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Le tour de la France par deux enfants
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Язык: Французский
Год издания: 2017
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G. Bruno

Le tour de la France par deux enfants / Devoir et Patrie

PRÉFACE

La connaissance de la patrie est le fondement de toute véritable instruction civique.

On se plaint continuellement que nos enfants ne connaissent pas assez leur pays: s'ils le connaissaient mieux, dit-on avec raison, ils l'aimeraient encore davantage et pourraient encore mieux le servir. Mais nos maîtres savent combien il est difficile de donner à l'enfant l'idée nette de la patrie, ou même simplement de son territoire et de ses ressources. La patrie ne représente pour l'écolier qu'une chose abstraite à laquelle, plus souvent qu'on ne croit, il peut rester étranger pendant une assez longue période de la vie. Pour frapper son esprit, il faut lui rendre la patrie visible et vivante. Dans ce but, nous avons essayé de mettre à profit l'intérêt que les enfants portent aux récits de voyages. En leur racontant le voyage courageux de deux jeunes Lorrains à travers la France entière, nous avons voulu la leur faire pour ainsi dire voir et toucher; nous avons voulu leur montrer comment chacun des fils de la mère commune arrive à tirer profit des richesses de sa contrée et comment il sait, aux endroits mêmes où le sol est pauvre, le forcer par son industrie à produire le plus possible.

En même temps, ce récit place sous les yeux de l'enfant tous les devoirs en exemples, car les jeunes héros que nous y avons mis en scène ne parcourent pas la France en simples promeneurs désintéressés: ils ont des devoirs sérieux à remplir et des risques à courir. En les suivant le long de leur chemin, les écoliers sont initiés peu à peu à la vie pratique et à l'instruction civique en même temps qu'à la morale; ils acquièrent des notions usuelles sur l'économie industrielle et commerciale, sur l'agriculture, sur les principales sciences et leurs applications. Ils apprennent aussi, à propos des diverses provinces, les vies les plus intéressantes des grands hommes qu'elles ont vus naître: chaque invention faite par les hommes illustres, chaque progrès accompli grâce à eux devient pour l'enfant un exemple, une sorte de morale en action d'un nouveau genre, qui prend plus d'intérêt en se mêlant à la description des lieux mêmes où les grands hommes sont nés.

En groupant ainsi toutes les connaissances morales et civiques autour de l'idée de la France, nous avons voulu présenter aux enfants la patrie sous ses traits les plus nobles, et la leur montrer grande par l'honneur, par le travail, par le respect religieux du devoir et de la justice1.

I. – Le départ d'André et de Julien

Rien ne soutient mieux notre courage que la pensée d'un devoir à remplir

Par un épais brouillard du mois de septembre deux enfants, deux frères, sortaient de la ville de Phalsbourg en Lorraine. Ils venaient de franchir la grande porte fortifiée qu'on appelle porte de France.

Chacun d'eux était chargé d'un petit paquet de voyageur, soigneusement attaché et retenu sur l'épaule par un bâton. Tous les deux marchaient rapidement, sans bruit; ils avaient l'air inquiet. Malgré l'obscurité déjà grande, ils cherchèrent plus d'obscurité encore et s'en allèrent cheminant à l'écart le long des fossés.

L'aîné des deux frères, André, âgé de quatorze ans, était un robuste garçon, si grand et si fort pour son âge qu'il paraissait avoir au moins deux années de plus. Il tenait par la main son frère Julien, un joli enfant de sept ans, frêle et délicat comme une fille, malgré cela courageux et intelligent plus que ne le sont d'ordinaire les jeunes garçons de cet âge. A leurs vêtements de deuil, à l'air de tristesse répandu sur leur visage, on aurait pu deviner qu'ils étaient orphelins. Lorsqu'ils se furent un peu éloignés de la ville, le grand frère s'adressa à l'enfant et, à voix très basse, comme s'il avait eu crainte que les arbres mêmes de la route ne l'entendissent:

– N'aie pas peur, mon petit Julien, dit-il; personne ne nous a vus sortir.

– Oh! je n'ai pas peur, André, dit Julien; nous faisons notre devoir, Dieu nous aidera.

– Je sais que tu es courageux, mon Julien, mais, avant d'être arrivés, nous aurons à marcher pendant plusieurs nuits; quand tu seras trop las, il faudra me le dire: je te porterai.

