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La Comédie humaine, Volume 5
La Comédie humaine, Volume 5

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La Comédie humaine, Volume 5

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Язык: Французский
Год издания: 2017
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– Qu'avez-vous, mon enfant? lui dit la vieille dame en la faisant asseoir près d'elle.

– Madame, je suis confuse de l'honneur que vous daignez me faire…

– Hé! ma petite, répliqua madame de Portenduère de son ton le plus aigre, je sais combien votre tuteur vous aime et veux lui être agréable, car il m'a ramené l'enfant prodigue.

– Mais, ma chère mère, dit Savinien atteint au cœur en voyant la vive rougeur d'Ursule et la contraction horrible par laquelle elle réprima ses larmes, quand même vous n'auriez aucune obligation à monsieur le chevalier Minoret, il me semble que nous pourrions toujours être heureux du plaisir que mademoiselle veut bien nous donner en acceptant votre invitation. Et le jeune gentilhomme serra la main du docteur d'une façon significative en ajoutant: – Vous portez, monsieur, l'ordre de Saint-Michel, le plus vieil ordre de France et qui confère toujours la noblesse.

L'excessive beauté d'Ursule, à qui son amour presque sans espoir avait prêté depuis quelques jours cette profondeur que les grands peintres ont imprimée à ceux de leurs portraits où l'âme est fortement mise en relief, avait soudain frappé madame de Portenduère en lui faisant soupçonner un calcul d'ambitieux sous la générosité du docteur. Aussi la phrase à laquelle répondait alors Savinien fut-elle dite avec une intention qui blessa le vieillard en ce qu'il avait de plus cher; mais il ne put réprimer un sourire en s'entendant nommer chevalier par Savinien, et reconnut dans cette exagération l'audace des amoureux qui ne reculent devant aucun ridicule.

– L'ordre de Saint-Michel, qui jadis fit commettre tant de folies pour être obtenu, est tombé, monsieur le vicomte, répondit l'ancien médecin du roi, comme sont tombés tant de priviléges! Il ne se donne plus aujourd'hui qu'à des médecins, à de pauvres artistes. Aussi les rois ont-ils bien fait de le réunir à celui de Saint-Lazare qui, je crois, était un pauvre diable rappelé à la vie par un miracle! Sous ce rapport, l'ordre de Saint-Michel et Saint-Lazare serait, pour nous, un symbole.

Après cette réponse à la fois empreinte de moquerie et de dignité, le silence régna sans que personne le voulût rompre, et il était devenu gênant quand on frappa.

– Voici notre cher curé, dit la vieille dame qui se leva, laissant Ursule seule et allant au-devant de l'abbé Chaperon, honneur qu'elle n'avait fait ni à Ursule ni au docteur.

Le vieillard sourit en regardant tour à tour sa pupille et Savinien. Se plaindre des manières de madame de Portenduère ou s'en offenser était un écueil sur lequel un homme d'un petit esprit aurait touché; mais Minoret avait trop d'acquis pour ne pas l'éviter: il se mit à causer avec le vicomte du danger que courait alors Charles X, après avoir confié la direction des affaires au prince de Polignac. Lorsqu'il y eut assez de temps écoulé pour qu'en parlant d'affaires le docteur n'eût point l'air de se venger, il présenta, presque en plaisantant, à la vieille dame, les dossiers de poursuites et les mémoires acquittés qui appuyaient un compte fait par son notaire.

– Mon fils l'a reconnu? dit-elle en jetant à Savinien un regard auquel il répondit en inclinant la tête. Eh! bien, c'est l'affaire de Dionis, ajouta-t-elle en repoussant les papiers et traitant cette affaire avec le dédain qu'à ses yeux méritait l'argent.

Rabaisser la richesse, c'était, dans les idées de madame de Portenduère, élever la Noblesse et ôter toute son importance à la Bourgeoisie. Quelques instants après, Goupil vint de la part de son patron demander les comptes entre Savinien et monsieur Minoret.

