorte qu’à force d’appuyer cette croyance burlesque par des raisonnements presque sérieux, il s’en fallait peu que je n’y déférasse déjà, quand le miracle ou l’accident, la fortune, ou peut-être ce qu’on nommera vision, fiction, chimère ou folie, si on veut, me fournit l’occasion qui m’engagea à ce discours.

Etant arrivé chez moi, je montai dans mon cabinet, où je trouvai sur la table un livre ouvert que je n’y avais point mis. C’était celui de Cardan, et, quoique je n’eusse pas dessein d’y lire, je tombai de la vue, comme par force, justement sur une histoire de ce philosophe qui dit qu’étudiant un soir à la chandelle, il aperçut entrer, au travers des portes fermées, deux grands vieillards, lesquels, après beaucoup d’interrogations qu’il leur fit, répondirent qu’ils étaient habitants de la Lune, et en même temps disparurent. Je demeurai si surpris, tant de voir un livre qui s’était apporté là tout seul, que du temps et de la feuille où il s’était rencontré ouvert, que je pris toute cette enchaînure d’incidents pour une inspiration de faire connaître aux hommes que la Lune est un monde.

– Quoi! disais-je en moi-même, après avoir tout aujourd’hui parlé d’une chose, un livre qui est peut-être le seul au monde où cette matière se traite si particulièrement, voler de ma bibliothèque sur ma table, devenir capable de raison, pour s’ouvrir justement à l’endroit d’une aventure si merveilleuse; entraîner mes yeux dessus, comme par force, et fournir ensuite à ma fantaisie les réflexions, et à ma volonté les desseins que je fais! – Sans doute, continuais-je, les deux vieillards qui apparurent à ce grand homme sont ceux-là mêmes qui ont dérangé mon livre et qui l’ont ouvert sur cette page pour s’épargner la peine de me faire la harangue qu’ils ont faite à Cardan. – Mais, ajoutais-je, je ne saurais m’éclaircir de ce doute, si je ne monte jusque-là? – Et pourquoi non? me répondais-je aussitôt. Prométhée fut bien autrefois au Ciel y dérober du feu. Suis-je moins hardi que lui? et ai-je lieu de n’en pas espérer un succès aussi favorable?

A ces boutades, qu’on nommera peut-être des accès de fièvre chaude, succéda l’espérance de faire réussir un si beau voyage: de sorte que je m’enfermai, pour en venir à bout, dans une maison de campagne assez écartée, où, après avoir flatté mes rêveries de quelques moyens proportionnés à mon sujet, voici comment je montai au Ciel.

J’avais attaché autour de moi quantité de fioles pleines de rosée, sur lesquelles le Soleil dardait ses rayons si violemment, que la chaleur, qui les attirait, comme elle fait les plus grosses nuées, m’éleva si haut, qu’enfin je me trouvai au-dessus de la moyenne région. Mais, comme cette attraction me faisait monter avec trop de rapidité, et qu’au lieu de m’approcher de la Lune, comme je prétendais, elle me paraissait plus éloignée qu’à mon départ, je cassai plusieurs de mes fioles, jusqu’à ce que je sentis que ma pesanteur surmontait l’attraction, et que je redescendais vers la terre.

Mon opinion ne fut point fausse, car j’y retombai quelque temps après; et, à compter de l’heure que j’en étais parti, il devait être minuit. Cependant, je reconnus que le Soleil était alors au plus haut de l’horizon, et qu’il était là midi. Je vous laisse à penser combien je fus étonné: certes, je le fus de si bonne sorte que, ne sachant à quoi attribuer ce miracle, j’eus l’insolence de m’imaginer qu’en faveur de ma hardiesse, Dieu avait encore une fois recloué le Soleil aux Cieux, afin d’éclairer une si généreuse entreprise. Ce qui accrut mon étonnement, ce fut de ne point connaître le pays où j’étais, vu qu’il me semblait qu’étant monté droit, je devais être descendu au même lieu d’où j’étais parti. Equipé pourtant comme j’étais, je m’acheminai vers une espèce de chaumière, où j’aperçus de la fumée; et j’en étais à peine à une portée de pistolet, que je me vis entouré d’un grand nombre d’hommes tout nus. Ils parurent fort surpris de ma rencontre, car j’étais le premier, à ce que je pense, qu’ils eussent jamais vu habillé de bouteilles. Et, pour renverser encore toutes les interprétations qu’ils auraient pu donner à cet équipage, ils voyaient qu’en marchant je ne touchais presque point à la terre: aussi ne savaient-ils pas qu’au moindre branle que je donnais à mon corps, l’ardeur des rayons de midi me soulevait avec ma rosée, et que, sans que mes fioles n’étaient plus en assez grand nombre, j’eusse été possible à leur vue enlevé dans les airs.