– Non, non, répliqua l'enfant; j'ai de bonnes jambes et je suis trop grand pour qu'on me porte.

Tous les deux continuèrent à marcher résolument sous la pluie froide qui commençait à tomber. La nuit, qui était venue, se faisait de plus en plus noire. Pas une étoile au ciel ne se levait pour leur sourire; le vent secouait les grands arbres en sifflant d'une voix lugubre et envoyait des rafales d'eau au visage des enfants. N'importe, ils allaient sans hésiter, la main dans la main.

A un détour du chemin, des pas se firent entendre. Aussitôt, sans bruit, les enfants se glissèrent dans un fossé et se cachèrent sous les buissons. Immobiles, ils laissèrent les passants traverser. Peu à peu, le bruit lourd des pas s'éloigna, sur la grande route; André et Julien reprirent alors leur marche avec une nouvelle ardeur.

Après plusieurs heures de fatigue et d'anxiété ils virent enfin, tout au loin, à travers les arbres, une petite lumière se montrer, faible et tremblante comme une étoile dans un ciel d'orage. Prenant par un chemin de traverse, ils coururent vers la chaumière éclairée.

Arrivés devant la porte, ils s'arrêtèrent interdits, n'osant frapper. Une timidité subite les retenait. Il était aisé de voir qu'ils n'avaient pas l'habitude de heurter aux portes pour demander quelque chose. Ils se serrèrent l'un contre l'autre, le cœur gros, tout tremblants. André rassembla son courage.

– Julien, dit-il, cette maison est celle d'Étienne le sabotier, un vieil ami de notre père: nous ne devons pas craindre de lui demander un service. Prions Dieu afin qu'il permette qu'on nous fasse bon accueil.

Et les deux enfants, frappant un coup timide, murmurèrent en leur cœur: – Notre Père, qui êtes aux cieux, donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien.

II. – Le souper chez Étienne le sabotier. L'hospitalité

Le nom d'un père honoré de tous est une fortune pour les enfants

– Qui est là? fit du dedans une grosse voix rude.

Au même instant, un aboiement formidable s'éleva d'une niche située non loin de la porte.

André prononça son nom:

– André Volden, dit-il d'un accent si mal assuré que les aboiements empêchèrent d'entendre cette réponse.

En même temps, le chien de montagne, sortant de sa niche et tirant sur sa chaîne, faisait mine de s'élancer sur les enfants.

– Mais qui frappe là, à pareille heure? reprit plus rudement la grosse voix.

– André Volden, répéta l'enfant; et Julien mêla sa voix à celle de son frère pour mieux se faire entendre.

Alors la porte s'ouvrit toute grande, et la lumière de la lampe, tombant d'à-plomb sur les petits voyageurs debout près du seuil, éclaira leurs vêtements trempés d'eau, leurs jeunes visages fatigués et interdits.

L'homme qui avait ouvert la porte, le père Étienne, les contemplait avec une sorte de stupeur:

– Mon Dieu! qu'y a-t-il, mes enfants? dit-il en adoucissant sa voix, d'où venez-vous? où est le père?

Et, avant même que les orphelins eussent eu le temps de répondre, il avait soulevé de terre le petit Julien et le serrait paternellement dans ses bras.

L'enfant, avec la vivacité de sentiment naturelle à son âge, embrassa de tout son cœur le vieil Étienne, et poussant un grand soupir: – Le père est au ciel, dit-il.

– Comment! s'écria Étienne avec émotion, mon brave Michel est mort?

– Oui, répondit l'enfant. Depuis la guerre, sa jambe blessée au siège de Phalsbourg n'était plus solide: il est tombé d'un échafaudage en travaillant à son métier de charpentier, et il s'est tué.

– Hélas! pauvre Michel! dit Étienne, qui avait des larmes aux yeux; et vous, enfants, qu'allez-vous devenir?

André voulut reprendre le récit du malheur qui leur était arrivé, mais le brave Étienne l'interrompit.

– Non, non, dit-il, je ne veux rien entendre maintenant, mes enfants; vous êtes mouillés par la pluie, il faut vous sécher au feu; vous devez avoir faim et soif, il faut manger.

