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Arnoldiana, ou Sophie Arnould et ses contemporaines;
Se trouvant à la vente de M. Randon de Boisset, elle porta au double pour première enchère le prix mis par le crieur au buste de Mlle Clairon. L'admiration ferma la bouche à tous les amateurs; on eût rougi de disputer à Mlle Arnould le prix du sentiment; le buste lui resta. Ce fut une espèce de couronne qui lui fut décernée au milieu des applaudissemens de toute l'assemblée, et ce moment a été consacré par le quatrain suivant, qu'un anonime lui envoya sur-le-champ:
Lorsqu'en t'applaudissant, déesse de la scène,Tout Paris t'a cédé le buste de Clairon,Il a connu les droits d'une sœur d'ApollonSur un portrait de Melpomène.Sophie Arnould, malgré ses talens, étant devenue en 1776 presque inutile aux directeurs de l'Opéra, ces messieurs, pour exciter son zèle, lui proposèrent de ne plus l'appointer et de lui payer une somme convenue chaque jour qu'elle paraîtrait; elle se fâcha, et menaça de donner sa démission: ce terme était alors devenu à la mode parmi les grands personnages de théâtre.
On donnait un soir un concert dans un appartement du Palais-Royal ayant vue sur le jardin; beaucoup de promeneurs écoutaient: Sophie, malgré son timbre affaibli, s'avisa de chanter un air d'Iphigénie; tout à coup une voix s'élève, interrompt ses chants par des sons lugubres, et fait entendre ces paroles, qu'une divinité infernale adresse à Alceste dans le dernier acte de cet opéra:
Caron t'appelle; entends sa voix.
La cantatrice fut abasourdie, et depuis ce moment, dès qu'elle paraissait en public, des gens charitables ne manquaient pas de fredonner l'air d'Alceste.
Quelque temps après elle reçut une leçon aussi forte et plus désagréable encore; jouant Iphigénie, elle disait à Achilles:
Vous brûlez que je sois partie.
Le parterre lui appliqua ce vers, et se mit à battre des mains. Elle fut d'ailleurs souvent maltraitée dans ce rôle, malgré la présence de la reine, qui la protégeait et qui l'applaudissait.
Sophie Arnould ayant perdu sa belle voix, son grasseyement, autrefois l'un des charmes de sa jeunesse, devint si désagréable qu'elle cessa tout à fait de plaire au public. L'abbé Galiani se trouvant au spectacle de la cour, on lui demanda son avis sur la voix de Mlle Arnould: – C'est, dit-il, le plus bel asthme que j'aie entendu. – Enfin Sophie céda aux sages conseils de ses amis, et elle se retira en 1778 avec une pension de 2,000 liv.
Cette actrice a obtenu autant de succès que de gloire, parce qu'elle unissait le sentiment à la perfection; mais ce qu'on aura de la peine à croire c'est que cette Sophie, si touchante au théâtre, si folle à souper, si redoutable dans les coulisses par ses épigrammes, employait ordinairement les momens les plus pathétiques, les momens où elle faisait pleurer ou frémir toute la salle, à dire tout bas des bouffonneries aux acteurs qui se trouvaient en scène avec elle, et lorsqu'il lui arrivait de tomber gémissante, évanouie entre les bras d'un amant au désespoir, tandis que le parterre criait et s'extasiait, elle ne manquait pas de dire au héros éperdu qui la soutenait: – Ah, mon cher Pillot, que tu es laid! – On peut remarquer que tous les acteurs ont l'habitude de se dire de pareilles folies pendant leur jeu muet; mais ce qui surprendra c'est que celui de cette actrice n'en souffrait point, et il était impossible que le spectateur qui la voyait dans ces momens décisifs supposât qu'elle fût assez peu affectée pour dire des billevesées.
Sophie Arnould a eu de M. le comte de L. trois garçons et une fille; l'aîné s'appelait Louis Dorval, le second Camille Benerville, et le troisième Constant Dioville; Alexandrine était le nom de leur sœur. L'aîné mourut à l'âge de quatre ans, et le troisième, devenu colonel de cuirassiers, fut tué à la bataille de Wagram; Camille est existant, et porte l'un des noms de famille de son père, ayant été légitimé avec son frère Constant.