Je les voulus aborder; mais, comme si la frayeur les eût changés en oiseaux, un moment les vit perdre dans la forêt prochaine. J’en attrapai un toutefois, dont les jambes sans doute avaient trahi le cœur. Je lui demandai, avec bien de la peine (car j’étais tout essouflé), combien l’on comptait de là à Paris, et depuis quand en France le monde allait tout nu, et pourquoi ils me fuyaient avec tant d’épouvante. Cet homme, à qui je parlais, était un vieillard olivâtre, qui d’abord se jeta à mes genoux; et, joignant les mains en haut derrière la tête, ouvrit la bouche et ferma les yeux. Il marmotta longtemps entre ses dents, mais je ne discernai point qu’il articulât rien: de façon que je pris son langage pour le gazouillement enroué d’un muet.

A quelque temps de là, je vis arriver une compagnie de soldats tambour battant, et j’en remarquai deux se séparer du gros, pour me reconnaître. Quand ils furent assez proches pour être entendus, je leur demandai où j’étais.

– Vous êtes en France, me répondirent-ils, mais qui Diable vous a mis en cet état? et d’où vient que nous ne vous connaissons point? Est-ce que les vaisseaux sont arrivés? En allez-vous donner avis à monsieur le Gouverneur? et pourquoi avez-vous divisé votre eau-de-vie en tant de bouteilles?

A tout cela, je leur répartis que le Diable ne m’avait point mis en cet état; qu’ils ne me connaissaient pas, à cause qu’ils ne pouvaient pas connaître tous les hommes; que je ne savais point que la Seine portât de navires à Paris, que je n’avais point d’avis à donner à Monsieur de Montbazon4; et que je n’étais point chargé d’eau-de-vie.

– Ho, ho, me dirent-ils, me prenant les bras, vous faites le gaillard? Monsieur le Gouverneur vous connaîtra bien, lui!

Ils me menèrent vers leur gros, où j’appris que j’étais véritablement en France, mais en la Nouvelle5, de sorte qu’à quelque temps de là je fus présenté à Monsieur de Montmagnie, qui en est le Vice-Roi, qui me demanda mon pays, mon nom et ma qualité; et, après que je l’eus satisfait, lui contant l’agréable succès de mon voyage, soit qu’il le crût, soit qu’il feignît de le croire, il eut la bonté de me faire donner une chambre dans son appartement. Mon bonheur fut grand de rencontrer un homme capable de hautes opinions, et qui ne s’étonna point, quand je lui dis qu’il fallait que la Terre eût tourné pendant mon élévation, puisque, ayant commencé de monter à deux lieues de Paris, j’étais tombé, par une ligne quasi-perpendiculaire, en Canada.

Le soir, comme je m’allais coucher, il entra dans ma chambre, et me dit:

