
Полная версия
Traité des eunuques
CHAPITRE III
Combien il y a de différentes sortes d'EunuquesJEsus Christ lui-même nous apprend combien il y a des differentes sortes d'Eunuques; Il y en a, dit il26, qui sont nez tels dès le ventre de leur mére; Il y en a qui ont été faits Eunuques par les hommes. Et il y a encore des Eunuques qui se sont faits Eunuques eux-mêmes pour le Royaume des Cieux. Mais la subtilité des hommes, & l'événement, ont donné lieu à des distinctions moins générales. Les diverses questions qui concernent le mariage de gens accusez d'être Eunuques, & la restitution de la dote de la femme, ont obligé à éxaminer les Eunuques de près; & comme on en a trouvé de diverses espéces, on en a fait des Classes différentes. Les Jurisconsultes en font quatre. La premiere est de ceux qui sont nez tels; qui sont Eunuques proprement & absolument ainsi nommez. La seconde est de ceux auxquels, soit malgré eux, soit de leur consentement & par leur propre fait, on a retranché tout ce qui fait l'homme & sa virilité, qui ne peuvent en faire aucun acte, qui sont obligez, de rendre leur urine par un tuyau de métail qu'on leur attache à la place de celui que la Nature leur avoit donné & qu'on leur a coupé; Cela arrive quelquefois à des gens travaillez de quelque maladie qui oblige le Chirurgien à leur faire cette triste operation; mais cela se pratique aussi sur des hommes sains comme nous le verrons dans la suite; C'étoit autrefois une des fonctions de la Médecine comme on le voit au §. 8. de la loi 7. ad legem Aquiliam. Et au commencement de la loi 8. du même tître & sur tout au §. 2. de la loi. 4. ff. ad legem Corneliam de sicariis & veneficiis, où il est expressément deffendu aux Médecins de faire de semblables opérations. La troisiéme Classe est de ceux auxquels on froisse tellement les Cremastéres qu'ils disparoissent, & qu'il semble qu'ils soient évanouïs; La veine qui leur portoit l'aliment étant retranchée, ils se flétrissent, ils se séchent & se réduisent à rien. Cette opération se fait ordinairement en mettant le patient dans un bain d'eau tiéde afin d'amolir ces parties, & de les rendre plus maniables & plus propres à se dissoudre; Après qu'il y a été quelque tems, on lui presse les veines du cou qu'on nomme Jugulaires, & par là on le rend stupide et aussi insensible que s'il étoit tombé en apopléxie, alors il est aisé de le mutiler sans qu'il en sente rien: Cela se fait ordinairement dans la grande jeunesse par la mére ou par la nourrice. On lui faisoit prendre autrefois une certaine quantité d'Opium, & lors qu'il étoit accablé de sommeil on lui coupoit, ou on lui tiroit une partie que la nature a pris beaucoup de soin à fabriquer; mais comme on a remarqué que la plûpart de ceux qu'on Eunuchisoit ainsi mouroient, par ce Narcotique, on s'est avisé de l'autre moyen dont je viens de parler. Les Perses & diverses autres Nations, ont des maniéres de faire, ou de couper les Eunuques, différentes de celles dont on se sert en Europe. Je dis de faire, car ce n'est pas toujours en coupant qu'on Eunuchise; La ciguë & diverses autres herbes font le même office, comme on peut le voir dans l'Ouvrage de Paul Æginette qui traite éxactement cette matiére, sur tout dans le Livre sixiéme de ce docte & curieux Traité. Cette troisiéme sorte d'Eunuques sont ceux qu'on appelle en Droit Thlibiæ. Ceux qu'on nomme Thlasiæ, sont à peu près de la même qualité, toute la difference qu'il y a, c'est qu'on se contente de leur couper les veines qui servent à fortifier les parties viriles, de sorte qu'elles restent bien à la vérité, mais si flasques & si flêtries qu'elles ne sont d'aucun usage; La quatriéme Classe, enfin, est de ceux qu'on appelle Spadones, qui sont nez si mal conformez, ou d'un tempérament si froid, ou qui le sont devenus par quelque incommodité, qu'ils sont incapables de contribuer à la génération. Quoi que ces quatre espéces soient fort différentes entr'elles, & que la derniére