Étienne aussitôt, faisant suivre d'actions ses paroles, installa les enfants devant le poêle et ranima le feu. En un clin-d'œil une bonne odeur d'oignons frits emplit la chambre, et bientôt la soupe bouillante fuma dans la soupière.

– Mangez, mes enfants, disait Étienne en fouettant les œufs pour l'omelette au lard.

Pendant que les enfants savouraient l'excellente soupe qui les réchauffait, le père Étienne confectionnait son omelette, et la femme du sabotier, enlevant un matelas de son lit, préparait un bon coucher aux petits voyageurs.

Le poêle ronflait gaîment. André, tout en mangeant, répondait aux questions du vieux camarade de son père et le mettait au courant de la situation.

Quant au petit Julien, il avait tant marché que ses jambes demandaient grâce et qu'il avait plus sommeil que faim. Il lutta d'abord avec courage pour ne pas fermer les yeux, mais la lutte ne fut pas de longue durée, et il finit par s'endormir avec la dernière bouchée dans la bouche.

Il dormait si profondément que la mère Étienne le déshabilla et le mit au lit sans réussir à l'éveiller.

III. – La dernière parole de Michel Volden. – L'amour fraternel et l'amour de la patrie

O mon frère, marchons toujours la main dans la main, unis par un même amour pour nos parents, notre patrie et Dieu

Pendant que Julien dormait, André s'était assis auprès du père Étienne. Il continuait le récit des événements qui les avaient obligés, lui et son frère, à quitter Phalsbourg où ils étaient nés. Revenons avec lui quelques mois en arrière.

On se trouvait alors en 1871, peu de temps après la dernière guerre avec la Prusse. A la suite de cette guerre l'Alsace et une partie de la Lorraine, y compris la ville de Phalsbourg, étaient devenues allemandes; les habitants qui voulaient rester Français étaient obligés de quitter leurs villes natales pour aller s'établir dans la vieille France.

Le père d'André et de Julien, un brave charpentier veuf de bonne heure, qui avait élevé ses fils dans l'amour de la patrie, songea comme tant d'autres Alsaciens et Lorrains à émigrer en France. Il tâcha donc de réunir quelques économies pour les frais du voyage, et il se mit à travailler avec plus d'ardeur que jamais. André, de son côté, travaillait courageusement en apprentissage chez un serrurier.

Tout était prêt pour le voyage, l'époque même du départ était fixée, lorsqu'un jour le charpentier vint à tomber d'un échafaudage. On le rapporta mourant chez lui.

Pendant que les voisins couraient chercher du secours, les deux frères restèrent seuls auprès du lit où leur père demeurait immobile comme un cadavre.

Le petit Julien avait pris dans sa main la main du mourant, et il la baisait doucement en répétant à travers ses larmes, de sa voix la plus tendre: Père!.. Père!..

Comme si cette voix si chère avait réveillé chez le blessé ce qui lui restait de vie, Michel Volden tressaillit, il essaya de parler, mais ce fut en vain; ses lèvres remuèrent sans qu'un mot pût sortir de sa bouche. Alors une vive anxiété se peignit sur ses traits. Il sembla réfléchir, comme s'il cherchait avec angoisse le moyen de faire comprendre à ses deux enfants ses derniers désirs; puis, après quelques instants, il fit un effort suprême et, soulevant la petite main caressante de Julien, il la posa dans celle de son frère aîné. Épuisé par cet effort, il regarda longuement ses deux fils d'une façon expressive, et son regard profond, et ses yeux tristes semblaient vouloir leur dire: – Aimez-vous l'un l'autre, pauvres enfants qui allez désormais rester seuls! Vivez toujours unis, sous l'œil de Dieu, comme vous voilà à cette heure devant moi, la main dans la main.

André comprit le regard paternel, il se pencha vers le mourant:

– Père, répondit-il, j'élèverai Julien et je veillerai sur lui comme vous l'eussiez fait vous-même. Je lui enseignerai, comme vous le faisiez, l'amour de Dieu et l'amour du devoir: tous les deux nous tâcherons de devenir bons et vertueux.

Le père essaya un faible sourire, mais son œil, triste encore, semblait attendre d'André quelque autre chose.

