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Mémoires du maréchal Berthier … Campagne d'Égypte, première partie
Mémoires du maréchal Berthier … Campagne d'Égypte, première partie

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Mémoires du maréchal Berthier … Campagne d'Égypte, première partie

Язык: Французский
Год издания: 2017
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Réduit à la nécessité de vaincre, Bonaparte fait battre la charge. Les hurlemens redoublent avec une nouvelle fureur. Les Français s'avancent vers l'enceinte qu'ils se disposent à escalader, malgré le feu des assiégés et une grêle de pierres qu'on fait pleuvoir sur eux; généraux et soldats escaladent les murs avec la même intrépidité.

Le général Kléber est atteint d'une balle à la tête; le général Menou est renversé du haut des murailles qu'il avait gravies et est couvert de contusions. Le soldat rivalise avec les chefs. Un guide nommé Joseph Cala devance les grenadiers, et monte un des premiers sur le mur, où, malgré le feu de l'ennemi et les nuées de pierres qui fondent sur lui, il aide les grenadiers Sabathier et Labruyère à escalader le rempart. Les murs sont bientôt couverts de Français, les assiégés fuient dans la ville; la terreur devient générale. Cependant ceux qui sont dans les vieilles tours continuent leur feu et refusent obstinément de se rendre.

D'après les ordres de Bonaparte, les troupes ne doivent point entrer dans la ville, mais se former sur les hauteurs du port qui la dominent. Le général en chef se rend sur ces monticules, dans l'intention de déterminer la ville à capituler; mais le soldat furieux de la résistance de l'ennemi, s'était laissé entraîner par son ardeur. Déjà une grande partie se trouvait engagée dans les rues de la ville, où il s'établissait une fusillade meurtrière: Bonaparte fait battre à l'instant la générale. Il mande vers lui le capitaine d'une caravelle turque qui était dans le port Vieux; il le charge de porter aux habitans d'Alexandrie des paroles de paix, de les rassurer sur les intentions de la république française, de leur annoncer que leurs propriétés, leur liberté, leur religion seront respectées; que la France, jalouse de conserver leur amitié et celle de la Porte, ne prétend diriger ses forces que contre les mameloucks. Ce capitaine, suivi de quelques officiers français, se rend dans la ville, et engage les habitants à se rendre, pour éviter le pillage et la mort.

Bientôt les imans, les cheiks, les chérifs viennent se présenter à Bonaparte, qui leur renouvelle l'assurance des dispositions amicales et pacifiques de la république française. Ils se retirent pleins de confiance dans ces dispositions; les forts du Phare sont remis aux Français qui prennent en même temps possession de la ville et des deux ports.

Bonaparte ordonne que les prières et cérémonies religieuses continuent d'avoir lieu comme avant l'arrivée des Français, que chacun retourne à ses travaux et à ses habitudes. L'ordre et la sécurité commencent à renaître.

Les Arabes qui avaient attaqué le matin l'avant-garde de l'armée, envoient eux-mêmes des députés qui ramènent quelques Français tombés en leurs mains. Ils déclarent que, puisque les Français ne viennent combattre que les mameloucks, et ne veulent pas faire la guerre aux Arabes, ni enlever leurs femmes, ni renverser la religion de Mahomet, ils ne peuvent être leurs ennemis. Bonaparte mange avec eux le pain, gage de la foi des traités, et leur fait des présents. Ils acceptent ces dons qui étaient l'objet de leur visite; ils font éclater les démonstrations de leur reconnaissance, ils jurent fidélité à l'alliance… et retournent piller les Français qu'ils rencontrent. Tel est l'Arabe.

Cette journée mémorable, qui assurait aux Français la principale entrée de l'Égypte, a coûté la vie au chef de brigade de la 3e, le citoyen Massé, et à cinq officiers de différentes divisions.

L'adjudant-général Escale a eu le bras cassé; vingt soldats se sont noyés dans le débarquement, soixante ont été blessés et quinze tués à l'attaque de la ville.

L'amiral Brueix, le citoyen Gantheaume, chef de l'état-major de l'armée navale, tous les officiers de marine ont secondé les efforts de l'armée de terre avec un dévouement qu'on ne saurait trop louer: on leur doit une partie des succès qu'on a obtenus.

Mais pour assurer ces avantages, il fallait profiter de la terreur qu'inspirait l'armée française, et marcher contre les mameloucks, avant qu'ils eussent le temps de disposer un plan de défense ou d'attaque.