Alexandrine Arnould, née en 1767, épousa en 1780 A. M.; c'était un jeune littérateur dont on a ébauché le portrait dans les couplets suivans5:
AIR: Vive Henri quatreHormis à table,Il est toujours au lit;Qu'il est aimableQuand il sait ce qu'il dit!Mais c'est pis qu'un diablePour cacher son esprit.A l'art de plaire,Qu'il esquive souvent,Par caractèreIl joint heureusementL'esprit de se taire,Et chacun est content.A. M., tout en parcourant la lice académique, ne cessait d'enfanter des madrigaux en l'honneur de mesdemoiselles Arnould, mère et fille; voici des vers qu'il destinait à être mis au bas du buste de Sophie:
Ce buste nous enchante; ah, fuyez, mes amis,Fuyez! Que de périls on court près du modèle!Je n'ai jamais vu d'homme en sa présence admisQui n'entrât inconstant et ne sortit fidèle.Ce poëte était si épris de sa future, d'une figure commune et passablement laide, qu'il la considérait comme une Vénus; il lui adressa le quatrain suivant, qui dans le temps parut d'un ridicule rare aux yeux de ceux qui connaissaient l'héroïne:
Celle dont le portrait ici n'est point flatté,Digne des chants d'Ovide et du pinceau d'Apelle,N'a rien vu sous les cieux d'égal à sa beauté,Rien, si ce n'est l'amour que je ressens pour elle.L'esprit de Mme M. tenait beaucoup de celui de sa mère; ces deux personnes se faisaient parfois des niches assez gaies. Sophie avait aimé le comédien F., et après quelques mois l'avait congédié avec éclat: Mme M. fut enchantée de cette rupture, qu'elle croyait sincère. Un matin elle alla voir sa mère, et la trouva tête à tête avec F.; quand celui-ci se fut retiré elle témoigna son étonnement à Sophie: «C'est pour affaire que cet homme est venu ici, dit-elle, car je ne l'aime plus. – Ah! j'entends, répliqua Mme M.; vous l'estimez à présent;» allusion au conte qui finit par ce vers:
Combien de fois vous a-t-il estimé?
On demandait à cette dame quel âge avait sa mère: – Je n'en sais plus rien, répondit-elle; chaque année ma mère se croit rajeunie d'un an; si cela continue je serai bientôt son aînée. —
L'épigramme, comme on voit, était héréditaire dans cette famille; mais le cœur d'Alexandrine ne ressemblait pas à celui de Sophie. Quoiqu'elle eût deux enfans d'A. M., elle divorça pour épouser un habitant de Luzarches, qu'elle a rendu veuf peu de temps après, en lui laissant aussi deux enfans.
Quelques années avant la révolution Sophie Arnould habitait à Clichy-la-Garenne une maison de campagne où, partagée entre les souvenirs et les jouissances que lui assurait son amour pour les arts, elle se livrait presque entièrement à l'agriculture et aux douceurs d'une vie paisible et retirée.
Elle vendit cette propriété, et acheta à Luzarches, en 1790, la maison des pénitens du tiers-ordre de Saint-François, et sur la porte elle fit graver cette inscription:
ITE MISSA EST.
(Allez vous-en; la messe est dite.)
Elle avait choisi au fond du cloître un endroit qu'elle destinait pour son tombeau, et elle y fit inscrire ce verset de l'Ecriture:
Multa remittuntur ei peccata quia dilexit multum.
Beaucoup de péchés lui seront remis, parce qu'elle a beaucoup aimé.
Des agens du comité révolutionnaire de Luzarches vinrent un jour chez elle faire une visite domicilière; quelques frères la traitant de suspecte: «Mes amis, leur dit-elle, j'ai toujours été une citoyenne très-active, et je connais par cœur les droits de l'homme.» Un des membres aperçut alors sur une console un buste de marbre qui la représentait dans le rôle d'Iphigénie; il crut que c'était le buste de Marat, et, prenant l'écharpe de la prêtresse pour celle de leur patron, ils se retirèrent très édifiés du patriotisme de l'actrice.
La révolution, qui a rompu tant de liens, dispersa tous les amis de Sophie; elle perdit alors une grande partie de sa fortune, qui se montait à près de trente mille livres de rente, tant en pensions qu'en contrats; néanmoins elle eût pu s'assurer un sort indépendant si elle n'eût pas mis toute sa confiance dans un homme d'affaires dont les malversations achevèrent de la ruiner.
On a vu dans ces temps de confusion cette femme, célèbre par son esprit et par ses conquêtes, cette femme, qui pouvait le mieux rappeler l'image d'une courtisane grecque, implorer vainement des secours auprès du Gouvernement; on a entendu mêler aux concerts mystiques des obscurs théophilantropes cette voix qui tonnait dans Armide, qui soupirait dans Psyché, et on a gémi en pensant à l'incertitude des événemens et aux mystères de la fatalité.