André le voyait inquiet et il cherchait à deviner; il se pencha jusqu'auprès des lèvres du moribond, l'interrogeant du regard. Un mot plus léger qu'un souffle arriva à l'oreille d'André: – France!

– Oh! s'écria le fils aîné avec élan, soyez tranquille, cher père, je vous promets que nous demeurerons les enfants de la France; nous quitterons Phalsbourg pour aller là-bas; nous resterons Français, quelque peine qu'il faille souffrir pour cela.

Un soupir de soulagement s'échappa des lèvres paternelles. La main froide de l'agonisant serra d'une faible étreinte les mains des deux enfants réunies dans la sienne, puis ses yeux se tournèrent vers la fenêtre ouverte par où se montrait un coin du grand ciel bleu: ses regards mourants s'éclairèrent d'une flamme plus pure; il semblait vouloir à présent ne plus songer qu'à Dieu. Son âme s'élevait vers lui dans une ardente et dernière prière, remettant à sa garde suprême les deux orphelins agenouillés auprès du lit.

Peu d'instants après, Michel Volden exhalait son dernier soupir.

Toute cette scène n'avait duré que quelques minutes; mais elle s'était imprimée en traits ineffaçables dans le cœur d'André et dans celui du petit Julien.

Quelque temps après la mort de leur père, les deux enfants avaient songé à passer en France comme ils le lui avaient promis. Mais il ne leur restait plus d'autre parent qu'un oncle demeurant à Marseille, et celui-ci n'avait répondu à aucune de leurs lettres; il n'y avait donc personne qui pût leur servir de tuteur. Dans ces circonstances, les Allemands refusaient aux jeunes gens orphelins la permission de partir, et les considéraient bon gré mal gré comme sujets de l'Allemagne. André et Julien n'avaient plus alors d'autre ressource, pour rester fidèles et à leur pays et au vœu de leur père, que de passer la frontière à l'insu des Allemands et de se diriger vers Marseille, où ils tâcheraient de retrouver leur oncle. Une fois qu'ils l'auraient retrouvé, ils le supplieraient de leur venir en aide et de régulariser leur situation en Alsace: car il restait encore une année entière accordée par la loi aux Alsaciens-Lorrains pour choisir leur patrie et déclarer s'ils voulaient demeurer Français ou devenir Allemands.

Tels étaient les motifs pour lesquels les deux enfants s'étaient mis en marche et étaient venus demander au père Étienne l'hospitalité.

Lorsque André eut achevé le récit des événements qu'on vient de lire, Étienne lui prit les deux mains avec émotion:

– Ton frère et toi, lui dit-il, vous êtes deux braves enfants, dignes de votre père, dignes de la vieille terre d'Alsace-Lorraine, dignes de la patrie française! Il y a bien des cœurs français en Alsace-Lorraine! on vous aidera; et pour commencer, André, tu as un protecteur dans l'ancien camarade de ton père.

IV. – Les soins de la mère Étienne. – Les papiers d'André. – Un don fait en secret. – La charité du pauvre

Ce qu'il y a de plus beau au monde, c'est la charité du pauvre

Le lendemain, de bon matin, Mme Étienne était sur pied.

En vraie mère de famille, elle visita les deux paquets de linge et d'habits que les deux voyageurs portaient sur l'épaule, et elle mit de bonnes pièces aux pantalons ou aux blouses qui en avaient besoin. En même temps elle avait allumé le poêle, ce meuble indispensable dans les pays froids du nord, qui sert tout à la fois à chauffer la maison et à préparer les aliments. Elle étendit tout autour les vêtements mouillés des enfants; lorsqu'ils furent secs, elle les brossa et les répara de son mieux. Tandis qu'elle pliait avec soin le gilet d'André, un petit papier bien enveloppé tomba d'une des poches.

– Oh! se dit l'excellente femme, ce doit être là qu'est renfermée toute la fortune de ces deux enfants; si, comme je le crains, la bourse est trop légère, on fera son possible pour y ajouter quelque chose.

Et elle développa le petit paquet. – Dix, vingt, trente, quarante francs, se dit-elle; que c'est peu pour aller si loin!.. la route est bien longue d'ici à Marseille. Et les jours de pluie, et les jours de neige! car l'hiver bientôt va venir… Les yeux de la mère Étienne étaient humides.