C'est dans ces vues que le général en chef donna l'ordre au général Desaix, qui venait d'arriver avec sa division et les deux pièces qu'on avait débarquées, de se porter sans délai dans le désert sur la route du Caire. Ce général était dès le lendemain à trois lieues d'Alexandrie.

MARCHE DE L'ARMÉE FRANÇAISE AU CAIRE. – BATAILLE DE CHEBREISSE. – BATAILLE DES PYRAMIDES

Aussitôt que Bonaparte se fut rendu maître d'Alexandrie, il fit donner l'ordre aux bâtiments de transport d'entrer dans le port de cette ville, et de procéder au débarquement des chevaux, des munitions, et de tous les objets dont ils étaient chargés. Les jours et les nuits sont employés à cette opération. Les vaisseaux de guerre ne pouvaient entrer dans le port, et restaient mouillés dans la rade à une grande distance, ce qui rendait le débarquement de l'artillerie de siége également long et pénible.

Bonaparte convient, avec l'amiral Brueix, que la flotte ira mouiller à Aboukir, où la rade est bonne et le débarquement facile, et d'où l'on peut également communiquer avec Rosette et Alexandrie: il donne en même temps l'ordre à l'amiral de faire sonder avec précision la passe du vieux port d'Alexandrie: son intention est que l'escadre y entre, s'il est possible, ou, dans le cas contraire, qu'elle se rende à Corfou. Tout commandait de presser le débarquement avec une nouvelle activité; les Anglais pouvaient se présenter d'un instant à l'autre: l'escadre ne pouvait donc trop tôt se rendre indépendante de l'armée. D'un autre côté, il était essentiel, tant pour prévenir les dispositions hostiles des mameloucks, que pour ne pas leur laisser le temps d'évacuer les magasins, de marcher sur le Caire avec rapidité. Il fallait donc se hâter de procurer aux troupes tout ce qui était nécessaire à ce mouvement.

Pendant ces préparatifs, Bonaparte visitait la ville et les forts, ordonnait de nouveaux travaux, prenait toutes les mesures civiles et militaires pour assurer la défense et la tranquillité de la ville, organisait un divan, et disposait tout pour que l'armée fût bientôt en état de rejoindre la division du général Desaix.

Deux routes conduisent d'Alexandrie au Caire; la première est celle qui passe par le désert, et Demenhour. Pour suivre l'autre, il faut gagner Rosette en côtoyant la mer, et traverser à une lieue d'Aboukir un détroit de deux cents toises de large qui joint le lac Madié à la mer; mais ce passage, auquel on n'était point préparé, eût nécessairement retardé la marche de l'armée.

Bonaparte avait fait équiper une petite flottille destinée à remonter le Nil. Cette flottille, commandée par le chef de division Pérée, et composée de plusieurs chaloupes canonnières et d'un chebeck, aurait été d'un grand secours pour l'armée. Si on avait pris la route de Rosette, elle eût porté les équipages et les vivres des troupes, et suivi tous leurs mouvemens; mais les Français n'avaient pas encore pris possession de Rosette, et en prenant le parti de suivre cette route, Bonaparte eût retardé de huit à dix jours la marche de l'armée sur le Caire. Il décide que l'armée s'avancera par le désert et par Demenhour. C'est cette route que la division Desaix avait reçu ordre de suivre.

Le général en chef s'était rendu maître d'Alexandrie le 17 messidor. Dès le lendemain, l'armée se mit en marche pour le Caire; et ce jour-là même le général Desaix arrivait à Demenhour, après avoir traversé quinze lieues de désert.