Sophie végétait dans un dénuement presque absolu lorsqu'elle apprit, en 1797, que M. F. venait d'être nommé l'un des premiers magistrats de l'état; son cœur tressaillit et s'abandonna facilement à la douce espérance que son ancien ami, élevé au faîte des grandeurs, viendrait bientôt à son secours; elle lui fit part de sa position pénible, et il l'invita à dîner pour le lendemain.
Mme D., présente à cette réunion, fut enchantée de rencontrer Sophie Arnould, qu'elle ne connaissait que de réputation; elle alla lui faire une visite, et, la voyant misérablement logée chez un perruquier de la rue du Petit-Lion, elle lui proposa un appartement dans sa maison. Sophie accepta avec la plus vive reconnaissance une offre aussi généreuse, et trouva bientôt près de sa nouvelle amie tous les charmes que les bons cœurs répandent autour d'eux.
M. F., redevenu ministre en 1798, fit obtenir à Sophie une pension de 2,400 fr. et un logement à l'hôtel d'Angivilliers, près le Louvre. Alors quelques amis se rapprochèrent d'elle; des gens de lettres et des artistes lui formèrent encore une société agréable.
Sophie Arnould conserva jusqu'au dernier instant tout l'enjouement de son esprit; les grâces semblaient avoir effacé la date de son âge, et la vivacité de ses saillies faisait oublier les ravages que le temps avait fait à ses charmes. Elle était attaquée d'un squirrhe au rectum, qui lui était survenu à la suite d'une chute: un jour, qu'elle avait rassemblé plusieurs docteurs pour examiner le siége secret de ce mal douloureux, elle dit: «Faut-il que je paie maintenant pour faire voir cette chose-là, tandis qu'autrefois…»
Elle mourut à l'hôtel d'Angivilliers sur la fin de 1802; sa dépouille mortelle fut portée dans le champ du repos de Montmartre; aucune pompe funèbre ne l'accompagna, aucun marbre ne lui servit de tombe: un de ses amis, témoin de cette modeste sépulture, s'écria douloureusement:
Ainsi tout passe sur la terre,Esprit, beauté, grâces, talens,Et, comme une fleur éphémère,Tout ne brille que peu d'instans!ARNOLDIANA
Sophie Arnould avait dix-huit ans moins deux mois lorsqu'elle parut pour la première fois à l'Académie royale de Musique; elle débuta dans le divertissement du ballet des Amours des Dieux, par un air détaché qui commence ainsi: Charmant Amour6. On lui a souvent entendu dire que cette invocation lui avait porté bonheur.
Dorat entra dans les mousquetaires à l'époque où Sophie Arnould fut reçue à l'Opéra; mais il quitta bientôt l'état militaire pour se livrer entièrement à la littérature. Ce poëte avait la prétention de passer pour homme à bonnes fortunes; Sophie, qui connaissait la faiblesse de ses moyens, lui dit un jour: «Mon cher Dorat, vous voulez jouer le berger Tircis; mais vous n'êtes pas fait pour ce rôle-là.»
Dans une promenade au bois de Romainville elle rencontra Gentil-Bernard, qui, rêvant à l'Art d'Aimer, était assis comme Tityre à l'ombre d'un hêtre: – Que faites-vous donc dans cette solitude? lui demanda Sophie. – Je m'entretiens avec moi-même, répondit le poëte: «Prenez-y garde, reprit-elle; vous causez avec un flatteur.»
On a vu rarement le double talent de la déclamation et du chant réunis dans le même sujet: Chassé posséda ce rare mérite; sa voix et son jeu l'élevèrent au rang des plus grands acteurs lyriques. Cet artiste se retira en 1757. Un musicien s'étant présenté pour lui succéder, Sophie lui dit: «Monsieur, si vous voulez être des nôtres, tâchez de vous faire Chassé.»
Mlle Clairon7 naquit en 1723 à Condé, petite ville du département du Nord, pendant le carnaval. Là tout le monde aimait le plaisir: le curé et son vicaire étaient masqués, l'un en Arlequin et l'autre en Gilles. On apporta l'enfant, qui avait l'air mourant, et le curé l'ondoya sans changer d'habit. Cette célèbre actrice qui occupa la scène avec tant d'éclat, débuta à l'Opéra-Comique à peine âgée de douze ans; elle passa de là aux Italiens, au grand Opéra, enfin aux Français, où la gloire l'attendait. Elle était galante, voluptueuse et peu intéressée. Quelque temps avant sa retraite, qui eut lieu en 1766, on parlait sourdement de son mariage avec M. de Valbelle, son amant intime, et en attendant elle vivait avec un Russe d'une réputation singulière. On disait à Mlle Arnould que ce sigisbée se contentait de lui baiser la main: «C'est tout ce qu'il peut faire de mieux,» répondit-elle.
