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Le Crépuscule des Dieux
Les diamants rentrèrent donc là d'où ils n'auraient jamais dû sortir, mais le duc Charles n'en prit pas moins l'affaire amèrement, et peu à peu, son hôtel en défiance, comme après une trahison. Dans ce désastre où tout avait péri, excepté sa bourse, fallait-il encore qu'il tremblât pour elle?.. Et au milieu de ces dégoûts, une seconde catastrophe, bien plus fâcheuse que la première, acheva de combler la mesure. Par suite d'un remaniement administratif, l'hôtel qui portait jusque-là le numéro 59, reçut le numéro 77. C'en fut assez pour décider le Duc à le vouloir quitter au plus vite: depuis de longues années déjà, il montrait pour le chiffre 7 une aversion superstitieuse, et le prétendait mêlé d'une façon maligne à toutes les calamités de sa vie.
M. Smithson, qui venait d'arriver, reçut donc l'ordre d'acheter une maison nouvelle pour Son Altesse, et se mit en campagne aussitôt. Il visita plusieurs quartiers, parcourut les alentours de Monceaux, découvrit, non loin du Parc des princes, une sorte de château de cartes, avec une perspective enchantée, mais dont le Duc ne voulut point, et le pressa enfin de visiter l'ancien hôtel de Lola Montès, la fameuse comtesse de Lansfeld.
Presque toujours inhabité et entouré d'une palissade, à cette extrémité des Champs-Elysées où il s'élevait, on en avait pris peu de soin, et le jardin en parut d'abord à Son Altesse fort sauvage et broussailleux. Les clefs à la fin apportées, ce fut bien pis dans les appartements. Une odeur de relent s'exhalait des tentures flétries; les chambres servaient de resserres à des meubles délabrés, les châssis des fenêtres crevées tombaient de pourriture. Le Duc s'arrêtait court par moments, à frapper du doigt quelque plinthe, ou à examiner le dessus d'une porte, puis haussait les épaules sans dire mot. Le dépit lui croissait de perdre son temps ainsi, dans ce palais de poussière et d'araignées, endormi, semblait-il, depuis le siècle des fées, et tout émietté de vétusté. Il marmottait, tapait du pied, passait ses doigts dans les moustaches de sa barbe, signe de colère contenue, et devenait très rouge.
– Je vois, dit froidement M. Smithson, en se tournant à demi vers lui, que ceci déplaît à Votre Altesse Sérénissime.
– Me déplaît… me déplaît… cria le Duc, soulagé de pouvoir enfin éclater et trouver de quoi contredire. Souhaiteriez-vous par hasard que cela me déplût?.. En ce cas, vous y êtes trompé, monsieur… car je l'achète.
Les travaux commencèrent immédiatement, avec un nombre d'ouvriers prodigieux, quantité de logettes suspendues aux murailles de l'hôtel, des chaudières, des rails, des machines, et des ateliers dans le jardin même, où l'on travaillait le jour et la nuit. Il y fallait bien cette multitude et cette activité renforcée, le Duc, d'un changement à l'autre, n'ayant guère laissé intacts dans la maison, que la cage de l'escalier, les quatre parements et le toit. C'était par lui que tout passait, plans, traités, devis, estimations. Son ennui les engloutissait pour s'y occuper, et bientôt même, il se mit sur le pied de venir surprendre inopinément les travailleurs.
Il assista ainsi à la mise en place des acrotères de bronze doré et autres ferrailles pseudo-grecques, dont il s'était entêté à décorer la ligne de couronnement de son toit, car il n'était pas né pour rien à la plus belle époque des Parthénons bâtards, glypcothèques et pinacothèques. Tout se mêlait d'ailleurs dans son esprit, toutes les sortes de mauvais goût y vivaient ensemble pêle-mêle, en sorte que, sans souci des styles postiches cousus ensemble, il exigea sur la façade en marbre rose de l'hôtel, deux médaillons de mosaïque, représentant Henri le Lion, et l'empereur Othon, ses ancêtres.