soit la plus favorable & la moins malheureuse, cependant les Jurisconsultes ont trouvé à propos de les comprendre toutes sous le nom de spado, ce qui est assez singulier, comme je viens de le dire, puis que la maxime triviale de droit porte que denominatio fit à potiori. Et qu'à proprement parler, ceux qu'on appelle spadones ne sont point Eunuques, puis que par la vertu de la Nature, ou par le secours de l'Art, ils peuvent être remis dans un état parfait; D'ailleurs, specialia generalibus insunt,27& comment sous le nom de spado qui n'est pas proprement un Eunuque, peut on comprendre ceux qui le sont réellement & de fait, & sans espérance de retour. Il me semble que nomina debent esse convenientia rebus comme ils le disent eux-mêmes; & que celui ci convient peu à toutes les espéces qu'il renferme; Quoi qu'il en soit, ils l'ont ainsi voulu;28spadonum generalis appellatio est, quo nomine tam hi qui naturâ Spadones sunt; item Thlibiæ Thlasiæ sed & si quod aliud genus spadonum est continentur.
Il y a diverses autres sortes d'Eunuques; il y en a qui sont appelez de ce nom, catachresticé, parce qu'ils possédent les Charges ou les Dignitez qui étoient données originairement aux Eunuques; Il y en a d'autres qui sont appellez de ce nom par figure, parce qu'ils sont chastes & qu'ils ne se servent pas plus de leurs parties viriles que s'ils n'en avoient point.
Toutes ces sortes d'Eunuques ont un nom général par lequel on prétend qu'ils ont tous été désignez, c'est le nom de Bagoas. Ce nom est celui du personnage qui représente l'Eunuque que Diocles prétend exclurre de la profession de Philosophe, dans le dialogue de Lucien. Il y a eu un fameux Eunuque de ce nom qui étoit à Darius & dont après la mort de ce Prince on fit present à Aléxandre le Grand. Il étoit beau par excellence, & Alexandre l'aima autant que Darius l'avoit aimé. Quinte-Curce en fait l'Histoire en différens endroits29 de la Vie de son Héros, & j'aurai occasion d'en parler dans la suite de cet Ouvrage. L'Eunuque d'Olopherne, Général de Nabucodonosor, qui assiégea Bethulie & à qui Judith coupa la tête; Cet Eunuque, dis je, qu'Olopherne employa pour disposer Judith à passer la nuit avec lui & qui la conduisit en effet dans sa tente, s'appelloit Bagoas; quoi que quelques versions, & entr'autres celle de Mrs. de Port-Royal l'appelle Vagao. Quoi que ce nom ait été le nom de plusieurs particuliers , cependant Gilbert Cousin, ou en Latin Cognatus, dont l'Illustre M. Baile a fait un article dans le tome premier pag. 974. de son Dictionaire, dit dans la remarque qu'il a faite sur ce mot Bagoas qui se trouve dans Lucien, que dans une Langue barbare il signifie en général un Eunuque; & il insinuë par là que Lucien ne se sert de ce nom Bagoas que parce que c'est un nom qui comprend tout le genre Eunuque.30Et il confirme son sentiment par ce Vers d'Ovide,
Quem penes est dominam servandi cura BagoæIl est certain que parmi les Babyloniens Bagoas signifie un Eunuque. Il y en a eu un aussi de ce nom qui a été Eunuque, & dont Plutarque dit beaucoup de choses plus dignes pourtant du silence que de nôtre curiosité. Quelques Sçavans croyent que ce Bagoas dont parle Lucien étoit un homme qui avoit la mine si disgraciée qu'on le prenoit pour Eunuque. Quintilien parle d'un Bagoas & il y a apparence qu'il se sert de ce nom comme d'un nom commun à une espèce d'hommes,31car il parle en même tems de Megabyse & de Doriphoron, or il est certain que Megabyse est un nom commun aux Prêtres de Diane,32ils devoient être tous Eunuques parce qu'ils avoient la garde des filles qui lui étoient consacrées; Et Doriphoron signifie un homme qui porte une lance; Il est vrai qu'il désigne aussi cette statuë si admirable d'un jeune homme bien fait qui étoit armé d'une lance que Policlete avoit fait, dont il étoit amoureux, & qu'il appelloit sa Maîtresse; mais il suffit qu'il marque aussi un nom général, sous lequel tout homme portant une lance est désigné.