– Et dire qu'avec si peu de ressources ils n'ont point hésité à partir!.. O pauvre France! tu es bien malheureuse en ce moment, mais tu dois pourtant être fière de voir que, si jeunes, et pour rester tes fils, nos enfants montrent le courage des hommes… Seigneur Dieu, ajouta-t-elle, protège-les!.. fais qu'ils rencontrent durant leur longue route des cœurs compatissants, et que pendant les froides soirées de l'hiver ils trouvent une petite place au foyer de nos maisons.

Pendant qu'elle songeait ainsi en son cœur, elle s'était approchée de son armoire et elle atteignait sa petite réserve d'argent, bien petite, hélas! car le père et la mère Étienne avaient cruellement souffert des malheurs de la guerre. Néanmoins, elle y prit deux pièces de cinq francs et les joignit à celles d'André:

– Étienne sera content, dit-elle: il m'a recommandé de faire tout ce que je pourrais pour les enfants de son vieux camarade.

Quand elle eut glissé dans la bourse les pièces d'argent:

– Ce n'est pas le tout, dit-elle; examinons ce petit rouleau qui enveloppait la bourse, et voyons si nos orphelins ont songé à se procurer de bons papiers, attestant qu'ils sont d'honnêtes enfants et non des vagabonds sans feu ni lieu… Ah! voici d'abord le certificat du patron d'André:

«J'atteste que le jeune André Volden a travaillé chez moi dix-huit mois entiers sans que j'aie eu un seul reproche à lui faire. C'est un honnête garçon, laborieux et intelligent: je suis prêt à donner de lui tous les renseignements que l'on voudra. Voici mon adresse; on peut m'écrire sans crainte.

Pierre Hetman.maître serrurier, établi depuis trente ans à Phalsbourg.»

– Bien, cela! dit Mme Étienne en repliant le certificat. Et ceci, qu'est-ce? Ah! c'est leur extrait d'âge, très bien. Enfin, voici une lettre de maître Hetman à son cousin, serrurier à Épinal, pour le prier d'occuper André un mois: André portera ensuite son livret d'ouvrier à la mairie d'Épinal et M. le maire y mettra sa signature. De mieux en mieux. Les chers enfants n'ont rien négligé: ils savent que tout ouvrier doit avoir un livret bien tenu et des certificats en règle. Allons, espérons en la Providence! tout ira bien.

Lorsque Julien et André s'éveillèrent, ils trouvèrent leurs habits en ordre et tout prêts à être mis; et cela leur parut merveilleusement bon, car les pauvres enfants, ayant perdu leur mère de bonne heure, n'étaient plus accoutumés à ces soins et à ces douces attentions maternelles.

Julien, dès qu'il fut habillé, peigné, le visage et les mains bien nets, courut avec reconnaissance embrasser Mme Étienne, et la remercia d'un si grand cœur qu'elle en fut tout émue.

– Cela est bel et bon, répondit-elle gaîment, mais il faut déjeuner. Vite, les enfants, prenez ce pain et ce fromage, et mangez.

V. – Les préparatifs d'Étienne le sabotier. – Les adieux. – Les enfants d'une même patrie

Les enfants d'une même patrie doivent s'aimer et se soutenir comme les enfants d'une même mère

Pendant qu'André et Julien mangeaient, Étienne entra.

– Enfants, dit le sabotier en se frottant les mains, je n'ai pas perdu mon temps: j'ai travaillé pour vous depuis ce matin. D'abord, je vous ai trouvé deux places dans la charrette d'un camarade qui va chercher des foins tout près de Saint-Quirin, village voisin de la frontière, où vous coucherez ce soir. On vous descendra à un quart d'heure du village. Cela économisera les petites jambes de Julien et les tiennes, André. Ensuite j'ai écrit un mot de billet que voici, pour vous recommander à une vieille connaissance que j'ai aux environs de Saint-Quirin, Fritz, ancien garde forestier de la commune. Vous serez reçus là à bras ouverts, les enfants, et vous y dormirez une bonne nuit. Enfin, ce qui vaut mieux encore, Fritz vous servira de guide le lendemain dans la montagne, et vous mènera hors de la frontière par des chemins où vous ne rencontrerez personne qui puisse vous voir. C'est un vieux chasseur que l'ami Fritz, un chasseur qui connaît tous les sentiers de la montagne et de la forêt. Soyez tranquilles, dans quarante-huit heures vous serez en France.