– Et pourquoi? dit la vieille dame.

– Pour en faire la base de l'obligation, il n'y a pas délivrance d'espèces, répondit le premier clerc en jetant autour de lui des regards effrontés.

Ursule et Savinien, qui pour la première fois échangèrent un coup d'œil avec cet horrible personnage, éprouvèrent la sensation que cause un crapaud, mais aggravée par un sinistre pressentiment. Tous deux ils eurent cette indéfinissable et confuse vision de l'avenir sans nom dans la langue, mais qui serait explicable par une action de l'être intérieur dont avait parlé le swedenborgiste au docteur Minoret. La certitude que ce venimeux Goupil leur serait fatal fit trembler Ursule, mais elle se remit de son trouble en sentant un indicible plaisir à voir Savinien partageant son émotion.

– Il n'est pas beau, le clerc de monsieur Dionis! dit Savinien quand Goupil eut fermé la porte.

– Et qu'est-ce que cela fait que ces gens-là soient beaux ou laids? dit madame de Portenduère.

– Je ne lui en veux pas de sa laideur, reprit le curé, mais de sa méchanceté qui passe les bornes; il y met de la scélératesse.

Malgré son désir d'être aimable, le docteur devint digne et froid. Les deux amoureux furent gênés. Sans la bonhomie de l'abbé Chaperon, dont la gaieté douce anima le dîner, la situation du docteur et de sa pupille eût été presque intolérable. Au dessert, en voyant pâlir Ursule, il lui dit: – Si tu ne te trouves pas bien, mon enfant, tu n'as que la rue à traverser.

– Qu'avez vous, mon cœur? dit la vieille dame à la jeune fille.

– Hélas! madame, reprit sévèrement le docteur, son âme a froid, habituée comme elle l'est à ne rencontrer que des sourires.

– Une bien mauvaise éducation, monsieur le docteur, dit madame de Portenduère. N'est-ce pas, monsieur le curé?

– Oui, madame, répondit Minoret en jetant un regard au curé qui se trouva sans parole. J'ai rendu, je le vois, la vie impossible à cette nature angélique si elle devait aller dans le monde; mais je ne mourrai pas sans l'avoir mise à l'abri de la froideur, de l'indifférence et de la haine.

– Mon parrain?.. je vous en prie!.. assez. Je ne souffre pas ici, dit-elle en affrontant le regard de madame de Portenduère plutôt que de donner trop de signification à ses paroles en regardant Savinien.

– Je ne sais pas, madame, dit alors Savinien à sa mère, si mademoiselle Ursule souffre, mais je sais que vous me mettez au supplice.

En entendant ce mot arraché par les façons de sa mère à ce généreux jeune homme, Ursule pâlit et pria madame de Portenduère de l'excuser; elle se leva, prit le bras de son tuteur, salua, sortit, revint chez elle, entra précipitamment dans le salon de son parrain où elle s'assit près de son piano, mit sa tête dans ses mains et fondit en larmes.

– Pourquoi ne laisses-tu pas la conduite de tes sentiments à ma vieille expérience, cruelle enfant?.. s'écria le docteur au désespoir. Les nobles ne se croient jamais obligés par nous autres bourgeois. En les servant nous faisons notre devoir, voilà tout. D'ailleurs la vieille dame a vu que Savinien te regardait avec plaisir, elle a peur qu'il ne t'aime.

– Enfin, il est sauvé? dit-elle. Mais essayer d'humilier un homme comme vous?

– Attends-moi, ma petite.

Quand le docteur revint chez madame de Portenduère, il y trouva Dionis accompagné de messieurs Bongrand et Levrault le maire, témoins exigés par la loi pour la validité des actes passés dans les communes où il n'existe qu'un notaire. Minoret prit à part monsieur Dionis et lui dit un mot à l'oreille, après lequel le notaire fit la lecture de l'obligation: madame de Portenduère y donnait une hypothèque sur tous ses biens jusqu'au remboursement des cent mille francs prêtés par le docteur au vicomte, et les intérêts y étaient stipulés à cinq pour cent. A la lecture de cette clause, le curé regarda Minoret, qui répondit à l'abbé par un léger coup de tête approbatif. Le pauvre prêtre alla dire à l'oreille de sa pénitente quelques mots auxquels elle répondit à mi-voix: – Je ne veux rien devoir à ces gens-là.