CHAPITRE IV
Des Eunuques qui sont nez telsIL semble qu'il ne soit point impossible que certaines créatures humaines viennent au monde destituées des parties qui servent à la génération. On voit tous les jours des enfans qui naissent sans yeux, sans oreilles, sans mains, ou sans quelqu'autre partie du corps, il peut aussi aisément arriver que quelques-uns naissent dépourvûs de celles dont il est ici question. La Nature qui produit tous les jours tant de monstres pourroit bien en former un de cette espéce; cependant les Naturalistes disent qu'il n'y en a point d'éxemple. Et en effet, Pline qui rapporte éxactement & amplement33 les figures humaines monstrueuses dont le nombre & la diversité sont grands parmi tous les Peuples, ne parle point de celles dont il s'agit ici; Je puis dire néanmoins que j'en ai vû une, & peut être a-t-elle été vûë de toute l'Europe; car ses parens ayant remarqué que le Public avoit de la curiosité pour un corps humain aussi singulier que l'étoit celui dont je vai parler, & qu'ils pouvoient amasser beaucoup d'argent en le menant de lieu en lieu & de Païs en Païs, l'ont sans doute porté par tout. Il étoit à Berlin en l'année 1704. C'est un cul de jatte qu'un homme portoit sur le dos dans une boëte; avec cette différence, qu'au lieu que ceux qu'on nomme ainsi n'ont ni jambes, ni cuisses, dont ils puissent se servir, & qu'ils marchent sur leur derriére enfermé dans une jarre, celui-ci n'a pas même un derriére, c'est à dire de fesses; Il a la tête bien faite, le visage beau & doux, le tein brun & les cheveux chatains; mais quoi qu'il ait eu alors plus de vingt ans, il n'avoit point de barbe, ni aucune apparence qu'il en auroit un jour. Il avoit des bras & des mains fort bien proportionnez, son corps étoit assez bien fait, il étoit de la hauteur d'environ deux à trois pieds; c'étoit par le bout d'en bas une espéce de tronc, il marchoit avec ses mains; il avoit deux conduits comme les autres hommes par lesquels la nature se déchargeoit de ses excrémens, celui de devant étoit fort court & fort petit, & au dessous il y avoit un suspensoire flasque & flêtri dans lequel il n'y avoit aucun Crémastére. Je m'informai fort particuliérement de ses parens s'il étoit né ainsi, ils m'assurérent qu'il étoit absolument tel que la nature l'avoit formé. Comme je sçai qu'il ne faut pas toûjours mal juger de la virilité d'un homme, lors qu'on ne lui trouve point de Crémastére au dehors, parce qu'il arrive quelque fois que quoi qu'ils soient demeurez au dedans, & qu'ils ne soient point descendus dans les suspensoires par des obstacles qui se sont opposez à leur sortie, les hommes, néanmoins, qui les ont ainsi cachez ne laissent pas d'être aussi parfaits que ceux qui les ont au dehors: qu'ils sont forts & vigoureux, & qu'ils ont tous les autres signes nécessaires pour prouver la virilité de l'homme, j'éxaminai fort éxactement ce cul de jatte, & lui trouvant d'ailleurs toutes les marques d'un véritable Eunuque, j'en conclûs qu'il l'étoit en effet & qu'il a été produit tel par la nature dans le sein de sa mére. Ainsi voila une preuve qu'il y a des Eunuques qui naissent tels, quoi qu'en disent les Naturalistes, & particuliérement Pline dans le chapitre second du septiéme livre de son Histoire du Monde.