Bonaparte laisse en partant le commandement d'Alexandrie au général Kléber, qui avait été blessé au siége de cette ville. La division de ce général, commandée par le général Dugua, reçoit l'ordre de partir avec les hommes de troupes à cheval qui ne sont pas montés, de protéger l'entrée de la flottille française dans le Nil, de s'emparer de Rosette, d'y établir un divan provisoire, d'y laisser une garnison, de faire construire une batterie à Lisbé, de faire embarquer du riz sur la flottille, de suivre la route du Caire sur la rive gauche du Nil, et de faire toute diligence pour rejoindre l'armée. L'armée partit d'Alexandrie les 18 et 19 messidor avec son artillerie de campagne, un petit corps de cavalerie, si toutefois on peut donner ce nom à trois cents hommes montés sur des chevaux qui, épuisés par une traversée de deux mois, pouvaient à peine porter leurs cavaliers. L'artillerie, par la même raison, était mal attelée. Le 20 messidor, les divisions arrivent à Demenhour. Pendant toute la route elles avaient été harcelées par les Arabes, qui avaient comblé les puits de Beda et de Birket, de sorte que le soldat, brûlé par l'ardeur du soleil et en proie à une soif dévorante, ne pouvait trouver à se désaltérer. On fouille dans ces puits d'eau saumâtre, mais on n'en peut retirer qu'un peu d'eau bourbeuse: un verre d'eau se paie au poids de l'or.

L'armée d'Alexandre, dans une pareille extrémité, poussa des cris séditieux contre le vainqueur du monde; les Français accélèrent leur marche.

Les troupes, arrivées le 20 messidor à Demenhour, y séjournent le 21. Jamais les Arabes ne s'étaient montrés en aussi grand nombre. Ils harcèlent les grand'gardes, plusieurs actions s'engagent, et le général de brigade Mireur est blessé mortellement.

Le 22, au lever du soleil, l'armée se met en marche pour Rahmanié; le petit nombre de puits force les divisions de marcher à deux heures l'une de l'autre.

À neuf heures et demie du matin, les divisions Menou, Regnier et Bon avaient pris position. Le soldat découvre le Nil; il s'y précipite tout habillé et s'abreuve d'une eau délicieuse. Presque au même instant le tambour le rappelle à ses drapeaux. Un corps d'environ huit cents mameloucks s'avançait en ordre de bataille. On court aux armes. Les ennemis s'éloignent, se dirigent sur la route de Demenhour, où ils rencontrent la division Desaix: le feu de l'artillerie avertit qu'elle est attaquée. Bonaparte marche à l'instant contre les mameloucks; mais l'artillerie du général Desaix les avait déjà éloignés. Ils avaient pris la fuite, et s'étaient dispersés après avoir eu quarante hommes tués ou blessés. Parmentier, de la sixième demi-brigade, a été tué dans cette action, ainsi qu'un guide à cheval; dix fantassins ont été légèrement blessés.

Le soldat, épuisé par la marche et les privations, avait besoin de repos; les chevaux, faibles et harassés par les fatigues de la mer, en avaient plus besoin encore. Bonaparte prend le parti de séjourner à Rahmanié le 23 et le 24, et d'y attendre la flottille et la division Menou.

Ce général avait exécuté les ordres qu'il avait reçus. Il s'était emparé de Rosette sans obstacle. Il rejoint l'armée par des marches forcées, et annonce que la flottille était heureusement entrée dans le Nil, mais qu'elle remontait ce fleuve avec difficulté, les eaux étant encore basses. Elle arrive enfin dans la nuit du 24. Cette nuit même l'armée part pour Miniet-Salamé. Elle y couche; et le 25, avant le jour, elle est en marche pour livrer bataille à l'ennemi partout où elle pourra le rencontrer.

Les mameloucks, au nombre de quatre mille, étaient à une lieue plus loin. Leur droite était appuyée au village de Chebreisse, dans lequel ils avaient placé quelques pièces de canon, et au Nil, sur lequel ils avaient une flottille, composée de chaloupes canonnières et de djermes armées.

Bonaparte avait donné ordre à la flottille française de continuer sa marche, en se dirigeant de manière à pouvoir appuyer la gauche de l'armée sur le Nil, et attaquer la flotte ennemie au moment où l'on attaquerait les mameloucks et le village de Chebreisse: malheureusement la violence des vents ne permit pas de suivre en tout ces dispositions. La flottille dépasse la gauche de l'armée, gagne une lieue sur elle, se trouve en présence de l'ennemi, et se voit obligée d'engager un combat d'autant plus inégal, qu'elle avait à la fois à soutenir le feu des mameloucks, et à se défendre contre la flottille ennemie.