– Ma mère, monsieur, me laisse le beau rôle, dit Savinien au docteur; elle vous rendra tout l'argent et me charge de la reconnaissance.

– Mais il vous faudra trouver onze mille francs la première année, à cause des frais du contrat, reprit le curé.

– Monsieur, dit Minoret à Dionis, comme monsieur et madame de Portenduère sont hors d'état de payer l'enregistrement, joignez les frais de l'acte au capital, je vous les payerai.

Dionis fit des renvois, et le capital fut alors fixé à cent sept mille francs. Quand tout fut signé, Minoret prétexta de sa fatigue pour se retirer en même temps que le notaire et les témoins.

– Madame, dit le curé qui resta seul avec le vicomte, pourquoi choquer cet excellent monsieur Minoret qui vous a sauvé cependant au moins vingt-cinq mille francs à Paris, et qui a eu la délicatesse d'en laisser vingt mille à votre fils pour ses dettes d'honneur?..

– Votre Minoret est un sournois, dit-elle en prenant une pincée de tabac, il sait bien ce qu'il fait.

– Ma mère croit qu'il veut m'obliger à épouser sa pupille en englobant notre ferme, comme si l'on pouvait forcer un Portenduère, fils d'une Kergarouët, à se marier contre son gré.

Une heure après, Savinien se présenta chez le docteur où les héritiers se trouvaient, amenés par la curiosité. L'apparition du jeune vicomte produisit une sensation d'autant plus vive que, chez chacun des assistants, elle excita des émotions différentes. Mesdemoiselles Crémière et Massin chuchotèrent en regardant Ursule qui rougissait. Les mères dirent à Désiré que Goupil pouvait bien avoir raison à l'égard de ce mariage. Les yeux de toutes les personnes présentes se tournèrent alors sur le docteur qui ne se leva point pour recevoir le gentilhomme et se contenta de le saluer par une inclination de tête sans quitter le cornet, car il faisait une partie de trictrac avec monsieur Bongrand. L'air froid du docteur surprit tout le monde.

– Ursule, mon enfant, dit-il, fais-nous un peu de musique.

En voyant la jeune fille, heureuse d'avoir une contenance, sauter sur l'instrument et remuer les volumes reliés en vert, les héritiers acceptèrent avec des démonstrations de plaisir le supplice et le silence qui allaient leur être infligés, tant ils tenaient à savoir ce qui se tramait entre leur oncle et les Portenduère.