La singularité de sa livrée, la beauté de ses attelages, ses cochers, ses piqueurs, ses postillons, commençaient à faire distinguer le Duc, même au milieu de la foule de princes, que réunissait à ce moment l'Exposition Universelle. C'en était la plus brillante période, et la ville entière se mit en fête pour recevoir le roi de Prusse. Le pauvre Duc en eut le cœur percé, et des transports de colère et de dépit, quand il apprit que son ennemi, dans une visite au Champ-de-Mars, s'était justement arrêté devant les fameuses épaulettes de diamants jaunes, qui figuraient, prêtées par Charles d'Este. Il ne consentit à les aller voir lui-même, que lorsque le roi fut parti, et l'aspect du canon monstrueux que la Prusse avait exposé ralluma sa fureur, tellement qu'il ne retourna plus à «ce bazar», comme il le nommait.
Il était morose d'ailleurs, et dévoré de bile et d'ennui. Souvent, au milieu de la nuit, il s'éveillait, sonnait l'Italien, envoyait chercher M. Smithson, et daignait leur faire part à tous deux de quelque fantaisie nouvelle, qui lui était venue en dormant. Ce furent ainsi, successivement, des serres immenses pour l'hôtel Beaujon, car le Duc l'appela de ce nom, une salle de bain à la turque, les bustes des douze Césars, un portique romain dans le parc, lequel devint une futaie de cèdres, qui se changea vite en pièce d'eau, puis, qui fut remis en forêt; mille rêves enfin, si chimériques et si ruineux, en bâtiments, en orangeries, en pavillons de marbre et de porphyre, en fontaines, en vases et en statues, que les vouloir réaliser n'eût pas demandé moins qu'une Armide avec sa baguette.
Mais une inquiétude plus grave occupa de nouveau le duc Charles. Il était visible en effet, que le rayon de mieux de la pauvre Claribel s'éteignait, comme le soleil d'été qui l'avait fait naître. Déjà l'on ne promenait plus l'enfant dans sa roulette, qu'à l'intérieur des appartements, et le moment vint, bientôt après, où elle dut garder la chambre.
Triste, elle regardait la pluie ruisseler contre les vitres, et les nuages courir au ciel. Les journées qui s'accourcissaient, ce déluge qui ne cessait point, la lumière décolorée de cette pâle et lugubre automne, et le silence universel, tout navrait l'âme de la mourante d'une indicible mélancolie. Elle était courageuse pourtant, et cachait et dévorait ses pleurs. Les grâces n'avaient point quitté son visage, exténué par la maladie; elle voulait qu'on la parât, qu'on eût soin d'elle encore plus qu'auparavant, et ses caprices d'ajustement forçaient souvent Emilia de puiser dans les richesses héréditaires des comtesses de Blankenbourg: satins, brocards, dentelles, joyaux, gorgerettes de pierreries, mousselines et damaras des Indes, robes de lampas de Lyon surbrodées de fleurs d'or et d'argent, points de Bruxelles et d'Alençon, tout le plus admirable trousseau, et tel qu'en possèdent seulement en Europe, deux ou trois images de Notre-Dame.
Alors, sa toilette achevée, Claribel demeurait à rêver, blottie au fond de sa niche de soie, ses maigres bras perdus dans ses grandes manches bouffantes, frissonnante et morne. Mais au crépuscule, surtout, quand les tisons de l'âtre consumés ne formaient plus entre les landiers, qu'un tas ardent de braise rouge, quand la nuit lentement appâlissait tout, depuis les roses bleues du tapis gris de lin, jusqu'aux fronces de satin bleu clair des tentures et du plafond, soudain les larmes lui débordaient, pauvre cœur noyé de tristesse! Elle appelait Emilia, se réfugiait contre son sein, et quelquefois, l'interrogeant:
– Ah! qu'est-ce que font les morts, mamaccia? Souffrent-ils, ont-ils faim et froid, sont-ils malheureux comme les vivants?
– Non! ma petite sœur, ils dorment, répondit un jour Hans Ulric.
– Oh! alors, que ne suis-je morte! reprit-elle.
