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Alfred de Musset
Il est de même très antique, et très moderne à la fois, dans ses comparaisons, où il se montre entièrement dégagé du souci du mot noble, qui préoccupait tant les poètes du XVIIIe siècle. Il a retrouvé l'heureuse brutalité des anciens, leur science du détail réaliste qui frappe l'imagination et fait surgir la scène devant les yeux:
Comme on voit dans l'été, sur les herbes fauchées,Deux louves, remuant les feuilles desséchées,S'arrêter face à face et se montrer la dent;La rage les excite au combat; cependantElles tournent en rond lentement, et s'attendent;Leurs mufles amaigris l'un vers l'autre se tendent.Son éducation littéraire avait nécessairement mélangé d'éléments étrangers ce vieux réalisme païen, qui semble lui avoir été naturel. Musset nommait Régnier son premier maître, et il y a en effet du Régnier dans plus d'un passage, par exemple dans la comparaison des fileuses:
Ainsi qu'on voit souvent, sur le bord des marnières,S'accroupir vers le soir de vieilles filandières,Qui, d'une main calleuse agitant leur coton,Faibles, sur leur genou laissent choir leur menton;De même l'on dirait que, par l'âge lassée,Cette pauvre maison, honteuse et fracassée,S'est accroupie un soir au bord de ce chemin.Le romantisme des Contes d'Espagne et d'Italie pouvait aussi compter pour du nouveau. Victor Hugo en était encore aux Orientales, et Musset le dépassait en hardiesse. Ses vers disloqués, ses débauches de métaphores, le plaçaient tout à l'avant-garde de l'armée révolutionnaire, tandis que sa verve turbulente et son ironie en faisaient une espèce d'enfant perdu, que nul ne pouvait se flatter de retenir dans le rang. Lui-même avait pris soin d'avertir qu'on y perdrait sa peine et son temps. Il avait signifié dans Mardoche à l'«école rimeuse» qu'il ne voulait rien avoir de commun avec elle:
Les Muses visitaient sa demeure cachée,Et, quoiqu'il fît rimer idée avec fâchée,On le lisait…Même irrévérence à l'égard des autres réformes. Cet audacieux s'était permis de parodier dans la Ballade à la lune les rythmes et les images romantiques, et il affichait la prétention d'exprimer ce qu'il sentait, non ce qu'il était à la mode de sentir. La mode était aux airs funestes et penchés; Musset osait être gai et se moquait des mélancoliques:
RAFAELTriste, abbé? – Vous avez le vin triste? – Italie,Voyez-vous, à mon sens, c'est la rime à folie.Quant à mélancolie, elle sent trop les trousAux bas, le quatrième étage, et les vieux sous.Il ne trompait pas ses maîtres du Cénacle; il leur disait aussi clairement que possible sur quels points il se séparait d'eux. Quant à leur dire où il en serait le lendemain, s'il referait Candide ou Manfred, il eût été embarrassé de le faire; il n'en savait rien, et n'avait personne pour l'aider à voir clair en lui-même. «Les Contes d'Espagne et d'Italie, a dit Sainte-Beuve, posaient… une sorte d'énigme sur la nature, les limites et la destinée de ce talent.» Énigme dont l'obscurité s'accroissait par le plus étrange pêle-mêle d'enfantillages de collégien8, et de vers de haut vol, de ceux que le génie trouve et que le talent ne fabrique jamais, quelque peine qu'il y prenne.
On en pourrait citer de moins innocents.Ulric, nul œil des mers n'a mesuré l'abîme,Ni les hérons plongeurs, ni les vieux matelots.Le soleil vient briser ses rayons sur leur cime,Comme un soldat vaincu brise ses javelots…C'est ainsi qu'un nocher, sur les flots écumeux,Prend l'oubli de la terre à regarder les cieux…Heureux un amoureux!..…On en rit, c'est hasard s'il n'a heurté personne;Mais sa folie au front lui met une couronne,À l'épaule une pourpre, et devant son cheminLa flûte et les flambeaux, comme au jeune Romain.Comment un livre aussi déraisonnable, plein d'exagérations et de disparates, n'aurait-il pas choqué les esprits corrects et réjoui les fous? Les bonnes gens eurent la consolation de pouvoir dire en toute vérité que le succès des Contes d'Espagne et d'Italie tenait du scandale.