CHAPITRE V
Pourquoi on fait des EunuquesS'Il est vrai que Semiramis ait été la premiére qui se soit avisée de faire faire des Eunuques, & que la raison qu'on en rapporte soit certaine, la premiére cause de cette mutilation a été la jalousie de cette Reine, qui après s'être servie des hommes les mieux faits de son Armée, les fit châtrer, de peur qu'ils n'allassent encore depuis servir au divertissement de quelqu'autre femme. Mais sans m'arrêter aux conjectures, voici d'autres causes plus sûres de cet usage.
Les Eunuques ont été faits pour être la garde des filles & des femmes, pour observer leur conduite, & pour empêcher qu'elles ne fissent rien de contraire à la chasteté ou au devoir conjugal; c'est apparemment à cet usage que l'Eunuque a proprement été destiné, le mot même le fait connoître, car il signifie, garde lit, ou garde chambre. C'est encore pour cet usage qu'on en fait dans l'Orient. Mais depuis, les hommes qui n'en avoient que pour en faire un usage légitime, en ont abusé & en ont fait faire pour servir à des usages sales & criminels. Ils choisissoient dans cette vûë les plus beaux garçons qu'ils trouvoient depuis l'âge de quatorze ans, jusqu'à l'âge de dix-sept ans. Saint Grégoire de Nazianze s'en plaint amérement dans la Vie de Saint Basile, & dans son Oraison trente & uniéme. Mais il faut que cette infâme coûtume soit beaucoup plus ancienne, car Juvenal déclame contre cet abus dans l'une de ces34 Satyres; disant.
– Nullus EphebumDeformem sæva castravit in arce TyrannusIl est vrai qu'ils en ont fait faire pour servir de victimes qu'ils offroient à des Divinitez; c'est contre cette horrible coûtume que Saint Augustin, qui reléve, qui condamne & qui réfute les ridiculitez, les infamies, les cruautez de la Religion des Payens, se déchaîne dans son excellent Livre35 de la Cité de Dieu. Il falloit même que les Prêtres fussent Eunuques, afin, disoit on, de s'employer aux choses Sacrées plus purement et plus chastement. C'étoit sur tout la pratique des Athéniens;36les Prêtres de la Diane d'Ephese étoient aussi obligez d'être Eunuques.
La Religion Chrétienne a eu ses Eunuques malgré elle, & quoi qu'elle les abhorre, un certain Valesius Arabe de Nation, forma une Secte qui soûtint que bien loin que la mutilation fût un obstacle au Sacerdoce, comme le Concile de Nicée l'avoit déclaré, il étoit au contraire absolument nécessaire d'être Eunuque pour l'éxercer. Non seulement ils pratiquoient sur eux-mêmes le cruel éxemple d'Origéne, mais même ils réduisoient dans ce triste état tous ceux qui tomboient entre leurs mains; cette Hérésie est la cinquante-huitiéme de celles que Saint Epiphane réfute.
Depuis on a fait des Eunuques pour avoir des gens qui eussent la voix belle & qui pussent la conserver long tems. Macrobe rend d'amples & de bonnes raisons pour lesquelles les Eunuques ont la voix belle, au chapitre cinquante-deuxiéme de ses Saturnales. C'est principalement le but que les Italiens se proposent encore aujourd'hui lors qu'ils font châtrer des jeunes gens.