Les fellâhs, conduits par les mameloucks, se jettent, les uns à l'eau, les autres dans des djermes, et parviennent à prendre à l'abordage une galère et une chaloupe canonnière. Le chef de division Pérée dispose aussitôt ce qui lui reste de monde, fait attaquer à son tour, et parvient à reprendre la chaloupe canonnière et la galère. Son chebeck, qui vomit de tous côtés le feu et la mort, protége la reprise de ces bâtimens, et brûle les chaloupes canonnières de l'ennemi. Il est puissamment secondé dans ce combat inégal et glorieux par l'intrépidité et le sang-froid du général Andréossy, et par les citoyens Monge, Berthollet, Junot, Payeur et Bourrienne, secrétaire du général en chef, qui se trouvent à bord du chebeck.

Cependant le bruit du canon avait fait connaître au général en chef que la flottille était engagée; il fait marcher l'armée au pas de charge, elle s'approche de Chebreisse et aperçoit les mameloucks rangés en bataille en avant de ce village. Bonaparte reconnaît la position et forme l'armée. Elle est composée de cinq divisions, chaque division forme un carré qui présente à chaque face six hommes de hauteur; l'artillerie est placée aux angles; au centre sont les équipages et la cavalerie. Les grenadiers de chaque carré forment des pelotons qui flanquent les divisions, et sont destinés à renforcer les points d'attaque.

Les sapeurs, les dépôts d'artillerie prennent position et se barricadent dans deux villages en arrière, afin de servir de point de retraite en cas d'événement.

L'armée n'était plus qu'à une demi-lieue des mameloucks. Tout à coup ils s'ébranlent par masses, sans aucun ordre de formation, et caracolent sur les flancs et les derrières; d'autres masses fondent avec impétuosité sur la droite et le front de l'armée. On les laisse approcher jusqu'à la portée de la mitraille. Aussitôt l'artillerie se démasque et son feu les met en fuite. Quelques pelotons des plus braves fondent avec intrépidité le sabre à la main sur les flanqueurs. On les attend de pied ferme, et presque tous sont tués, ou par le feu de la mousqueterie, ou par la baïonnette.

Animée par ce premier succès, l'armée s'ébranle au pas de charge, et marche sur le village de Chebreisse, que l'aile droite a l'ordre de déborder. Ce village est emporté après une très faible résistance. La déroute des mameloucks est complète; ils fuient en désordre vers le Caire. Leur flottille prend également la fuite, en remontant le Nil, et termine ainsi un combat qui durait depuis deux heures avec le même acharnement. C'est surtout à la valeur des hommes de troupes à cheval embarqués sur la flottille qu'est due la gloire de cette journée. La perte de l'ennemi a été de plus de six cents hommes, tant tués que blessés: celle des Français d'environ soixante-dix.

Aussitôt après l'action, Bonaparte ordonne au général de brigade Zayoncheck de débarquer avec les hommes de troupes à cheval au nombre d'environ quinze cents, et de suivre la rive droite du Nil à la hauteur de la marche de l'armée qui s'avance sur la rive gauche.

L'armée couche à Chebreisse, et le 26 à Chabour. Le 27, elle couche à Qom-el-Cheriq; elle était sans cesse harcelée dans sa marche par les Arabes. L'on ne pouvait s'éloigner à la portée du canon sans tomber dans quelque embuscade. Ces barbares assassinaient et pillaient s'ils étaient les plus nombreux; ils prenaient la fuite, s'ils étaient en nombre égal, et s'il fallait combattre.

L'adjoint aux adjudans-généraux Gallois, officier distingué, est tué en portant un ordre du général en chef. L'adjudant Denano tombe entre leurs mains. Ils le conduisent à leur camp, et cet intéressant jeune homme, meurt assassiné. Toute communication est interceptée à trois cents toises derrière l'armée. On ne peut faire parvenir aucune nouvelle à Alexandrie; on n'en reçoit aucune de cette ville.

Tous les villages où l'armée arrive sont abandonnés. Elle n'y trouve plus ni hommes ni bestiaux; elle couche sur des tas de blé et elle est sans pain. Elle manque également de viande et ne subsiste qu'avec des lentilles ou de mauvaises galettes que le soldat fait lui-même en écrasant du blé. Elle continue sa marche vers le Caire, couche le 28 à Alcan, le 29 à Abounichabé, le 30 à Ouardan où elle séjourne. Le 1er thermidor, elle se rend à Omm-el-Dinar. Le général Zayoncheck prend position à la pointe du Delta, où le Nil se partage en deux branches, celle de Damiette et celle de Rosette.