Le coupable se tenait coi et réfléchissait. Il trouvait de la vérité dans certaines critiques et se préparait à l'évolution que son tempérament poétique rendait inévitable dès qu'il serait hors de page. «Le romantique se déhugotise tout à fait», écrivait son père, le 19 septembre 1830, à son ami Cairol. Il n'était plus besoin d'indiscrétions pour s'en douter. La Revue de Paris avait publié en juillet le manifeste littéraire intitulé les Secrètes Pensées de Rafaël, que le Cénacle prit pour un désaveu, et qui n'était qu'une déclaration d'indépendance. A présent qu'on le lit de sang-froid, on a peine à comprendre qu'on ait pu s'y tromper.
Salut, jeunes champions d'une cause un peu vieille,Classiques bien rasés, à la face vermeille,Romantiques barbus, aux visages blêmis!Vous qui des Grecs défunts balayez le rivage,Ou d'un poignard sanglant fouillez le moyen-âge,Salut! – J'ai combattu dans vos camps ennemis.Par cent coups meurtriers devenu respectable,Vétéran, je m'assois sur mon tambour crevé.Racine, rencontrant Shakespeare sur ma table,S'endort près de Boileau…On s'y trompa pourtant, et les relations de Musset avec le groupe de Victor Hugo se refroidirent. Il est juste d'ajouter que Musset laissait percer un dessein arrêté de marcher à l'avenir sans lisières. Le mot d'école poétique lui paraissait maintenant vide de sens. «Nous discutons beaucoup, écrivait-il à son frère; je trouve même qu'on perd trop de temps à raisonner et épiloguer. J'ai rencontré Eugène Delacroix, un soir en rentrant du spectacle; nous avons causé peinture, en pleine rue, de sa porte à la mienne et de ma porte à la sienne, jusqu'à deux heures du matin; nous ne pouvions pas nous séparer. Avec le bon Antony Deschamps, sur le boulevard, j'ai discuté de huit heures du soir à onze heures. Quand je sors de chez Nodier ou de chez Achille (Devéria), je discute tout le long des rues avec l'un ou l'autre. En sommes-nous plus avancés? En fera-t-on un vers meilleur dans un poème, un trait meilleur dans un tableau? Chacun de nous a dans le ventre un certain son qu'il peut rendre, comme un violon ou une clarinette. Tous les raisonnements du monde ne pourraient faire sortir du gosier d'un merle la chanson du sansonnet. Ce qu'il faut à l'artiste ou au poète, c'est l'émotion. Quand j'éprouve, en faisant un vers, un certain battement de cœur que je connais, je suis sûr que mon vers est de la meilleure qualité que je puisse pondre.»
Plus loin, dans la même lettre: «Horace de V… m'a appris une chose que je ne savais pas, c'est que depuis mes derniers vers, ils disent tous que je suis converti, converti à quoi? s'imaginent-ils que je me suis confessé à l'abbé Delille ou que j'ai été frappé de la grâce en lisant Laharpe? On s'attend sans doute que, au lieu de dire: «Prends ton épée et tue-le», je dirai désormais: «Arme ton bras d'un glaive homicide, et tranche le fil de ses jours». Bagatelle pour bagatelle, j'aimerais encore mieux recommencer les Marrons du feu et Mardoche.» (4 août 1831.)
Des mois s'écoulèrent encore en discussions stériles. Une forte secousse morale, causée par la mort de son père (avril 1832), détermina enfin un retour au travail, et les anciens amis furent convoqués la veille de Noël à une lecture de la Coupe et les Lèvres et d'A quoi rêvent les jeunes filles. La séance fut glaciale. Quand on se quitta, la séparation était consommée entre le nourrisson du romantisme et le Cénacle. Musset était désormais un isolé. Il l'avait voulu et cherché.