– Je ne serais pas venu interrompre votre repos, si je n’avais cru qu’une personne qui a pu trouver le secret de faire tant de chemin en un demi-jour n’ait pas eu aussi celui de ne se point lasser. Mais vous ne savez pas, ajouta-t-il, la plaisante querelle que je viens d’avoir pour vous avec nos Pères Jésuites? Ils veulent absolument que vous soyez magicien; et la plus grande grâce que vous puissiez obtenir d’eux est de ne passer que pour imposteur. Et, en effet, ce mouvement que vous attribuez à la Terre est un paradoxe assez délicat; et, pour moi, je vous dirai franchement que ce qui fait que je ne suis pas de votre opinion, c’est qu’encore qu’hier vous soyez parti de Paris, vous pouvez être arrivé aujourd’hui en cette contrée, sans que la Terre ait tourné; car le Soleil, vous ayant enlevé par le moyen de vos bouteilles, ne doit-il pas vous avoir amené ici, puisque, selon Ptolémée, Tycho Brahé et les philosophes modernes, il chemine du biais que vous faites marcher la Terre? Et puis, quelle grande vraisemblance avez-vous, pour vous figurer que le Soleil soit immobile, quand nous le voyons marcher? et quelle apparence que la Terre tourne avec tant de rapidité, quand nous la sentons ferme dessous nous?

– Monsieur, lui répliquai-je, voici les raisons à peu près qui nous obligent à le préjuger. Premièrement, il est du sens commun de croire que le Soleil a pris la place au centre de l’univers, puisque tous les corps qui sont dans la Nature ont besoin de ce feu radical; qu’il habite au cœur de ce Royaume, pour être en état de satisfaire promptement à la nécessité de chaque partie, et que la cause des générations soit placée au milieu de tous les corps, pour y agir également et plus aisément: de même que la sage Nature a placé les parties génitales dans l’homme, les pépins dans le centre des pommes, les noyaux au milieu de leur fruit; et de même que l’oignon conserve, à l’abri de cent écorces qui l’environnent, le précieux germe où dix millions d’autres ont à puiser leur essence; car cette pomme est un petit univers à soi-même, dont le pépin, plus chaud que les autres parties, est le soleil, qui répand autour de soi la chaleur conservatrice de son globe; et ce germe, dans cette opinion, est le petit Soleil de ce petit monde, qui réchauffe et nourrit le sel végétatif de cette petite masse. Cela donc supposé, je dis que la Terre ayant besoin de la lumière, de la chaleur, et de l’influence de ce grand feu, elle tourne autour de lui pour recevoir également en toutes ses parties cette vertu qui la conserve. Car il serait aussi ridicule de croire que ce grand corps lumineux tournât autour d’un point dont il n’a que faire que de s’imaginer, quand nous voyons une alouette rôtie, qu’on a, pour la cuire, tourné la cheminée alentour. Autrement, si c’était au Soleil à faire cette corvée, il semblerait que la médecine eût besoin du malade; que le fort dût plier sous le faible; le grand servir au petit; et qu’au lieu qu’un vaisseau cingle le long des côtes d’une province, la province tournerait autour du vaisseau. Que si vous avez peine à comprendre comme une masse si lourde se peut mouvoir, dites-moi, je vous prie, les Astres et les Cieux, que vous faites si solides, sont-ils plus légers? Encore est-il plus aisé à nous, qui sommes assurés de la rondeur de la Terre, de conclure son mouvement par sa figure. Mais pourquoi supposer le Ciel rond, puisque vous ne le sauriez savoir, et que, de toutes les figures, s’il n’a pas celle-ci, il est certain qu’il ne se peut mouvoir? Je ne vous reproche point vos excentèques, ni vos épicicles, lesquels vous ne sauriez expliquer que très confusément, et dont je sauve mon système. Parlons seulement des causes naturelles de ce mouvement. Vous êtes contraints, vous autres, de recourir aux intelligences qui remuent et gouvernent vos globes? Mais moi, sans interrompre le repos du Souverain Etre, qui sans doute a créé la Nature toute parfaite, et de la sagesse duquel il est de l’avoir achevée, de telle sorte que, l’ayant accomplie pour une chose, il ne l’ait pas rendue défectueuse pour une autre; je dis que les rayons du Soleil, avec ses influences, venant à frapper dessus, par leur circulation, la font tourner, comme nous faisons tourner un globe en le frappant de la main; ou de même que les fumées, qui s’évaporent continuellement de son sein, du côté que le Soleil la regarde, répercutées par le froid de la moyenne région, rejaillissent dessus, et de nécessité, ne la pouvant frapper que de biais, la font ainsi pirouetter. L’explication des deux autres mouvements est encore moins embrouillée. Considérez un peu, je vous prie…