L'avarice a poussé des gens à faire des Eunuques pour en trafiquer. Quelques Rélations de Voyageurs nous apprennent, que dans le Royaume de Boulan seul, on fait tous les ans vingt mille Eunuques qu'on envoye vendre en divers autres Etats. L'Histoire de Panione de l'Isle de Chio, que je rapporterai dans la suite, fera voir que ce commerce n'est pas nouveau. 37 On fait Eunuques des gens qu'on veut plonger dans la honte & dans l'ignominie, soit qu'ils ayent été lâches à la Guerre & qu'on veuille les en punir, soit qu'on veuille les noter d'infamie pour quelqu'autre cause que ce soit. Mais voici de plaisans motifs de faire des Eunuques; c'est la raillerie, le ressentiment & l'insulte; On lit une Histoire assez divertissante rapportée sous le Régne de Henri I. qui en est une preuve; «Les Grecs faisoient la Guerre au Duc de Benevent & le traitoient assez mal; Thedbald Marquis de Spolette son Allié étant venu à son secours & ayant fait quelques prisonniers, ordonna qu'on leur coupât les parties qui font les hommes & les renvoya en cet état au Général Grec, avec ordre de lui dire qu'il l'avoit fait pour obliger l'Empereur, qu'il sçavoit aimer beaucoup les Eunuques, & qu'il tâcheroit de lui en faire avoir bientôt un plus grand nombre; le Marquis se préparoit à tenir sa parole, lors qu'un jour une femme, dont ses gens avoient pris le mari, vint toute éplorée dans le Camp, & demanda à parler à Thedbald; Le Marquis lui ayant demandé le sujet de sa douleur; Seigneur, répondit-elle, je m'étonne qu'un Héros comme vous s'amuse à faire la guerre aux femmes lors que les hommes sont hors d'état de lui résister; Thedbald ayant repliqué que depuis les Amazones, il n'avoit pas ouï dire qu'on eût fait la guerre à des femmes; Seigneur repartit la Grecque, peut-on nous faire une guerre plus cruelle, que de priver nos maris de ce qui nous donne de la santé, du plaisir, & des enfans; Quand vous en faites des Eunuques, ce n'est point eux, c'est nous que vous mutilez; Vous avez enlevé ces jours passez nôtre bétail & nôtre bagage, sans que je m'en sois plainte; mais la perte du bien que vous avez ôté à plusieurs de mes compagnes étant irréparable, je n'ai pû m'empêcher de venir solliciter la compassion du Vainqueur. La naïveté de cette femme plût si fort à toute l'Armée, qu'on lui rendit son mari, & tout ce qu'on lui avoit pris. Comme elle s'en retournoit, Thedbald lui fit demander ce qu'elle vouloit qu'on fît à son mari, au cas qu'on le trouvât encore en armes. Il a des yeux, dit-elle, un nez, des mains, des pieds, c'est là son bien, que vous pouvez lui ôter, s'il le mérite; mais laissez lui, s'il vous plaît, ce qui m'appartient.» Apparemment que la femme dont Plaute parle dans son Mercator38, n'étoit pas de cet avis, ou qu'en tout cas elle regardoit ce bien â elle appartenant, comme un bien de petit rapport & de peu de valeur, car son mari craignoit qu'elle même ne s'en privât,
Quasi hircum metuo ne uxor me castret meaLes Adultéres étoient faits Eunuques pour peine de leur crime; je pourrois le faire voir par plusieurs éxemples, mais j'en rapporterai trois seulement qui sont précis, l'un sera tiré de Valére Maxime39, il y est dit que Vibienus & Publius Cernius ayant surpris l'un Carbo Accienus, & l'autre Pontius en adultére ils les firent châtrer; L'autre est contenu dans Martial,40
Uxorem armati futuis, puer Hyle, Tribuni,Supplicium tantum dum puerile times.Væ tibi, dum ludis, castrabere. Jam mihi dices,Non licet hoc. Quid, tu quod facis Hyle licet?Le troisiéme & le principal est l'éxemple d'Abelard; ce Docteur amoureux ayant abusé d'Héloïse qu'on lui avoit donnée à instruire, les parens de cette fille lui firent couper les parties viriles avec lesquelles il avoit deshonoré leur famille; Ils allérent jusqu'à la racine du mal & l'arrachérent de telle forte qu'ils ôtérent au coupable le pouvoir de la rechute.41
Cela étoit passé en loi parmi les Gaulois. La Loi Salique tit. 29. de Adult. Ancillor. porte cette décision servus qui cum aliena ancilla mœchatus fuerit, ea mortua, castretur. On peut dire aussi que cela étoit fondé sur cette loi de l'équité, qui dit que la peine doit être infligée à celui des membres du corps qui a été l'instrument, ou le complice du crime.42Job raisonnoit sur ce principe lors qu'il disoit, si j'ai levé la main sur le Peuple, &c. que mon épaule tombe étant desunïe de la jointure, & que mon bras se brise avec tous ses os.