– Oh! monsieur Étienne, s'écria André, vous êtes bon pour nous comme un second père!

– Mes enfants, répondit Étienne, vous êtes les fils de mon meilleur ami, il est juste que je vous vienne en aide. Et puis, est-ce que tous les Français ne doivent pas être prêts à se soutenir entre eux? A votre tour, ajouta-t-il d'une voix grave, quand vous rencontrerez un enfant de la France en danger, vous l'aiderez comme je vous aide à cette heure, et ainsi vous aurez fait pour la patrie ce que nous faisons pour elle aujourd'hui.

En achevant ces paroles Étienne entra dans la pièce voisine, où était son atelier de sabotier, et, voulant réparer le temps perdu, il se mit à travailler avec activité. Le petit Julien l'avait suivi, et il prenait un grand plaisir à le voir creuser et façonner si lestement les bûches de hêtre de la montagne.

Vers le milieu de l'après-midi, la carriole dont avait parlé le père Étienne s'arrêta sur la grande route; le charretier, comme cela était convenu, siffla de tous ses poumons pour avertir les jeunes voyageurs.

A ce signal, André et Julien saisirent rapidement leur paquet de voyage; ils embrassèrent de tout leur cœur la mère Étienne, et aussitôt le sabotier les conduisit vers la carriole.

Après une nouvelle accolade, après les dernières et paternelles recommandations du brave homme, les enfants se casèrent dans le fond de la carriole, le charretier fit claquer son fouet et le cheval se mit au petit trot.

Le père Étienne, resté seul sur la grande route, suivait des yeux la voiture qui s'éloignait. Il se sentait à la fois tout triste et pourtant fier de voir les enfants partir.

– Brave et chère jeunesse, murmurait-il, va, cours porter à la patrie des cœurs de plus pour la chérir!

Et lorsque la voiture eut disparu, il revint chez lui lentement, songeur, pensant au père des deux orphelins, à son vieil ami d'enfance qui dormait son dernier sommeil sous la terre de Lorraine, tandis que ses deux fils s'en allaient seuls désormais au grand hasard de la vie. Alors une larme glissa des yeux du vieillard: – Juste Dieu, murmura-t-il, bénis et protège cette jeunesse innocente et sans appui!

VI. – Une déception. – La persévérance

Il n'est guère d'obstacle qu'on ne puisse surmonter avec de la persévérance

Une déception attendait nos jeunes amis à leur arrivée dans la maison isolée du garde Fritz, située aux environs de la forêt. Fritz, grand vieillard à barbe grise, d'une figure énergique, était étendu sur son lit qu'il n'avait pas quitté depuis plusieurs jours. Le vieux chasseur était tombé en descendant la montagne et s'était fait une fracture à la jambe.

– Voyez, mes enfants, dit-il après avoir lu la lettre; je ne puis bouger de mon lit. Comment pourrais-je vous conduire? Et je n'ai auprès de moi que ma vieille servante, qui ne marche pas beaucoup mieux que moi.

André fut consterné, mais il n'en voulut rien faire voir pour ne point inquiéter le petit Julien.

Toute la nuit il dormit peu. Le matin de bonne heure, avant même que Julien s'éveillât, il s'était levé pour réfléchir. Il se dirigea sans bruit vers le jardin du garde, voulant examiner le pays, qu'il n'avait vu que le soir à la brune.

Assis sur un banc au bord de la Sarre, qui coule le long du jardin entre deux haies de bouleaux et de saules, André se tourna vers le sud, et il regarda l'horizon borné par les prolongements de la chaîne des Vosges.

– C'est là, se dit-il, que se trouve la France, là que je dois la nuit prochaine emmener mon petit Julien, là qu'il faut que je découvre, sans aucun secours, un sentier assez peu fréquenté pour n'y rencontrer personne et passer librement la frontière. Mon Dieu, comment ferai-je?

Et il continuait de regarder avec tristesse les montagnes qui le séparaient de la France, et qui se dressaient devant lui comme une muraille infranchissable.

Des pensées de découragement lui venaient; mais André était persévérant: au lieu de se laisser accabler par les difficultés qui se présentaient, il ne songea qu'à les combattre.

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