Il arrive souvent qu'un morceau pauvre en lui-même, mais exécuté par une jeune fille sous l'empire d'un sentiment profond, fasse plus d'impression qu'une grande ouverture pompeusement dite par un orchestre habile. Il existe en toute musique, outre la pensée du compositeur, l'âme de l'exécutant, qui, par un privilége acquis seulement à cet art, peut donner du sens et de la poésie à des phrases sans grande valeur. Chopin prouve aujourd'hui pour l'ingrat piano la vérité de ce fait déjà démontré par Paganini pour le violon. Ce beau génie est moins un musicien qu'une âme qui se rend sensible et qui se communiquerait par toute espèce de musique, même par de simples accords. Par sa sublime et périlleuse organisation, Ursule appartenait à cette école de génies si rares; mais le vieux Schmucke, le maître qui venait chaque samedi et qui pendant le séjour d'Ursule à Paris la vit tous les jours, avait porté le talent de son élève à toute sa perfection. Le Songe de Rousseau, morceau choisi par Ursule, une des compositions de la jeunesse d'Hérold, ne manque pas d'ailleurs d'une certaine profondeur qui peut se développer à l'exécution; elle y jeta les sentiments qui l'agitaient et justifia bien le titre de Caprice que porte ce fragment. Par un jeu à la fois suave et rêveur, son âme parlait à l'âme du jeune homme et l'enveloppait comme d'un nuage par des idées presque visibles. Assis au bout du piano, le coude appuyé sur le couvercle et la tête dans sa main gauche, Savinien admirait Ursule dont les yeux arrêtés sur la boiserie semblaient interroger un monde mystérieux. On serait devenu profondément amoureux à moins. Les sentiments vrais ont leur magnétisme, et Ursule voulait en quelque sorte montrer son âme, comme une coquette se pare pour plaire. Savinien pénétra donc dans ce délicieux royaume, entraîné par ce cœur qui, pour s'interpréter lui-même, empruntait la puissance du seul art qui parle à la pensée par la pensée même, sans le secours de la parole, des couleurs ou de la forme. La candeur a sur l'homme le même pouvoir que l'enfance, elle en a les attraits et les irrésistibles séductions; or, jamais Ursule ne fut plus candide qu'en ce moment où elle naissait à une nouvelle vie. Le curé vint arracher le gentilhomme à son rêve, en lui demandant de faire le quatrième au whist. Ursule continua de jouer, les héritiers partirent, à l'exception de Désiré qui cherchait à connaître les intentions de son grand-oncle, du vicomte et d'Ursule.

– Vous avez autant de talent que d'âme, mademoiselle, dit Savinien quand la jeune fille ferma son piano pour venir s'asseoir à côté de son parrain. Quel est donc votre maître?

– Un Allemand logé précisément auprès de la rue Dauphine, sur le quai Conti, dit le docteur. S'il n'avait pas donné tous les jours une leçon à Ursule pendant notre séjour à Paris, il serait venu ce matin.

– C'est non-seulement un grand musicien, dit Ursule, mais un homme adorable de naïveté.

– Ces leçons-là doivent coûter cher! s'écria Désiré.

Un sourire d'ironie fut échangé par les joueurs. Quand la partie se termina, le docteur, soucieux jusqu'alors, prit en regardant Savinien l'air d'un homme peiné d'avoir à remplir une obligation.

– Monsieur, lui dit-il, je vous sais beaucoup de gré du sentiment qui vous a porté à me faire si promptement visite; mais madame votre mère me suppose des arrière-pensées très-peu nobles, et je lui donnerais le droit de les croire vraies si je ne vous priais pas de ne plus venir me voir, malgré l'honneur que me feraient vos visites et le plaisir que j'aurais à cultiver votre société. Mon honneur et mon repos exigent que nous cessions toute relation de voisinage. Dites à madame votre mère que si je ne vais point la prier de nous faire l'honneur, à ma pupille et à moi, d'accepter à dîner dimanche prochain, c'est à cause de la certitude où je suis qu'elle serait indisposée ce jour-là.

Le vieillard tendit la main au jeune vicomte, qui la lui serra respectueusement, en lui disant: – Vous avez raison, monsieur! Et il se retira, non sans faire à Ursule un salut qui révélait plus de mélancolie que de désappointement.

Désiré sortit en même temps que le gentilhomme; mais il lui fut impossible d'échanger un mot, car Savinien se précipita chez lui.

Le désaccord des Portenduère et du docteur Minoret défraya, pendant deux jours, la conversation des héritiers qui rendirent hommage au génie de Dionis, et regardèrent alors leur succession comme sauvée. Ainsi, dans un siècle où les rangs se nivellent, où la manie de l'égalité met de plain-pied tous les individus et menace tout, jusqu'à la subordination militaire, dernier retranchement du pouvoir en France; où par conséquent les passions n'ont plus d'autres obstacles à vaincre que les antipathies personnelles ou le défaut d'équilibre entre les fortunes, l'obstination d'une vieille Bretonne et la dignité du docteur Minoret élevaient entre ces deux amants des barrières destinées, comme autrefois, moins à détruire qu'à fortifier l'amour. Pour un homme passionné, toute femme vaut ce qu'elle lui coûte; or, Savinien apercevait une lutte, des efforts, des incertitudes qui lui rendaient déjà cette jeune fille chère: il voulait la conquérir. Peut-être nos sentiments obéissent-ils aux lois de la nature sur la durée de ses créations: à longue vie, longue enfance!