Bonaparte, informé que Mourâd-Bey, à la tête de six mille mameloucks et d'une foule d'Arabes et de fellâhs, est retranché au village d'Embabé, à la hauteur du Caire, vis-à-vis Boulac, et qu'il attend les Français pour les combattre, s'empresse d'aller lui présenter bataille.

Le 2 thermidor, à deux heures du matin, l'armée part d'Omm-el-Dinar. Au point du jour, la division Desaix, qui formait l'avant-garde, a connaissance d'un corps d'environ six cents mameloucks et d'un grand nombre d'Arabes qui se replient aussitôt. À deux heures après midi, l'armée arrive aux villages d'Ébrerach et de Boutis. Elle n'était plus qu'à trois quarts de lieue d'Embabé, et apercevait de loin le corps de mameloucks qui se trouvait dans le village. La chaleur était brûlante, le soldat extrêmement fatigué. Bonaparte fait faire halte; mais les mameloucks n'ont pas plus tôt aperçu l'armée, qu'ils se forment en avant de sa droite dans la plaine. Un spectacle aussi imposant n'avait point encore frappé les regards des Français. La cavalerie des mameloucks était couverte d'armes étincelantes. On voyait en arrière de sa gauche ces fameuses pyramides dont la masse indestructible a survécu à tant d'empires, et brave depuis trente siècles les outrages du temps. Derrière sa droite étaient le Nil, le Caire, le Mokattam et les champs de l'antique Memphis.

Mille souvenirs se réveillent à la vue de ces plaines où le sort des armes a tant de fois changé la destinée des empires. L'armée, impatiente d'en venir aux mains, est aussitôt rangée en ordre de bataille. Les dispositions sont les mêmes qu'au combat de Chebreisse. La ligne, formée dans l'ordre par échelons et par divisions qui se flanquent, refusait sa gauche. Bonaparte ordonne à la ligne de s'ébranler; mais les mameloucks, qui jusqu'alors avaient paru indécis, préviennent l'exécution de ce mouvement, menacent le centre, et se précipitent avec impétuosité sur les divisions Desaix et Regnier, qui formaient la droite. Ils chargent intrépidement les colonnes qui, fermes et immobiles, ne font usage de leur feu qu'à demi-portée de la mitraille et de la mousqueterie; la valeur téméraire des mameloucks essaie en vain de renverser ces murailles de feu, ces remparts de baïonnettes; leurs rangs sont éclaircis par le grand nombre de morts et de blessés qui tombent sur le champ de bataille; et bientôt ils s'éloignent en désordre sans oser entreprendre une nouvelle charge.

Pendant que les divisions Desaix et Regnier repoussaient avec tant de succès la cavalerie des mameloucks, les divisions Bon et Menou, soutenues par la division Kléber, commandée par le général Dugua, marchaient au pas de charge sur le village retranché d'Embabé. Deux bataillons des divisions Bon et Menou, commandés par les généraux Rampon et Marmont, sont détachés, avec ordre de tourner le village, et de profiter d'un fossé profond pour se mettre à couvert de la cavalerie de l'ennemi, et lui dérober leurs mouvemens jusqu'au Nil.

Les divisions, précédées de leurs flanqueurs, continuent de s'avancer au pas de charge. Les mameloucks attaquent sans succès les pelotons des flanqueurs; ils démasquent et font jouer quarante mauvaises pièces d'artillerie. Les divisions se précipitent alors avec plus d'impétuosité, et ne laissent pas à l'ennemi le temps de recharger ses canons. Les retranchements sont enlevés à la baïonnette; le camp et le village d'Embabé sont au pouvoir des Français. Quinze cents mameloucks à cheval et autant de fellâhs, auxquels les généraux Marmont et Rampon ont coupé toute retraite en tournant Embabé, et prenant une position retranchée derrière un fossé qui joignait le Nil, font en vain des prodiges de valeur; aucun d'eux ne veut se rendre, aucun d'eux n'échappe à la fureur du soldat; ils sont tous passés au fil de l'épée ou noyés dans le Nil. Quarante pièces de canon, quatre cents chameaux, les bagages et les vivres de l'ennemi tombent entre les mains du vainqueur.

Mourâd-Bey, voyant le village d'Embabé emporté, ne songe plus qu'aux moyens d'assurer sa retraite. Déjà les divisions Desaix et Regnier avaient forcé sa cavalerie de se replier: l'armée, quoiqu'elle marchât depuis deux heures du matin et qu'il fût six heures du soir, le poursuit encore jusqu'à Gisëh. Il n'y avait plus de salut pour lui que dans une prompte fuite; il en donne le signal, et l'armée prend position à Gisëh, après dix-neuf heures de marche ou de combats.