Albaneze, sopraniste du Conservatoire de Naples, et l'un des plus fameux castrats8 que nous ayons eus, vint à Paris à l'âge de dix-huit ans. Une dame, l'ayant entendu chanter, en devint amoureuse, et parlait avec enthousiasme du charme de sa voix: «Il est vrai, dit Sophie, que son organe est ravissant; mais ne sentez-vous pas qu'il y manque quelque chose?»
Mlle Beaumenard, actrice de la Comédie française, avait joué en 1743 à l'Opéra-Comique, où elle était connue sous le nom de Gogo. Aucune actrice n'a demeuré si longtemps au théâtre. Le fermier général d'Ogny lui ayant donné une superbe rivière de diamans, une de ses camarades en admirait l'éclat, mais trouvait que cette rivière descendait bien bas: «C'est qu'elle retourne vers sa source, observa Sophie.»
Chévrier a présenté dans son Colporteur une satire affreuse des mœurs du siècle; les principales actrices de Paris y sont passées en revue, et chacune a son paquet. Cet écrivain virulent, poursuivi par la police, alla mourir en Hollande en 1762. Le bruit ayant couru qu'il s'était empoisonné: «Juste ciel! dit Mlle Arnould, il aura sucé sa plume.»
Poinsinet a fait imaginer le mot mystification pour exprimer l'art de tirer parti d'un homme simple en s'amusant de sa crédulité. Cet être singulier ne manquait pas de cette vivacité d'esprit naturel qui s'exhale quelquefois en saillies piquantes; mais il était absolument dénué de jugement. Un de ses prôneurs vantait un jour les nombreux ouvrages de Poinsinet en disant que peu d'auteurs avaient son esprit: «Je pense comme vous
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1
C'est dans cette maison que périt l'amiral de Coligny pendant le massacre de la Saint-Barthélemi, et non dans l'hôtel Montbazon, rue Bétizi, comme le racontent plusieurs annalistes. L'hôtel de Lisieux présente encore dans ses distributions tout ce qui convenait alors à l'habitation d'un grand officier de la couronne; mais si l'hôtel Montbazon n'a pas la gloire d'avoir appartenu à l'amiral de Coligny, il a, dit-on, celle d'avoir servi de logement à la belle duchesse de Montbazon, si tendrement aimée du célèbre abbé de Rancé. On prétend qu'au retour d'un voyage cet abbé, alors très-mondain, allant voir sa maîtresse, dont il ignorait la mort, monta par un escalier dérobé, et qu'étant entré dans l'appartement il trouva sa tête dans un plat: on l'avait séparée du corps parce que le cercueil de plomb était trop petit. Cet affreux spectacle opéra subitement sa conversion, et l'abbé de Rancé, dégoûté du néant des choses terrestres, alla s'enfermer dans son abbaye de la Trappe, dont il devint le réformateur avec une austérité sans exemple.
2
La cadette, nommée Rosalie, entra dans la musique de la chambre du roi en 1770, et elle y est restée jusqu'en 1792.
3
Mlle Fel lui avait enseigné l'art du chant, et Mlle Clairon avait formé son jeu.
4
Par reconnaissance le prince payait chaque année à sa maîtresse les frais d'un équipage.
5
Ces vers ont été faits il y a longtemps par un des amis d'A. M.; mais cette plaisanterie et beaucoup d'autres n'ôtent rien à son mérite littéraire. Quel est l'homme de lettres à l'abri des épigrammes? Publier un ouvrage marquant, disait Diderot, c'est mettre la tête dans un guêpier.
6
Un amateur, ravi de ses accens mélodieux, lui adressa cet impromptu:
Que ta voix divine me touche!Et que je serais fortunéSi je pouvais rendre à ta boucheLe plaisir qu'elle m'a donné!7
Garrick, célèbre acteur anglais, se trouvant à Paris en 1763, mit ce quatrain au bas d'un tableau qui représentait Mlle Clairon couronnée par Melpomène:
J'ai prédit que Clairon illustrerait la scène,Et mon espoir n'a point été déçu:Elle a couronné Melpomène;Melpomène lui rend ce qu'elle en a reçu.8
Barthe composa en 1767 une pièce de vers intitulée: Statuts pour l'Académie royale de Musique. Voici l'un des vingt-deux articles qui les composent:
Tous remplis du vaste desseinDe perfectionner en France l'harmonie,Voulions au pontife romainDemander une colonieDe ces chantres flûtés qu'admire l'Ausonie;Mais tout notre conseil a jugé qu'un castra,Car c'est ainsi qu'on les appelle,Etait honnête à la chapelle,Mais indécent à l'Opéra.