Le lendemain matin, en se levant, Ursule et Savinien eurent une même pensée. Cette entente ferait naître l'amour si elle n'en était pas déjà la plus délicieuse preuve. Lorsque la jeune fille écarta légèrement ses rideaux afin de donner à ses yeux l'espace strictement nécessaire pour voir chez Savinien, elle aperçut la figure de son amant au-dessus de l'espagnolette en face. Quand on songe aux immenses services que rendent les fenêtres aux amoureux, il semble assez naturel d'en faire l'objet d'une contribution. Après avoir ainsi protesté contre la dureté de son parrain, Ursule laissa retomber les rideaux, et ouvrit ses fenêtres pour fermer ses persiennes à travers lesquelles elle pourrait désormais voir sans être vue. Elle monta bien sept ou huit fois pendant la journée à sa chambre, et trouva toujours le jeune vicomte écrivant, déchirant des papiers et recommençant à écrire, à elle sans doute!

Le lendemain matin, au réveil d'Ursule, la Bougival lui monta la lettre suivante.

A MADEMOISELLE URSULE

«Mademoiselle,

»Je ne me fais point illusion sur la défiance que doit inspirer un jeune homme qui s'est mis dans la position d'où je ne suis sorti que par l'intervention de votre tuteur: il me faut donner désormais plus de garanties que tout autre; aussi, mademoiselle, est-ce avec une profonde humilité que je me mets à vos pieds pour vous avouer mon amour. Cette déclaration n'est pas dictée par une passion: elle vient d'une certitude qui embrasse la vie entière. Une folle passion pour ma jeune tante, madame de Kergarouët, m'a jeté en prison, ne trouverez-vous pas une marque de sincère amour dans la complète disparition de mes souvenirs, et de cette image effacée de mon cœur par la vôtre? Dès que je vous ai vue endormie et si gracieuse dans votre sommeil d'enfant à Bouron, vous avez occupé mon âme en reine qui prend possession de son empire. Je ne veux pas d'autre femme que vous. Vous avez toutes les distinctions que je souhaite dans celle qui doit porter mon nom. L'éducation que vous avez reçue et la dignité de votre cœur vous mettent à la hauteur des situations les plus élevées. Mais je doute trop de moi-même pour essayer de vous bien peindre à vous-même, je ne puis que vous aimer. Après vous avoir entendue hier, je me suis souvenu de ces phrases qui semblent écrites pour vous:

«Faite pour attirer les cœurs et charmer les yeux, à la fois douce et indulgente, spirituelle et raisonnable, polie comme si elle avait passé sa vie dans les cours, simple comme le solitaire qui n'a jamais connu le monde, le feu de son âme est tempéré dans ses yeux par une divine modestie.»

»J'ai senti le prix de cette belle âme qui se révèle en vous dans les plus petites choses. Voilà ce qui me donne la hardiesse de vous demander, si vous n'aimez encore personne, de me laisser vous prouver par mes soins et par ma conduite que je suis digne de vous. Il s'agit de ma vie, vous ne pouvez douter que toutes mes forces ne soient employées non seulement à vous plaire, mais encore à mériter votre estime, qui peut tenir lieu de celle de toute la terre. Avec cet espoir, Ursule, et si vous me permettez de vous nommer dans mon cœur comme une adorée, Nemours sera pour moi le paradis, et les plus difficiles entreprises ne m'offriront que des jouissances qui vous seront rapportées comme on rapporte tout à Dieu. Dites-moi donc que je puis me dire

»Votre Savinien.»