On faisoit aussi Eunuques les Esclaves qui avoient dérobé; voici les termes de la même Loi Salique. Tit. 13. de furt. servor servi qui quidpiam valens quadraginta denarios furati essent, castrari Jubebantur in pœnam, &c.
La nécessité contraint aussi quelquefois de faire des Eunuques; Il se trouve souvent des hommes attaquez de tels maux que le Médecin est obligé d'ordonner cette opération, & le Chirurgien de la faire. La maladie est la cause de ce malheur, & bien loin que ceux qui ont ce sujet d'affliction doivent être regardez de mauvais œil, ils doivent au contraire être plaints & consolez.
On a fait des Eunuques par représailles & en vertu de la Loi du Talion.43Herodote nous l'apprend d'une maniére fort agréable par un éxemple curieux; «Hermotime Pedasien qui étoit, dit-il, le plus considérable des Eunuques de Xerxes, fut de tous les hommes celui qui se vengea le mieux de l'injure qui lui avoit été faite. Après avoir été pris il fût vendu à Panione de l'Isle de Chio qui faisoit négoce d'Eunuques, & qui faisoit châtrer tous les beaux garçons qu'il achetoit pour les vendre ensuite bien chérement à Sardis & à Ephese; parce que parmi les Barbares on estimoit plus les Eunuques que les autres, à cause de leur fidélité & de la confiance qu'on pouvoit prendre en eux pour toutes choses; Comme, dis-je, ce Panione à qui Hermotime fut vendu, vivoit de l'infame commerce qu'il faisoit des Eunuques, il fit couper Hermotime de même que plusieurs autres: Mais Hermotime ne fut pas malheureux à tous égards, car ayant été mené de Sardis au Roi avec d'autres présens, il aquit avec le tems plus de faveur & de crédit auprès du Roi que pas un des autres Eunuques: Lors que le Roi fit partir ses troupes de Sardis pour aller à Athenes, Hermotime fut envoyé pour quelque affaire dans un endroit de la Mysie nommé Atarne, où il trouva Panione, qu'il reconnut, & l'ayant abordé il lui parla avec toute sorte de douceur, d'honnêteté & de témoignage d'amitié; Il lui dit premiérement qu'il possédoit par son moyen tous les biens qui lui étoient arrivez, & ensuite il lui promit de lui donner des marques de reconnoissance pour ce bienfait, s'il vouloit venir avec les siens, demeurer dans sa maison; Panione se laissa persuader par ce discours & amena librement sa femme & ses enfans chez Hermotime; Mais il n'y fut pas si-tôt arrivé qu'Hermotime lui parla en ces termes, Oh le plus méchant de tous les hommes qui as jusqu'à présent gagné ta vie du plus détestable de tous les commerces. Quelle injure as tu reçûë, toi ou ceux de ta maison, ou de mes parens, pour m'avoir réduit en ce misérable état dans lequel, d'homme que j'étois je ne suis maintenant ni homme, ni femme? Pensois tu que les Dieux ne vissent pas ce que tu faisois alors? Comme ils sont justes & équitables, infame artisan de malheurs, ils t'ont mis aujourd'hui en ma puissance pour mesurer ton châtiment par tes mauvaises actions. Quand il eut fait ces reproches à ce misérable, il fit amener devant lui quatre enfans qu'il avoit, & le contraignit de les châtrer; Et quand il eut obéi il obligea ses enfans de couper eux-mêmes les parties de leur Pére. Telle fut la vengeance d'Hermotime & telle fut la punition de Panione.» Quelques-uns ont crû qu'il les avoit