Et à partir de ce moment, Claribel sembla goûter un amer plaisir à s'entretenir de sa fin prochaine. Elle retrouva cependant quelques faibles et languissants sourires, quand Christiane, pour la distraire, s'avisa de lui amener une petite fille de dix ans, dont le père avait un emploi dans les cuisines de Son Altesse. On étala devant Frida, afin qu'elle eût de quoi y choisir, une profusion de joujoux, mais elle, stupide et comme éperdue de ce tas de choses magnifiques, les considérait les yeux béants, puis se prit tout à coup à pleurer. Il fallut passer plusieurs journées à l'apprivoiser quelque peu, lui décoller les bras de ses jupes, et lui ôter ces tremblantes révérences, par lesquelles l'enfant répondait aux moindres paroles, aux regards, et même aux histoires merveilleuses, que Claribel la voyant si simple, se divertissait à lui faire accroire. – Chut! on devait répondre très bas, se souffler les mots à l'oreille, lorsqu'il y avait de grosses mouches dans la chambre:
– Elles entendent ce qu'on dit, et ne manquent pas de le répéter…
Et cent autres imaginations pareilles, à propos des chiens, des nuages, des oiseaux, des arbres. Frida l'écoutait, bouche béante, et cette naïve pauvresse, cette enfant qui levait sur elle des yeux sans pensée, était la dernière poupée qui amusât un peu la petite comtesse. Claribel la baisait, la mignotait, la gorgeait de bonbons ou la mettait en pénitence, l'habillait, la déshabillait, l'affublant d'antiques falbalas, de coiffures d'un empan de haut, et d'immenses rondaches de crinolines; ou bien, elle gardait son dîner dans sa chambre, elle qui n'avait jamais appétit, afin d'en bourrer sa menine. Pâle, diaphane, et si maigre qu'elle eût passé, semblait-il, par un anneau, c'était un contraste plein de pitié de voir devant elle, Frida, rouge et joufflue, qui dévorait à belles dents, perdrix, poules faisanes, hures d'esturgeons mouillées de tokai, tandis que Claribel qui, maintenant, ne pouvait plus quitter le lit, avait peine à sucer un demi-quartier de mandarine.
Elle se mourait, trop nerveuse, trop fine, consumée d'ardeur et d'intelligence, et déjà lasse de la vie. Comblée de tout ce que la fortune a de faveurs et de miel, elle en avait senti l'amertume, et compris, si jeune qu'elle fût, le vide et la fugacité des choses. Son père! mais n'importe quel colifichet suffirait à le consoler, une cravate, un ragoût nouveau, quoi encore? la caisse de citrons doux qu'il attendait de Palerme dans quelques jours, et qui provenaient d'un arbre planté de ses mains, comme il se plaisait à le raconter. Franz, après tant d'assiduité, paraissait à peine maintenant; et pour Emilia, l'enfant sentait trop bien qu'il ne restait guère chez l'Italienne qu'un extérieur d'affection, mais que sa pensée était ailleurs, et l'indifférence de ses caresses. Oh non! personne ne l'aimait.. Hélas! que n'avait-elle un frère comme Christiane, Hans Ulric! Un frère! et, dans son innocence, Claribel se demandait souvent si l'on pouvait s'aimer plus qu'ils faisaient. Comme Hans tressaillait et pâlissait, lorsque Tina, avec espièglerie, lui venait passer ses bras au cou, et quels bons sourires de tendresse! Mais pourquoi donc la Belcredi fixait-elle sur lui ces yeux singuliers? Qu'avait-elle à les percer du regard?.. Avec son air modeste, son réel talent, le dos des cahiers de musique qu'on voyait dans sa chambre, et surtout grâce à un choral de Haendel, où il avait fallu trois voix, elle venait de réussir à pénétrer chez Christiane; et ces visites assez fréquentes, cette intimité qui commençait, la petite comtesse en était jalouse. Sa sœur et son frère ne l'aimaient donc pas, pour si bien traiter qui elle détestait. Oh non! personne ne l'aimait. Qu'aurait-elle fait sur la terre? elle pouvait mourir sans regrets!
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