Ursule baisa cette lettre; puis, après l'avoir relue et tenue avec des mouvements insensés, elle s'habilla pour aller la montrer à son parrain.

– Mon Dieu! j'ai failli sortir sans faire mes prières, dit-elle en rentrant pour s'agenouiller à son prie-Dieu.

Quelques instants après, elle descendit au jardin et y trouva son tuteur à qui elle fit lire la lettre de Savinien. Tous deux ils s'assirent sur le banc, sous le massif de plantes grimpantes, en face du pavillon chinois: Ursule attendait un mot du vieillard, et le vieillard réfléchissait beaucoup trop longtemps pour une fille impatiente. Enfin, de leur entretien secret il résulta la lettre suivante, que le docteur avait sans doute en partie dictée.

«Monsieur,

»Je ne puis être que fort honorée de la lettre par laquelle vous m'offrez votre main; mais, à mon âge, et d'après les lois de mon éducation, j'ai dû la communiquer à mon tuteur, qui est toute ma famille, et que j'aime à la fois comme un père et comme un ami. Voici donc les cruelles objections qu'il m'a faites et qui doivent me servir de réponse.

»Je suis, monsieur le vicomte, une pauvre fille dont la fortune à venir dépend entièrement non seulement des bons vouloirs de mon parrain, mais encore des mesures chanceuses qu'il prendra pour éluder les mauvais vouloirs de ses héritiers à mon égard. Quoique fille légitime de Joseph Mirouët, capitaine de musique au 45e régiment d'infanterie; comme il est le beau-frère naturel de mon tuteur, on pourrait, quoique sans raison, faire un procès à une jeune fille qui resterait sans défense. Vous voyez, monsieur, que mon peu de fortune n'est pas mon plus grand malheur. J'ai bien des raisons d'être humble. C'est pour vous et non pour moi que je vous soumets de pareilles observations qui sont souvent d'un poids léger pour des cœurs aimants et dévoués. Mais considérez aussi, monsieur, que si je ne vous les soumettais pas, je serais soupçonnée de vouloir faire passer votre tendresse par-dessus des obstacles que le monde et surtout votre mère trouveraient invincibles. J'aurai seize ans dans quatre mois. Peut-être reconnaîtrez-vous que nous sommes l'un et l'autre trop jeunes et trop inexpérimentés pour combattre les misères d'une vie commencée sans autre fortune que ce que je tiens de la bonté de feu monsieur de Jordy. Mon tuteur désire d'ailleurs ne pas me marier avant que j'aie atteint vingt ans. Qui sait ce que le sort vous réserve durant ces quatre années, les plus belles de votre vie? ne la brisez donc pas pour une pauvre fille.

»Après vous avoir exposé, monsieur, les raisons de mon cher tuteur qui, loin de s'opposer à mon bonheur, veut y contribuer de toutes ses forces et souhaite voir sa protection, bientôt débile, remplacée par une tendresse égale à la sienne, il me reste à vous dire combien je suis touchée et de votre offre et des compliments affectueux qui l'accompagnent. La prudence qui dicte cette réponse est d'un vieillard à qui la vie est bien connue; mais la reconnaissance que je vous exprime est d'une jeune fille à qui nul autre sentiment n'est entré dans l'âme.

»Ainsi, monsieur, je puis me dire, en toute vérité,

»Votre servante,»Ursule Mirouet.»

Savinien ne répondit pas. Faisait-il des tentatives auprès de sa mère? Cette lettre avait-elle éteint son amour? Mille questions semblables, toutes insolubles, tourmentaient horriblement Ursule et par ricochet le docteur qui souffrait des moindres agitations de sa chère enfant. Ursule montait souvent à sa chambre et regardait chez Savinien qu'elle voyait pensif, assis devant sa table et tournant souvent les yeux sur ses fenêtres à elle. A la fin de la semaine, pas plus tôt, elle reçut la lettre suivante de Savinien dont le retard s'expliquait par un surcroît d'amour.

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