A ces mots, Monsieur de Montmagnie m’interrompit:

– J’aime mieux, dit-il, vous dispenser de cette peine; aussi bien, ai-je lu, sur ce sujet, quelques livres de Gassendi, mais à la charge que vous écouterez ce que me répondit un jour un de nos Pères, qui soutenait votre opinion: «En effet, disait-il, je m’imagine que la Terre tourne, non point pour les raisons qu’allègue Copernic, mais parce que, le feu d’enfer ainsi que vous apprend la Sainte-Ecriture, étant enclos au centre de la terre, les damnés, qui veulent fuir l’ardeur de sa flamme, gravissent, pour s’en éloigner, contre la voûte, et font ainsi tourner la Terre, comme un chien fait tourner une roue, lorsqu’il court enfermé dedans.»

Nous louâmes quelque temps cette pensée, comme un pur zèle de ce bon Père, et enfin Monsieur de Montmagnie me dit qu’il s’étonnait fort, vu que le système de Ptolémée était si peu probable, qu’il eût été si généralement reçu.

– Monsieur, lui répondis-je, la plupart des hommes, qui ne jugent que par les sens, se sont laissé persuader à leurs yeux, et de même que celui dont le vaisseau vogue terre à terre croit demeurer immobile, et que le rivage chemine, ainsi les hommes, tournant avec la Terre autour du Ciel, ont cru que c’était le Ciel lui-même qui tournait autour d’eux. Ajoutez à cela l’orgueil insupportable des humains, qui se persuadent que la Nature n’a été faite que pour eux, comme s’il était vraisemblable que le Soleil, un grand corps quatre cent trente-quatre fois plus vaste que la terre, n’eût été allumé que pour mûrir ses nèfles, et pommer ses choux. Quant à moi bien loin de consentir à leur insolence, je crois que les Planètes sont des mondes autour du Soleil, et que les étoiles fixes sont aussi des Soleils qui ont des Planètes autour d’eux, c’est-à-dire, des mondes que nous ne voyons pas d’ici à cause de leur petitesse, et parce que leur lumière empruntée ne saurait venir jusqu’à nous. Car comment, en bonne foi, s’imaginer que ces globes si spacieux ne soient que de grandes campagnes désertes, et que le nôtre, à cause que nous y campons une douzaine de glorieux coquins ait été bâti pour commander à tous? Quoi! parce que le Soleil compasse nos jours et nos années, est-ce à dire, pour cela, qu’il n’ait été construit qu’afin que nous ne frappions pas de la tête contre les murs? Non, non, si ce Dieu visible éclaire l’homme, c’est par accident, comme le flambeau du Roi éclaire par accident au Crocheteur qui passe par la rue.

– Mais, me dit-il, si, comme vous assurez, les étoiles fixes sont autant de Soleils, on pourrait conclure de là que le monde serait infini, puisqu’il est vraisemblable que les peuples de ce monde qui sont autour d’une étoile fixe, que vous prenez pour un Soleil, découvrent encore au-dessus d’eux d’autres étoiles fixes que nous ne saurions apercevoir d’ici, et qu’il en va de cette sorte à l’infini.

– N’en doutez point, lui répliquai-je, comme Dieu a pu faire l’âme immortelle, il a pu faire le monde infini, s’il est vrai que l’éternité n’est rien autre chose qu’une durée sans bornes, et l’infini, une étendue sans limites. Et puis, Dieu serait fini lui-même, supposé que le monde ne fût pas infini, puisqu’il ne pourrait pas être où il n’y aurait rien, et qu’il ne pourrait accroître la grandeur du monde qu’il n’ajoutât quelque chose à sa propre étendue, commençant d’être où il n’était pas auparavant. Il faut donc croire que, comme nous voyons d’ici Saturne et Jupiter, si nous étions dans l’un ou dans l’autre, nous découvririons beaucoup de mondes que nous n’apercevons pas, et que l’univers est à l’infini construit de cette sorte.

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