poussez trop loin & qu'il s'étoit fait justice à lui même. La vengeance de Narses fut bien plus importante présupposé qu'elle soit véritable, car Baronius & plusieurs Auteurs en doutent. Narses ayant vaincu les Barbares & les Gots, & s'étant rendu auprès de l'Empereur Justinien, l'Impératrice Sophie envoya ce Capitaine parmi ses femmes pour filer avec elles, & pour se railler de lui parce qu'il étoit Eunuque. Ce mépris ayant excité la colére & l'indignation de Narses l'obligea à dire ces mots, Je filerai une trame que ton mari ne saura défaire. En effet, dans la suite il mit les Lombards hors de la Jurisdiction de l'Empire. D'ailleurs, j'avouë que je ne vois rien de plus juste que le ressentiment d'Hermotime, & que la peine que méritoit Panione, non seulement pour l'avoir châtré, mais pour en avoir châtré un million d'autres pour satisfaire à son commerce & à son avarice, ne pouvoit être trop grande. Hermotime étoit fondé en Loi; la Loi du Talion a toûjours été établie, on la voit dans la Loi des douze Tables en termes précis,44pœna autem injuriarum ex lege duodecim Tabularum propter membrum quidem ruptum Talio erat. L'Empereur Justinien a ordonné depuis positivement la peine du Talion, ou de la pareille, contre ceux qui feroient souffrir cette espéce de martire;45 Sancimus igitur, dit-il, ut qui in quocunque reipublicæ nostræ loco, quamcumque personam castrare præsumunt aut etiam præsumpserint, si quidem viri sint qui hoc facere præsumpserint aut etiam præsumunt, idem hoc quod aliis feceruns & ipsi patiantur. Cette Loi est conforme à la droite raison; car comme dit Ovide,46
Qui primus pueris genitalia membra recidit,
Vulnera quæ fecit, debuit ipse pati.
Cependant, comme le Christianisme n'approuve point l'Eunuchisme, la Loi du Talion a été abrogée à son égard par l'Empereur Leon, pour les raisons sages & Chrétiennes qu'il en rend dans sa Constitution47;
Il y a enfin des Eunuques qui se sont faits, ou fait faire Eunuques eux mêmes par divers motifs que nous allons rapporter dans le chapitre suivant.
CHAPITRE VI
Pourquoi quelques hommes se sont faits eux-mêmes, ou fait faire Eunuques par d'autresIL y a eu des hommes qui se sont faits Eunuques par un esprit de dévotion, dans la pensée de se rendre plus agréables à Dieu, & plus capables de travailler à leur salut. Comme Origéne a été le premier, le Pére pour le dire ainsi, & le Patriarche de ces sortes d'Eunuques, il est bon de faire voir en peu de mots le véritable motif qui l'a fait penser & agir d'une maniére si singuliére à cet égard. Je sçai bien que Justin Martyr48 parle d'un jeune homme d'Aléxandrie antérieur à Origéne, qui pour faire voir que ceux qui accusoient les Chrêtiens de commettre dans leurs Assemblées des saletez horribles, n'étoient que des calomniateurs, présenta requête à Felix, Gouverneur de cette Ville, pour obtenir de lui un Chirurgien qui le mit hors d'état d'être jamais soupçonné d'aucune impureté; Mais comme Felix le lui refusa parce que les lois Romaines le deffendoient, comme les Canons de l'Eglise le deffendirent depuis, je crois avoir raison de mettre Origéne le premier en ordre; parce que s'il n'a pas été le premier qui ait eu un semblable dessein, au moins a-t-il été le premier qui l'ait éxécuté.