Jamais victoire aussi importante ne coûta moins de sang aux Français: ils n'eurent à regretter dans cette journée que dix hommes tués et environ trente blessés. Jamais avantage ne fit mieux sentir la supériorité de la tactique moderne des Européens sur celle des Orientaux, du courage discipliné sur la valeur désordonnée.

Les mameloucks étaient montés sur de superbes chevaux arabes richement harnachés; ils portaient les plus brillantes armures; leurs bourses étaient pleines d'or, et leurs dépouilles dédommagèrent le soldat des fatigues excessives qu'il venait de supporter. Il y avait quinze jours qu'il n'avait pour toute nourriture qu'un peu de légumes sans pain; les vivres trouvés dans le camp des ennemis lui firent faire un repas délicieux.

La division Desaix a ordre de prendre position en avant de Gisëh sur la route de Fayoum. La division Menou passe pendant la nuit une branche du Nil, et s'empare de l'île de Roda. L'ennemi, dans sa fuite, brûlait tous les bâtiments qui ne pouvaient remonter le Nil. Toute la rive était en feu.

Le lendemain matin, 4 thermidor, les grands du Caire se présentent sur le Nil, offrant de remettre la ville au pouvoir des Français. Ils étaient accompagnés du kyàyà du pacha. Ibrahim-Bey, qui avait abandonné le Caire pendant la nuit, avait emmené le pacha avec lui. Bonaparte les reçoit à Gisëh; ils demandent protection pour la ville et protestent de sa soumission. Bonaparte leur répond que le désir des Français est de rester les amis du peuple égyptien et de la Porte ottomane, que les mœurs, les usages et la religion du pays seront scrupuleusement respectés. Ils retournent au Caire, accompagnés d'un détachement commandé par un officier français. Le peuple avait profité de la défaite et de la fuite des mameloucks pour se porter à quelques excès; la maison de Mourâd-Bey avait été pillée et brûlée; mais les chefs font des proclamations, la force armée paraît, et l'ordre se rétablit.

Le 7 thermidor, Bonaparte porte son quartier-général au Caire. Les divisions Regnier et Menou prennent position au Vieux-Caire; les divisions Bon et Kléber à Boulac; un corps d'observation est placé sur la route de Syrie, et la division Desaix reçoit l'ordre de prendre une position retranchée, à trois lieues en avant d'Embabé, sur la route de la Haute-Égypte.

COMBAT DE SALÊHIËH. – IBRAHIM-BEY EST CHASSÉ DE L'ÉGYPTE

Au moment où les Français étaient entrés au Caire, l'armée des mameloucks s'était séparée en deux corps; l'un, commandé par Mourâd-Bey, suivait la route de la Haute-Égypte; l'autre, sous les ordres d'Ibrahim-Bey, avait pris la route de Syrie. C'était entre ces deux beys que l'autorité de l'Égypte était partagée. Mourâd-Bey était à la tête du militaire, Ibrahim-Bey dirigeait la partie administrative.

Desaix, chargé de poursuivre le premier et de le tenir en échec, établit un camp retranché à quatre lieues en avant de Gisëh, sur la rive gauche du Nil. Ses avant-postes et ceux de Mourâd-Bey étaient en présence les uns des autres.

Ibrahim-Bey s'était retiré à Belbéis, où il attendait le retour de la caravane de la Mecque; son intention était de profiter du renfort des mameloucks qui escortaient cette caravane, pour exécuter un plan d'attaque combiné avec Mourâd-Bey et les Arabes. Il mettait provisoirement tout en œuvre pour soulever les fellâhs du Delta, et pousser les habitans du Caire à la révolte.

L'armée avait beaucoup souffert de la marche, des chaleurs excessives, de la mauvaise nourriture; elle avait besoin de repos avant de se mettre à la poursuite des mameloucks et de les chasser entièrement de l'Égypte. Bonaparte sentait d'ailleurs la nécessité d'organiser un gouvernement provisoire pour la capitale et le reste du pays, d'assurer la subsistance du peuple et de l'armée, d'organiser tous les services, et de se mettre, par des positions retranchées, à l'abri de toute surprise, soit de la part des mameloucks, soit de la part des habitans.

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