Son nouveau volume parut tout à la fin de 1832, sous ce titre: Un spectacle dans un fauteuil. La critique s'en occupa peu. Sainte-Beuve fit un article (Revue des Deux Mondes, 15 janvier 1833) où Alfred de Musset était discuté sérieusement et classé «parmi les plus vigoureux artistes» du temps. Un journal le loua chaudement; deux autres l'exécutèrent avec de gros mots: indigeste fatras, œuvre sans nom, fatigantes divagations; la plupart lui firent dédaigneusement l'aumône du silence. Leur attitude maussade ne se démentit point dans les années suivantes, et elle répondait à celle du gros public. Musset était retombé brusquement dans l'ombre. Le vrai succès, celui qui ne s'oublie plus et classe définitivement un écrivain, s'est fait beaucoup attendre pour lui. Il a vu sa gloire avant de mourir; mais il n'en a pas joui longtemps. Les raisons de cette longue éclipse sont assez complexes.
Il y avait un peu de sa faute dans l'aigreur des journalistes. Sous prétexte qu'il ne leur en voulait nullement de leurs injures, il n'avait pas caché sa joie gamine de ce que tous, ou à peu près, s'étaient laissé prendre à la Ballade à la lune. En franc étourdi, il s'était moqué sans pitié, dans les Secrètes Pensées de Rafaël, de leurs grands frais d'indignation pour une plaisanterie:
O vous, race des dieux, phalange incorruptible,Électeurs brevetés des morts et des vivants;Porte-clefs éternels du mont inaccessible,Guindés, guédés, bridés, confortables pédants!Pharmaciens du bon goût, distillateurs sublimes,Seuls vraiment immortels, et seuls autorisés;Qui, d'un bras dédaigneux, sur vos seins magnanimesSecouant le tabac de vos jabots usés,Avez toussé, – soufflé, – passé sur vos lunettesUn parement brossé pour les rendre plus nettes,Et, d'une main soigneuse ouvrant l'in-octavo,Sans partialité, sans malveillance aucune,Sans vouloir faire cas ni des ha! ni des ho!Avez lu posément – la Ballade à la lune!!!Maîtres, maîtres divins, où trouverai-je, hélas!Un fleuve où me noyer, une corde où me pendre,Pour avoir oublié de faire écrire au bas:Le public est prié de ne pas se méprendre……On dit, maîtres, on dit qu'alors votre sourcil,En voyant cette lune, et ce point sur cet i,Prit l'effroyable aspect d'un accent circonflexe!Le journaliste parisien accepte à la rigueur d'être traité de pédant, même bridé, même guédé! Mais rien au monde ne lui est plus odieux, plus insupportable, exaspérant, inoubliable, que d'être convaincu de naïveté. Les critiques de 1830 gardèrent longtemps rancune à «ce jeune gentilhomme» qui «persiflait tout».
Plus de coterie pour le défendre, puisqu'il était brouillé avec le Cénacle, et son nouveau volume était justement difficile à comprendre. Des trois poèmes qui le composaient, aucun n'était très accessible à la foule sans le secours de commentaires. Le premier, la Coupe et les Lèvres, étonnait tout d'abord par sa forme inusitée. Ce chœur emprunté à la tragédie grecque, qui venait exprimer des idées fort peu antiques dans un langage très moderne, troublait et déroutait le lecteur. D'autre part, la donnée de la pièce est loin d'être nette; plusieurs idées assez disparates s'y succèdent ou s'y mêlent confusément. L'auteur glisse sans s'en apercevoir de son sujet primitif à un autre sujet tout différent. Au premier acte, il semble qu'il ait voulu faire la tragédie de l'orgueil, comme Corneille a fait celle de la volonté, et qu'il va s'attacher à le montrer grandissant dans une âme ardente et forte.
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1
De Paul de Musset, dans la Biographie d'Alfred de Musset. Ce volume est précieux par les renseignements qu'il contient sur la famille de Musset et sur la jeunesse du poète. On ne doit toutefois le consulter qu'avec une certaine défiance. Il s'y trouve partout des inexactitudes et des inadvertances, et, à partir d'un moment que nous indiquerons, ces inexactitudes sont volontaires, et calculées en vue de dérouter le lecteur.
2
Il y eut aussi une fille, mais beaucoup plus jeune que ses frères.
3
Biographie.
4
Voici, pour les philosophes, le sujet de la composition: Quænam sint judiciorum motiva? an cuncta ad unum possint reduci? Musset concluait que tous les motifs de jugement peuvent se ramener à l'évidence.
5
Préfaces des Odes et Ballades et de Cromwell.
6
La remarque est de M. Augustin Filon.
7
Son frère Paul.
8
… pour la petitesse
De ses pieds, elle était Andalouse et comtesse